Le royaume merveilleux/Chapitre II

Édition Herman Wolf (p. 21-32).


CHAPITRE II


Messieurs, dit Lucien, Roi d’Araucanie, à ses collaborateurs, voulons-nous discuter, en conseil, la situation générale ? Les six hommes se levèrent de leurs sièges et se dirigèrent, précédés de Lucien, vers la salle du conseil.

Là, autour d’une magnifique table de palissandre ornée de nacre, ils se tinrent debout jusqu’à ce que Lucien leur eut dit de s’asseoir.

Dès qu’ils y furent invités, ils s’assirent et Lucien commença : Il y a aujourd’hui cinq ans que vous me prêtez votre collaboration.

Dès le début de nos relations, je vous fis entrevoir qu’un long laps de temps s’écoulerait avant que l’œuvre à laquelle je vous avais conviés, pût donner ses fruits.

Je m’excuse envers vous, Messieurs, de l’isolement dans lequel je vous ai tenus, mais j’avais pour cela de puissantes raisons. Vous n’ignorez pas que mon beau-père et moi étions menacés d’encerclement complet par nos ennemis.

Que l’issue que nous avions par l’Amazone, le Waldonado et d’autres fleuves pouvait nous être barrée du jour au lendemain.

Heureusement nous avions Punta-Arenas comme issue directe à l’Océan. Mais une puissante flotte, une flottille de sous-marins, un champ de mines pouvait nous fermer ce port. Il fallait à tout prix me rendre absolument indépendant, conquérir une maîtrise quelconque, obtenir la suprématie de l’air et d’autres éléments.

Grâce à vos recherches, je crois l’avoir obtenue. Je vous en remercie, Messieurs, du plus profond de mon cœur.

Maintenant que la tâche est finie, du moins dans sa sphère scientifique, je vous rends votre liberté.

Au seuil de la guerre qui va commencer, je ne veux pas vous imposer d’autres obligations.

Que celui d’entre vous qui désire rentrer en Europe, veuille bien me l’indiquer et je m’empresserai, tant qu’il en est temps encore, de le reconduire à Buenos-Ayres par le Trans-Andin. Personne ne bougea. Larmion se leva.

Monsieur Lucien, commença-t-il, je crois être l’interprète de ces messieurs, en vous disant que ce n’est pas au moment où nous allons voir le succès couronner nos recherches, ou nos découvertes, que nous penserions à vous quitter.

Nous avons tous, dès le début, été captivés par le rôle que vous nous assigniez. Nous avons fini même par aimer ce peuple au milieu duquel nous vivions, et je puis affirmer que j’aime les unités de mon corps d’aviateurs-pilotes autant que des frères.

Je suis persuadé qu’il en est de même pour le corps de fusiliers que Monsieur Dubois a formé. N’est-ce pas, fit-il en se tournant vers celui-ci. Oui, répondit ce dernier, ils m’aiment comme un père et je les aime comme s’ils étaient mes enfants.

Il en est de même pour tous ces messieurs.

Lucien se leva à nouveau et dit : Puisqu’il en est ainsi, nous allons discuter notre plan de campagne.

Voyons d’abord la situation internationale : en Amérique du Sud nous ne pouvons compter sur personne ; j’ai fait sonder le Pérou et la Bolivie, ces pays refusent de se joindre à nous et je crois même qu’un traité secret a été signé avec le Brésil pour le partage de l’Empire du Soleil. L’Uruguay et le Paraguay sont maintenus par l’Argentine, l’Amérique Centrale ne peut nous aider en rien, étant trop éloignée et maintenue en outre par les États-Unis. Leurs sympathies vont du reste à l’A. B. C. Il en est de même des États-Unis ; l’Europe, de son côté, ne peut nous être d’aucune aide et sympathise avec nos ennemis. Seul l’Orient nous est favorable. La Chine, le Japon, l’Inde nous ont promis, les uns une agitation populaire, d’autres leur appui en officiers et cadres. Vous n’ignorez pas que nous avons conservé tous les officiers japonais de la précédente guerre, de même que les divers engagés volontaires. Nous disposons donc de 500,000 hommes de première ligne, de 4,000 bouches à feu et de 10,000 mitrailleuses avec une réserve de munitions pour une campagne d’un an. Nous sommes en outre montés pour fabriquer ici même tout le matériel et les munitions nécessaires. Mais en regard de ce que nous pouvons aligner, voyons ce que peuvent faire nos ennemis.

