Paris : Louis-Michaud (p. 37-38).

TRAITÉ COMME UN CHIEN

Expression qui circulait dans la société aux premières années de la révolution, et dont voici l’origine.



Sous l’ancien régime, les pensions sur le trésor qu’on appelait royal, montaient à plus de cent millions. Observez que celles accordées aux anciens sujets de l’Académie royale de musique s’élevaient à plus de deux cent soixante-dix-huit mille livres ; observez qu’on en donnait une de six mille livres au coiffeur de Mademoiselle d’Artois, qui, morte avant trois ans, n’avait point de cheveux ; mais observez aussi, que le gouvernement devenait économe dans certaines circonstances. Par exemple, le brave Aude, qui avait fait prisonnier le général Ligonier à la bataille de Laufeld, et qui avait contribué à la victoire ; hé bien ! le trésor royal lui accorde une pension de deux cents livres. Par économie cependant, on a eu soin, au moyen des retenus de la réduire à cent quatre-vingt-huit livres trois sols, qu’on a enfin totalement oublié de lui payer. Voici un trait, soit dit en passant, qui prouve que, sous l’ancien régime, nos braves soldats étaient traités avec beaucoup moins d’humanité que les chiens de sa majesté. Prenez le compte rendu en 1788, par le calotin de Brienne[1], et vous y lirez : « Pour la nourriture des chiens de sa majesté, à raison de huits sols, six deniers par jour, pour chaque chien : quarante mille livres. Pour la remonte desdits chiens, par an : dix mille livres. » Or la paye du soldat remontait, tout au plus, à six sols par jour ; donc les chiens de sa majesté étaient mieux traités que les soldats qui versaient leur sang pour défendre, ce qu’elle appelait ses droits. Il n’y a pas un militaire qui n’ait pu dire qu’il voudrait bien être traité comme un chien.

  1. Cardinal de Loménie.