XXI

Après la prise de Louisbourg, les Anglais jetèrent les yeux sur Québec, le boulevard du Canada. Un corps de dix mille hommes fut placé sous le commandement du général Wolfe, jeune et brave officier qui s’était déjà distingué au siège de Louisbourg.

Des vaisseaux d’Europe confirmèrent aussi la rumeur qu’une escadre anglaise était en route pour les côtes du Canada, et le 23 mai on la vit vis-à-vis le Bic, remontant le fleuve. Ce n’était là toutefois que l’avant-garde, commandée par l’amiral Durell, qui avait été envoyée de Louisbourg pour intercepter tous convois venant de France. Une flotte considérable, sous le commandement de l’amiral Saunders, avait fait voile d’Angleterre dans le mois de janvier, avec ordre de transporter le général Wolfe et son armée, de Louisbourg où il était alors, à Québec.

Ils remontèrent le St-Laurent et arrivèrent à l’île d’Orléans le 25 de juin, sans le moindre accident, malgré les nombreux périls et les difficultés multipliées qui accompagnaient alors la navigation du fleuve. Cette bonne fortune était due en partie à la trahison du commandant d’une frégate française, Denis de Vitré, fait prisonnier par les Anglais pendant la guerre, et qui les avait conduits en sûreté à Québec, lieu de sa naissance. Il fut récompensé de cet acte infâme par une commission dans l’armée anglaise.

L’amiral Saunders fit faire une exploration attentive de la rade et du port de Québec, et le capitaine Cook, qui s’est ensuite immortalisé par ses fameux voyages et ses grandes découvertes, fut employé dans cet examen. Il est digne de remarque que deux des plus grands et des premiers navigateurs qui firent le tour du globe, le capitaine Cook et le colonel de Bougainville, étaient alors sous les murs de Québec.

Peu de temps après le débarquement des troupes, de Montcalm profitant d’une nuit orageuse, prépara sept brûlots et les envoya à minuit parmi les vaisseaux anglais groupés près de l’île. Ayant pris feu trop tôt, et le sang-froid de l’amiral anglais et de ses matelots aidant, les bateaux incendiaires furent poussés à terre, où ils se consumèrent jusqu’à la ligne de flottaison, sans faire aucun mal. Un mois après, on fit une autre tentative du même genre, mais avec aussi peu de succès.

De Montcalm avait placé à la Pointe-Lévi un corps de soldats avec quelques pièces de canon ; mais ils furent bientôt obligés de se retirer, et les Anglais, sous le commandement du général Monckton, s’emparèrent de ce poste. Quinze cents hommes de troupes françaises furent envoyés de l’autre côté de la rivière pour prendre et détruire ces ouvrages, mais ils ne purent rien faire et furent forcés de retraiter dans la plus grande confusion. La même nuit les batteries de la Pointe-Lévi ouvrirent le feu sur Québec, et en peu de temps toute la basse ville ne fut plus qu’un monceau de ruines. Parmi les beaux édifices qui furent détruits, étaient la cathédrale avec ses ornements et ses peintures. Les canons des remparts étaient parfaitement inutiles, car à cause de la largeur de la rivière, qui a plus d’un mille, ils ne pouvaient atteindre les batteries anglaises, doublement protégées par les arbres et les broussailles au milieu desquels elles se trouvaient placées.

Ayant détruit la ville, le général Wolfe se mit à dévaster les campagnes environnantes. Toutes les paroisses depuis Montmorency jusqu’au cap Tourmente, sur la rive gauche du St-Laurent, furent ravagées et détruites. Celles de la Malbaie, de St-Paul et l’île d’Orléans, et aussi toutes celles situées sur la rive droite, depuis Berthier jusqu’à la Rivière-du-Loup, en bas de Québec, comprenant les paroisses de la Pointe-Lévi, St-Nicolas et Ste-Croix, partagèrent le même sort. D’après un journal de l’expédition, publié dans le New-York Mercury en 1759, près de 1400 belles fermes furent brûlées ou détruites à cette époque, de sorte que pour citer les paroles de l’écrivain, « l’on estimait qu’il faudrait plus d’un demi-siècle pour réparer tous ces dommages. »

Dans le mois de juillet, Wolfe fit un effort désespéré pour rompre les lignes françaises près de Montmorency ; mais il fut repoussé avec une perte de 500 hommes, parmi lesquels il y avait plusieurs braves officiers. Il essaya alors de communiquer avec le général Amherst par le lac Champlain, mais sans succès. Ces revers affectèrent tellement le jeune officier, qu’ils lui causèrent une sérieuse maladie qui le conduisit presque aux portes du tombeau. Heureusement, toutefois, pour l’honneur de la cause anglaise, il revint à la santé et aussitôt qu’il fut capable de vaquer à ses devoirs, il envoya une longue dépêche au gouvernement impérial, décrivant les nombreuses difficultés et les obstacles inattendus qu’il avait rencontrés, et le découragement qu’il ressentait de l’inutilité de ses efforts. Cette lettre, dont chaque ligne respirait la vaillance du cœur et le dévouement de l’écrivain à son roi et à son pays, tut bien reçue en Angleterre, et excita plus de sympathie pour ses regrets que d’irritation pour ses revers.

