Le fratricide/Malédiction

Eusèbe Sénécal & Fils (p. 17-82).

PREMIÈRE PARTIE.


MALÉDICTION.


I


En 18…, Beauharnois n’était pas ville, c’était même, une bien petite paroisse.

Quelques maisons seulement, bordaient le chemin qu’on nomme aujourd’hui, rue St-Laurent.

Et ces maisons étaient loin d’être aussi belles, aussi confortables, que celles qui existent actuellement.

On n’y voyait pas de grands hôtels, ni de grands magasins.

En 18…, un grand hôtel serait resté sans pensionnaires et les gros marchands d’aujourd’hui, auraient vu leurs marchandises moisir sur les tablettes.

C’est que la population d’alors était moins considérable qu’elle ne l’est à présent et que les moyens de communication avec Montréal et ailleurs, qui amènent en cette ville un grand nombre de touristes et de voyageurs, n’existaient pas dans le temps.

Beauharnois ne recevait alors, que la visite des gens qui travaillaient dans les chantiers d’Ottawa et qui s’arrêtaient souvent, en cet endroit, pour se procurer des provisions et de la boisson.

Au nombre des quelques habitants qui vivaient à Beauharnois en 18…, se trouvaient deux bons et braves cultivateurs : l’un se nommait Jean Julien, l’autre, Alexis Gendron.

Jean Julien pouvait avoir une cinquantaine d’années. Il était marié depuis vingt-cinq ans, environ. Son épouse Fanchine Marchand avait bien quarante-cinq ans. C’était un modèle de femme par sa propreté et son activité.

Alexis Gendron, lui, avait cinquante-quatre ans.

Il avait épousé, à l’âge de vingt-sept ans, Arthémise Lefebvre, jeune fille qui comptait trois ou quatre ans de moins que lui.

Nos deux braves amis avaient chacun plusieurs enfants.

Julien deux garçons et six filles.

L’ainé des garçons se nommait Pierre et le second Arthur.

Pierre Julien fils de Jean était âgé de vingt-deux à vingt-trois ans, au moment où commence notre récit.

C’était un assez joli garçon.

Grand, gros, bien fait, c’était le type du beau cultivateur.

Naturellement, comme il n’y avait pas d’école, Pierre n’apprit jamais à lire ni à écrire.

Quand vint le temps de faire sa première communion, son père l’envoya au catéchisme qui se faisait à l’église et ce fut le curé qui le prépara à cet acte, le plus grand, le plus solennel de la vie.

L’enfance de Pierre Julien, fut à peu près, comme celle de tous les autres garçons.

Son père s’apercevait cependant qu’il avait un mauvais caractère.

Il était violent, entêté, et surtout vindicatif.

Si quelqu’un avait le malheur de lui déplaire, il ne lui pardonnait jamais et cherchait l’occasion de se venger.

La vengeance, il n’avait que cela dans la tête.

Le curé disait au père Julien, que s’il n’y prenait garde, son fils Pierre pourrait bien mal tourner.

Et le pauvre Jean Julien, qui était un brave homme fini, cherchait par tous les moyens possibles à bien élever son fils, afin de lui faire perdre tous ses mauvais penchants, mais toujours sans résultat.

Arthur avait deux ou trois ans de moins que son frère Pierre.

Autant Pierre était violent, entêté, autant Arthur était doux et affable.

Pierre ne pardonnait jamais.

Arthur trouvait toujours des raisons pour excuser ceux qui lui faisaient du mal.

Aussi, dans Beauharnois, préférait-on, dix fois, Arthur à Pierre.

Tous deux travaillaient sur la terre de leur père.

Gendron n’avait qu’une fille et deux garçons. La fille de Gendron, Alexina, était à peu près de l’âge d’Arthur Julien ; peut-être avait-elle quelques mois de moins.

C’était une jolie fillette.

Elle était grande, et avait une taille comme on n’en voit pas beaucoup, chez les filles des grandes villes.

