Le pays, le parti et le grand homme/Épilogue.

Castor
Gilbert Martin, éditeur (p. 98-108).

ÉPILOGUE.


I


Puisque M. Chapleau devait entrer dans le gouvernement fédéral vers la fin de juillet dernier, savoir moins d’un mois après les élections, pourquoi n’a-t-il pas fait faire, ce remaniement quelques semaines auparavant, afin de permettre à l’électorat de l’apprécier ?

La Province de Québec a donné un solennel témoignage de confiance au gouvernement fédéral, le 20 juin 1882. Et voilà que, dès un mois après, le gouvernement tel que constitué le 20 juin, n’existe plus ; voilà qu’un tiers de ceux qui représentaient l’élément français est disparu, pour être remplacé par une représentation d’un tout autre caractère.

Or, vu les idées du nouveau venu, ses antécédents, le rôle prépondérant qu’il entend jouer à Ottawa ; vu la politique spéciale qu’il entend y poursuivre, qui peut dire que notre province l’accepte ?

Nous voici donc, au lendemain des élections générales, déjà replongés dans l’incertitude de savoir si le nouveau ministre possède la confiance de sa province.

Voilà pour le côté de haute politique constitutionnelle.

Et au point de vue de la paix et de l’économie, que vaut le dernier remaniement ?

Sortant à peine des élections, il faut en recommencer quatre : 1° celle de M. Chapleau ; 2° celle de son remplaçant au local ; 3° celle de M. Mousseau ; 4° celle de son remplaçant au fédéral. De suite une dépense d’au moins $2000.00 prise sur le trésor public.

Maintenant, supposé qu’à chacune de ces élections il se soit donné une moyenne de deux mille cinq cents voix par comtés : voilà, un déplacement de dix mille électeurs. Or, le minimum de dépenses, par perte de temps, voyages ou autrement, occasionnés au public, est bien d’au moins une piastre par chaque électeur.

Voilà donc une perte nette de dix mille piastres faite par les électeurs, laquelle, jointe aux $2000.00 sorties du trésor public et à une somme de $1000.00 au moins, dépensée par chacun des candidats et ses amis, forment une perte totale de $16000.00, sans compter les mille et une misères de toutes sortes qui surgissent d’une élection et qui, chacun le sait, sont la source de maux incalculables.

Naturellement, « c’est dans l’intérêt public que MM. Chapleau et Mousseau ont occasionné au public cette perte, de $16 000.00, à la bonne heure ! mais pourront-ils le démontrer ? Ils n’oseront pas même le prétendre.

Or, nous les défions de démontrer que du 20 juin au 20 juillet il ait surgi, de notre politique, des raisons d’état qui aient rendu nécessaire dans l’intérêt public, qui aient même suggéré ce changement ! Remarquons le bien : ce changement n’a pas été l’un de ces événements politiques inattendus que l’on n’avait pu prévoir avant le 20 juin, puisque avant cette date, il était connu que M. Chapleau allait à Ottawa. Il l’avait même déclaré lui-même solennellement. Pourquoi alors ne se faisait-il pas élire de suite aux élections générales ?

Pour nous, jugeant d’après les probabilités les plus raisonnables et les antécédents de M. Chapleau, nous n’hésitons pas à assigner à ce changement la raison suivante et nulle autre :

M. Chapleau voulait aller à Ottawa… Mais il est prudent ! Se croyant assuré de cinq ans de pouvoir à Québec avec les plantureux émoluments qu’il avait su s’y faire, il s’est dit qu’il ne fallait pas abandonner le poste de Premier de Québec avant qu’une solide victoire fédérale ne fût venue lui garantir la possession de son portefeuille à Ottawa pour au moins cinq ans. Autrement, il risquait de se trouver avoir troqué son portefeuille de Premier à Québec avec la dure banquette de l’un des chefs de l’opposition à Ottawa.

M. Chapleau trouva donc tout naturel d’imposer au public la dépense de $16000.00, plutôt que de s’exposer à cet inconvénient. Toujours le même : Tous les risques pour le pays ou pour les autres ! Toutes les chances pour lui-même !

Certes ! Ce ne sera pas nous qui prétendrons qu’en cela, M. Chapleau ait violé la règle invariable de ses actions, ni encore moins rompu avec ses antécédents politiques.


