Paris : Louis-Michaud (p. 254-255).

NOUVEAUX ATELIERS



La fille de Lepelletier-St-Fargeau, en se mariant avec un très riche Hollandais[1] reçut en présent de noce, devinez… douze perruques !

Ces perruques sont toujours sans poudre ; il est telle femme qui commande une perruque aussi souvent que des souliers, et qui en compte jusqu’à quarante dans sa garde-robe.

Pourquoi toutes ces perruques ? C’est que par elles l’on change chaque jour de physionomie ; c’est que l’on ne dépend plus d’un rare coiffeur, c’est que l’on offre à son amant un visage toujours nouveau, et qu’on lui cause quelquefois d’agréables surprises. On lui connaît, ou on lui soupçonne une maîtresse ; vite, l’on prend sa chevelure !

La calvitie est ce qui dépare le plus une femme ; elle doit en éviter soigneusement jusqu’à la moindre apparence.

Il y a donc maintenant des ateliers de perruques de femmes ; ils ont presque l’élégance des boudoirs ; un grain de poudre n’oserait s’y montrer ; vous y trouvez un assortiment complet de toutes les perruques de toutes les nuances, de toutes les formes, de toutes les dimensions, de toutes les longueurs.

Le perruquier au centre de ses glorieuses tignasses, serre artistement du bout du doigt la pointe d’une papillotte ; il ne permet pas à un cheveu indocile de s’écarter, il est aussi propre que ses autres confrères sont sales. On ne dirait pas qu’il fait des perruques mais plutôt qu’il les peint. Quelquefois il prend un violon, chante ses amours, et toutes les perruques qui l’environnent frémissent légèrement, et semblent applaudir à son goût et à la légèreté de sa main.

C’est par la facile et rapide métamorphose des cheveux, que Paris devient une galerie de peintures qui se renouvellent à chaque instant au gré des curieux, et qui offrent dans tous les genres l’assemblage des têtes les plus rares et les plus originales.

Orphise change trois fois d’aspect en un jour. Le matin, c’est une nymphe transparente dans sa robe de linon. Sa perruque a la forme conique d’une ruche : elle va déjeuner à la campagne ; c’est-à-dire à Passy.

À trois heures, elle brille de mille attraits ; son châle voltigeant, et de couleur rouge, la fait prendre pour un papillon aux ailes purpurines ; sa perruque à la Bérénice fixe tous les regards.

Le soir, quand le soleil est disparu, c’est Diane en robe retroussée qui marche à grands pas. Un croissant de diamants s’échappe du milieu de ses cheveux étrangers et parfaitement noirs, qu’un simple ruban assujettit en toque derrière la tête ; elle cherche à l’Opéra les regards d’un ambassadeur, d’un ministre, ou ceux d’un Grec ou d’un Turc : on dit presque tout haut en la voyant passer, qu’elle chasse la grosse bête.

J’entends de loin un cabriolet qui roule avec le fracas du tonnerre ; déjà le coursier aussi rapide que le désir impétueux qui le gouverne, m’humecte les épaules de son souffle. On hurle : gare ! je me retourne ; je vois dans le phaéton une Déesse coiffée en anneau de Saturne.

Les femmes roulant le cabriolet sont à moitié hommes ; le fouet en main, elles en affectent le maintien, la démarche et la voix ; mais c’est toujours la couleur de la perruque qui en règle le ton.

  1. Adoptée par la Convention après l’assassinat de son père, Suzanne Lepelletier de Saint-Fargeau épousa l’un des descendants des grands pensionnaires de Hollande, de Witt.