L’Argentine est disposée à mettre en ligne un million d’hommes, 2,500 bouches à feu et 5,000 mitrailleuses.

Le Brésil ira jusqu’à deux millions d’hommes et 10,000 mitrailleuses. Son artillerie ne comportera que 500 bouches à feu, car il est obligé de batailler dans des forêts et des rivières.

Le Chili mettra à la disposition de l’A. B. C. 500,000 hommes, 2,500 bouches à feu et 5,000 mitrailleuses.

Comme il n’est pas obligé, comme dans la guerre précédente, de défendre le front de Bolivie, il est probable que son rôle consistera à l’invasion de l’Araucanie par la terre de Feu. Je suppose même que sa flotte bombardera Punta-Arenas, et bloquera le détroit de Magellan pour empêcher tout ravitaillement.

Je suis amené à croire qu’il agira ainsi, car le passage des Andes lui coûterait énormément d’hommes.

Les renseignements que j’ai reçus, me portent à croire que je ne me trompe pas, car en ces derniers temps on a aperçu beaucoup d’officiers dans ces parages.

En outre de grandes quantités de mines sous-marines ont été achetées, ainsi que des torpilles. Deux submersibles sont en route également à destination de Copiapo où, je suppose, se trouvera la base de ceux-ci. Le barrage du détroit de Magellan m’importe peu, car j’ai fait tous mes approvisionnements pour longtemps.

Mais pour empêcher à mon tour l’approvisionnement du Chili par mer, j’ai établi deux bases, une dans l’île de Régimal à l’Océan Antarctique et l’autre dans une des îles de Chincha, la plus déserte de ce groupe, pour empêcher le passage dans l’Océan Pacifique.

Ces îles ayant été achetées par moi et placées sous la protection du pavillon belge, ne peuvent être attaquées sans complications diplomatiques. Leur propriétaire fictif est du reste mon ami Bastin, qui est censé faire du commerce licite. Voyons maintenant les forces maritimes de l’Argentine et du Brésil, du moins celles qu’ils pourraient aligner contre nous, car nous-mêmes, n’ayant pas de flotte de guerre, ils laisseront dans leurs ports les cuirassés et croiseurs pour ne se servir que des torpilleurs et sous-marins pouvant naviguer dans les rivières comme l’Amazone.

L’Argentine dispose de 25 torpilleurs et trois sous-marins. Le Brésil de 80 torpilleurs et de 4 sous-marins.

En regard de tout cela, nous ne pouvons opposer que six sous-marins partagés dans nos deux bases navales.

Mais je le répète, Messieurs, la guerre maritime m’importe peu. De plus, ces unités sont construites tout autrement que celles de l’A. B. C. : leur coque est en métal Dubois impénétrable aux obus et torpilles, leurs moteurs sont munis du dispositif Larmion pour la récupération de l’énergie et produire indéfiniment de l’électricité. Leurs torpilles contiennent de l’Haguenite, due aux savantes recherches de notre distingué confrère ici-présent.

Bref nos sous-marins sont invulnérables.

Un autre point qui a son importance pour nous, c’est le côté économique.

Dans ce domaine, voici ce que j’ai fait :

Depuis environ un an, j’ai fait acheter aux Bourses de Paris et Londres tous les emprunts argentins, brésiliens et chiliens que j’ai pu obtenir. Le public, dans l’éventualité d’une guerre, lançait ce papier en quantité. Croyant que les rachats provenaient des États eux-mêmes pour soutenir leurs cours, la hausse ne s’est pas produite.

Je suis donc détenteur de deux milliards de francs de ventes de ces pays, soit la presque totalité de ceux-ci.