II


Voulons-nous, d’un seul coup-d’œil, juger de sa fidélité constante à sacrifier le bien public au profit de son intérêt personnel ? Nous n’avons qu’à énumérer brièvement les bouleversements et les anomalies politiques auxquels ont donné lieu, depuis quatre ans, les manœuvres et les intrigues qu’il a employées pour servir les intérêts de son ambition :

1° M. de Boucherville dépouillé de son autorité comme chef.

2° Les conservateurs de la région de Québec exclus du gouvernement.

3° Angers exclu de l’administration locale.

4° Angers élagué définitivement de la politique.

5° L’esprit de la constitution violé : la nationalité canadienne-française et la province de Québec privées d’un représentant sur los bancs du trésor an sénat.

6° La région de Montréal privée de sa part dans la distribution du patronage et des hauts emplois.

7° La province de Québec virtuellement privée, durant plus d’une année, des services effectifs de l’un de ses trois ministres français.

8° M Baby élagué sans cause du ministère fédéral.

9° Division entre les conservateurs de Joliette : conséquence de la retraite de M. Baby de la politique.

10° Le comté de Terrebonne, privé des services effectifs de son député.

11° La province de Québec privée de l’un de ses soixante-cinq représentants.

12° M. Mathieu exclu du gouvernement et éloigné de la politique.

13° M. Beaubizn exclu du gouvernement.

14° le parti conservateur de la région de Québec désorganisé.

15° Ce même parti profondément divisé.

16° Entrée du libéral Flynn dans le gouvernement, au lieu d’un conservateur.

17° Entrée du libéral Paquet dans le gouvernement au lieu d’un conservateur.

18° Le double transfuge Chauveau récompensé : fait juge de police.

19" Vacance de son siège et, nouvelle élection dans Rimouski.

20° Reconstitution peu judicieuse de la cour d’appel par la nomination de M. Baby, tout en privant, le gouvernement fédéral des services de ce dernier.

21° Tarte forcé d’abandonner la représentation de Bonaventure.

22° Montréal privé, durant deux ans, de son septième juge.

23° Résignation de M. Villemure au Conseil.

24° Entrée de M. Lacoste au Conseil d’une manière étrange et sous des circonstance» suspectes.

25° La sinécure de 2e greffier de la paix rétablie pour créer une rente sur l’Etat, à l’ami Dansereau.

26° Un homme du caractère de Senécal, nommé administrateur du chemin du Nord.

27° Robertson sort du gouvernement.

29° Octroi au crédit foncier franco-canadien d’un monopole de cinquante ans.

30° M. Chapleau, dont l’influence a imposé ce monopole, reçoit pour une sinécure du crédit foncier un salaire annuel de deux mille piastres.

31° Senécal paie de ses deniers la différence dans le taux d’intérêt d’un emprunt public.

32° Senécal crée à M. Chapleau un salaire annuel de $2,000,00 pour le garder à la tête du gouvernement de Québec.

33° Senécal emploie de l’argent pour obtenir, par corruption, la Charte du chemin de Fer et du Tunnel.

34° Senécal consacre $1,500.00 pour acheter les journaux libéraux et les gagner à l’aider dans l’obtention de cette charte.

35° Il s’en vante ! ! !

36° Obtention par Senécal, Chapleau et autres, au moyen de l’influence provinciale de Québec, d’une charte pour un chemin de fer de Toronto à Québec, charte qu’ils vendent ensuite à leur profit personnel.

37° Un cadeau de $14,000.00 est déposé en banque par le Syndicat-action du crédit foncier, pour M. Chapleau et deux de ses collègues, pour les récompenser de leur avoir obtenu le monopole de 50 ans.

38° Vente étrange de la Section Ouest du chemin du Nord.

39° Chapleau et Senécal cachent au public et aux acheteurs les raccordements conclus et autres avantages valant des millions.

40° Malgré un trafic énorme, le chemin du Nord ne rapporte presque rien. Sa caisse toujours à sec, tandis que la caisse du banqueroutier Senécal déborde.

41° Senécal bâtit les embranchements de Berthier et de St-Eustache avec des fonds mystérieux.

42° Le Syndicat du Pacifique achète, à très gros prix, les embranchements de St-Lin et de St-Eustache dont il n’a pas besoin.

43° Vente encore plus étrange de la partie Est du chemin.

44° Le Syndicat Allan prétend avoir fait une offre supérieure à celle de Senécal et Cie, et avoir été maltraité dans ses efforts pour avoir des renseignements et faire ses soumissions.

