Gervais Clouzier, 1680 (1 / 2, pp. 449-459).


LA forbure est un veritable rhumatisme qui est une fluxion contre nature, d’humeurs acres & acides parmy lesquelles souvent la pituitte est mélée, cette fluxion est quelquefois causée par un deffaut de transpiration, & souvent encore par une prompte supression d’une grande suëur, laquelle s’estant repanduë par toute l’habitude du corps excité de grandes douleurs & difficulté de se mouvoir, en sorte que les jambes viennent hors d’état de faire leur fonction ordinaire qu’avec une extrême peine & beaucoup de douleur. Il y a deux sortes de forbure, la premiere vient lors qu’apres un travail excessif on laisse refroidir un Cheval tout à coup, CHAP.
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les pores se bouchent par ce froid, & rien ne peut transpirer, cette sorte de fourbure est plus facile à guerir que la seconde sorte, laquelle arrive dans l’écurie sans aucun travail precedent, mais souvent pour avoir trop mangé d’avoine.

La première est causée par un grand travail, & souvent pour avoir surmené un Cheval, c’est à dire l’avoir fait travailler au de là de ses forces, ce qui a si fort agité les humeurs qu’il s’est mélé parmy des acides qui ont excité un bouillonnement ou fermentation qui en a rarefié & subtilisé une partie, qui s’est insinuée comme une vapeur au travers toute l’habitude du corps & mesme dans les conduits des nerfs, quoy que tres-petits & imperceptibles, & le Cheval venant à se refroidir tout à coup, ces esprits ou vapeurs par la froideur qui succede, se changent en eau ; Cette eau a quantité de Chevaux se convertit ou s’épaissit en une espece de gelée, qui non seulement bouche le partage des nerfs, mais les embarrasse ; de sorte qu’ils ne sont capables qu’avec une douleur extreme, d’aucun mouvement, & encore avec beaucoup de peine.

Que cette humeur subtilisée & rarefiée & ensuite réduite en eau, le jette sur les jambes, ce n’est rien d’extraordinaire, parce que la nature qui en est chargée, s’en débarasse & l’envoye aux parties les plus affligées, qui sont les jambes qui ont esté affoiblies par le travail.

Ces esprits ou vapeurs sont toujours accompagnées ou plûtost remplies d’un sel acre & piquant ; car les humeurs estant hors de leur lieu naturel, deviennent aigres, ce qui les rend acres & piquantes, & ainsi la douleur suit la forbure, & presque toujours la fièvre accompagne la douleur, & selon que la vapeur ou les esprits acres sont plus ou moins abondants, & qu’ils s’épaississent, la forbure est plus ou moins dangereuse & difficile à guerir.

La seconde espece de Forbure qui vient dans l’écurie, parce qu’un Cheval mangera trop d’avoine, ou parce qu’il sera boiteux & souffrira beaucoup de douleur, est plus difficile à guerir que la premiere ; parce que les humeurs sont si abondantes que faute de transpiration, qui est excitée par le travail ordinaire, elles fermentent & causent le desordre que j’ay expliqué cy dessus. Ce qui rend celle-cy plus difficile à guerir, est la trop grande quantité de cette vapeur acre & maligne, qui embarasse si fort les jambes que sans un prompt remede, elle dessoude les sabots autour de la Couronne, ou cause des croissans dans le pied sous la CHAP.
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folle, ou fait mourir le Cheval. La premiere sorte de forbure fait souvent aussi le mesme desordre si on n’y donne remede, & l’une & l’autre sont dangereuses & si la fiévre y est jointe & de plus la gras fondure, ils n’en échapent que rarement.

Il y a une troisiéme sorte de Forbure qu’on guerit facilement, qui est celle que les Chevaux prenent en mangeant du bled en herbe à l’armée, cette sorte de forbure se gagne facilement & se guerit dans vingt-quatre heures, & souvent par une saignée ou quelque fort leger remede.

