Le royaume merveilleux/Chapitre I

Édition Herman Wolf (p. 5-21).


CHAPITRE I.



Depuis la guerre qui avait mis aux prises l’empire du Soleil et l’A. B. C., c’est-à-dire le triumvirat composé de l’Argentine, du Brésil et du Chili, cinq ans s’étaient écoulés.

Lucien Rondia, devenu Roi d’Araucanie et beau-fils d’Atahualpa ii par son mariage avec la fille de l’inca de l’empire du Soleil, avait mis à profit ce laps de temps pour moderniser son royaume. Du moins une partie qui se composait de Punta Arenas et son hinterland, car le reste du territoire était resté inaccessible aux étrangers. Suivant en cela l’exemple de son beau-père, il avait édicté des lois sévères, punissant même de mort celui qui aurait dépassé les limites autorisées.

C’est ainsi qu’à 500 kilomètres du port de Punta Arenas s’était créé une ville à l’aspect bizarre, aux cheminées gigantesques, crachant la fumée jour et nuit.

On se serait cru transporté dans une de ces usines telles que l’usine Krupp, à Essen, le Creusot, en France, et d’autres fabriques monstrueuses. Mais en pénétrant à l’intérieur, on se serait aperçu que ces ateliers n’avaient de ressemblance avec ceux d’Europe que du côté extérieur, car nul ouvrier y séjournait. Tout l’immense outillage qui remplissait les halls fonctionnait, mais mécaniquement.

Comment cela pouvait-il se faire ? Tout simplement grâce aux savantes recherches de Lucien Rondia, ouvrier hors ligne et des savants qui lui étaient attachés.

Pour faire comprendre au lecteur le mobile qui l’avait fait agir, nous devons nous reporter au lendemain de la victoire foudroyante obtenue par l’empire du Soleil sur l’A. B. C.

Dès la signature de la paix, Lucien était retourné à Cuzco, capitale de l’Empire, où, après un chaleureux accueil de la part du monarque et de sa famille, il avait eu un long entretien avec celui-ci. Mon fils, crois-tu à une paix durable ? interrogea l’inca, Non, répondit Lucien, je ne crois qu’à une trêve de cinq ou dix ans, puis la lutte recommencera plus meurtrière qu’auparavant. Vous devez vous rendre compte que la défaite qu’ils ont subie leur est plus cuisante au point de vue moral que matériel. Ils n’admettront jamais que des sauvages, comme ils nous appellent, puissent vaincre des civilisés comme eux. Par l’apport effréné d’émigrants, leur sang, leur mentalité se sont transformés au point de ne voir en nous, leurs anciens frères, que des êtres inférieurs.

Ils vont donc mettre à profit l’expérience du passé pour nous battre à leur tour. À mon avis, ils n’essayeront plus de jonction ni d’opérations en commun, mais tacheront, chacun de son côté, de nous attaquer. Ce qui aura le désavantage pour nous, d’éparpiller nos forces défensives.

En outre, ils vont faire appel à nos anciens alliés d’hier pour s’assurer tout au moins leur neutralité. J’ai idée qu’ils l’obtiendront, car si le Pérou, la Bolivie et le Paraguay ont fait cause commune avec nous, c’est parce que c’était leur intérêt. Une fois satisfaits, la logique veut qu’ils se tiennent à l’écart.

Atahualpa ii se leva de son siège et arpenta fébrilement la chambre. Ainsi, dit-il, en s’arrêtant devant Lucien, tu crois que nous sommes destinés à périr ? Ne pouvons-nous pas essayer de trouver de nouvelles alliances ? Lesquelles ? demanda Lucien. L’Équateur hait le Pérou et finira tôt ou tard par se battre avec lui. La Colombie hait l’État de Panama et l’aurait déjà attaqué sans les États-Unis qui l’ont sous leur protectorat. Le Vénézuela finira également par se battre avec la Colombie, de même que l’Uruguay avec le Paraguay. Comment voulez-vous donc, qu’ayant tant de soucis entre eux, ils épousent notre cause ?

Alors, dit l’inca, que faut-il faire ? Me donnez-vous pleins pouvoirs pour agir à ma guise ? demanda Lucien.

Oui, mon fils, dit Atahualpa ii. Eh bien. Je vous jure que moi vivant, ils ne vaincront jamais. Je ne peux pas vous dire d’emblée, comment je m’y prendrai, car je n’ai pas étudié la question à fond mais je vais faire appel largement aux nouvelles inventions, encore embryonnaires, pour les utiliser à notre profit. Pour cacher notre jeu vis-à-vis de l’A. B, C., nous allons garder 250,000 hommes et licencier les autres, tout en conservant notre cadre d’officiers et sous-officiers.

Il faut également beaucoup d’argent, peut-être un milliard, pour nous armer. Voici comment nous allons nous y prendre pour l’avoir sans éveiller les soupçons : Les pépites d’or que charrient nos rivières, donnent en moyenne 250 millions par an. Mais vous n’avez jamais pensé à leur provenance ? Non, dit Atahualpa ii. Elles proviennent, continua Lucien, de vastes gisements d’or souterrains que l’eau entraine avec elle. Mais cette quantité entrainée est infime en comparaison de la masse traversée.

