Paris : Louis-Michaud (p. 35-36).

AVILISSEMENT DU MONARQUE


On peut dire qu’en 1788, il y avait cinq à six rois en France. La reine était un roi, le gros Monsieur était un roi, tous se disputaient l’autorité du roi dans la nomination aux charges, aux places, aux emplois, aux bénéfices, aux traitements. Tous ces gens-là s’embarrassaient fort peu du roi et de la royauté. On pouvait en juger par leur conduite et leurs procédés et surtout par leurs propos. Je puis attester que Louis XVI était l’objet éternel de leurs railleries et de leur mépris. Les sarcasmes, le mensonge, et la calomnie sont des traits qu’ils maniaient avec une adresse qui leur était particulière ; et certainement ils ont pu se vanter que sous aucun règne on ne porta jamais le talent de l’épigramme contre la personne du prince à un plus haut degré de perfection.

Lorsqu’elle eut bien avili l’idole, cette poignée de ci-devant privilégiés bien sots, bien fripons, et bien arrogants pour la plupart s’imagina ou voulut faire croire que toutes les puissances de l’Europe devaient s’armer pour défendre leurs places, leurs charges, leurs bénéfices, leurs traitements et toutes leurs belles gratifications. Ils furent ébahis de ce que la France ne voulait plus être leur dupe.

Le gros Monsieur s’était mis à la tête d’une bande qui portait je ne sais plus quel cordon ; et tous ceux qui n’étaient pas de cette bande, devaient être regardés comme les plus vils faquins de l’univers.

Cette haute noblesse méprisait ouvertement le roi, et songeait à ressusciter l’antique gouvernement féodal. Louis XVI en fut averti, et c’est ce qui le fit pencher vers le parti populaire, et ce qui le détermina à la convocation des états généraux. Nous fûmes alors tellement enchevêtrés qu’amis et ennemis de la Révolution, chacun se trouva dans l’impuissance de reculer d’un pas sans le plus grand danger.

Tous ces importants privilégiés avaient leur empire à part ; ils furent depuis appelés aristocrates, et partout ils étaient en guerre ouverte et contre le peuple et contre le souverain dont ils se moquaient, qu’ils tourmentaient, qu’ils remontraient et qu’ils menaçaient même, quand tout n’allait pas à leur fantaisie. Ils avaient même projeté d’enlever le roi et de le faire prisonnier ; et ils se tuèrent de dire qu’il était prisonnier. Enfin lorsque les décrets de l’Assemblée nationale rendirent le roi seul puissant, ils publièrent dans leur libelle qu’on avait détruit et avili son autorité. Ces aristocrates sans pudeur n’eurent jamais d’autre roi, ni d’autre partie, que leur intérêt, leur orgueil et leur vanité.