45° Hâte scandaleuse avec laquelle on vend le chemin.

46° On vend le chemin à des parties frappées par la loi d’une incapacité absolue d’acheter.

47° Grand nombre de députés conservateurs à l'assemblée législative, se prononcent contre la vente et combattent le gouvernement, sur cette mesure, unguibus et rostro.

48° Le conseil se divise par moitié sur la vente. Forte opposition, à la vente, de trois anciens ministres et chefs conservateurs.

49° Évolutions de Starnes ; il vote pour la vente.

50° La Patrie de Montréal soutient la vente.

51° Mercier fait le mort, — rumeurs de coalition.

52° Création de la charge de Président du Conseil, inamovible durant cinq ans, avec un salaire de $2,000.00.

53° M. de LaBruère, nommé à cette présidence, reconsidère la question de la vente et finalement l’approuve.

54° Entrée de M. Dionne dans le gouvernement à titre de dupe.

55° M. Chapleau réussit à imposer à la législature le Bill Laval.

56° M. Chapleau représentant, dans le gouvernement, la section de Montréal, va trahir à Rome les intérêts de Montréal, sous le prétexte de faire un voyage de santé.

57o Départ de M. Chapleau pour Ottawa.

58o M. Mousseau transporté d’Ottawa à Québec !…

59o Choisit Starnes comme membre de son administration !  !…

60° Flynn et Paquet entrés dans le gouvernement en trahissant, en déguerpissent trahis.

61o M. Nantel résigne le mandat, fédéral de Terrebonne, que M. Chapleau aurait dû prendre un mois avant, puisqu’il voulait l’avoir.

62o M. Mousseau résigne son mandat de Bagot, obtenu un mois auparavant, pour servir le pays à Ottawa, durant cinq ans.

63o Élection de Jacques Cartier ; M. Laflamme et les rouges de ce comté font l’élection de M. Mousseau.

64o La Patrie et les rouges de Montréal appuient chaudement la candidature du premier ministre.

65o Élection fédérale dans Terrebonne.

66o Retraite étrange et mystérieuse de M. Poirier.

67o Élection locale de Terrebonne.

68o Élection fédérale de Bagot.

69o Division du parti conservateur dans la région de Montréal.

70° L’acceptation du chèque Sénécal pour prix de vente de terrains miniers.

71o Étranges contradictions entre les affirmations de M. Flynn et les faits pour excuser cette transaction de Senécal.

72o Accusations plus étranges encore portées contre l’Assistant-Commissaire des Terres.

73o L’augmentation du salaire du premier ministre, lorsqu’il est si fortement subventionné par des compagnies privées.

74o L’augmentation de l’indemnité des membres, venue après leur vote en faveur de la fameuse vente du chemin de fer.

75o Los maladies diplomatiques de M. Chapleau, etc., etc., etc, etc., etc., etc., etc., etc.

76o Celles de. M. Mousseau, etc., etc., etc.

Eh bien, ne sont-ce pas là, de jolies petites litanies ?

Et si tout y était !…


III


Avec tout cela, M. Chapleau a-t-il raison de se donner comme l’héritier et le continuateur des traditions politiques de M. Cartier ?

Un court parallèle entre les deux hommes va nous fournir une réponse bien facile à cette question :

Il est de fait qu’il n’y a de commun entre eux que certains préjugés, certaines haines et antipathies religieuses que les circonstances rendaient excusable chez M. Cartier mais que rien ne peut excuser chez M. Chapleau.

1o Cartier débute dans la carrière publique par un travail ardu et se rend maître en sa profession où il acquiert une honnête aisance ; Chapleau ne fait quelque chose que devant les cours criminelle et de police. Il ne réussit jamais à se faire prendre au sérieux par le barreau, ni même à jeter les bases d’une fortune professionnelle quelconque.

2° Cartier, malgré certaines erreurs puisées dans une éducation faussée par l’esprit du temps, se constitue le bras droit du clergé dont il défend les droits ; Chapleau, bien qu’ayant eu le bénéfice d’une éducation beaucoup plus saine, s’aliène bientôt les sentiments du clergé et en devient l’ennemi. Il sacrifie, en toute occasion, les droits de l’Église et les immunités ecclésiastiques.

3° Cartier était essentiellement dévoué aux intérêts de la région de Montréal et les servait sans relâche ; Chapleau les sacrifie à ses intérêts personnels.

