Le premier livre des Sonnets pour Hélène/Quand je devise

Le premier livre des Sonnets pour Hélène, Texte établi par Roger Sorgéds. Bossard (p. 59-61).


CHANSON


Quand je devise assis auprès de vous,
Tout le cœur me tressaut :
Je tremble tout de nerfs et de genous,
Et le pouls me defaut.
Je n’av ny sang ny esprit ny haleine,
Qui ne se trouble en voyant mon Helene,
Ma chère et douce peine.

Je devien fol, je pers toute raison :
Cognoistre je ne puis
Si je suis libre, ou mort, ou en prison :
Plus en moy je ne suis.
En vous voyant, mon œil perd cognoissance
Le vostre altere et change mon essence,
Tant il a de puissance.

Vostre beauté me fait en mesme temps
Souffrir cent passions :
Et toutesfois tous mes sens sont contens,
Divers d’affections.
L’œil vous regarde, et d’autre part l’oreille

Oyt vostre voix, qui n’a point de pareille,
Du monde la merveille.

Voila comment vous m’avez enchanté,
Heureux de mon malheur :
De mon travail je me sens contenté,
Tant j’aime ma douleur :
Et veux tousjours que le soucy me tienne.
Et que de vous tousjours il me souvienne,
Vous donnant l’ame mienne.

Donc ne cherchez de parler au Devin,
Qui sçavez tout charmer :
Vous seule auriez un esprit tout divin,
Si vous pouviez aimer.
Que pleust à Dieu, ma moitié bien-aimee,
Qu’Amour vous eust d’une flèche enflammée
Autant que moy charmée.

En se jouant il m’a de part en part
Le cœur outrepercé :
A vous s’amie il n’a monstre le dard
Duquel il m’a blessé.
De telle mort heureux je me confesse,
Et ne veux point que la playe me laisse
Pour vous, belle Maistresse.


Dessus ma tombe engravez mon soucy
En memorable escrit :
D’un Vandomois le corps repose icy,
Sous les Myrtes l’esprit.
Comme Pâris là bas faut que je voise,
Non pour l’amour d’une Helene Gregoise,
Mais d’une Saintongeoise.