Si on explorait les filons, nous obtiendrions des milliards d’or. Rendez-vous compte que nous sommes dans la région de l’or, de ce Potosi, de ce Cerro de Pasco qui furent l’Eldorado des premiers Conquistadors et qui, pendant des siècles, permit à l’Espagne de subvenir avec faste aux caprices de ses rois, tout en enrichissant les colons. Je vais faire monter les usines nécessaires au broyage du minerai. Même mieux, pour nous permettre de nous créer un trésor de guerre formidable, je vais faire frapper ici-même la monnaie des différents pays, ayant l’étalon d’or.

Je disposerai ainsi de livres sterling, de louis, d’aigles américains, bref, de toutes les pièces d’or ayant cours universel.

Pour nous permettre de les écouler sans éveiller les soupçons, je vais créer un peu partout, en Europe et aux États-Unis, des maisons de Banque ou de change qui s’occuperont principalement de donner de l’or pour des billets. Je fais cela, parce que si je déposais, directement à la Banque d’Angleterre par exemple, des livres sterling neuves, à la longue on finirait par s’en apercevoir, tandis que si je dépose une grande partie en billets et l’autre en or, on ne pourra remarquer l’opération.

Du reste, les millions déposés n’y séjourneront pas, puisqu’ils sont destinés à payer nos achats.

Je vais partir, moi-même pour acheter le matériel destiné aux usines, de même que pour engager les savants nécessaires à la formation d’un institut dans le genre de celui de Rockfeller aux États-Unis, qui s’occupera du perfectionnement des inventions nouvelles, d’après l’orientation que je leur indiquerai.

Ton plan est splendide, dit Atahualpa ii. Quand pars-tu ? Dès que vous m’aurez muni de 10,000 kilos de pépites d’or, soit 25 millions qui me sont nécessaires pour les achats.

Tu les auras après-demain à bord du canot automobile, car je suppose que tu passeras par Iquitos et Manaos pour vendre les pépites. C’est bien, répondit Lucien, je partirai le soir même. Deux jours après, dans la soirée, le petit yacht automobile emportait Lucien, Linda, son épouse, Don Manuel, l’homme de confiance de l’inca, et une dizaine de guerriers, vers la Javari et de là vers l’Amazone.

Six semaines après ces événements, Lucien et sa femme débarquaient à Lisbonne, d’où le Sud-Express les amena à Paris. Là, descendu à l’Élysée-Palace-Hôtel, il manda un de ses anciens camarades de l’Institut Montéfiore de Liège, devenu directeur d’une usine d’air comprimé.

Quand il fut arrivé, il lui narra son odyssée dès son départ de Liège, puis lui dit : Ce n’est pas, mon cher Bastin, pour te raconter cela que je t’ai fait venir, mais pour te demander si tu voudrais accepter un poste de confiance. Je te donnerai 50,000 fr. par an, et ce que tu auras à faire ne sera pas bien difficile. Je dispose tous les ans de 80 à 100 millions de francs de louis d’or provenant des ventes que mon beau-père, l’inca Atahualpo II, fait en pépites d’or.

Ne voulant pas attirer l’attention des spéculateurs sur la grande quantité d’or qu’il tire, il veut écouler son or monnayé qui, entre parenthèse, sort tout neuf des caves de la Banque de France, directement dans le public. Il faudrait donc créer à Paris, aux abords des gares, près des boulevards, des théâtres, des maisons de change qui, moyennant cinq centimes aux cent francs, changeraient des billets contre de la monnaie, principalement de l’or.

Il serait nécessaire de créer une vingtaine de ces maisons dans la capitale et quatre-vingts autres éparpillées à Lyon, Bordeaux, Marseille, Lille, bref dans toutes les villes importantes.

Je t’allouerai 10,000 francs pour frais de chaque agence, soit un million par an et tu auras comme bénéfice supplémentaire les cinq centimes aux cent francs de courtage, ce qui, sur cent millions par an, te fera 50,000 fr. de plus.

Ta mission consistera donc à centraliser toutes les sommes et à les déposer à la Banque de France en ton nom et de régler ensuite les divers achats que mon beau-père fera.

Tout cela est parfait, dit Bastin, mais comment se fait-il que ton beau-père reçoive tant de louis ?

Parce que dans tout le bassin de l’Amazone, il n’y a que l’or qui ait de la valeur, Les maisons françaises font venir des louis de la Banque de France et les anglaises des livres sterling. Tout de même Lucien, tu trouveras comme moi que c’est un peu compliqué de monter tant d’agences pour écouler cent millions, alors que le plus simple serait de les verser directement à la Banque de France.

Oui, répondit Lucien, seulement tu ne connais pas mon beau-père. Il est méfiant et ne veut pas qu’on sache que l’or de ses domaines lui rapporte. Aussi je te recommande quand ce sera de l’or que tu porteras à la Banque de France au lieu de billets, de faire effectuer ces versements dans diverses agences de cet établissement. Au surplus je te dirai que si nous sommes contents de toi, la première année, je te réserve un autre poste où tu pourras faire une fortune rapide.

J’accepte, dit Bastin, quand pourrai-je commencer ? Dans six mois environ, mais dans trois mois tu peux renoncer à ta place et à cet effet, je vais te donner tes six premiers mois d’appointements.