La Forbure est tres-souvent accompagnée de gras-fondure, & lors que ces deux maux sont joints ensemble, ils ne sont gueres sans une grande fiévre, ce que les Mareschaux apellent Courbature, ainsi ils sont Forbus, gras-fondus, & Courbatus, dont ils meurent presque toujours.

La Forbure arrive presque toûjours, lors qu’apres un violent exercice qui excite une grande sueur, les Chevaux se refroidissent tout à coup, soit par la fraicheur du lieu ou on les met, soit par le froid de la saison, ou manque de les promener en main : Et comme les jambes travaillent le plus, elles en portent aussi la peine, & reçoivent la decharge des humeurs.

C’est pourquoy il faut promener quelque temps au petit pas les Chevaux, apres une course longue & violente, & mesme un grand travail, afin de dissiper les humeurs, qui se sont jettées sur les jambes deja affoiblies par le travail : lesdites humeurs n’estant encore qu’esprits, la nature les peut dissiper avant que ces esprits par le froid soient condensez en liqueur, & cette liqueur en gelée pour ainsi dire, qui cause les grands desordres de la Forbure.

Il ne faut pas s’étonner si les Chevaux deviennent Forbus, lorsqu’apres un travail violent on les mene à l’eau & qu’on les fait entrer le ventre bien avant dans l’eau, les faisant passer d’une extremité de chaleur, à une extrémité de froid.

Les Chevaux mal habituez, & qui ont déjà eu cette maladie, s’ils séjournent trop dans l’écurie, & s’ils mangent trop d’avoine, peuvent devenir Forbus, & mesme par un travail mediocre ils deviendront forbus, ce qui n’auroit pas esté s’ils n’avoient déjà eu cette maladie. Ceux qui ont quelque douleur à un pied de devant qui les oblige à séjourner sur l’autre trop long-temps, sont sujets à devenir forbus dans l’écurie, presque toûjours de trop de nourriture, qui fait des cruditez, ces cruditez engendrent la CHAP.
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chaleur, qui fait bouillir & fermenter les humeurs, dont le plus subtil se change en esprits, & ces esprits en eau comme j’ay déja dit.

Les Chevaux boitteux, ou qui ont les pieds douloureux, ou les jambes fort roides, qu’on fait cheminer & faire voyage, deviennent facilement Fourbus, & sont plus difficiles à guerir que les autres, à cause de la fluxion qui estoit déjà sur le pied boiteux.

Je ne puis comprendre pourquoy l’on asseure qu’un Cheval deviendra fourbu, si passant le long de l’eau ayant grand soif, on l’empéche de boire ; je ne l’ay jamais veu, mais bien Ie contraire ; car aux grandes chaleurs, un Cheval ayant fort sué, si on le fait boire sur le soir dans sa chaleur, sans faire ensuite grand chemin, il vient aisément forbu ; si vous l’empechez de boire, pour lors il ne vous en peut arriver aucun inconvenient.

Il y a de la différence entre un Cheval forbu, & un Cheval qui n’est que refroidy ; car après une grande chaleur le froid engourdit les nerfs, sans que les humeurs le fondent & coulent dessus : cette dernière incommodité pour l’ordinaire n’occupe que les jambes de devant, & se guerit assez facilement.

La Forbure la plus dangereuse, est celle qui est accompagnée de fièvre ; on dit de ces Chevaux-là qu’ils font forbus & courbatus & en ce cas il faut donner remède au plus pressant qui est la forbure, car quoy que la fièvre ou courbatture les puisse faire mourir, soulageant la forbure, la fièvre qui luy est accidentelle, cessera, la cause cessant.