Elle avait des beaux cheveux blonds et de jolis yeux bleus.



II


Alexina avait un grand nombre de prétendants, de cavaliers pour parler en bon Canadien.

Les garçons de Gendron, Joachim, et François, avaient de nombreux amis.

Or, plusieurs de ces amis, ne venaient pas à la maison pour le simple plaisir de jaser avec Joachim, ou François.

Ils faisaient les yeux doux à Alexina, et comme la jeune fille était polie, aimable, elle faisait belle façon aux amis de ses frères, et avait une bonne parole, un sourire pour chacun d’eux.

Aussi, — vous savez que l’amour aveugle, — chacun de ces jeunes gens se comptait bien certain que s’il demandait Alexina Gendron en mariage, il serait accepté sur le champ.

Au nombre des jeunes gens qui visitaient la famille Gendron, se trouvaient Pierre et Arthur Julien.

Pierre surtout ne passait pas une journée, sans aller chez Gendron.

Il parlait souvent, très-souvent même à Alexina, qui paraissait ne pas trop aimer sa présence.

Arthur y allait moins souvent et parlait peu à la jeune fille.

Quand celle-ci lui adressait la parole, il rougissait et paraissait éviter de s’entretenir avec elle.

J’oserais dire, cependant, que la jeune fille, ne détestait pas Arthur Julien, jusqu’au point de s’en confesser.

Et ce qui me fait parler de la sorte, c’est que chaque fois que ce dernier arrivait dans la maison, on pouvait voir les joues de la jolie fille, se couvrir d’une rougeur subite.

Était-elle occupée, que de suite elle laissait son ouvrage et venait prendre part à la conversation.

Je dois dire, cependant, que personne ne paraissait croire qu’Alexina put aimer Arthur Julien.

Arthur croyait même, que la jeune fille aimait Pierre.

Curieuse idée ; mais cela peut arriver.

De son côté Alexina s’imaginait que si Arthur évitait de lui parler, c’était parce qu’il ne l’aimait pas.

Alexis Gendron et Jean Julien se visitaient comme deux bons voisins doivent faire.

Un soir, Julien allait fumer la pipe chez Alexis Gendron ; le soir suivant, c’était le tour de Gendron à se rendre chez Julien.

Tout en fumant on causait.

C’était surtout l’hiver qu’avait lieu ces réunions, parce qu’en été on ne finissait les travaux que vers huit ou neuf heures.

Or, un bon soir, on en vint à parler des enfants.

— Sais-tu, disait Jean Julien, que ta fille ferait une fameuse femme de ménage. Bonne, propre, travaillante, rien ne lui manque pour faire une femme accomplie.

— Oui, je le crois, dit Gendron, fier d’entendre faire de si beaux compliments à son enfant.

— Et, sais-tu continua Julien, que mon Pierre et ton Alexina feraient un beau couple. Ils s’aiment, pourquoi ne les marierions-nous pas ?

— Écoute, Jean, ce n’est pas pour te faire de la peine, mais il m’en coûterait bien gros de donner ma fille à Pierre. Je ne sais pas si Alexina l’aime, ni si lui a de l’amour pour ma fille, mais son caractère et sa conduite ne sont point propres à me le faire désirer pour gendre.

Nous devons dire, ici qu’Alexis Gendron, avait raison de ne pas désirer Pierre Julien pour son gendre. Outre son mauvais caractère, Pierre Julien avait une conduite qui était loin d’être exemplaire.

C’était un ivrogne de première qualité.

Il passait la plus forte partie de ses nuits, dans les buvettes, à boire et à fêter avec ses amis.

On comprendra qu’avec son mauvais caractère, le vice infâme de l’ivrognerie pouvait le conduire très loin.

Il était donc tout naturel que Gendron, qui connaissait les défauts de Pierre, n’aimât pas à l’avoir pour gendre.