Dès la déclaration de guerre, je lance ces valeurs à jet continu et empêche le placement de nouveaux emprunts.

Je ne connais pas un groupe assez puissant ni assez désintéressé qui puisse racheter le papier que j’offrirai.

Si la guerre est longue, ces pays vont s’épuiser financièrement, leur exportation se trouvera arrêtée par la guerre sous-marine que je porterai jusque dans leurs eaux.

Passons maintenant à l’aviation. Dans ce domaine nous sommes les maîtres incontestés. Le Brésil dispose de quatre dirigeables, six cents avions et 350 pilotes. L’Argentine de deux dirigeables, cinq cents avions et 300 pilotes. Le Chili d’un dirigeable, quatre cents avions et 275 pilotes. Cela leur donne sept dirigeables, 1,500 avions et 928 pilotes.

Nous possédons dix dirigeables, 1,000 avions et 3,000 pilotes, avec cette particularité que nos moteurs électriques donnent une vitesse de kilomètres à l’heure contre les 120 de moyenne des leurs, que nos avions sont tous recouverts du métal Dubois, de même que l’enveloppe de nos dirigeables, que par le dispositif Larmion nous pouvons voler beaucoup plus longtemps qu’eux.

En outre, avec la puissance de nos moteurs, nos avions transportent dix hommes et le pilote, tandis qu’eux n’en transportent que deux. C’est là. Messieurs, où nous sommes forts. Nos ennemis ignorent absolument notre puissance, car tout cela a été fait en secret. Nul étranger, à part vous six, n’a pénétré dans nos ateliers et nos usines.

Avec nos projectiles à l’Haguenite, nous sommes à même de les détruire avant qu’ils nous atteignent.

Je n’oublierai pas non plus notre confrère Ramier.

Grâce à lui, nous avons installé des postes de télégraphie sans fil munis de son dispositif récepteur. Nous pouvons ainsi correspondre sans risque d’être interceptés.

Je n’oublierai pas non plus Messieurs Defrennes et Daviel : Grâce à eux deux, l’un en trouvant, l’autre en frappant l’or, nous avons les moyens de nous fortifier.

Passons maintenant à notre plan de campagne :

Je vous dirai tout d’abord que j’ignore quand la guerre éclatera, je sais seulement que l’Argentine mobilise en secret. Au fur et à mesure que les unités rentrent, elles sont envoyées par chemin de fer à Parral, au Grand Chaco, où des immenses camps de concentration ont été créés.

J’ai capté hier une dépêche annonçant que Ferucci, ancien compagnon de Garibaldi, faisait appel à ses compatriotes de Buenos-Ayres pour la constitution d’une légion italienne. Du Chili, je ne sais que l’envoi d’éclaireurs à la Terre de Feu. Le Brésil, lui aussi, mobilise en secret. Son armée du Nord vient d’être déplacée et se trouva à 500 kilomètres des frontières de l’Empire du Soleil. Celles du centre et du Sud ont avancé parallèlement.

Pour éviter une invasion subite, vu la courte distance, j’ai fait miner le Tavajos, le Saô-Miguel et le Texeira qui forment nos frontières naturelles.

En outre, à dix kilomètres en arrière, j’ai fait placer des fortins portatifs munis de mitrailleuses.

J’ai cent mille hommes concentrés au centre, prêts à se porter aux deux ailes en cas de besoin.

Je vais en mobiliser encore 600,000, de façon à pouvoir en placer 400,000 de plus contre le centre brésilien.

Les autres deux cents mille me serviront : cent mille pour arrêter l’invasion chilienne et cent mille pour renforcer mon armée d’Araucanie, qui sera portée ainsi à 500,000 hommes. Avec ma supériorité aérienne, je suis à même de soutenir leur choc combiné.

Voici maintenant mon plan d’attaque, car je ne vous cache pas que je veux riposter à leur offensive par une contre-offensive puissante.

Nos ennemis se figurent qu’en attaquant ensemble, ils vont nous obliger à éparpiller nos forces.