4° Cartier était l’ennemi raisonné et implacable du libéralisme ; il s’était dévoué à l’œuvre de le détruire ; il le combattait, sans trêve ni merci, chaque fois qu’il le reconnaissait quelque, part ; Chapleau se déclare le plus libéral des conservateurs ; il flatte le libéralisme, le réchauffe dans son sein, le courtise au Canada, le flagorne en Europe, recherche son alliance et fait plus que tout autre en Canada pour on assurer le triomphe.

5° Cartier fortifie, organise et rend tout-puissant le parti conservateur ; Chapleau le divise, en détruit les fondations et le ruine.

6° Cartier fait la confédération ; Chapleau en sape les bases.

7° Cartier n’a pas trop de toute sa tête et de tout son cœur pour les consacrer sans réserve à sa nationalité ; Chapleau s’il lui consacre plus ou moins sa tête, déclare avoir donné tout son cœur aux Anglais.

8° Cartior établit, perfectionne, fortifie nos institutions nationales et provinciales ;

Chapleau les mine, les affaiblit, les désagrège.

9° Cartier donne à ces institutions, sauvegarde de notre autonomie, caractère de stabilité, prestige, autorité, organisation parfaite.

Chapleau détruit cette organisation parfaite, leur enlève cette autorité, ce prestige et cette stabilité, en travaillant à détruire le double mandat, la qualification foncière, le conseil législatif, etc.

10° Cartior crée, dans le Sénat, un contre-poids à la prépondérance hostile d’Ontario ; il assure l’équilibre des pouvoirs, caractère essentiel de notre constitution ;

Chapleau détruit ce contre-poids et travaille à faire disparaître cet équilibre, en conséquence, mine notre constitution par sa base.

11° Cartier repoussait, avec indignation, toutes offres de parts payées dans les compagnies à fond social qui venaient solliciter du gouvernement quelques privilèges ou même un simple acte d’incorporation ;

Chapleau n’a pas assez de mains pour prendre tout ce qui se présente ;il est dans toutes les compagnies, accepte d’elles des salaires et des gratifications ; il est dans toutes les affaires où il y a chance de spéculation.

12° Cartier fuyait avec horreur les intrigants et les spéculateurs véreux ;

Chapleau ne peut se séparer d’eux : Senécal, Danseroau, etc., sont ses inséparables ; ils sont d’autres lui-même.

13° Cartier portait jusqu’à l’excès le culte de l’honneur ;

Chapleau se complait dans une atmosphère saturée d’ignominie.

14° Cartier était franc et sans dol ;

Chapleau est la dissimulation même, en santé comme en maladie.

15° Cartier travaillait sans cesse à l’organisation, au maintien, à l’honneur du parti ;

Chapleau le désorganise, le divise, le ruine et le discredite.

16° Cartier a assuré le triomphe définitif du parti conservateur ;

Chapleau a crée la toute puissance de la clique.

17° Comme un père à la tête de sa famille, Cartier veillait aux intérêts, à l’avancement, au bien de tous ;

Chapleau persécute, ostracise, ruine les principaux membres de son parti ; il leur fait une guerre acharnée et leur ferme systématiquement la porte à toute carrière, à tout succès, à tout avancement social ou politique.

18° Cartier veillait, avec un œil jaloux, à une solide organisation des tribunaux et à une saine administration de la justice ;

Chapleau ne voit, dans le banc judiciaire, que des sièges à donner à ses créatures, que des succursales ouvertes pour les besoins des combinaisons politiquos et des remaniements ministériels.

19° Cartior s’appliquait à donner à tous de l’avancement, soit dans la politique, soit, dans le sorvico civil, soit dans la magistrature, suivant le travail, les connaissances, les goûts, les aptitudes de chacun, de manière à assurer à l’Etat les services les plus aptes et les plus intelligents ;

Chaploau pèse tout au poids du favoritisme et de l’intrigue. Il distribue les emplois, non pour que l’intérêt public y trouve son compte, mais pour donner tous les plus hauts emplois et les plus forts salaires aux heureux objets de ses préférences ou à ceux que son caprice entend favoriser. Par contre, il éloigne systématiquement des principaux emplois les hommes les plus compétents dès qu’ils ne sont pas ses courtisans.

20° Cartier mettait le mérite dans le travail, le savoir, le dévouement au pays et le service de l’intérêt public ; Chapleau met tout le mérite dans la science de l’intrigue, l’adulation et la souplesse de caractère.