Cependant, ne désirant donner à son voisin Julien, aucune réponse définitive, avant de s’être assuré si Alexina aimait Pierre, il lui dit qu’il consulterait sa fille et qu’il répondrait ensuite à la demande de son ami.

Gendron en arrivant chez lui, ce soir là, était quelque peu ému.

Il l’aimait bien sa chère Alexina, il l’aimait de cet amour qu’a tout bon père ; amour secret, caché, mais qui n’est pas le moins fort.

Et il craignait que sa fille n’aimât ce misérable Pierre.

Rendu chez lui, il parla à sa femme de la demande qui lui avait été faite.

La mère Gendron, ne connaissant pas tous les défauts de Pierre, trouva qu’un mariage entre ce dernier et Alexina, serait tout à fait convenable.

L’idée de voir son épouse parler de la sorte, effraya davantage le père Gendron.

Il ne dormit pas de la nuit.

De bonne heure le matin il était debout.

Alexina qui, comme je l’ai déjà dit, était une jeune fille travaillante se leva quelques instants après son père.

Gendron était assis auprès du poêle qu’il venait de remplir de bon bois et qui jetat en ce moment une bienfaisante chaleur.

Alexina, vint s’asseoir à côté de lui.

Après s’être souhaité réciproquement le bonjour, chacun garda le silence pendant quelques instants.

Enfin Gendron se décida à parler.

— Ma petite fille, dit-il, j’ai quelque chose à t’apprendre qui te fera peut-être plaisir. Tu es demandée en mariage.

En attendant son père parler ainsi, la jeune fille sentit une subite rougeur lui monter à la figure.

Si c’était Arthur, pensa-t-elle ! Mais non, c’est impossible il ne m’aime pas.

Elle se remit aussitôt, cependant, de l’émotion bien excusable que lui avait causé les paroles de son père.

Alexis Gendron, continua :

— Depuis quelque temps, voilà bien, une douzaine de garçons qui me demande ta main. Je leur ai répondu, attendez. J’espérais, vois-tu, que tu finirais par te trahir, et me faire connaître qui tu aimais. Ainsi donc, je vais te nommer ceux que je crois en position de pouvoir te faire vivre, sans trop de misère. Tu me diras celui que tu préfères et tu l’auras pour mari.

Et le père Gendron se mit à nommer les jeunes gens qui lui avait demandé sa fille en mariage.

C’était tous des habitués de la maison, Alexina les connaissait donc parfaitement bien.

Il y avait Jules Montpetit, François Leduc, Pascal Marchand, Baptiste Lefebvre, etc.

Le dernier que Gendron nomma fut Pierre Julien.

La jeune fille écoutait ces noms en souriant, mais lorsqu’elle entendit le nom de Pierre Julien, elle ne put s’empêcher de faire une fameuse grimace.

Évidemment, Pierre n’était pas celui qu’Alexina préférait.

Eh ! bien, dit son père, lequel de ces jeunes gens aimes-tu le mieux ?

— Aucun.

— Aucun ? mais tu veux donc rester vieille fille ?

— Je resterai vieille fille, répliqua Alexina.

Mais en même temps elle pensait à Arthur Julien et elle se disait qu’elle ne détesterait pas de se marier, si ce garçon-là lui demandait de devenir sa femme.

— Écoute, petite, si tu n’aimes aucun de ces jeunes gens, reprit son père, il faut que tu en aimes un que je ne t’ai pas nommé.

— Cela se pourrait, dit la jeune fille en souriant.

— Et quel est celui-là demande le père Gendron, en regardant sa fille attentivement.

Il craignait d’entendre le nom de quelqu’un qu’il n’aimait pas.

— Mon Dieu, s’écria Alexina, ce n’est pas si facile à dire que vous le croyez.

— Aurais-tu honte, de celui que tu aimes ?

— Honte, oh ! non, mille fois non. Quand vous le connaîtrez, vous serez content de moi.