Je suis donc d’avis d’attaquer les Argentins en bataille rangée dans les plaines du Grand-Chaco, de me retrancher et de tenir coûte que coûte contre les Brésiliens et Chiliens.

L’armée brésilienne du Nord mettra au bas mot deux mois pour faire sa jonction avec celle du centre, car elle doit traverser des forêts inextricables.

Celle du Sud mettra ou moins autant, car les difficultés sont les mêmes.

Les deux ailes des Brésiliens sont plus fortes que le centre, car elles doivent s’éparpiller beaucoup plus.

Par conséquent mes 500,000 hommes peuvent soutenir facilement, étant retranchés, le choc du centre d’abord et des ailes ensuite.

Cette armée sera commandée par l’inca lui-même, ayant comme chef d’état-major le colonel Nogi, parent du vainqueur de Port-Arthur, et qui fut lui-même attaché à l’état-major japonais à ce moment.

Pour que les Chiliens envahissent l’Araucanie, il faut qu’ils passent par les montagnes ou par mer. Je vais faire garder toutes les passes des montagnes et faire croiser les sous-marins. Je compte, sans être optimiste que les Chiliens seront arrêtés également pendant deux ou trois mois, car il faut compter qu’avant d’arriver au cœur de mon royaume, il faudra conquérir pic par pic.

Mes avions, du reste, feront bonne besogne.

Reste l’Argentine, dont je me charge de régler le compte.

Voyez-vous, Messieurs, quelque chose dans mon plan qui ne soit pas conforme à vos idées ? Parlez sans crainte de me froisser.

Dubois se leva et dit : Je crois être l’interprète de mes collègues en vous affirmant qu’ils approuvent complètement vos idées. N’est-ce pas Messieurs ?

Oui, répondirent ceux-ci ensemble.

Dans ce cas nous allons désigner le poste que chacun occupera dans la prochaine campagne.

Comme je vous l’ai dit, l’armée contre le Brésil sera commandée par Atahualpa ii, celle contre l’Argentine par moi. Un de vous voudrait-il diriger l’armée contre le Chili ? Vous, Monsieur Defrennes, qui êtes un ingénieur émérite ? Je veux bien, répondit ce dernier, si vous me donnez comme chef d’état-major le capitaine Oku, un spécialiste en matière de retranchements.

Convenu, dit Lucien, j’en parlerai au capitaine.

Voici les autres postes que je veux vous offrir :

Le service de ravitaillement serait assuré par avions et dirigeables, bien entendu en ce qui concerne les projectiles, car vous n’ignorez pas que pour l’alimentation, nos indiens emportent assez de vivres sur eux pour un mois de campagne. Ceci simplifie notablement le service d’intendance. Je vous offre la direction de ce service, Monsieur Ramier.

J’accepte, dit ce dernier. Je vous donnerai, dit Lucien, deux dirigeables et 500 avions.

Pour le service d’ambulance, j’ai pensé à vous, monsieur Daviel. Vous auriez un dirigeable et 500 avions également. Comme le service d’ambulance est mieux organisé chez nos ennemis que chez nous, vous ne vous occuperiez que de nos blessés, Inutile de nous embarrasser de prisonniers. Étant donné qu’en deux heures nous franchissons plus de 400 kilomètres et que nos avions peuvent porter une douzaine d’hommes, en dix heures vous pourriez transporter 50 à 60,000 blessés, ce qui est déjà un chiffre énorme. C’est entendu, dit Daviel, j’accepte ce poste. Quant à vous, Monsieur Larmion, je vous offre la direction de l’aéronautique et la surveillance de nos postes de télégraphie sans fil. J’accepte, dit l’aviateur.

Je ne vous ai rien offert, ajouta Lucien, en se tournant vers Haguenau et Dubois, car votre présence est plus que jamais indispensable à la tête de nos diverses usines.

Les interpellés s’inclinèrent.

Maintenant, Messieurs, veuillez me permettre de vous annoncer une nouvelle qui vous sera agréable.

En dehors de vos émoluments habituels, j’ai fait déposer à la Banque de France à Paris un million de francs au nom de chacun de vous six.