21° Cartier prenait ses conseillers parmi ceux que le pays et la constitution lui proposaient, c’est-à-dire parmi les membres des deux chambres ; Chapleau les prend presqu’exclusivement dans les rangs de la clique.

22° Les decisions émanant du gouvernement de Cartier, c’était des décisions prises constitutionnellement, sur l’avis de ceux qui ont autorité pour aviser le chef ;

Celles émanant du gouvernement de Chapleau n’ont, presque toujours été que les édits ou les Ukases de la clique. Elles ne passaient dans le conseil exécutif que pour la forme.

23° Cartier élevait ses partisans ;

Chapleau les avilit.

24° Cartier était excessivement avare de patronage vis-à-vis des siens. Il préférait faire lui-même une pension honorable à son frère, avocat, comme lui, plutôt que de lui donner une place dans le service civil ;

Chapleau fait, de tous les membres de sa famille, des pensionnaires de l’État.

25° Cartier, entré riche dans la politique, en est sorti pauvre, après être resté à la tête de son parti et du gouvernement de son pays durant plus d’un quart de siècle ;

Chapleau, entré dans la politique insolvable, n’ayant, suivant son propre témoignage, d’autre capital que celui de ses dettes, n’a pas plus tôt occupé quelques quatre ou cinq ans des positions de ministre de la couronne que déjà, malgré son existence somptueuse, il achète de riches demeures, places des capitaux considérables sur immeubles, bref prend toutes les allures d’un homme parvenu au faite de la fortune.

26° Cartier travaillait pour son pays et son parti ;

Chapleau travaille pour lui et pour M. Senécal, Dansereau et Cie.

Voilà quelle différence existe entre ces deux hommes !




CONCLUSION.


« Delenda est Carthago ! »

Il faut que la clique soit détruite !…

Il est à peine nécessaire de faire remarquer que, dans un écrit de la nature de celui-ci, il y a place pour l’hyperbole, et que l’auteur a plus d’une fois, dû se contenter de la preuve de circonstances, vu l’impossibilité de s’en procurer une positive, se souvenant d’ailleurs que ceux qui font autorité en telles matières donnent quelque fois plus de poids même à la preuve de circonstances qu’aux témoignages directs.

Au reste, il s’est efforcé de faire de l’ensemble des faits et des circonstances une exposition de la plus sévère exactitude, de façon à photographier, en quelque sorte, les situations politiques qu’il relate afin de mettre le lecteur en état de les apprécier sainement.

Nul besoin non plus de dire que ce qui précède n’est pas un panégyrique ; ce n’est pas même une appréciation complète de la vie publique de M. Chapleau. Il y aurait, de lui, beaucoup de bien à dire, mais hélas ! encore beaucoup plus de mal.

Nous n’avons, pour aujourd’hui, voulu que faire ressortir combien a été funeste au pays son action politique des dix dernières années.

Nous avons été sévère : il s’agissait de signaler, pendant qu’il en est temps encore, un mal qui bientôt sera sans remède.

Étant donné l’étal déplorable dans lequel nous a plongé M. Chapleau, il ne nous restait qu’une, chose à faire pour en sortir : Écrire, de ses actes politiques, une, critique impitoyable…

Eh bien ! C’est fait !

M. Chapleau est un homme des mieux doués sous le rapport de l’intelligence. Malheureusement, son entourage, les entrainement du siècle, des succès trop prompts et surtout trop faciles, la louange excessive, l’exagération outrée que l’on a faite de ses exploits politiques : tout cela a exercé sur lui une influence& des plus pernicieuses.

Trop tôt, hélas ! l’égoïsme avec ses funestes inspirations a pris chez lui la place du dévouement.

Le dévouement, sans bornes, l’esprit de sacrifice et de renoncement : telles sont pourtant, deux des vertus essentielles à l’homme d’état appelé au suprême commandement ! Pour lui comme pour le parti, les conséquences de ses nouveaux principes ont été désastreuses.

Qu’a-t-il été, en effet, pour le parti conservateur, depuis qu’il en a assumé la direction ?

Un général qui introduit les chefs ennemis dans la citadelle, livre ses places fortes à l’ennemi, ou les démolit !

Mitraille ses plus vaillants soldats, bannit de l’armée ses compagnons d’armes les plus dévouées, ruine l’autorité des vieux généraux !