Tirant son carnet de chèques, Lucien en libella un, daté de trois mois plus tard, de l’import de francs.

Bastin resta quelques minutes encore, puis quitta son camarade. Surtout, lui recommanda ce dernier, pas un mot à âme qui vive de ce que je te dis. Choisis tes employés, surtout parmi les veuves pensionnées auxquelles un supplément de gain sera agréable. Fais leur suivre des cours pour qu’elles sachent reconnaître les faux billets des vrais et recommande-leur qu’en principe elles ne changent pas plus de mille francs à une seule personne. Ainsi tu diminueras les risques. C’est entendu, dit Bastin en s’éloignant.

Dès qu’il fut seul, Lucien rédigea diverses annonces à porter pour insertion à l’Agence Havas.

Dans les unes on demandait pour un État sud-américain des directeurs pour la frappe de la monnaie d’or. Dans les autres on demandait des chimistes, des ingénieurs des mines, des géologues, bref tout ce que l’Europe pouvait offrir de plus intellectuel. Les émoluments offerts étaient superbes et garantis par le paiement anticipatif au départ. Dès que les annonces furent rédigées, Lucien descendit au bureau de l’Hôtel et donna ordre de les porter à l’Agence Havas pour être publiées pendant une semaine dans les principaux journaux. Au bout de ce laps de temps, il avait reçu un nombre incalculable de lettres qu’il examina minutieusement. À mesure qu’il les lisait il les triait, et c’est ainsi qu’en arrivant à la fin, il n’en avait choisi que six méritant réellement son attention. La première était d’un nommé Daviel et avait trait à la place de directeur des Monnaies.

« Monsieur, » disait-elle, « je suis à même de remplir le poste que vous désirez octroyer, car j’ai passé par tous les services de la Monnaie de Paris depuis le découpage du lingot jusqu’à sa remise à la Banque de France.

« Je suis en outre graveur de mon métier et élève de Chaplain. C’est vous dire que je puis monter et faire fonctionner un établissement, même assez conséquent. »

Suivaient en outre des détails circonstanciés.

Je crois, se dit Lucien, qu’il pourrait faire mon affaire. Je vais le convoquer pour demain. Prenant une plume sur son bureau, il écrivit à Daviel de se présenter le lendemain à huit heures à l’hôtel.

Ensuite, il lut la suivante demande. Elle provenait d’un chimiste nommé Haguenau, se présentant comme élève de « Turpin, dont il avait été le collaborateur pendant cinq ans. À la suite de l’emprisonnement de ce dernier, lors du procès de la mélinite, il avait dû fuir pour éviter d’être compromis comme complice. Il me faudrait, » ajoutait-il, « trouver quelqu’un, homme ou puissance, qui voudrait faire les frais nécessaires à la mise sur pied de l’usine, car je suis l’inventeur d’une foule d’explosifs à puissance formidable, ainsi que d’autres inventions d’une valeur inestimable. »

Homme sensé ou fou, faut que je lui parle, dit Lucien, et il le convoqua pour le lendemain à onze heures du matin.

La troisième missive provenait d’un électricien, élève de Branly, et avait trait à la télégraphie sans fil.

Son auteur disait qu’écœuré d’être méconnu et de travailler continuellement pour la gloire des autres, il était prêt à s’expatrier s’il pouvait trouver un emploi indépendant et lui permettant de donner de l’expansion à son initiative.

Convoquons Monsieur Ramier pour neuf heures du matin, dit Lucien, en passant à la quatrième demande.

Monsieur Defrennes, ingénieur des mines, racontait ses rancœurs et son amertume de voir ses camarades plus jeunes et moins capables, occuper les meilleurs postes aux mines d’Anzin et Courrières, bien que lui eût fait cinq ans de stage dans les mines de la Rhodesia et du Transvaal. Lucien le convoqua pour dix heures du matin.

La cinquième demande était d’un autre domaine : « Monsieur, » disait-elle, « bien que je ne rentre pas dans la catégorie des emplois que vous offrez, je viens à tout hasard vous faire part d’une découverte que j’ai faite et dont vous pourriez avoir le monopole si nous nous entendons ».

« Elle a trait à l’aviation.

« Vous n’ignorez pas qu’avant le moteur léger on avait volé. Partant de ce principe que Lillienthal et d’autres avaient expérimenté, je me suis attaché à construire un appareil marchant sans moteur par le mouvement raisonné des ailes. Pour arriver à donner de la vitesse, j’ai imaginé un dispositif qui récupère la plus grande partie de la force perdue par le battement des ailes.

« Évidemment ce système en est à son début et il faudrait le perfectionner. Vous n’ignorez pas sans doute qu’aux Arts et Métiers existe déjà un modèle d’avion volant sans moteur, à côté de l’Avion d’Ader.

« Je n’ignore pas que des fous ont déjà essayé de voler sans moteur et ont piteusement échoué. Mais ceux-là étaient des visionistes, tandis que moi je suis aviateur de métier, ayant accompagné maintes fois Legagneux dans ses ascensions.

« J’ai étudié à fond les courants aériens et suis persuadé qu’à tout moment l’aviateur peut trouver le courant propice pour obtenir la vitesse désirée. »

Lucien convoqua Jules Larmion pour le lendemain à deux heures de l’après-midi.