— Oui, mais en attendant je ne le connais pas. Est-ce un jeune homme qui a l’habitude de venir à la maison ?

— Oui, papa.

— Je les ai pourtant nommés tous.

— Excepté un.

— Allons, qui ça peut-être.

Et Alexis Gendron cherchait, finalement, le nom d’Arthur Julien lui vint à l’idée, et il se trouva tout surpris de voir qu’il n’y avait pas songé plus tôt.

— C’est Arthur s’écria-t-il en riant.

La jeune fille ne répondit rien.

— Eh ! bien, est-ce lui ? dit Gendron.

— Je crains qu’il ne m’aime pas.

— Qu’il ne t’aime pas, allons donc.

Il ne pouvait lui venir à l’idée qu’un garçon put ne pas aimer sa fille.

Ne dis rien Alexina, nous irons à tes noces, avant les semences.


III


Alexis Gendron était tellement content de voir que sa fille avait fait un si bon choix, qu’il ne crut pas devoir attendre au soir pour en parler à son voisin.

Et il avait raison d’être heureux du choix d’Alexina.

Arthur Julien pouvait être considéré pour le modèle des garçons de Beauharnois.

Il était sobre, honnête et travaillant ; ne sortait jamais, si ce n’est pour aller chez Gendron.

De fait son père ne pouvait rien lui reprocher.

Il était toujours le premier à l’ouvrage et le soir, quand tout le monde était rentré, il faisait le tour des bâtiments, pour voir si tout était dans l’ordre.

Si vous ajoutez à cela que mon ami Arthur était un assez joli garçon, vous comprendrez facilement, qu’il n’était pas à dédaigner.

Les deux voisins se rencontrèrent sur le chemin.

— Eh ! bien, Gendron, s’écrie Julien en apercevant ce dernier, quelle nouvelle ce matin ?

— De bien curieuses, Jean, répond Gendron, je vais te conter cela.

Et il se mit à lui raconter l’entrevue qu’il avait eue avec sa fille et ce qu’elle avait dit.

À mesure que Gendron parlait, la figure de Julien devenait de plus en plus sombre et lorsque le premier eut fini son récit, Julien ne put s’empêcher de soupirer longuement.

— Qu’as-tu donc, lui demanda Gendron ? ne serais-tu pas content du choix d’Alexina ?

— Oui, je suis content du choix de ta fille. Elle a pris le meilleur des deux et elle a eu raison. Mais…

— Pourquoi ce mais ?

— Je me demande, ce que va dire Pierre ; Tu me disais hier que tu ne l’aimerais pas pour ton gendre. Je suis loin de t’en blâmer. Tu donnais pour raison, son mauvais caractère, sa passion pour la boisson, mais tu ne le connais pas encore tel qu’il est. Lorsqu’il est ivre, il me fait peur tellement il est méchant.

— Et tu voulais que ma fille l’épousât ?

— Vois-tu, j’espérais qu’avec une bonne femme, il se corrigerait. J’avais tort de vouloir exposer Alexina à un malheur épouvantable.

Il y eut un long silence.

Ces deux hommes se connaissaient depuis leur enfance.

Gendron comprenait ce que son ami devait souffrir en ce moment.

— Que faire, disait Julien. Enfin, ta fille n’en veut pas, c’est entendu. Je lui parlerai ce soir et nous verrons. Quant à Arthur, je suis certain qu’il sera des plus heureux en apprenant cette nouvelle.

Et les deux amis se séparèrent en se disant : à bientôt la noce.

En se rendant chez lui, Julien rencontra son fils Arthur, qui revenait de l’étable.

Le brave homme pensa qu’il valait mieux annoncer la bonne nouvelle d’abord, puis d’attendre l’occasion de faire connaître la mauvaise.

Il s’approcha de son fils et commença à lui parler de choses et autres.

On en vint à la question du mariage.

