Le premier livre des Sonnets pour Hélène/Je fuy les grands chemins
XXVI
Je fuy les grands chemins frayez du populaire,
Et les villes où sont les peuples amassez :
Les rochers, les forests desja sçavent assez
Quelle trampe a ma vie estrange et solitaire.
Si ne suis-je si seul, qu’Amour mon secrétaire
N’accompagne mes pieds débiles et cassez :
Qu’il ne conte mes maux et presens et passez
A ceste voix sans corps, qui rien ne sçauroit taire.
Souvent plein de discours, pour flatter mon esmoy,
Je m’arreste, et je dy, Se pourroit-il bien faire
Qu’elle pensast, parlast, ou se souvint de moy ?
Qu’à sa pitié mon mal commençast à desplaire ?
Encor que je me trompe, abusé du contraire
Pour me faire plaisir, Hélène, je le croy.