Le signataire de la sixième demande, Pierre Dubois, était l’inventeur d’un métal, mélange d’éléments purs avec de l’aluminium. Par son dosage rationnel et grâce à une trempe, qui était son secret, il était parvenu à faire des plaques de cinq millimètres, impénétrables à deux cents mètres, aux balles de fusils, de mitrailleuses et même d’obus de 75 millimètres. « Mes plaques soumises à la Commission d’examen, aux Invalides, ont donné des essais concluants. Elles n’ont pas été acceptées parce que leur alliage contenait une certaine quantité d’or et de platine, ce qui rendait le prix de revient excessivement cher, presque cent fois plus que le coût habituel. »

Si cet homme dit vrai, pensa Lucien, ce n’est pas cela qui m’arrêterait. Il le convoqua pour trois heures de l’après-midi.

Quand il eut fini, il se dirigea vers l’appartement de Linda. Veux-tu sortir un peu ? lui dit-il. Tu dois t’ennuyer toute seule. Oh, non, mon Lucien, répondit Linda, je ne m’ennuie pas quand je suis seule, car je sais que tu travailles pour la grandeur de ma patrie, pour l’émancipation de ma race, et je me sens heureuse d’être l’épouse d’un héros tel que toi.

Tu persisteras donc toujours à voir en moi un homme différent des autres mortels ? Pourquoi cela ? demanda Lucien. Parce que cela est, répondit Linda. Je te vois entouré de l’auréole qui ornait le Christ en venant sur terre, et tu es pour moi le messie qui rendra à ma race spoliée ce que l’usurpateur lui prit.

Crois-tu donc que je réussirai ? demanda Lucien. Oh, oui, dit Linda, j’en suis sûre.

Eh bien, moi je ne le suis pas du tout. Ne sais-tu pas que l’A. B. C. peut nous encercler comme dans un étau, que nous ne pouvons compter sur nos alliés d’hier, que les États-Unis ne nous reconnaissent pas comme belligérants ?

Je sais tout cela, mais je suis convaincue que tu surmonteras toutes les difficultés. Que toutes les puissances de la terre et du ciel liguées contre toi, seraient impuissantes à te vaincre, car tu es invincible ! Dieu t’entende, murmura Lucien.

S’asseyant à côté d’elle, il se mit à rêver. Serait-ce donc vrai qu’il incarnait en lui l’émancipateur de la race indienne ? Ses actes, ses victoires foudroyantes ne seraient-elles donc que l’accomplissement, dirait-on, mécanique des dessins de la Providence ?

Il en fut vexé dans le fond, car tout être a en soi l’orgueil de ses actions et n’aime pas à être suggestionné par autrui, fut-il le Créateur. Bah ! finit-il par se dire, c’est du mysticisme et rien d’autre. Tirant un cigare, il se mit à fumer. Le temps passa ainsi jusqu’à l’heure du dîner.

Le lendemain matin, Lucien se trouvait dans son salon, quand on annonça Monsieur Daviel.

Peu après, un monsieur grisonnant faisait son entrée. Monsieur, lui dit Lucien, je suis Lucien ier, Roi d’Araucanie et beau-fils de l’inca de l’Empire du Soleil.

Daviel s’inclina et dit :

Pour un roi indien, vous causez joliment bien le français. Je n’ai pas grand mérite à cela puisque je suis Liégeois de naissance. Ah ! je comprends alors dit Daviel.

Pour en venir à nos affaires, dit Lucien, veuillez me raconter votre vie sans omettre de détails, même le plus intime. Êtes-vous marié ? Avez-vous des enfants ?

Je suis marié, sans enfant, répondit Daviel, mais n’étant pas heureux en ménage, c’est sans regret que je m’expatrierai.

Bien, dit Lucien. Vous êtes graveur n’est-ce pas ?

Assez fort même, répondit Daviel.

Lucien tira de son gousset une livre sterling neuve.

Voulez-vous, dit-il, me reproduire cela sur un bout de papier ?

Daviel tira un crayon, prit la monnaie et se mit à dessiner la pièce. Dès qu’il eut fini, il tendit le papier à Lucien, Celui-ci tira une loupe et se mit à examiner le dessin minutieusement. Pas le moindre détail y manquait. Combien gagnez-vous à la Monnaie ?

6,000 francs par an, dit Daviel. Si je vous donnais 50,000 francs par an seriez-vous satisfait ? demanda Lucien.

Oui, répondit le graveur. En ce cas, je vous engage pour dans un mois et vous verse d’avance six mois d’appointements, dès la signature du contrat. Mais je vous recommande le secret le plus absolu sur la destination que vous prendrez. Il va sans dire que le voyage s’effectue à mes frais, Venez donc me voir dans huit jours pour signer votre engagement. Auparavant, veuillez me faire parvenir un devis d’installation d’une usine d’une importance à peu près semblable à la Monnaie française, bien entendu quant aux machines seulement, car l’édifice sera construit en fer ou bois, je ne sais pas encore.

C’est entendu, Monsieur, dit Daviel. Dès demain, vous aurez de mes nouvelles.

Peu après son départ, on annonça Monsieur Ramier, Un homme d’une quarantaine d’années fit son apparition.

