Éditions Édouard Garand (p. 48-50).

CHAPITRE XXVIII

ÉPREUVES


M. Jambeau était, en effet, bien malade et on craignait de le voir mourir. Ce fut, d’abord, une forte attaque de rhumatisme articulaire, puis il prit une sorte de bronchite, accompagnée de fièvre intense et de délire.

Ni Jean ni Maurice ne quittait M. Jambeau ; chacun leur tour, ils veillaient à son chevet, et le jour et la nuit. Ce bon M. Jambeau !… Et impossible de se procurer les conseils d’un médecin !… On le soignait à peu près, mais au meilleur de sa connaissance ; le bon Dieu ferait le reste !

Souvent, dans le délire de la fièvre, M. Jambeau prononçait le nom de Marielle et, un jour, Maurice dit à Jean :

— Que penseriez-vous de l’idée d’envoyer Firmin au « Manoir-Roux » et d’essayer d’en ramener Mlle Marielle ? Il est très surprenant qu’elle ne soit pas venue d’elle-même, n’est-ce pas, Bahr, puisqu’elle sait que M. Jambeau est malade ? Firmin, ajouta Maurice, voulez-vous aller au « Manoir-Roux » ? Demandez à parler à Mlle Dupas et dites-lui comme M. Jambeau est malade. Dites-lui aussi qu’il prononce souvent son nom, à Mlle Dupas, dans son délire, et que nous avons pensé que sa présence ici ferait peut-être du bien au malade.

Je pars immédiatement, M. Leroy, répondit Firmin.

Avec quelle impatience on attendit le retour du domestique de M. Jambeau ! Enfin, il arriva ; mais il était seul.

Mlle  Marielle ? demandèrent, en même temps, Jean et Maurice.

— Messieurs, répondit Firmin, il y a des malades au « Manoir-Roux » aussi.

Mlle  Dupas ! s’écria Jean.

— Non, M. Bahr, pas Mlle Dupas. C’est elle qui m’a reçu… Mme Dupas est très-malade ; elle souffre de la même maladie que M. Jambeau, et on est très inquiet à son sujet. La vieille Nounou est, elle aussi, bien mal, et M. Dupas, depuis ce matin, a de continuels frissons.

— Ciel ! s’exclamèrent Jean et Maurice.

— J’ai trouvé Mlle Dupas bien changée, pâle et les yeux cerclés de noir : c’est qu’elle est seule pour soigner tous ces malades, continua Firmin.

— Mais, Mlle Vallier ? demanda Maurice. Est-elle malade, elle aussi ?

— Non, M. Leroy. Mais Mlle Vallier prétend avoir peur de cette maladie, qui est contagieuse, et elle reste dans sa chambre, ne descendant qu’aux heures des repas.

— Quel égoïsme ! dit Jean.

— Firmin, demanda Maurice, seriez-vous assez bon de vous rendre chez moi et dire à Chérubin de venir ici immédiatement ?

— Certainement, M. Leroy !

Firmin partit, puis il revint, au bout de quelques minutes, accompagné du domestique de Maurice.

— Chérubin, dit Maurice, nous venons d’apprendre que M. et Mme Dupas, ainsi que Nounou sont malade. Mlle Dupas a, seule, la charge de tous ces malades… Tu vas donc partir pour le « Manoir-Roux » et t’y installer, afin de donner à Mlle Dupas tout l’aide possible.

— Bien, M. Maurice, répondit Chérubin.

— Attends, Chérubin, dit Maurice, Tu viendras nous apporter des nouvelles du « Manoir-Roux », chaque jour, deux fois par jour même, si tu le peux.

— Certainement, M. Maurice ! répondit le domestique, puis il partit pour le « Manoir-Roux ».

Et que devenait l’enfant Max pendant ce temps ?

Max était à « Charmes Villa », chez Maurice. Quand M. Jambeau tomba malade et que Jean passait, la plus grande partie de son temps auprès du malade, Maurice envoya son domestique chercher l’enfant, car on ne pouvait le laisser seul au « Gîte ». Max arriva donc à « Charme Villa », un beau soir, portant, dans sa main droite, une petite valise contenant du linge, et dans sa main gauche, un panier couvert contenant Toute-Blanche. Inutile de dire que Léo suivait, comme toujours, son maître pas à pas.