Lorsque la Forbure tombe sur les pieds, on s’en apperçoit en ce que la couronne leur enfle, elle se dessoude d’avec la corne : il faut d’abord qu’on le voit, rayer toute la couronne avec des incisions faites de haut en bas, par un bon bistory, & percer le cuir pour donner lieu à cette humeur de s’évacuer, qui sortira en forme d’eau rousse, & ces serositez estant évacuées appliquer là dessus un adstringent de bol, vinaigre, & blancs d’œufs, ou du blanc d’Espagne, qui est de la chaux vive qui s’est amortie d’elle mesme & mise en poudre, faites-en comme une pâte avec de l’eau seconde, appliquez le tout sur la couronne, ou bien avec de l’esprit d in[illisible], qui est le plus excellent adstringent qu’on puisse employer, & continuez, puis lavez les playes avec du vinaigre & du sel ; si on n’apporte cette précaution, le moins qu’il en pourra arriver sera que cette humeur acre & maligne, qui est un acide pénétrant comme de l’eau-forte, par l’acrimonie des sels corrosifs CHAP.
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dont il est plein, cette humeur dessoudra les sabots & les fera tomber, ou tout au moins descendra de la jambe dans le sabot, dessoudera souvent le petit pied d’avec le sabot en pince, & fera des croissans avec le bout du petit pied, qui la pluspart du temps sont incurables, car ce qu’on appelle croissant est l’os du petit pied desséché par cet acide corrosif, & ensuite relâché, & il faut qu’il en tombe une partie, c’est à dire ce qui est privé de nourriture : pour guerir ces maux là il ne faut pas dessoler les Chevaux, jusqu’à ce que partie du petit pied qui n’a plus de nourriture, soit en estat de le faire tomber ; c’est pourquoy il ne faut dessoler qu’apres que les croissans sont visibles, qu’ils poussent la solle, & la font crever, le sabot est desséché, alteré, plein de cercles, & le Cheval rendu inutile, ne pouvant cheminer qu’avec beaucoup de douleur ; aussi les Chevaux qui sont gueris de la forbure, s’il est tombe beaucoup d’humeur sur le pied, marchent sur Ie talon, le petit pied ayant souffert en pince, car c’est là où l’humeur prend son cours : lors que la forbure est tombée sur les pieds, & que les croissans sont formez, il ne faut dessoler que le plus tard qu’on peut, au contraire laisser toujours la solle autant forte qu’on le peut, pour contenir le petit pied en sa place, ne point ouvrir du tout le talon, percer le fer maigre en pince, brocher au talon comme à un pied de derrière & frotter la corne pres de la couronne avec un quartier d’oignon tous les jours en sorte que le Suc de l’oignon penetre la corne : mais en un mot tout Cheval auquel la forbure est tombée sur les pieds, & que les croissans paroissent, on le peut conter pour perdu, hors pour labourer en païs doux.

Pour le prevenir, |e donneray un remede qui a souvent bien reussi, lequel vous trouverez à la fin de ce Chapitre, qu’il faut pratiquer aux Chevaux qui sont gueris de la forbure, ausquels il est resté des douleurs dans les pieds qui les empéchent de marcher ferme & à leur aise ; en un mot, qui ont les pieds douloureux de la forbure.

Un bon remede à cette sorte d’infirmité est de barrer les veines dans les pâturons, d’abord qu’on s’apperçoit que le mal est tombé dans les pieds, mais il faut le faire avant que les croissans soient formez, & il facilitera la guerison.

Je donneray icy un conseil, dont peu de personnes se voudront servir, sçavoir que la fourbure estant une fois tombée sur les pieds, quoy que les sabots n’ayent pay esté dessoudez, on gagne assez de donner ces Chevaux s’ils sont de bas prix, à qui CHAP.
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en voudra, car ils coûteront plus qu’ils ne vaudront jamais, si on veut les mettre en estat de pouvoir servir ailleurs qu’au labourage.

Le Cheval tout à fait fourbu ne peut cheminer ny reculer, il ne peut qu’à grande peine mouvoir les jambes, il n’ose appuyer les pieds à terre, il ne veut point ou peu manger, la peau est fort attachée au corps, il est triste, & souvent tous ces accidens sont accompagnez d’un grand battement de cœur & de flanc, qui est une courbature.

Il y a des Chevaux seulement fourbus du train de devant, mais le mal est grand s’ils le sont des quatre jambes.