— Sais-tu, Arthur, que te voilà d’âge à prendre femme ! N’y penses-tu pas un tout petit peu ?

— Me marier, répondit-Arthur, je ne suis pas en position de le faire.

— Et, pourquoi pas, reprit son père ?

— Avant de songer à prendre femme je m’établirai convenablement. Je me suis mis quelque argent de côté déjà, et avant longtemps je serai en état de m’acheter une terre.

— Hum ! dit Julien, en riant, monsieur se permet de ramasser de l’argent. Et combien as-tu, dans le moment.

— Trois cents piastres.

— Trois cents piastres ? Bigre c’est un bon montant cela ; ça prouve que tu sais ménager, et j’en suis heureux. Mais, voyons si tu avais une terre, trouverais-tu une jeune fille à ton goût ?

Le jeune homme ne savait que penser de l’interrogatoire que son père lui faisait subir. Il le regarda attentivement, pour voir s’il ne trouverait pas les raisons de toutes ces questions. Mais Julien avait en ce moment, un vrai visage de bois, quoiqu’il eut une fière envie de rire, en voyant la mine effarée de son fils.

Après quelques instants d’hésitations, il répondit :

— Ma foi, j’en trouverais bien une, si toutefois, elle voulait m’accepter.

— Et, le nom, s’il vous plaît, de cette jeune fille qui t’a tombé dans l’œil.

— Alexina Gendron.

Le père Julien fit un geste de surprise.

— Lui as-tu déjà parlé, demanda-t-il ?

— Jamais ; je n’ai pas osé, parce que je n’étais pas en position de la faire vivre.

— Eh ! bien, je vais faire une affaire, avec toi. Tu vas aller voir Alexina, tu vas lui parler, et si elle t’accepte, je te donne la somme qui te manque pour t’établir. Ça te va-t-il.

La joie qui apparut alors sur la figure d’Arthur, répondit amplement à la demande que lui faisait son père.

Ils entrèrent à la maison et le jeune homme se prépara à se rendre chez sa future.


IV


Si Julien avait demandé à Gendron de donner sa fille en mariage à Pierre, c’était parce que ce dernier l’avait prié de le faire.

Pierre se doutait bien un peu, qu’il n’était pas aimé d’Alexina, mais il n’aurait jamais cru que la jeune fille put refuser de devenir sa femme.

L’aimait-il réellement ?

Il était difficile d’en douter par sa manière d’agir.

Il cherchait toutes les occasions de lui parler.

Savait-il que la jeune fille se rendait, soit chez les voisins, soit à l’église, que de suite, il allait à sa rencontre afin de faire route avec elle.

Il avait essayé bien des fois de lui ouvrir son cœur en lui dévoilant tout l’amour qu’il avait pour elle, mais Alexina trouvait toujours moyen de changer le sujet de la conversation.

Il se doutait bien qu’elle ne l’aimait pas, mais il avait l’espérance qu’elle changerait et qu’elle finirait par se rendre à ses instances.

La réponse qu’il allait recevoir de son père, devait par conséquent le surprendre quelque peu.

Il était à peu près cinq heures du soir, lorsque Pierre arriva à la maison.

Il était allé à Chateauguay, faire une promenade chez les amis et revenait passablement gris.

Jean Julien se trouvait dans la grange, occupé à quelques travaux de réparation.

Pierre vint l’y trouver.

Quelle réponse, demanda-t-il à son père, en le voyant ?

Julien s’aperçut aux manières de son fils, qu’il était ivre, et il essaya de remettre à plus tard, la réponse qu’il était forcé de donner.

— Je suis occupé, dans le moment, répondit-il, rends toi à la maison ; j’irai t’y trouver dans la minute, et je te ferai connaître ce qu’Alexina a dit.

— C’est donc bien long, que vous ne puissiez pas me le dire de suite ? Est-ce que par hasard, elle ne voudrait pas de moi ? Si c’était le cas, dit-il en proférant des menaces, elle me le paierait cher.