M. Jambeau fut plus de trois semaines malade. Enfin, il put quitter son lit et s’asseoir dans un fauteuil. Jean et Maurice commençaient à songer à réintégrer leurs domiciles respectifs, quand, un soir, Firmin tomba subitement malade, à son tour. Ce pauvre Firmin venait de dire à M. Jambeau :

— M. Jambeau, c’est une épidémie qui décime le Rocher aux Oiseaux que cette maladie que vous venez d’avoir : M. et Mme Dupas ont été malades, Nounou aussi… Vrai, M. Jambeau, cette épidémie « court » sur le Rocher, et elle finira par nous « attraper » tous !

À peine Firmin eut-il finit de parler, qu’il se sentit pris de frissons et d’étourdissements. On dut le transporter dans sa chambre et s’empresser de lui prodiguer des soins.

Jean et Maurice se virent retenus à la « Villa Bianca ». Heureusement, Firmin ne fut que six jours malade, car, véritablement, Jean et Maurice étaient bien fatigués tous deux.

Quittant la « Villa Bianca », nos deux amis se dirigèrent vers la demeure de Maurice. Il était cinq heures du soir. Qui fut content de les revoir ? ce fut Max, et même Toute-Blanche vint se frôler sur les jambes de Jean.

— Maurice, dit Jean, après le souper, je me propose de retourner au « Gîte » ce soir. Max et moi nous avons le grand ménage à faire, car la saison de la chasse aux morses sera bientôt arrivée… Ciel, qu’il fait froid, n’est-ce pas, Leroy ? dit-il soudain, puis il se mit à frissonner.

— Vous êtes frileux, Bahr ; je trouve la température bien supportable, pour ma part.

— Ce pauvre M. Jambeau, comme il a été malade ! J’ai cru, pendant quelques jours, que c’en était fait de lui, dit Jean.

— Oui, pauvre M. Jambeau !… Ça va mieux au « Manoir-Roux » maintenant, répliqua Maurice. M. Dupas est tout à fait revenu de son indisposition et Nounou est sur pied depuis hier ; il n’y a que Mme Dupas, dont l’état est encore inquiétant.

— Comme Marielle doit être fatiguée ! dit Jean. Pourvu qu’elle ne tombe pas malade à son tour !… Quelle bonne idée vous avez eue, Leroy, de lui envoyer votre domestique ! Pauvre pauvre Marielle !… C’est singulier, reprit-il, en passant la main sur son front, c’est singulier comme il fait noir… Je ne…

— Bahr ! Bahr ! cria Maurice, puis il courut vers son ami, qui venait de s’évanouir.

Oui, Jean, à son tour, était atteint de cette maladie devenue épidémique sur le Rocher aux Oiseaux !

Chérubin arrivant à « Charme Villa » porteur de nouvelles plus rassurantes sur l’état de Mme Dupas, aperçut Jean Bahr aux prises avec la fièvre et le délire.

— M. Maurice, dit-il, Mlle Dupas est, en ce moment, chez M. Jambeau.

— Vraiment ! s’écria Maurice. Reste ici alors, Chérubin ; je vais aller à la « Villa Bianca » et ramener Mlle Dupas.

Maurice partit, à la course, dans la direction de la « Villa Bianca » et il y arriva juste au moment où Marielle s’apprêtait à retourner chez elle.

— Ah ! M. Maurice ! dit Marielle en tendant la main au jeune homme.

— Comment allez-vous Mlle Marielle ? demanda Maurice à la jeune fille. Vous avez été très éprouvés au « Manoir-Roux » !

— Certes, oui, répondit Marielle ; mais tous sont sur pied maintenant, Dieu merci. Et… M. Maurice, comment vous remercier de votre délicate attention d’avoir envoyé votre domestique, ce bon Chérubin, à mon aide ! Je ne sais vraiment comment je serais parvenue à me tirer d’affaire sans lui !

— Je vous assure, Marielle, interposa M. Jambeau, que je serais aujourd’hui dans le sein d’Abraham, si ce n’eut été de Maurice et de Jean !… Jean ne vous a pas accompagné, Maurice ?

