Le mystère des Mille-Îles/Partie IV, Chapitre 5

Éditions Édouard Garand (p. 44-45).

— V —


Pour assurer la sécurité de la nuit, l’aviateur prit des dispositions semblables à celles de la veille.

Seulement, afin d’être prêt à toute éventualité, il décida de ne pas dormir.

Il fit coucher Renée et il s’étendit lui-même sur un fauteuil, dans la chambre de la jeune femme.

Les deux amis causèrent longuement de leur situation. Hughes s’efforçait de dissiper les inquiétudes de sa compagne, lui affirmant que, le lendemain soir, ils seraient en sûreté.

Vaincue par la fatigue et les émotions, Renée finit par sombrer dans le sommeil.

Hughes ne bougeait pas, de peur de l’éveiller.

Rien ne troublait le silence, si ce n’est le souffle léger de la dormeuse et le bruit des vagues battant les rochers de la côte.

L’immobilité, les ténèbres et la paix environnante engourdissaient Hughes, qui, au surplus, avait subi beaucoup de fatigue, depuis quarante-huit heures, sans prendre de repos appréciable.

Le sommeil le gagnait, malgré ses efforts pour se tenir éveillé.

Enfin, sa tête se pencha sur sa poitrine. Il était dans cet état de grand bien-être, qui n’est pas le sommeil complet, mais la somnolence, c’est-à-dire l’engourdissement des sens et des facultés intellectuelles, au cours duquel on perd la conscience du monde extérieur, mais en partie seulement. Les impressions venues du dehors ne parviennent à l’esprit qu’en traversant les brumes des songes et elles se confondent avec le rêve naissant pour former un mélange de réel et de fantastique que l’intelligence assoupie ne peut facilement dissocier.

Hughes s’était ainsi mis à rêver à son évasion prochaine : il la vivait en songe. Son subconscient lui suggérait donc les images que faisaient naître, d’un côté, sa grande préoccupation de l’heure et, de l’autre, les manifestations de la matière que percevait ses sens à demi engourdis, c’est-à-dire la respiration de Renée et le clapotis des vagues.

Il se voyait dans un yacht fuyant loin de l’île avec sa bien-aimée, vers la liberté, vers un endroit sûr.

La représentation était parfaite au dedans de lui ; il lui semblait ressentir le roulis de l’embarcation et, surtout, entendre le bruit du moteur.

Ce bruit devint même si distinct qu’il prit le pas sur les fantasmagories du rêve ; dans son état de demi-conscience, les sens reprenaient le dessus ; ils retrouvaient toute leur force de perception et, en même temps, ses facultés psychiques secouaient le voile du songe. En un mot, Hughes s’éveilla tout à fait.

Il s’aperçut alors que le bruit du moteur était réel. Comme la nuit précédente, un yacht s’approchait de l’île.

L’aviateur se dit que le moment de la bataille suprême était sans doute venu. L’agent de Jarvis avait dû aller chercher du renfort et il revenait pour mettre fin définitivement à la tentative d’évasion.

Prenant son revolver dans sa main, Hughes s’approcha de la fenêtre.

La lune jetait une lueur blafarde, mais assez vive pour permettre de distinguer plusieurs détails du paysage.

Le jeune homme put donc voir le yacht aborder, cinq hommes en descendre et se diriger vers le logis du gardien.

Après plusieurs minutes, ils reparurent, accompagnés de ce dernier et se dirigèrent vers la façade du château.

Hughes pensait qu’ils venaient donner l’assaut. Mais il était sans crainte. Toutes les portes étaient bien verrouillées et, avant que l’ennemi pût forcer la place, l’assiégé les tiendrait en respect par le feu de son arme.

Les six personnages s’arrêtèrent devant l’entrée principale. Longuement, ils examinèrent la maison, levèrent la tête vers la chambre de Renée et se concertèrent.

Hughes ne perdait pas un seul de leurs mouvements, persuadé qu’ils cherchaient le meilleur moyen d’attaquer.

Le gardien leur parlait avec animation, levant les bras au ciel et semblant admonester son fils.

Enfin, l’un des hommes se détacha du groupe et vint sonder la lourde porte.

Hughes crut l’instant arrivé. Cependant, il ne tira pas encore, attendant à la dernière extrémité pour avoir recours à ce moyen fatal.

Cette hésitation était justifiée, comme il le vit bientôt, car l’homme rejoignit ses compagnons et le conciliabule reprit.

Au grand étonnement de l’aviateur, les six tournèrent les talons, après quelques minutes et se dirigèrent vers la rive où tous, sauf le gardien, remontèrent dans le yacht et s’éloignèrent.

Pour quelle raison n’avaient-ils pas attaqué ? Quelles étaient leurs intentions ? Hughes se perdait en conjectures.

Il écouta l’embarcation s’éloigner. Mais le moteur ne se fit pas entendre longtemps, le bruit cessa bien avant que le yacht eût pu se rendre à la terre ferme, ce qui étonna fort notre héros. D’autant plus que le vrombissement ne recommença pas. Il ne pouvait donc s’agir d’une panne.

Il y avait là un autre mystère. Mais Hughes ne s’y arrêta pas. Le danger immédiat était passé ; on aviserait à parer aux autres.

Hughes vint reprendre sa faction dans son fauteuil.

Renée ne s’était pas éveillée.