Paris : Louis-Michaud (p. 192-195).

BONNET ROUGE



Étendard de perfection jacobinique ! ce ridicule ajustement fut adopté par une espèce d’imbécile représentant du peuple qui le tint constamment sur sa tête. Il essaya de parler un jour à la tribune, sans ôter son bonnet, le côté droit se fâcha ; il prit son bonnet rouge et le plaça sur le buste de Marat ; ce trait d’esprit lui avait été soufflé à l’oreille.


aux braves habitants des campagnes
RÉCEPTION DU DÉCRET DU 18 FLORÉAL
(Peint par Debucourt. Gravé par Legrand)
On voit, dans le jardin, l’arbre de liberté surmonté du bonnet rouge. Sur le mur, les gravures de la Liberté et de l’Égalité. Le paysan sur l’escalier agite le bonnet rouge orné de la cocarde tricolore.

Les égorgeurs qui, après avoir assassiné sous le nom de patriotes en 1793, avaient continué leurs crimes après Thermidor sous la bannière du royalisme, avaient voulu en faire la coiffure française ; on voulait bien du bonnet, signe de la liberté, mais non de sa couleur rouge, emblème de sang. Le bonnet fut hissé dans tous les spectacles, il couvrait toutes les têtes dans les comités révolutionnaires. Ce fut sous ce bonnet rouge que fut composée l’extravagante constitution de 1793. C’était le signal de l’anarchie, c’était le casque de Henriot, c’était le diadème de Chaumette ; le parti montagnard, sans trop l’admettre, sans trop le rejeter, aimait à voir que ses bourreaux s’en parassent, comme d’un ornement qui n’annonçait rien de gai.

Les femmes révolutionnaires, désignées sous le nom de furies de guillotine, parcoururent tout Paris coiffées de ce bonnet, et présentèrent une adresse pour offrir de monter la garde, de faire le service du canon, pendant que leurs maris iraient combattre les ennemis de la République. Cette extravagance fut applaudie avec enthousiasme par tous les porteurs de bonnets rouges.

Chabot[1], cet odieux capucin qui arriva un jour à la Convention dans le sale costume des sans-culottes, la poitrine débraillée, les jambes nues, en sabots, tenait honteusement le bonnet rouge à la main. Mais ce fut sous ses auspices que la Commune osa demander que la loi martiale fût abrogée, pour faire place à un système d’assassinat qui devait moissonner sans aucune distinction, le pauvre, le riche, tous ceux qui désiraient vivre d’après des principes de justice et de vertu, et réaliser le projet des deux cent cinquante mille têtes coupées du fameux Marat.

On fit de ce bonnet rouge une espèce de drapeau contre les fédéralistes. Le fédéralisme avait été une fable imaginée pour faire retomber sur la tête des députés détenus la responsabilité de tous les malheurs dont, à chaque instant, on apportait les nouvelles à la Convention. On vit une multitude de sections et de communes des environs de Paris défiler dans le sein de la Convention, tambour battant et criant : vivent les sans-culottes ! vive le bonnet rouge ! Ce fut à la suite de ces vociférations que le parti montagnard décréta que tous les députés arrêtés seraient transférés dans une maison nationale. Ils n’en sortirent que pour aller à la mort.

On vit un membre du conseil général révolutionnaire coucher avec le bonnet rouge, et insulter à qui ne le portait pas ; il se nommait Jacques Roux, prêtre, apostat, qui se chargea de conduire Louis XVI au supplice, à la place du bourreau, qui se contenta d’attendre sa victime à l’échafaud[2]. Il était encore plus féroce et plus incendiaire que ses collègues, tellement qu’il les effrayait eux-mêmes. Il déshonora le bonnet rouge ; peu à peu les plus forcenés rougirent de cet emblème ; il ne disparut point entièrement, mais on le mit aux trois couleurs.

  1. Après avoir été un des plus sanguinaires rédacteurs du Catéchisme des Sans-Culottes, fut accusé par Robespierre et guillotiné le 5 avril 1794.
  2. Jacques Roux, surnommé le Prédicateur des Sans-Culottes, condamné par le tribunal révolutionnaire, se poignarda dans la prison de Bicêtre.