Paris : Louis-Michaud (p. 256-259).


ROBES, AJUSTEMENTS



Les jolies femmes et les Déesses du jour continuent à balayer les rues boueuses de la capitale avec leurs robes traînantes et transparentes.

Le ciel serein de la Grèce, l’égale et douce température de son climat, la netteté des rues de ses villes opulentes, justifiaient la forme et le port des robes athéniennes ; mais à Paris, ville de boue et de fumée, l’hiver surtout, de pareilles robes ne peuvent paraître que ridicules aux esprits sensés.

Les grandes dames commencent à dédaigner les châles dont se parent à leur tour nos sémillantes plébéiennes. Un corset de poupée étroit et guindé le remplace, et accuse leur taille naguère invisible.

Pas une petite maîtresse, pas une grisette qui ne se décore le dimanche d’une robe athénienne de linon, et qui n’en ramène sur le bras droit les plis pendants, pour se dessiner à l’antique ou du moins égaler Vénus aux belles fesses.

Les hommes portent l’habit carré dont la taille est d’une longueur démesurée : les basques reviennent sur les genoux, les culottes descendent jusqu’aux mollets, les souliers à la pointe du pied et minces comme une feuille de carton, la tête repose sur une cravate comme sur un coussin en forme de lavoir ; à d’autre elle leur ensevelit le menton.

Les cheveux sont ou hérissés ou séparés sur le front : les faces pendantes voltigent derrière les oreilles ; par derrière ils sont nattés. Plus de manchettes, ni de jabots : la manie du linge fin comme la batiste est universelle. Une aiguille d’or en forme d’étoile ou de papillon indique la finesse et la blancheur de la chemise.

L’individu costumé de la sorte, marche comme un Hercule, un bâton noueux à la main, et des lunettes sur le nez.

Nous avons perdu le droit de nous moquer des habits à larges basques et à longs parements de nos grand-pères. Les robes de gros-de-Tours de nos bisaïeules ont avec beaucoup de raison le mérite de l’antiquité, sur celles de leurs petites filles pincées comme les poupées grandeur de nature des marchandes de Polichinelles.


Ah ! quelle antiquité ! Oh ! quelle folie que la nouveauté !
Gravure de Châtaignier.

On les retrouve encore avec toute leur fraîcheur dans les boutiques des fripiers des piliers des Halles, dépôts précieux qui offrent à l’homme penseur et aux enfants sages de vrais modèles de simplicité, de sagesse, et d’économie domestique.

Ah ! quel homme sensible peut les voir sans gémir intérieurement, sans songer à la famine qui les fit vendre, lorsqu’elles devaient être la récompense ou la dot d’une fille sage et bien née.

Nous admirons au Bois de Boulogne la beauté fière et majestueuse des Calypso, des Eucharis modernes ; nous nous extasions à la vue de leurs ceintures, de leurs perruques, de leurs robes ouvertes et qui montrent une jambe d’une beauté accomplie ; nous justifions le luxe ou plutôt le faste de leurs parures : mais est-il une de ces beautés si rayonnantes qui ait fondé un lit dans un hôpital pour le malade indigent ?

De plus importants projets les occupent : un cupidon de marbre manque à leur boudoir.

Il faut le matin étudier le journal des dames, et les échantillons de la mode ; disserter avec un perruquier sur l’efficacité de l’eau de volupté, dont le propectus, distribué au jardin Égalité, apprend aux lecteurs qu’elle a la propriété d’empêcher les maris de devenir infidèles à leurs épouses après leurs couches.

À voir les incroyables et les merveilleuses dans leur bizarre accoutrement, on se demande si la toilette d’un Adonis est plus longue que celle d’une nymphe. L’on juge que la perte de temps est égale de part et d’autre : les merveilleux se parfument comme les femmes, et comme elles, ils ont autant de rubans à s’attacher, de rosettes à former.

La toilette de leurs coursiers est plus longue encore que la leur. Combien de fois le cheval de cette Amazone a du pied frappé la terre d’impatience sous les ciseaux de l’appareilleur !

Après ces singularités, il en est d’autres qui ne sont pas moins piquantes : je veux parler des chanteurs de carrefours.

Ils se perfectionnent : on s’aperçoit qu’ils fréquentent le Concert-Feydeau, et se règlent sur les meilleurs modèles. Celui du Port-au-blé surtout, l’Orphée des Limousines, après le soleil couchant roucoule déjà dans le genre de Garat, et ses auditeurs enchantés répètent à mi-voix ses délicieuses roucoulades.

Ceux des piliers des Halles ne sont pas tout à fait si fringants : il est vrai que leurs chansons se ressentent beaucoup de la liberté républicaine : elles expriment à présent le mot et la chose, au grand contentement des jeunes garçons et des jeunes filles qui les écoutent. Les auditeurs de ce pays-là ont les oreilles comme le gosier : elles veulent être écorchées.

Le ménétrier grince les dents avec un violon à trois cordes : son aide femelle en joue aussi ; elle tient l’archet de la main gauche, pour mieux démancher la droite.

Les aveugles des Quinze-Vingts n’ont plus seuls le privilège de faire jurer le violon sous l’archet et de nous secouer la tête avec la caisse militaire, les aveugles travailleurs les secondent avantageusement. Ces aveugles fameux, dont l’orchestre ambulant suivait, dans les beaux jours de Robespierre, le char de la Raison, jouent aujourd’hui des tragédies et des comédies. Ce tour de force n’est pas plus difficile à croire que la motion de ce certain aveugle, qui prétendait à la tribune des Jacobins, voir plus clair en finances, que tout le corps législatif.