Le parfait secrétaire des grands hommes/Lettre 32

Texte établi par Georges GirardLa cité des livres (p. 59-60).
JEANNE D’ARC


I


[À ses parents].


Jhesu Maria
 


Cher pere et chère mere,

Quoyque je n’aye ancore de vous aulcune nouvelles, le tems ne l’ayant permys, je veulx bien vous faire encore cette lettre pour vous dire que d’icy deulx jours nous nous remettrons en route. Le Roy ayant fait mander des nobles et des gendarmes, de toute part on est venu se rendre à ses ordres.

Je veulx bien vous dire que le Roy m’a fait appeler en audience particulière. Il m’a longuement parlé de la guerre et des affaires de France, en me louant de ce qu’il appelloit mes hauts faits. Je remarquay que sa contenance estoit embarrassée. Je devinay facilement le motif de la faveur qu’il me faisoit de m’appeler ainsy en audience particulière. C’est une marque d’estime peu usitée ; mais je n’eus garde de le presser de s’expliquer, ny mesme de luy en laisser saisir l’occasion, comme devez bien le croyre, quoy que je restay pres de deulx heures seule avec luy ; nostre entretien s’es porté sur les moyens à prendre de chasser les Angloys de France et luy ay revelay un songe mysterieulx qui m’estois venu jà puys longtemps qui me l’indiquoit. Il a compris ce dont je voulois faire. Il m’a donné le commandement des troupes, de concert avec Monseigneur le duc Jehan d’Alençon, avecq ordre de chasser les Angloys des bords de la Loire et, comme je vous l’ay dit, d’icy deux jours nous nous remettons en route.

Sur ce, trés chers Parens, je prins Dieu vous avoir en ses bonnes grâces.

Ce xx may 1429.

Je hane.