Wolfe tint alors un conseil de guerre avec ses lieutenants-généraux Monckton, Towns-hend et Murray, trois jeunes gens de talent, de courage et d’illustre naissance. Ils furent d’avis qu’un corps suffisant devrait être laissé à la Pointe-Lévi, tandis que l’armée traverserait la rivière, et tâcherait de s’emparer des hauteurs d’Abraham par surprise, et ainsi forcer les Français à quitter la position qu’ils occupaient. Assiéger la basse ville aurait été une entreprise pleine de dangers ; car, quoique les vaisseaux de guerre eussent pu détruire ses batteries, néanmoins les fortifications de la citadelle n’auraient nullement souffert, et auraient par conséquent dirigé un feu meurtrier sur les assaillants.

Pendant ce temps, Montcalm échelonnait ses troupes de Québec à Jacques-Cartier, afin de protéger la gauche du St-Laurent. Les dernières nouvelles des lacs Champlain et Ontario étaient loin d’être favorables au commandant français. M. de Bourlamaque avait été obligé de retraiter sur l’île aux Noix, après avoir fait sauter les forts Carillon et Frédéric ; car le général Amherst s’avancait vers lui avec 12,000 hommes. Le fort Niagara avait été pris par le général anglais Prideaux, et les Français avaient été forcés de se retirer à la Présentation, en bas du lac Ontario.

Le général Wolfe avait été informé par deux déserteurs français, que pendant la nuit du 12, un convoi de provisions descendrait par eau à Québec, la route des Trois-Rivières par terre étant trop longue et trop fatigante. Il résolut de profiter de cette circonstance.

Les déserteurs avaient communiqué le mot d’ordre que les bateaux devaient donner aux sentinelles placées sur le bord du fleuve ; et pour mettre le comble au danger qui menaçait les Français, de Montcalm avait rappelé le soir précédent, sans en notifier le gouverneur, le bataillon que celui-ci avait envoyé sur les hauteurs de Québec, deux jours auparavant.

Le 13 septembre donc, à une heure du matin, l’obscurité étant encore profonde, un corps de troupes embarqua dans des bateaux plats et se laissa descendre en silence par la marée jusqu’au Foulon. Des officiers connaissant la langue française, avaient été choisis pour répondre aux qui vive ! des gardes à terre ; et quand ils furent interrogés par celles-ci, ils répondirent imperturbablement :

— Pas de bruit, c’est le convoi.

Favorisés par l’obscurité, ils purent passer et l’amiral Holmes les suivit à un quart de mille de distance avec le reste des troupes. Au jour, l’armée anglaise était rangée en bataille sur les plaines d’Abraham.

Quand le général de Montcalm, à six heures du matin, apprit cette nouvelle inattendue, il refusa presque d’y croire ; mais il se rendit immédiatement sur les lieux avec 4,500 hommes, laissant le reste de son armée au camp. En arrivant en face de l’ennemi, il résolut aussitôt de hasarder la bataille, et à 9 heures, le 13 septembre, il s’avança à la rencontre des Anglais, ses soldats faisant un feu nourri mais irrégulier.

Le général Wolfe, qui s’exposait toujours bravement là où la mêlée était la plus épaisse, fut bientôt blessé au poignet, mais il n’en continua pas moins de charger l’ennemi à la tête de ses grenadiers, qui avaient la baïonnette au bout du fusil. Il ne s’était avancé que quelques pas, quand une balle lui traversa la poitrine, et il tomba justement au moment où les Français, dont une partie n’avaient pas de baïonnettes, commençaient à plier devant l’ennemi.

Wolfe fut porté en arrière et l’un de ses officiers apercevant les ennemis qui fuyaient, s’écria :

— Ils fuient ! ils fuient !

— Qui fuit ? demanda le guerrier mourant, dont la figure abattue par la souffrance se couvrit d’une animation subite.

— Les Français, répondit-on.

— Quoi ? déjà ! alors je meurs content ! et, un instant après, le jeune héros rendit le dernier soupir.

Le général Montcalm, qui avait reçu deux graves blessures, fit tout en son pouvoir pour rallier ses troupes qui fuyaient de tous côtés, afin de les faire retraiter en bon ordre, quand une balle le frappa et il tomba de son cheval mortellement blessé.

Le lendemain matin, il mourut au château St-Louis à Québec, après avoir reçu tous les secours de la religion avec le calme plein de foi et d’humble tranquillité d’un héros chrétien. Il fut enterré dans la chapelle des Ursulines, dans une fosse creusée par une bombe.

On rapporte que quand sa principale blessure fut pansée, il demanda à ses médecins si elle était mortelle, et combien de temps il lui restait encore à vivre.

— Pas plus de douze heures, lui répondit-on, et peut-être moins.

— Tant mieux, je ne verrai pas la prise de Québec, reprit-il avec calme.

Les brigadiers Sennezergues et St-Ours, aussi mortellement blessés, tombèrent entre les mains des vainqueurs et moururent peu de temps après. Cette nuit-là même l’armée française, sous le commandement de M. de Vaudreuil, commença à retraiter vers la Pointe-aux-Trembles et Jacques Cartier, où elle attendit l’arrivée de l’intrépide chevalier de Lévis.

C’était l’intention de ce dernier d’attaquer les Anglais dans leurs propres retranchements, et il avait déjà commencé à s’avancer vers Lorette, quand il apprit au Cap-Rouge la capitulation de Québec. Quoique les termes en fussent excessivement favorables, il fut très mortifié et il exprima son indignation dans les termes les plus violents. Le mal, toutefois, était sans remède ; aussi se rendit-il en toute hâte à la rivière Jacques-Cartier, sur la rive droite de laquelle il fit élever un fort, et il y laissa six cents hommes sous le commandement du major Dumas.

Tel fut le résultat de la première bataille des plaines d’Abraham, bataille qui décida du sort d’un pays presque aussi grand que la moitié de l’Europe.