Les bénéficiaires se levèrent et Haguenau dit :

Monsieur Lucien, au nom de mes collègues et au mien, je vous remercie de votre munificence, cependant, nous n’avions pas besoin d’un stimulant de ce genre pour vous dire que nous vous sommes dévoués jusque la mort. Je vous remercie Messieurs, dit Lucien, en leur serrant la main à tour de rôle, puis il ajouta : l’heure du déjeuner est arrivée, voulez-vous passer dans la salle à manger ?

Comme vous voudrez, dit Haguenau.

Les sept hommes se dirigèrent vers la sortie et peu après pénétraient dans une luxueuse salle à manger.

Lucien se dirigea vers un acoustique et cria : Linda, viens-tu déjeuner ? J’arrive de suite, fut la réponse.

Cinq minutes après, elle faisait son apparition.

Les savants lui serrèrent la main à tour de rôle puis, dès qu’elle se fut assise, prirent place à leur tour.

Lucien sonna sur un gong placé devant lui et presque aussitôt le milieu de la table s’écartait pour livrer passage à un service de table pour huit personnes.

Le potage était déjà servi, des tranches de pain, des hors-d’œuvres variés se trouvaient sur d’autres assiettes.

Dans une autre corbeille, il y avaient des couteaux, des fourchettes, des cuillères, puis des serviettes de table.

La corbeille se déplaça automatiquement et vint se placer dans une rainure ; un courant électrique la fit mouvoir tout autour de la table.

En passant devant chaque convive, elle s’arrêtait et celui-ci prenait les ustensiles nécessaires. Il en fut de même pour le potage ; dès celui-ci achevé, les convives plaçaient leur assiette dans l’emplacement réservé et qui commençait à se mouvoir vers l’endroit où se trouvait l’ascenseur devant la mener vers les cuisines.

Ensuite vinrent les verres et bouteilles de vin ou eaux minérales, suivant les goûts de chacun, puis successivement les poissons, les viandes, le gibier, le dessert. Enfin la nappe se replia d’elle même une fois le café bu et les tasses enlevées. Comme la fumée ne gênait pas Linda, les hommes se mirent à fumer. Peu après, Linda partit.

Avez-vous reçu des nouvelles intéressantes par sans fil ? demanda Lucien à Ramier.

Pas grand chose répondit celui-ci : les cours de la bourse de Liverpool pour les caoutchoucs, puis trois appels de détresse provenant, deux de l’Océan Indien où règne un typhon assez fort et un autre de l’Atlantique à hauteur des Açores.

Je me doute que l’A. B. C. ne communique plus par sans fil et envoie ses dépêches par câble.

Et vous autres. Messieurs, n’avez-vous rien de neuf non plus ? continua Lucien en se tournant vers les autres convives. Moi, dit Larmion, je faillis perdre, par son imprudence, un de mes meilleurs élèves.

Nous nous trouvions à 3000 mètres de hauteur quand il lui prit la fantaisie de grimper de son siège sur le plan supérieur de l’aile pour ramasser sa casquette qui venait de s’envoler.

Sur le coup le monocoque faillit se retourner, je n’eus que juste le temps de me lancer sur le stabilisateur car mon appareil allait capoter et l’imprudent être lancé par dessus bord de 3000 mètres de haut.

Après une vive remontrance, il promit de ne plus recommencer. Les autres savants n’avaient rien de remarquable à signaler.

Dès qu’ils eurent fini de fumer ils s’en allèrent, Lucien se dirigea vers le téléphone d’où il donna ordre à l’état-major de mobiliser les hommes nécessaires pour porter l’armée au pied qu’il avait annoncé en Conseil. Ensuite il passa à l’appartement de Linda : Ma Linda, lui dit-il, nous approchons du moment où nos ennemis vont se lancer à nouveau contre nous.

Le sang va couler à flots, mais cette guerre sera décisive. Ou nous vaincrons définitivement, ou l’empire du Soleil n’existera plus.

