Texte établi par Théodore LefèvreThéodore Lefèvre (p. 134-Im08).


CHAPITRE XVI

un village indien. — wilhelm médecin.



Le chef me prit par la main et nous fîmes ainsi le tour du village au bruit des instruments de musique, des hurlements des chiens et des cris des femmes et des enfants.

Nous étions précédés par le vieil Indien qui annonçait à la tribu que j’étais reconnu comme ami du chef. Les guerriers et les vieillards nous suivirent jusqu’à un wigwam dans lequel le Grand Aigle m’installa, et les Peaux-Rouges, m’ayant posé de nouveau la main sur la tête, se retirèrent et me laissèrent seul.

Peu d’instants s’étaient écoulés, lorsque plusieurs jeunes femmes m’apportèrent de la chair de buffle rôtie, du poisson fumé et des ignames[1], ainsi que tous les ustensiles nécessaires à la vie d’un Indien. Je les remerciai et leur fis signe que je désirais prendre quelque repos.

Je restai longtemps plongé dans de tristes réflexions, songeant avec regret à mes amis, à ma patrie si loin de moi, à la triste existence que j’allais mener au milieu des Peaux-Rouges, qui généralement sont cruels.

J’aurais dû profiter de leur reconnaissance, pour me faire guider jusqu’à Saint-Louis. Je pensai que je serais peut-être témoin de scènes de meurtre et de carnage, et mon courage m’abandonna.

Bientôt cependant, surmontant cet abattement passager, je réfléchis aux découvertes que me promettait cette vie au milieu de pays si peu connus, aux productions de toute espèce dont je n’avais aucune idée, à ces peuplades dont j’apprendrais les mœurs, les coutumes et les usages ; alors mes pensées prenant un autre cours, je me souvins de la liberté qui m’était laissée d’aller, de venir, de quitter les Indiens quand cela me conviendrait, et je me décidai à visiter le village dans lequel je me trouvais.

Je sortis de ma hutte vers les dix heures du matin.

En traversant le village je remarquai qu’il était divisé en deux parties distinctes, s’étendant sur une longueur d’environ douze cents mètres sur cent mètres de large. Il se développait le long de la rivière : chacune de ces divisions était habitée par une des sections de la tribu. Les wigwams étaient bâtis de même que celui du conseil et avaient la forme de cônes tronqués.

La plaine qui s’étend derrière le village est bordée d’une grande quantité de collines boisées ; mais excepté cette partie, la contrée est presque entièrement dépourvue d’arbres et présente une succession de vallées où croit une herbe haute et épaisse parsemée de fleurs de toutes couleurs.

Pendant que j’examinais l’aspect de ce paysage, mes regards furent soudainement attirés par une singulière flotte qui descendait la rivière. Elle était composée de plusieurs canots : chacun d’eux était fait d’une seule peau de buffle, s’élargissant à volonté sur des bâtons et formant une espèce de baquet.

Dans chacune de ces embarcations était une squaw ou femme qui, agenouillée dans le fond, dirigeait son canot avec des rames et remorquait à l’arrière de sa frêle barque un paquet de bois flottant destiné aux soins du ménage.

Ce genre de canot est d’un grand usage chez les Indiens. La facilité avec laquelle on peut plier, rouler et mettre en paquet les peaux de bisons que l’on transporte ensuite à dos de cheval, en rend l’emploi excessivement commode pour faire traverser aux fardeaux les rivières et les lacs.

L’innombrable quantité de chevaux qui paissaient dans les vallées et qui couvraient les collines environnantes, attestait la passion des Aricaras pour ces animaux. En effet la fortune d’un Indien des prairies consiste dans le nombre de ses chevaux, et il ressemble à l’Arabe dans son affection pour son coursier.

Les Aricaras sont d’une adresse admirable à faire manœuvrer ces nobles bêtes, et ils passent généralement pour les meilleurs cavaliers de ces contrées.