Remedes pour la Fourbure.

Dans la Fourbure il faut empêcher que les humeurs qui sont répandues dans les nerfs des jambes, ne retombent sur les pieds, parce qu’elles les dessoudent, ou font des croissans, ou rendent les pieds foibles pour toujours, & peut estre estropiés. Les Mareschaux prétendent empescher cette chutte d’humeurs sur les pieds par des jarretieres, c’est à dire liant estroittement les jambes au dessus des genoux, & des jarrets avec du ruban de fil qu’ils serrent bien fort, ils appellent cette operation jarreter un Cheval, qui est un des plus grands abus & une invention si fort contre la raison & le bon sens, que les plus habiles Mareschaux en ont quitté l’usage. Par cette ligature on attire plus puissamment l’humeur sur les jambes, car on lie le bras à un homme au dessus du coude, quand on veut luy tirer du sang, & cela pour faire enfler la veine, & mesme le bras enfle, lors qu’on serre beaucoup la ligature ; la mesme chose arrive aux jambes des chevaux jarretez : De plus on cause grande douleur par ces jarretieres ; Il n’y en a que trop sans en causer davantage. En cet estat les Maréchaux font promener les Chevaux, qui est encore une absurdité tres-grande de faire marcher à force de coups un pauvre Cheval, qui souffre une grande douleur capable de le rendre fourbu s’il ne l’estoit pas, & de plus avec des jarretieres, cela est contre le bon sens.

Mais il faut saigner le Cheval du col d’abord qu’on apperçoit la fourbure, recevoir son sang dans une terrine, y mêler chopine d’eau de vie & de cela charger & bien frotter les jambes jusques au dessus du genoüil & du jarret, luy fondre dans les pieds de l’huile de laurier toute bouillante, de la filasse & des eclisses pour tenir le tout & mesme en mettre autour de la couronne Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/469 Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/470 Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/471 Page:Solleysel - Parfait mareschal - 5è éd., 1680 - tome 1.djvu/472 CHAP.
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finir de mesme par un lavement un heure apres la derniere prise, apres quoy on laisse le Cheval bridé une couple d’heures, en le debridant il est presque toujours gueri quand on a pris le mal dans son commencement, on luy donne du son moüillé cinq ou six jours sans avoine, on le promene en main une heure tous les jours ; & finallement on s’en sert comme au paravant. Que s’il n’est pas guery, s’il y a seulement de l’amendement, le lendemain il luy en faut donner encor trois prises & finir par le lavement comme cy-devant.

J’ay veu un Cheval qui fut dangereusement malade d’un vertigo qui en guerit pour avoir esté bien sollicité, le mal se jetta sur les reins & sur les hanches, comme s’il avoit eu le mal que je viens de décrire ; car il cheminoit comme un Cheval qui a les reins rompus & les boulets luy touchoient jusqu’à terre. Le Mareschal qui l’avoit traitté du vertigo, le croyant ereinté, c’est à dire que se relevant à l’écurie il s’estoit rompu les reins, luy mit le feu sur les reins, perça le cuir avec des pointes de feu sur tous les reins, un cerouenne par dessus, le suspendit, & le laissa en cet estat jusqu’à ce que les escarres fussent tombées, en l’ostant de la soupante, il n’y trouva aucun amandement : on me le fit voir, je luy fis tirer du sang & prendre trois prises de pilulles puantes ; mais le tout inutilement : car le Cheval fut perdu & demeura dans l’écurie plus d’un an, apres quoy il fallut l’assommer estant incapable de rendre le moindre service, peut-estre que si aussi-tost qu’on s’apperceut que le mal le tenoit aux reins, & au train de derriere, on l’eust traitté avec les pilulles puantes, il seroit guery, je ne l’assureray pas, mais il y a quelque apparence.

Enfin ce mal est de grande consequence, & si le mal est envielly il ne guerit jamais, le plus seur à cela est de le traitter tout d’abord qu’on s’en apperçoit, & on les échape presque tous.