Et il commença à s’emporter contre la jeune fille, contre son père, contre tout le monde.

Jean Julien chercha à le calmer, par toutes sortes de moyens, mais Pierre ne voulait pas entendre raison.

Finalement quand il fut certain que la jeune fille ne voulait pas de lui pour époux, il devint fou de colère.

Il dit que son père était la cause du refus d’Alexina ; que la jeune fille l’aimait et que si elle n’avait pas été influencée, elle l’aurait accepté avec plaisir.

Il criait, blasphêmait, écumait, en un mot, il était affreux à voir.

Son père désirant mettre fin, à cette scène épouvantable, empoigna Pierre par les épaules et le conduisit un peu brusquement à la maison, où il l’enferma dans une chambre, après l’avoir forcé de se coucher.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Pendant que cette scène se passait chez Julien, une autre beaucoup plus agréable avait lieu chez Gendron.

Le pauvre Arthur tremblait affreusement lorsqu’il partit chez lui pour aller parler à Alexina.

Son cœur battait bien fort.

Le jeune homme s’arrêta plusieurs fois, avant d’arriver à la demeure de Gendron.

Rendu à la porte, je crois bien qu’il resta cinq minutes avant d’entrer.

Alexina, était cachée près de la fenêtre et le regardait faire.

La joie rayonnait sur la figure de la jeune fille.

Elle n’ignorait pas le but de la visite d’Arthur et comprenait cette hésitation de la part du jeune homme ; aussi, en jouissait-elle.

Comme il m’aime, pensait-elle.

Et elle ajoutait, songeant à l’avenir ; comme nous serons heureux.

Lorsqu’elle le vit attendre si longtemps à la porte, elle songea à lui ouvrir.

L’émotion la suffoquait.

Elle essaya de faire un pas, et se trouva dans l’impossibilité de marcher.

Enfin, la porte s’ouvre et Arthur apparaît, rouge de bonheur.

Il aperçoit la jeune fille debout près de la fenêtre.

Une personne qui eut été cachée pour voir la mine qu’avait en ce moment mes deux jeunes amoureux, eut infailliblement éclaté de rire.

Et cependant ces scènes d’amoureux craintifs, se répètent tous les jours.

J’en aurais des chapitres et des chapitres, s’il me fallait raconter toutes celles que je connais.

Mais à quoi bon.

Est-ce que tous mes lecteurs qui ont dépassé la vingtaine, n’ont pas été plus au moins acteurs dans des scènes semblables ?

Je ne raconterai pas au long, non plus, l’entrevue qu’Arthur eut avec Alexina.

Ils échangèrent peu de paroles, et se comprirent admirablement bien.

Avait-il besoin de se raconter mille choses.

Ils savaient qu’ils s’aimaient mutuellement du plus profond de leur âme, cela leur était suffisant.

Lorsqu’ils se séparèrent ils étaient décidés à se marier.

Comme ils ne voulaient pas trop froisser Pierre, ils résolurent de demander à leurs parents de ne pas parler de leur mariage pour le présent, mais d’attendre le moment propice pour l’annoncer.

Les préparatifs devaient se faire en cachette, afin qu’à un moment donné lorsqu’on verrait Pierre d’assez bonne humeur, on lui ferait part de la nouvelle et le mariage aurait lieu de suite.

On peut comprendre jusqu’à quel point le misérable Pierre était redouté, par les précautions que prenaient Arthur et Alexina, pour lui apprendre leur mariage.

Nous verrons plus tard s’ils avaient raison de le craindre.

Arthur Julien continua de se rendre tous les soirs chez Gendron.

Au lieu de s’amuser avec les garçons de la maison, comme il avait l’habitude de le faire avant qu’il fût question de son mariage, il parlait à la jeune fille.

Que de projets pour i’avenir, ne discutaient-ils pas ensemble.

