Le lapin, le chien et le chasseur

Texte établi par Tancrède MartelAlbert Savine (Tome 1p. 47-48).

I

LE LAPIN, LE CHIEN ET LE CHASSEUR


Fable[1]


César, chien d’arrêt renommé,
Mais trop enflé de son mérite,
Tenait arrêté dans son gîte
Un malheureux lapin de peur inanimé :
« Rends-toi, » lui cria-t-il d’une voix de tonnerre,
Qui fit au loin trembler les habitants des bois ;
« Je suis César connu par ses exploits,
Et dont le nom remplit toute la terre. »
A ce grand nom, Jeannot lapin,
Recommandant à Dieu son âme pénitente,
Demande d’une voix tremblante :
« Très sérénissime mâtin,
Si je me rends quel sera mon destin ?

— Tu mourras. — Je mourrai, » dit la bête innocente.
« Et si je fuis ? — Ton trépas est certain.
— Quoi ! » reprit l’animal qui se nourrit de thym,
« Des deux côtés, je dois perdre la vie !
Que votre illustre Seigneurie
Veuille me pardonner, puisqu’il me faut mourir,
Si j’ose tenter de m’enfuir. »
Il dit, et fuit en héros de garenne.
Caton l’aurait blâmé, je dis qu’il n’eut pas tort ;
Car le chasseur le voit à peine
Qu’il l’ajuste, le tire… et le chien tombe mort.

Que dirait de ceci notre bon La Fontaine ?
Aide-toi, le ciel t’aidera.
J’approuve fort cette morale-là[2].

  1. Composée à Valence en 1786 par le lieutenant Bonaparte, probablement à la demande de mademoiselle du Colombier. Publiée en 1826.
  2. Paul L. Lacroix (bibliophile Jacob) rappelle, dans ses Œuvres littéraires et politiques de Napoléon (Delloye, éditeur, 1840), que l’original de cette fable existait dans les autographes du cabinet de M. le comte de Weimars.