Veuillez vous asseoir, monsieur dit Lucien. J’ai reçu votre lettre et m’intéresse énormément à la télégraphie sans fil. Avez-vous trouvé une amélioration à celle-ci ?

Oui, répondit Ramier. J’ai trouvé le moyen d’empêcher la dissémination des ondes hertziennes. Puis j’ai inventé un appareil permettant d’entendre l’approche d’un sous-marin à cinq kilomètres de distance. J’ai perfectionné la téléphonie sans fil et la photographie à distance.

C’est très intéressant tout cela, dit Lucien, Mais toutes ces inventions sont-elles bien à point ? Et si elles le sont pourquoi ne les avez-vous pas offertes au gouvernement français ou à une autre puissance ?

Ah, monsieur, s’exclama Ramier, on voit que vous connaissez peu la bureaucratie des ministères.

Si vous n’êtes pas recommandé par l’un ou par l’autre, bien en Cour, votre invention dormira pendant des années dans les archives de la Commission des inventions aux Invalides.

Quelles preuves pourriez-vous me donner de ce que vous me dites est vrai ? Dans l’affirmative, que demanderiez-vous de moi ? Monsieur, répondit Ramier, j’ignore qui vous êtes, mais je suis prêt à vous mener à la Tour Eiffel, d’où nous émettrons une nouvelle sensationnelle sur un point désigné d’avance. Je vous garantis que le poste le plus proche ne saisira pas la moindre parcelle de mon radio-télégramme. Je suis, répondit Lucien, le Roi d’Araucanie et beau-fils d’Atahualpa ii, l’inca de l’Empire du Soleil. Votre invention, pour nos contrées, nous serait précieuse. Si ce que vous avancez est vrai je vous donne 100,000 francs par an et vous monte une usine d’après vos données. En garantie de l’exécution de ma promesse, je vous donnerai 50,000 francs dès les essais concluants. J’accepte, dit Ramier, Veuillez vous trouvez demain matin au pied de l’ascenseur, de la Tour Eiffel, vers six heures. Étant connu du personnel, j’aurai toute liberté d’action pour mon expérience.

À demain donc, dit Lucien, en le reconduisant.

Dès qu’on introduisit l’ingénieur Defrennes, Lucien lui dit qui il était et que son pays étant rempli de minerai d’or, il pourrait l’employer.

Après examen des divers certificats élogieux de Defrennes, Lucien l’engagea à raison de 50,000 francs par an et lui demanda un devis pour une installation complète de broyage et fonderie.

Peu après le départ de Defrennes, on introduisit le chimiste Haguenau, homme d’une cinquantaine d’années.

Lucien s’avança au devant de lui et le pria de s’asseoir. Ensuite lui dit : Monsieur Haguenau, je suis un grand admirateur de Turpin et tout ce qui le touche de près est sûr de ma bienveillance.

Je suis le Roi d’Araucanie et ma fortune de même que celle de l’inca de l’Empire du Soleil, mon beau-père, nous permettent de tenter les expériences les plus coûteuses.

Enhardi par ces paroles, Haguenau commença à raconter à Lucien sa vie de chercheur, ses déboires, ses démêlés avec la justice à cause de Turpin. Cependant je n’ai trahi à aucun moment mon pays, ajouta-t-il, et si Turpin, dans un moment d’écœurement pour les vilénies qu’on lui faisait, faillit le faire, je ne pris aucune part à son acte. Toutes les expériences ont toujours été faites par nous deux, c’est vous dire qu’il n’avait aucun secret pour moi.

Mais en dehors des inventions faites en commun, je suis l’inventeur d’un explosif qui a la particularité de pouvoir être comprimé, sans danger, au point de pouvoir être introduit dans la douille d’une cartouche. Dès qu’elle atteint son but, l’explosion est formidable. Pourriez-vous me prouver cela ? demanda Lucien.

À l’instant si vous voulez, répondit Haguenau en tirant de la poche de son gilet une petite cartouche du calibre de 7 mm et la présentant à Lucien :

Voici la substance, et si vous avez une auto nous irons dans un endroit écarté du Bois de Boulogne. J’ai mon revolver sur moi. Au lieu de tirer avec une balle ordinaire, je tirerai avec mon produit. Vous verrez ainsi le résultat.

Lucien sonna et demanda qu’on préparât une limousine, car il allait sortir.

Peu après, Haguenau et lui s’installaient dans la voiture et filaient vers le Bois. Arrivés à l’hippodrome d’Auteuil, Lucien fit arrêter, puis regarda si personne ne les observait.

S’écartant un peu, il dit à Haguenau :

Tirez vers la pelouse, à terre. Nous verrons bien l’effet.

Le chimiste plaça sa cartouche dans le barillet, puis fit feu dans la direction demandée.

Presque aussitôt et bien que l’explosion eut lieu à 100 mètres, un déplacement d’air formidable faillit renverser les trois hommes et la limousine. Un trou profond d’au moins cinq mètres béait à l’endroit que le projectile avait touché.

Filons maintenant dit Lucien au chauffeur en remontant dans la voiture avec Haguenau.