— Non, M. Jambeau, Jean ne m’a pas accompagné… pour la bonne raison que ce pauvre Jean est tombé malade subitement, hier soir, dit Maurice.

— Jean malade !

Cette exclamation c’est Marielle et M. Jambeau qui la firent ensemble.

— Oui, Jean est malade, bien malade ; il a la fièvre et le délire… Il est bien changé ce pauvre Jean !… C’est pourquoi, ayant appris par mon domestique que Mlle Marielle était ici, je suis venue la chercher… Jean est chez moi… Qui sait ce que la présence de sa fiancée…

— J’y vais tout de suite ! s’écria Marielle, et elle partit à la course, sans même attendre Maurice.

Arrivée à « Charme Villa », Marielle se fit conduire immédiatement dans la chambre du malade. Oui, Jean était bien bien changé ; de plus, il était aux prises d’une forte fièvre et du délire. Il articulait des mots sans suite, tandis que ses yeux avaient une fixité étrange, terrible à voir.

— Jean ! Jean ! murmura Marielle, en posant ses lèvres sur le front du jeune homme.

Les yeux du malade se fixèrent sur Marielle, puis il dit :

— Louise ! Ô chère bien-aimée ! Quel bonheur de te revoir, après une si longue séparation !

— Il me prend pour Louise Vallier ! se dit Marielle, en portant la main à son cœur. C’est donc vrai qu’il l’aime ! Ô mon Dieu ! Ô mon Dieu !

— Louise ! répéta Jean. Ne nous séparons plus… Ton cher visage est le dernier que je désire voir en ce monde, puisque… puisque…

Mais, Marielle n’en pouvait supporter davantage ; elle quitta précipitamment « Charme Villa » et retourna tout courant, au « Manoir-Roux ». Pauvre Marielle ! Elle se disait qu’elle était bien abandonnée ; depuis le mariage de Pierre Dupas, elle n’avait, pour ainsi dire, plus de père…, et maintenant… elle n’avait plus de fiancé…

— Je sais ce que je vais faire, se dit-elle ; je vais aller passer quelques temps chez M. Jambeau. Ça me distraira et me reposera… Je suis bien fatiguée, oui, bien fatiguée… et, ciel, que le cœur me fait mal !

Ayant obtenu la permission de son père, Marielle partit, le surlendemain, pour la « Villa Bianca ». Qui fut content quand il apprit que sa chère Marielle s’en venait se reposer chez lui ?… Ce bon M. Jambeau se dit qu’il était l’homme le plus heureux de la terre, et il se promit de rendre le plus agréable possible le séjour de la jeune fille sous son toit.

Il y avait huit jours que Marielle était installée chez M. Jambeau, quand, un matin, alors qu’elle faisait la lecture à haute voix pour son hôte, celui-ci l’interrompit tout à coup :

— Marielle, dit-il, si vous voulez bien, nous allons causer, ce matin, au lieu de faire la lecture.

— C’est bien, M. Jambeau, acquiesça la jeune fille.

— Marielle, demanda M. Jambeau, dites-moi ce qu’il y a… Il y a quelque chose, je sais… quelque chose qui vous brise le cœur, qui vous fait pleurer en cachette… Qu’est-ce, ma chérie ?… N’avez-vous pas confiance en moi ?… Qu’y a-t-il, Marielle ?

Marielle se mit à sangloter, tout d’abord, puis elle confia sa grande peine à son vieil ami. M. Jambeau n’en revenait pas !… Jean amoureux de Louise Vallier !… Ce n’était presque pas croyable… Mais, Jean était mieux, et M. Jambeau se dit qu’il le verrait bientôt… demain… aujourd’hui peut-être… Il demanderait au jeune homme de lui expliquer…

— Cher M. Jambeau, dit Marielle, si vous n’y avez pas d’objection, je vais aller faire un petit tour chez-nous ; je reviendrai à temps pour confectionner le dessert du dîner.

— C’est bien, Marielle, répondit M. Jambeau. À bientôt, ma chérie !

— À bientôt, cher M. Jambeau !