Je vais prendre le commandement de l’armée qui opérera contre l’Argentine et ton père celui contre le Brésil ; une autre armée moins nombreuse opérera contre le Chili ; je l’ai placée sous les ordres de Defrennes qui est un ingénieur de grand mérite.

Je compte partir demain pour Cuzco où j’aurai un dernier entretien avec ton père. Viens-tu avec moi ?

Oui, répondit Linda, je t’accompagnerai aussi dans ta campagne. Cela n’est pas possible, ma chérie, car je dois opérer en dirigeable. Qu’est-ce que cela fait ! dit Linda, partout tu iras je t’accompagnerai. Soit, consentit son mari, mais tu sais ce n’est pas un palais, un dirigeable ; tu auras froid là-haut. Je prendrai mes précautions, dit Linda.

Lucien partit faire un tour dans les usines. Toute l’après-midi se passa ainsi jusqu’à l’heure du dîner où les savants revinrent prendre leur repas.

Ensuite ils allèrent au salon où chacun passa son temps selon ses désirs : les uns jouèrent aux cartes, d’autres au billard. Lucien se plongea dans la lecture des derniers journaux reçus d’Europe.

Vers dix heures tous regagnèrent leurs chambres respectives, mais nulle part on ne trouvait trace de serviteurs, en sonnant de diverses façons on obtenait ce que l’on désirait, automatiquement.

C’était une création imaginée par Lucien d’après la maison électrique de Paris. Elle avait l’avantage de permettre de causer sans témoins ; les chambres à coucher étaient conçues dans le même esprit. Le lendemain matin Lucien et Linda montaient dans leur wagon spécial et peu après, le courant ayant fonctionné, ils filaient à 300 kilomètres à l’heure vers Cuzco où ils arrivèrent trois heures après. Dès son arrivée au palais de l’inca, Lucien prit son beau-père à part et lui dit :

Mon père, le moment d’agir va bientôt sonner ; il lui fit part des décisions prises : il faut ordonner de suite la mobilisation des hommes pour que vous puissiez opposer 500.000 hommes aux brésiliens.

Vous avez ici les armes et munitions nécessaires pour ceux-ci ; dès mon retour à Légia je vous enverrai le Colonel Nogi qui sera votre chef d’état-major, c’est un officier très capable. C’est bien mon fils, mais toi-même ne viendras-tu pas voir ce qui se passe ici ?

Évidemment, mon père, mon dirigeable évoluera tantôt par ici, tantôt sur le Grand-Chaco où je compte livrer bataille aux Argentins.

Le même soir il repartait vers Légia et donnait des instructions au colonel Nogi. Celui-ci convoqua ses officiers et en leur compagnie se dirigea vers Cuzco.

Ceux-ci ayant séjourné dans le pays pendant 5 ans, connaissaient à fond l’aïmara, la langue du pays, de même que la topographie de celui-ci.

Huit jours après leur arrivée, les hommes appelés rentraient, et au fur et à mesure étaient dirigés vers la frontière où des camps étaient préparés.

Un mois s’était écoulé depuis la conversation que Lucien avait eue avec les savants, quand parvint la demande du Brésil et de l’Argentine à l’inca Atahualpa II, d’avoir à évacuer les territoires cédés par ceux-ci, endéans un délai de 3 mois, faute de quoi ils lui déclareraient la guerre. La réponse devait être parvenue dans la quinzaine. L’inca transmit la demande de l’A. B. C. à Lucien en le priant d’y répondre lui-même, ce qu’il ferait était accepté d’avance par lui.

Lucien lança donc aux présidents des républiques de l’Argentine, Brésil et Chili le message suivant :

« En réponse à votre message hautain, demandant l’évacuation des territoires qui m’appartiennent, non pas par votre don, mais par droit légitime, je me demande si réellement j’ai affaire à des gens sensés ou bien à des spoliateurs sans vergogne.

Se peut-il que vous fouliez aux pieds l’engagement solennel pris il y a cinq ans, que vous commettiez une pareille forfaiture à l’honneur ? Prenez garde, Monsieur, car pareil crime mérite un châtiment exemplaire ! Je suis de taille à vous le donner.