La plus grande partie des chevaux des Aricaras venait des parties désertes des prairies, quelques-uns cependant avaient été achetés des Poncas, des Pawnies et d’autres tribus du Sud-Ouest, qui les avaient volés aux colons dans les courses qu’ils font sur les territoires occupés par les blancs. Les animaux provenant de cette source étaient reconnaissables à leur queue coupée, et étaient destinés à être vendus, car les Peaux-Rouges ne souffrent à leur monture aucune mutilation.

Pendant plusieurs jours, je menai la vie d’un Indien, c’est-à-dire que mes heures s’écoulaient dans l’indolence, toutes les fatigues étant réservées aux femmes, qui sont chargées du travail de la maison et de celui des champs.

Elles nettoient le wigwam, vont couper et apportent le bois pour la cuisine et préparent les peaux des animaux tués à la chasse. Elles cultivent de petits champs de maïs, de citrouilles et de patates[2], qui forment une grande partie de leur nourriture.

Leur moment de repos est au coucher du soleil, lorsque les travaux du jour sont finis ; alors elles s’amusent à différents jeux ou bien, passant le haut du corps par l’ouverture du sommet de leur wigwam, elles causent entre elles des événements de la journée.

Une grande partie du temps des Indiens, lorsqu’ils sont au village, est employée à se réunir sur les bords de la rivière, sur le haut des talus d’une prairie ou à rester assis sur le toit de leur hutte. Là ils fument et parlent des affaires de la tribu, des événements et des exploits de leur dernière chasse ou de leurs expéditions guerrières. Souvent ils écoutent les histoires de leurs ancêtres racontées par quelque vieillard.

Les premiers jours, je me mêlais à ces groupes, où j’étais toujours bien reçu et où la pipe m’était offerte de bonne grâce ; mais je me lassai bientôt de ce genre d’existence et je recommençai mes courses vagabondes.

Au milieu de cette riche végétation je faisais journellement des découvertes intéressantes.

Ici c’était une fleur étalant toutes ses riches couleurs ; plus loin un insecte aux ailes brillantes m’entraînait à sa poursuite ; là une herbe montrait à mes regards ses contours fins et délicats comme une dentelle. J’en reconnus plusieurs dont le trappeur m’avait enseigné les vertus médicinales et je les recueillais avec soin.

Heureux de pouvoir, au besoin, montrer ma reconnaissance aux hommes qui m’avaient donné une si généreuse hospitalité, j’employais mes faibles moyens à soulager leurs malades.

Dieu permit que mes efforts réussissent, et en peu de temps je fus considéré chez les Aricaras plutôt comme un sorcier que comme un simple mortel.

Deux événements qui se succédèrent à peu de jours de distance furent la cause de ma réputation comme médecin, réputation que la couleur de ma peau suffisait du reste pour me donner, car dans l’opinion des Peaux-Rouges, un blanc vient au monde avec la science médicale infuse, et ils prennent pour de la mauvaise volonté le refus que fait un Européen de se rendre près d’un malade.

Un matin, une femme tout éplorée passa rapidement devant la porte de ma hutte en jetant des cris de désespoir. Elle se rendait au wigwam du sorcier de la tribu pour obtenir quelque amulette qui sauvât son enfant dont la vie était menacée.

Je lui fis rebrousser chemin et je la suivis à sa demeure ; c’était celle d’un des guerriers les plus courageux de la tribu.

Un pauvre enfant de sept à huit ans était étendu sur les nattes qui couvraient le sol et se tordait en poussant des plaintes déchirantes dans des spasmes et des convulsions.

Son estomac était froid et les extrémités des membres étaient raides et glacées. En regardant autour de l’enfant que j’avais pris sur mes genoux et dont je cherchais à ouvrir la bouche, j’aperçus à terre des branches et des feuilles d’azedarach, arbrisseau qui renferme un principe toxique d’une grande violence. Il était évident que l’enfant avait mangé des fruits de ce végétal en assez grande quantité pour le mettre en danger de mort.

