Le Prince Maximilien
Allard (p. 10-13).

LE MOINE.



J’ai choisi pour demeure un cloître solitaire.
Où l’on n’entend plus rien des clameurs de la terre,

Où, calme, de son Dieu l’âme peut s’occuper
Sans rien pour la séduire et rien pour la tromper.
La nature, à mes yeux, est mauvaise et haineuse ;
L’esprit est entraîné dans l’abîme qu’il creuse,
Quand, cherchant la raison des lugubres hivers,
Il voit partout le mal accabler l’univers.
Détournant mes regards de ce monde insensible,
J’ai trouvé dans l’église un abri plus paisible,
Et quand les chants pieux retentissent au chœur,
Un suave repos rayonne dans mon cœur.
Salut, vitraux dorés où le soleil ruisselle,
Salut, piliers massifs de l’antique chapelle
Où le chrétien, jadis, pour Dieu persécuté,
Voyait, en expirant, la divine cité !
Sous tes larges arceaux, comme l’âme s’élance !
Comme elle comprend bien ton éloquent silence,
Quand l’autel, se parant de ses pâles flambeaux,
Elle déchiffre un nom aux pierres des tombeaux !
Vous dormez ici-bas, prêtres, sages, apôtres,
Vos os sont devenus ce que seront les nôtres,
Une poussière vile, un débris ignoré,
Sur qui jamais, peut-être, un passant n’a pleuré ;
Mais votre âme en extase, ouvrant ses larges ailes,
A conquis dans les cieux la palme des fidèles,
Et, sur des trônes d’or, siégeant avec fierté,
Vous regardez d’en haut la faible humanité.

Descendez en mon cœur, descendez, âmes saintes !
Car si la vieille église entend encor mes plaintes,
C’est que, portant en moi l’idéal infini,
Je voudrais être à vous pour jamais réuni.
Cette voûte parée aux plus beaux jours de fêtes,
Des rameaux fleurissant au pays des prophètes,
Éveille dans mon âme un désir insensé
De retrouver l’Éden dont l’homme fut chassé,
Et, détournant mes pas de la foule importune,
J’attends que dans la nef vienne briller la lune.
Quand ses pâles rayons, tombant sur le vitrail,
Du nimbe des vieux saints font reluire l’émail,
Je sens qu’il est en moi, tombé d’une main juste,
Un germe d’infini, faible et pourtant auguste ;
Triomphant de la chair, mon esprit enchaîné
S’élève tout à coup de mon corps prosterné ;
Comme un robuste enfant qui rejette ses langes,
Je marche d’un pas ferme au milieu des phalanges
Où les Forts et les Saints, de lumière vêtus,
Se mêlent à l’essaim des célestes Vertus !
Parle-moi sans relâche, ô sombre cathédrale !
Où l’humble moyen-âge a posé sa sandale ;
La plante parasite à ton flanc a poussé,
Mais tu gardes toujours un reflet du passé,
Et dans tes escaliers, où la rampe tournoie,
Dans tes vitraux sacrés dont la splendeur foudroie,

Dans ton hardi clocher qui, perçant le ciel bleu,
Porte, en les cadençant, nos soupirs jusqu’à Dieu,
Je revois le grand siècle où des formes mystiques,
Quand descendait la nuit, erraient sous tes portiques !

Thalès Bernard.