Qu’en dites-vous ? demanda ce dernier. Splendide, fit Lucien. Et vous garantissez que c’est sans danger pour le manipulateur ? Oui, monsieur, car l’explosion n’aura lieu que par percussion ou par le choc à l’arrivée.

Que demanderiez-vous pour votre invention ? demanda Lucien. 200,000 francs par an pendant dix ans, en plus des appointements de 50,000 francs par an comme directeur de l’usine à créer chez vous. J’accepte et vous prie de me faire tenir au plus tôt un devis pour l’installation qu’il vous faudrait.

Quelques instants après, on atteignait l’hôtel. Lucien garda Haguenau à déjeuner. Le chimiste partit un peu avant deux heures. Il venait à peine de partir qu’on annonçait Monsieur Larmion. Introduit aussitôt, Lucien constata qu’il avait à faire à un tout jeune homme, imberbe, mais aux yeux et au front intelligents. Veuillez vous asseoir, lui dit Lucien, en tirant un étui de sa poche et lui offrant un cigare.

Larmion s’assit, alluma son cigare puis commença : Votre annonce avait trait à une demande pour un État sud-américain. En quelle qualité traitez-vous pour lui ?

Comme Souverain d’Araucanie et beau-fils d’Atahualpa II, inca de l’Empire du Soleil, répondit Lucien.

Ah, c’est vous, Monsieur Lucien Rondia sans doute ? demanda Larmion. Lui-même, fit Lucien en s’inclinant.

Monsieur, dit l’aviateur, je suis un de vos admirateurs. Vos victoires sur l’A. B. C. nous ont rempli d’enthousiasme. Croyez bien que je serais heureux d’entrer à votre service.

Je ne demande pas mieux, dit Lucien, mais je crains que votre avion sans moteur ne puisse nous rendre des services.

Voici pourquoi : L’avion, pour nous, ne peut servir que pour la guerre et doit par conséquent être rapide. Étant donné que le vôtre ne marche qu’avec le vent, l’aéroplane, s’il n’y a pas de vent, restera en panne ou à peu près, comme un bateau à voile.

Permettez, monsieur Rondia, interrompit Larmion. Quand j’ai créé l’avion sans moteur ce fut pour l’usage de tout le monde. Ce n’est pas ma faute si l’aviation a été monopolisée par la guerre. C’est dommage même !

Ne pourriez-vous vous orienter vers le moteur électrique ? demanda Lucien. Puisque vous avez un dispositif de récupération d’énergie, ne peut-il pas servir à emmagasiner l’électricité perdue ? Larmion se mit à réfléchir. Tout à coup il leva la tête et dit : Vous venez de me donner l’intuition de l’usage approprié de mon dispositif. Il peut d’autant plus emmagasiner l’électricité perdue, qu’il est lui-même le producteur automatique de celle-ci.

À la bonne heure ! dit Lucien, sur ces bases nous nous entendrons. Que demandez-vous pour monter une usine de ces appareils, et pour mettre votre invention exclusivement à mon service ? 100.000 francs par an dit Larmion.

C’est bien, répondit Lucien. Je vous engage à partir de ce jour et vais vous verser 10.000 francs d’arrhes.

Veuillez vous mettre en route dès demain pour acheter les machines et outils nécessaires à une usine devant produire cent avions par mois.

Vous pouvez engager des ouvriers, mais veuillez les prévenir qu’au moins pendant cinq ans, ils ne pourront quitter l’État d’Araucanie.

Choisissez-les donc parmi les célibataires sans attaches familiales. Sous ce rapport, je suis inflexible.

C’est entendu, dit Larmion. Lucien tirant son carnet de chèques, en libella un de dix mille francs au nom de l’aviateur. Celui-ci le prit puis quitta Lucien peu après. À trois heures précises se présenta Monsieur Pierre Dubois. Lucien le reçut et après lui avoir dit qui il était, lui demanda si le métal dont il lui avait parlé dans sa lettre, pouvait être essayé.

Parfaitement répondit Dubois, j’ai apporté une plaquette avec moi. Développant un paquet qu’il avait sous son bras, il présenta à Lucien un morceau de métal de 5 mm très léger et malléable.

Voulez-vous venir avec moi chez Gastinne-Renette ? demanda-t-il. Vous l’essayeriez là.

Avec plaisir, répondit Lucien en prenant son chapeau.

Comme ce n’est pas loin, nous irons à pied, dit-il à la porte de l’hôtel. Comme vous voudrez, répondit Dubois.

Quelques minutes après, ils pénétraient au stand de l’armurier Gastinne-Renette, avenue d’Antin.

Justement celui-ci s’y trouvait. Apercevant Dubois, il s’avança à sa rencontre, car il le connaissait et avait assisté à ses expériences.

Voici, dit ce dernier, le Roi d’Araucanie, auquel je veux montrer le degré de résistance de mes plaques, dit Dubois à l’armurier.

Gastinne-Renette appela un employé et fit placer la plaquette à vingt mètres de distance.

Puis il présenta à Lucien des revolvers d’ordonnance et un fusil Lebel à cartouche de guerre.

Celui-ci tira plusieurs coups. À chacun de ceux-ci la plaque était ramenée et examinée. Pas la moindre trace de pénétration, mais des signes de glissement. On aurait dit que le métal amortissait le choc le plus formidable et laissait tomber inerte le projectile à ses pieds.

