Le petit pâtre (Bernard)

Le Prince Maximilien
Allard (p. 13-16).


LE PETIT PÂTRE.


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Le long des murs du séminaire,
Quand le soir vient, j’aime à rêver ;
C’est ma promenade ordinaire :
Souvent Marthe m’y vient trouver.

« Ô cher amour ! pourquoi, dit-elle,
Rouler en toi mille pensers ?
Chante comme la tourterelle,
Sans songer aux printemps passés : »

Mais, Marthe n’est qu’une enfant blonde ;
Moi je suis né pour réfléchir,
Et je cherche le sens du monde,
Dussent mes cheveux en blanchir.

Ah ! si j’avais, comme tant d’autres,
Ouvert les livres des savants,
Lu les docteurs et les apôtres,
Autant les morts que les vivants,

 
J’en saurais bien long à cette heure,
Et mon esprit lourd comprendrait
Pourquoi la mère souffre et pleure
Quand son pauvre enfant disparaît.

Ils savent tout au séminaire,
C’est pourquoi j’y reviens, songeur,
Épier la faible lumière
Qui brille aux vitraux du prieur.

Il est là, le moine au teint pâle,
Au grand front déjà dévasté ;
Il n’est pas brûlé par le hâle,
C’est l’étude qui l’a voûté.

Quand il passe dans les avoines,
En me criant : « Bonjour, garçon,
« Il faut venir avec mes moines ! »
Sa voix me donne le frisson.

J’aimerais pourtant ce grand cloître
Où le froid vous glace les os ;
On voit dans la cour l’herbe croire,
Le bassin est plein de roseaux.

Le prieur y transporte l’âme.
Bien loin de Marthe et des champs verts ;
Mais sans l’amour, qu’à tort il blâme,
Comment donc irait l’univers ?

 
Moi, j’aime Marthe et son corsage.
Où brille la rose des champs,
Et bien souvent, sur son passage,
Les oiseaux redoublent leurs chants.

Or, si j’entrais au monastère,
Adieu la danse et la gaîté !
Il faut prendre un visage austère
Quand pour Dieu l’on a tout quitté.

J’aurais peur, dans ces longues salles
Où les moines, les yeux baissés,
En rêvant, lisent sur les dalles
L’épitaphe des trépassés.

Cependant, lorsque pour les frères
J’apporte du pain et des fruits,
J’aime à lire aussi sur les pierres
Des tombeaux à moitié détruits.

Cheminant entre les ogives
Du cloître aux piliers chancelants,
Je songe aux voyages des grives
Que je vois partir tous les ans.

L’âme fait aussi son voyage
Lorsque son hiver est venu ;
Elle tombe avec le feuillage,
Qui part, laissant le rameau nu.

 
Mais si la destinée est telle,
N’est-il pas d’un esprit prudent,
Pour penser à l’âme immortelle,
De se faire moine au couvent ?

À l’aurore, en chantant matines,
Comme le soir, à l’angelus,
On songe aux promesses divines,
On s’envole avec les élus.

Il faudrait, n’en déplaise aux frères
Être la nuit sous les arceaux
Du cloître, dans le séminaire,
Et le jour, sous les arbrisseaux ;

Ainsi l’on verrait sur sa tête.
Frissonner les fleurs du printemps,
Mais l’âme serait toujours prête
À partir quand il serait temps.

J’y prendrais goût, car mon affaire,
Dès que les jasmins sont fleuris,
Au fond, c’est vivre sans rien faire,
Comme font tous les moines gris.


Thalès Bernard.