Troque son drapeau contre la première guenille venue, fusille ses meilleurs officiers ou les dégrade, recrute son état major parmi les chefs ennemis !

Brocante, avec des agioteurs, les biens de la nation, leur livre la caisse publique, leur vend même pour de l’or la dernière ration du soldat !…

Et tout cela ! au nom de la discipline !… Faut-il, au nom de la discipline, sanctionner de tels procédés ?

Eh bien ! Pas de discipline qui tienne !

Faut-il, pour rester conservateur, sanctionner ce que nous croyons être une politique malhonnête ?

Faut-il approuver l’escamotage du chemin de fer du Nord, l’obtention des chartes publiques par corruption, l’entrée de transfuges politiques dans les gouvernements conservateurs, l’ostracisme de nos plus valeureux chefs, le bannissement en masse des plus fidèles amis du parti, les spéculations honteuses sur la caisse publique, le gouvernement du pays par une misérable clique ?

Eh bien ! Si être conservateur signifie tout cela ; si nous en sommes arrivés à ce point de ne plus pouvoir honnêtement et honorablement appartenir au parti conservateur, nous le déclarons bien franchement, nous n’en sommes plus…

Mais heureusement qu’il n’en est pas ainsi.

Que le parti conservateur dégage donc sa responsabilité des actes indignes que nous déplorons. Qu’il cesse de se laisser représenter par la clique dans le gouvernement du pays.

Pour cela, il faut que le Grand Homme reprenne, vis-à-vis le parti, l’attitude qui lui convient.

Il faut qu’il cède le pas au pays… même au parti !

Qu’il soit honoré, choyé, subventionné, décoré !

« Qu’il soit le plus renté de tous les beaux esprits, »


passe ! nous ne lui voulons aucun mal.

Ses succès, ses triomphes ne soulèveront, aucune récrimination, chez nous… mais à la condition qu’ils soient acquis par le parti, avec le parti et pour le pays !

Et non par la clique, avec la clique et pour la clique !

“ Delenda est Carthago ! ”

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Il faut que le parti ait une existence distincte de celle de la clique, indépendante de la clique ! Il faut que le parti soit comme la maison du père de famille, où chaque conservateur digne de ce nom se sente chez soi, et non un persécuté victime des vengeances et des intrigues de la clique.

Or, pour cela, il faut que le parti s’organise, se recrute et opère en dehors de la clique. Il faut qu’il se reconstitue sur la base solide des principes ! Il faut qu'il fasse disparaître cette idée, tendant à prévaloir dans le public avec une rapidité effrayante, qu’il n’y a plus moyen d’être à fois solidaire des actes politiques de notre parti et honnête homme.

Il faut que le parti se reconstitue sur des bases naturelles, communes à toute organisation : savoir, qu’il rétablisse dans son sein un principe de vie, qu’il crée chez ses membres une noble émulation, un intérêt puissant de se dévouer au bien du pays afin de promouvoir par là les intérêts du parti ; au lieu de laisser subsister dans son sein cette organisation occulte, ayant pour but d’édifier la fortune personnelle de ses membres, au détriment du parti : principe de mort qui le ronge au cœur comme un horrible cancer.

Au lieu d’ostraciser ceux de ses membres qui se sent toujours distingués par leur loyauté, leur fidélité et leur dévouement désintéressés, il faut qu’au contraire, le parti assure une carrière honorable au travail honnête et au dévouement sans défaillance.

Que l’avancement, les positions les plus lucratives et les plus honorables, soient aux plus dignes et non aux plus intriguants.

Étouffons, à son berceau, cette école néfaste qui ne tire les succès politiques que de l’intrigue, qui a abandonné le bureau pour le club, le cabinet d’étude pour l’estaminet !

Redevenons ce que nous avons été sous Lafontaine, Morin et Cartier : Un parti de bons patriotes et d’honnêtes gens !

Pour atteindre ce but, un seul moyen est efficace : c’est de détruire la clique et l’esprit de clique.

Que le mot d'ordre des conservateurs soit donc : Guerre à la clique !

Guerre implacable ! guerre à mort ! guerre sans trêve ! guerre sans merci !

« Delenda est Carthago ! »


CASTOR.


Pour faire suite, avant la fin du siècle : « Le Dansereau, » « Sir Hector, » « Ce bon M. Mousseau, » « My lord Pigfeeder » et quelques autres.