Si endéans les 48 heures vous ne me faites pas des excuses et ne cessez votre mobilisation, que je connais depuis quelque temps déjà, c’est moi qui vous déclarerai la guerre.

Toutefois, avant d’en arriver là, permettez-moi de vous dire, que devant l’humanité et devant l’histoire c’est vous qui en assumerez la responsabilité.

Réfléchissez bien, je vous en conjure, avant de lancer ainsi à la mort des centaines de mille de vos semblables et qui sont nos frères de race. Ce n’est pas la crainte d’être vaincu qui me fait parler ainsi, mais le sentiment de ma force, car je suis plus armé que vous ne le croyez,

« Atahualpa II inca de l’Empire du Soleil ».

Il envoya en outre un autre message ainsi conçu :

« Moi, Lucien I, roi d’Araucanie, préviens son Excellence que je suis entièrement solidaire des actes de mon beau-père et ferai cause commune avec lui ».

Le lendemain, parvenait la réponse des trois présidents. Elle était conçue d’une façon identique.

« Maintenons prétentions précédentes et nous considérerons, à partir de demain minuit, en état de guerre si nous ne recevons pas satisfaction immédiate »

Inutile de répondre, dit Lucien à l’inca, par sans fil, Commencez les opérations. De son côté il réunit les savants et leur fit part de la résolution qu’il avait prise de rentrer en campagne dès le jour suivant. Le lendemain matin, Defrennes et son état major partaient en dirigeable pour surveiller les chiliens.

À peine le dirigeable eut-il franchi la frontière qu’il fut accueilli à coups de canon et de mousqueterie.

En réponse à ce salut il lança quelques bombes sur les hangars des avions. Il put constater que les projectiles chargés d’haguenite, produisaient de grands ravages.

Il constata en outre, en poussant sa reconnaissance plus loin, qu’il régnait dans les ports un mouvement fébrile. C’était un va et vient de troupes et du matériel qu’on embarquait. Il lança donc l’ordre à la station de sous-marins des îles de Chincha et à celle de l’Antarctique de se rapprocher au plus tôt de la côte Chilienne.

Néanmoins, par précaution, il maintint ses hommes en surveillance dans les Andes, craignant une attaque par là aussi.

Lucien de son côté avait donné ordre à ses troupes d’avancer vers le Grand Chaco. Pour activer l’envoi à la frontière et prévenir la destruction du chemin de fer, il lança 3000 avions en avant avec 10 hommes dans chacun. En dix heures, il avait massé 130.000 hommes à l’embranchement du chemin de fer.

L’artillerie suivait par route et par voie ferrée. Quand le dernier coup de minuit sonna le lendemain, il avait déjà sous la main 3 corps d’armée de 50.000 hommes, 2500 mitrailleuses et 1500 canons avec leurs munitions. Le reste suivait à marches forcées.

L’inca de son côté n’était pas resté inactif ; toute son armée était en route vers la frontière brésilienne ; il n’avait pas tant à se presser car depuis longtemps il avait déjà 100.000 hommes sur place. Les Argentins n’étaient pas restés inactifs non plus, dès l’envoi du premier message, le généralissime Pellegrini avait fait avancer 3 corps d’armée sous les ordres des généraux Alvarado, Buendia et Torres.

Ces troupes arrivèrent presque en même temps que celles de Lucien mais attendirent les 7 autres corps d’armée que l’Argentine mettait en première ligne, soit 500.000 hommes.

Tous les préparatifs étaient faits pour le choc formidable qui allait se produire.

Lucien capta deux radio-télégrammes, l’un émanant du généralissime Osma de l’armée chilienne, annonçant à ses collègues argentins et brésiliens son entrée en campagne.

Un autre du généralissime Brito de Guimaraes annonçant sa marche en avant à la tête de 10 corps d’armée vers le centre de l’empire du Soleil.

En avant pour la gloire de la patrie ! s’exclama Lucien en donnant ordre de préparer une attaque de nuit pour le soir même.