Le mystère des Mille-Îles/Partie II, Chapitre 1

Éditions Édouard Garand (p. 19-20).

DEUXIÈME PARTIE

— I —


Le dîner fini, on revint sur le pont et le groupe qui nous intéresse retrouva vacante la place qu’il occupait dans la journée à l’avant du Triton. D’ailleurs, le pont était presque désert. Trop superficiels pour maintenir leur admiration plus de quelques heures, la plupart des touristes négligeaient l’admirable spectacle de la nuit sur l’eau pour revenir à des occupations qui leur étaient plus familières : ils dansaient ou jouaient le bridge à l’intérieur.

La nuit était venue tout à fait. Elle était d’une douceur incomparable. Dans le silence, bourdonnait indistinctement la vie assoupie. On devinait tous les bruits à peine perceptible, dont…


Le crépuscule compose en rêvant
Le plus merveilleux morceau d’ouverture
Orchestré par le soir, la distance et le vent…


La lune répandait partout une clarté laiteuse qui s’argentait en s’accrochant à la crête des vagues. Mais cette lumière diffuse respectait de grands pans d’arbres aux abords des îles et cela composait comme une symphonie de gris allant de l’argent au noir le plus sombre.

On se recueillait, comme à l’un de ces moments où la vie est bonne. C’était bien l’heure exquise.

Aussi, pendant qu’on allumait les cigarettes ou les cigares, Yolande ne put-elle s’empêcher de murmurer les strophes de Verlaine :


La lune blanche
Luit dans les bois ;
De chaque branche
Part une voix
Sous la ramée…

Ô bien-aimée.

L’étang reflète,
Profond miroir,
La silhouette
Du saule noir
Où le vent pleure…

Rêvons : c’est l’heure.

Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l’astre irise…

C’est l’heure exquise.


On s’installa enfin commodément et M. Legault s’écria :

— Mon conte ! je veux mon conte !

Paul Aubin répondit :

— Je l’ai promis ; je vais m’exécuter. Mais, de nouveau, je tiens à vous prévenir que mon histoire n’a pas le même intérêt sentimental que les deux qu’on nous a racontées cet après-midi. Elle est beaucoup plus mouvementée ; les événements s’y précipitent, tous plus sensationnels les uns que les autres. C’est pourquoi, j’espère qu’elle ne vous ennuiera pas. Au surplus, soyez assurés que je ne rapporterai pas un fait dont je ne puisse me porter garant. Je ne parle pas de ouï-dire, mais d’aventure dont j’ai très bien connu les acteurs. En effet, le héros de mon récit est l’un de mes meilleurs amis. J’ai été élevé, j’ai fait mes études et puis la guerre avec lui. Quant à l’héroïne, je l’ai connue à la suite des incidents que je vais relater. C’est d’eux-mêmes que je tiens ce récit. Par conséquent, tout est véridique.