Monsieur, dit Gastinne-Renette à Lucien, j’ai assisté aux expériences faites avec la plaque au camp de Châlons. On a tiré à 200 mètres avec des mitrailleuses et des canons de 75 et j’ai pu constater que le résultat était identique à celui que vous venez d’obtenir.

Je l’attribue d’abord à la malléabilité du métal, qui, sous le coup qui le frappe, cède imperceptiblement, mais se ressaisit aussitôt et se contracte pour la résistance.

Monsieur, répondit Lucien, une affirmation aussi formelle venant d’un homme aussi expérimenté que vous me dispense d’autres preuves.

Une fois sortis du stand, Lucien se tourna vers Dubois et lui dit : Votre métal peut-il se produire en grandes quantités ? Évidemment, répondit Dubois. Si pour mes mélanges, je me contente de petits creusets, rien n’empêche de construire une usine pour produire en conséquence.

Êtes-vous marié ? demanda ensuite Lucien. Non. monsieur, répondit Dubois. Quoique âgé de 41 ans, je suis célibataire.

Cela ne vous ferait rien alors de rester plusieurs années sans revenir dans votre pays ?

Oh non, dit Dubois, en haussant les épaules. Je n’y tiens pas tant que cela ! Et que demanderiez-vous pour votre invention, c’est-à-dire pour vous charger de diriger l’usine de fabrication du métal ? Un million de francs, répondit Dubois. En outre 100,000 francs par an pour la diriger.

J’accepte, dit Lucien, je vais vous verser 25,000 francs à valoir sur vos appointements et le million sera déposé le lendemain du contrat où vous voudrez.

Veuillez me faire tenir au plus tôt les plans et devis de l’usine à construire.

Rentré à l’hôtel, il remit à Dubois les 25,000 fr. promis et celui-ci lui remit le morceau de plaque qu’il avait apporté.

Dès qu’il fut parti, Lucien se dirigea vers la chambre de Linda. Ma jolie, dit-il en l’embrassant, si tout ce que les hommes que j’ai vus aujourd’hui est tel qu’ils me l’ont fait entrevoir, je crois que je deviendrai réellement invincible. Je n’en ai jamais douté, mon héros et suis heureuse que tu partages mon opinion ; resterons-nous longtemps ici ? Non, répondit Lucien, nous partons demain pour Liège, voir mon ami Jules Renkin et l’engager à venir avec nous. Puis nous irons en Angleterre et dans un mois nous retournerons chez nous.

Le lendemain, ils quittaient Paris dans la soirée, mais auparavant Lucien avait assisté à l’expérience de Ramier à la Tour Eiffel. Un message avait été lancé vers le Havre avec prière de répéter son contenu. Aucun autre poste que celui indiqué par l’inventeur n’avait répondu à l’appel. Lucien l’avait engagé à raison de 100,000 francs par an pour implanter son système en Araucanie et dans l’Empire du Soleil.

Son stage à Liège fut court. Il convainquit son ami Jules et sa femme, et ceux-ci lui promirent de l’accompagner.

Après quelques achats de matériel de scierie et autres dont il avait besoin, il partit vers l’Angleterre.

Là il s’aboucha avec une vingtaine de banques pour l’envoi de l’or anglais qu’il fabriquerait.

Il donna comme motif de ses envois, qu’il avait monopolisé tout le caoutchouc et autres matières premières et qu’il recevait beaucoup d’or anglais, la seule monnaie courante dans le bassin de l’Amazone.

Il était du reste résolu à ne pas envoyer des pièces neuves, mais à leur faire subir une préparation leur donnant un aspect usagé.

Les banquiers acceptèrent sans méfiance et se gardèrent bien de se faire connaître les uns aux autres un si bon client, susceptible de leur laisser en dépôt 25 ou 30 millions par an.

En éparpillant ainsi les dépôts, Lucien comptait émettre en Angleterre et France 3 à 400 millions de francs par an. Le reste, il l’écoulerait dans d’autres pays d’Europe et un peu partout en Amérique du Nord et du Sud. Il revint donc à Paris voir les savants engagés. Ceux-ci avaient tout préparé. Lucien paya les matériaux commandés et les fit adresser à Punta Arenas.

Quant à lui et toute sa suite, ils s’embarquèrent à Ostende sur un yacht qu’il avait acheté en Angleterre. Celui-ci avait la particularité d’avoir un faible tirant d’eau. Il comptait ainsi arriver jusqu’à Cuzco même, sans changer de bateau.

Il ne se trompait pas dans ses prévisions. Arrivé à Iquitos il trouva Don Manuel avec le canot-automobile, un radio-télégramme lancé du Para avait annoncé son arrivée.

Comme le palais de l’inca ne comportait pas d’installation moderne, Lucien pria les savants de séjourner provisoirement dans le yacht.

Du reste, ils ne devaient pas rester à demeure dans l’Empire du Soleil. Daviel, le graveur. Ramier, le télégraphiste, le chimiste Haguenau, l’aviateur Larmion et Dubois, l’inventeur du métal impénétrable, allaient en Araucanie avec Lucien.

Defrennes seul restait à Cuzco, car il devait commencer le prospectage de l’Empire au point de vue minier.