J’avais dans ma hutte trois plantes recueillies dans mes promenades et qui sont de puissants émétiques : c’était le houx vomitif, la lobélie bleue, charmante fleur des prairies et le phytolacca, arbrisseau dont les baies ont une vertu purgative si puissante que la chair des pigeons qui s’en sont nourris acquiert cette propriété à un haut degré.

C’est cette dernière substance que je courus chercher et que je fis boire en infusion au pauvre malade. L’effet en fut rapide et décisif. L’enfant rendit une assez grande quantité de fruits d’azedarach, et, quelque temps après, les douleurs cessèrent. Je lui mis des cataplasmes de feuilles de cotonnier sur le ventre et l’estomac, et la transpiration revenant, je m’en allai comblé des bénédictions de la pauvre femme.

Quelques jours après, le bambin courait et sautait dans le village avec ses camarades.

Deux jours après, le père de l’enfant revint de la chasse et sut ce qui s’était passé en son absence. Il vint me voir, et après un discours qui ne manquait ni d’énergie, ni de sentiment, il me pria d’accepter les présents qu’il avait apportés pour moi et qui consistaient en fruits, nattes, fourrures, plumes, haches, un fusil, des couteaux et des ustensiles de ménage.

Refuser eût été une insulte ; je le remerciai en acceptant et j’échangeai avec lui la formule amicale en usage.

Le bruit de cette cure fit bien vite le tour du village, et trois ou quatre jours s’étaient à peine écoulés que je vis arriver dans ma case un des chefs de la tribu, qui me pria de venir guérir sa femme qui se mourait consumée lentement par un mal inconnu.

Quoique doutant fort de ma science, je ne voulus pas négliger une occasion d’être utile à un de mes semblables si cela se pouvait, et je le suivis.

Je trouvai étendue sur des peaux de bison, une femme jeune encore, mais dont les yeux caves, le teint jaune et le corps amaigri la faisaient paraître beaucoup plus âgée qu’elle n’était.

Les épreuves auxquelles elle avait été soumise par le sorcier de la tribu avaient encore augmenté sa faiblesse.

Je lui pris la main, la trouvai brûlante et moite, et après l’avoir interrogée, je compris qu’elle était la proie d’une de ces fièvres intermittentes qui ruinent la santé et amènent successivement le dépérissement, l’atonie et la mort.

Je recommandai à l’Indien de construire au sommet d’une des collines qui entouraient le village une butte et d’y transporter sa femme, car l’endroit où il habitait était situé près d’un ruisseau et ne me paraissait pas sain, et je l’assurai que j’allais faire tout mon possible pour la guérir.

Je le quittai, je montai à cheval et me dirigeai vers des roches situées à cinq ou six kilomètres de là, sur lesquelles j’avais aperçu des symphorines à fruit rouge, espèce de chèvrefeuille non grimpant.

Je fis un paquet des racines de cet arbrisseau auquel j’ajoutai des pieds de plantain que je trouvai en abondance le long de ma route. À défaut du tulipier, du saule ou, ce qui eût été mieux encore, du quinquina, le plus puissant des fébrifuges, j’avais sous la main deux plantes dont la vertu m’était connue pour combattre les fièvres intermittentes.

Le lendemain un peu avant l’heure où avait lieu l’accès, je commençai ma médication et continuai ainsi plusieurs jours.

Grâce à ce traitement et au changement d’air que respirait la malade, la jeune Indienne commença à reprendre des forces, des couleurs, de l’appétit et à retrouver le sommeil.

Enfin au bout de quelque temps, elle fut complètement guérie et recommença à vaquer comme d’ordinaire à ses travaux. Il me fallut encore recevoir des visites de remercîment, des cadeaux de toute espèce et des protestations d’amitié et de dévouement que j’étais loin de rejeter, car seul au milieu des tribus américaines, le secours affectueux d’hommes esclaves de leur parole et de la foi jurée était un trop précieux avantage pour que je ne l’accueillisse pas avec reconnaissance.




Je vis bientôt une des antilopes,
jeter un regard sur l’objet qui flottait.

  1. Sorte de tubercule farineux, dans le genre des pommes de terre.
  2. Sorte de pomme de terre.