Comme il connaissait bien l’espagnol, il lui fut adjoint Don Manuel pour l’accompagner.

Quinze jours après son départ, Lucien arrivait à Légia, la nouvelle capitale qu’il voulait fonder, située à 500 kilomètres de Punta Arenas et sur les confins de l’Empire du Soleil. Le chemin de fer qu’il allait faire construire passerait à 100 kilomètres de là et relierait Punta Arenas à Buenos Ayres.

En attendant sa construction, il fit usage d’un chemin de fer Decauville à voie étroite qui amena, dès le début, les matériaux amenés à Punta-Arenas. Parmi ceux-ci se trouvaient quelques maisons démontable destinées aux savants et à lui-même.

Le mobilier nécessaire accompagnait celles-ci.

Son premier soin fut de s’assurer s’il ne pourrait trouver sur place les matériaux nécessaires pour bâtir une ville.

Voyons, se dit-il, est-ce le bois ou le fer que je vais employer ? Après consultation des savants, ceux-ci lui conseillèrent le bois.

Dubois lui trouva en une semaine de temps, un mélange incombustible à une flamme de 100 degrés. C’est suffisant, dit-il à Lucien, car si un incendie éclatait, avant que le foyer dépassa cette chaleur, il serait déjà éteint.

Toutefois, par précaution contre la foudre, il faudrait munir les bâtisses de paratonnerres.

Lucien fit donc installer sa scierie portative et commença l’abattage et le débitage des bois, il choisit de préférence le quebracho, bois serré et dur comme du fer.

Ensuite vint l’installation de la centrale électrique destinée à faire mouvoir les machines-outils que lui et ses savants imaginèrent. La grande difficulté fut le combustible. La houille manquait. Par contre, on trouva assez bien de pétrole. Il mit donc à profit l’abondance des bois de ses forêts pour produire du charbon de bois, lequel, joint à la sciure et aux résidus du pétrole, lui donna un aggloméré d’une puissance calorique extraordinaire.

Six mois après l’arrivée des savants, les usines fonctionnaient.

La difficulté du début pour la frappe de la monnaie, fut la répugnance de Defrennes à faire le faux monnayeur.

Mais Lucien lui faisant entrevoir le but patriotique qu’il avait, le dommage minime qu’il causait, car en somme il ne lésait personne en frappant de la monnaie d’un si bon aloi, le convainquit bientôt.

Les louis d’or, les livres sterling, bien d’autres monnaies usuelles furent frappées. L’or partait de Punta Arenas à bord d’un vapeur acheté par Lucien et était délivré en France, à Bastin, tous les trois mois en plusieurs fois. On employait de préférence les marins, tous des Araucans. Ceux-ci débarquaient au nombre d’une vingtaine à terre et portaient autour de leur corps une centaine de mille francs, soit une trentaine de kilos.

Chaque descente comportait ainsi deux millions. En deux jours de temps vingt-cinq millions étaient débarqués.

Le capitaine, un Ostendais, en qui Lucien avait grande confiance et qu’il payait royalement, avait loué au Havre un cottage écarté dont Bastin avait aussi la clef.

Là, dans un caveau aménagé pour cet usage, on empilait les trésors que Bastin venait ensuite chercher dans une automobile au fur et à mesure de ses besoins.

Comme l’or envoyé avait déjà subi une préparation lui donnant un aspect usagé, il avait renoncé à installer des maisons de change en province. Une banque avait été montée et il payait toutes les fournitures de Lucien, en or. Quant au surplus, il le versait directement à la Banque de France au nom de Lucien.

Le vapeur « Herstal », comme l’avait dénommé Lucien, embarquait du chargement pour Punta-Arenas, puis allait en Angleterre, où le même manège recommençait.

En quatre ans, Lucien était parvenu à avoir un compte créditeur de 100 millions à la Banque de France, de 300 millions à la Banque d’Angleterre et 300 autres millions répartis entre vingt banques différentes. De plus, il avait fait faire des virements aux Banques de Belgique, Allemagne, Italie et Espagne pour 300 autres millions, il disposait donc d’un milliard disponible à tout moment. Indépendamment de cela, il était parvenu à avoir dans les États-Unis un autre milliard réparti entre diverses banques.

Ce trésor de guerre était indépendant des formidables achats qu’il avait faits et qui se chiffraient par 500 millions par an. Il avait fait construire un chemin de fer aérien qui reliait Légia, sa capitale, à Cuzco, la capitale de l’Empire du Soleil.

Quant au chemin de fer de Punta-Arenas à Buenos-Ayres, il avait été payé aussi par Lucien.

Toute la main-d’œuvre avait été fournie par des Araucans. Lucien leur avait imposé à chacun une dîme de travail de 48 heures effectives par semaine, soit 8 heures par jour.

Mais ceux-ci étaient libres de les faire selon leurs convenances, soit en faisant plus d’heures à la fois, soit en en faisant moins une semaine, quitte à se rattraper la semaine suivante.

Par contre, Lucien subvenait aux besoins de l’ouvrier et de son ménage. Quant à la main-d’œuvre nécessaire à l’extraction de l’or dans l’Empire du Soleil, elle était fournie par les sujets d’Atahualpa ii.