On parlait bien bas, pour ne pas éveiller les soupçons des étrangers qui se trouvaient dans la maison.

Que de joie, que de bonheur en perspective.

La soirée passait vite pour les fiancés. On se quittait avec regret, et toujours avec la promesse de se revoir le soir suivant.

Les jeunes gens qui avaient chacun l’espérance qu’un jour Alexina finirait par l’épouser, commençaient à se douter de quelque chose.

La jeune fille était plus timide, plus réservée avec eux. Quand Arthur n’était pas là, on la voyait peu dans la chambre où se tenait la famille. Et dès que le jeune homme arrivait, elle s’empressait de se rendre auprès de lui.

Les soupçons naquirent en peu de temps.

Les jeunes gens s’en parlèrent entre eux et bientôt toute la paroisse se disait que décidément, Arthur Julien allait épouser Alexina Gendron.

Naturellement, Pierre eût bientôt appris la rumeur qui courait dans la paroisse.

On ne peut se faire une idée de l’accès de rage dans lequel cette nouvelle le mit.

Ce fut un dimanche, à la porte l’église qu’il sut la chose.

Depuis que son père lui avait fait entendre qu’Alexina ne voulait pas de lui pour époux Pierre n’avait pas remis les pieds chez Gendron.

Il s’était juré cependant, que si la jeune fille, ne l’épousait pas, elle n’en épouserait pas d’autre.

Puis il avait laissé faire, attendant le moment propice pour mettre ses projets à exécution.

On juge facilement de ce qu’il éprouva, lorsque le dimanche en question, au sortir de l’église, il fut abordé par un de ses amis qui lui dit, sans autre préambule :

— Ah ! ça, Pierre, tu vas aller aux noces, donc ?

— De qui, demanda Pierre, étonné ?

— Fais donc pas l’ignorant ; tu sais que ton frère Arthur va épouser Alexina Gendron prochainement.

— Ah ! c’est vrai, répondit Pierre, après une minute d’hésitation. Mais, ajouta-t-il, le mariage n’est pas encore fait.

Et il planta là son ami, s’empressant de se rendre à sa demeure.

Il alla se cacher dans la grange et là se livra à un accès de rage insensée.

Pierre aimait la fille de son voisin, autant qu’un homme de sa trempe peut l’aimer.

L’idée de se voir rejeter pour son frère lui causa un désappointement impossible à décrire.

Il repassa dans sa mémoire la conduite d’Arthur depuis que son père lui avait fait entendre que la jeune fille ne voulait pas de lui.

Chaque soir, le jeune homme allait chez Gendron. Le dimanche, Arthur et Alexina, se rendaient à l’église et en revenaient ensemble.

Il y avait à peine quelques jours, qu’Arthur avait acheté une terre et commencé à la travailler.

Tout cela et bien d’autres petits détails qu’il serait trop long d’énumérer, lui vinrent à la mémoire.

— Ah ! s’écria-t-il, en blasphêmant, ils ne sont pas encore mariés. Ils ont cru pouvoir se jouer de moi comme d’un enfant, je vais leur montrer qu’ils ont eu tort.

Il se remit quelque peu de sa colère, et se disposa à rentrer à la maison.

Au dîner, il parla de la nouvelle qu’il avait apprise et taquina même Arthur, sur son mariage.

Le père était enchanté de voir que Pierre se montrait si bien disposé.

On fixa la date du mariage à quinze jours plus tard.

Arthur se rendit dans l’après midi chez Gendron, et fit part à la famille de ce qui était arrivé et de la décision qu’on avait prise, de faire le mariage quinze jours plus tard.


V


La maison de Gendron était située, près du lac.

On sait que pour aller puiser de l’eau dans le lac, on construit généralement des petits ponts, appuyés, d’un bout sur la terre et soutenu de l’autre bout par un billot ou une pierre.

Ces petits ponts avancent d’une douzaine de pieds dans le lac.

Dans le temps où se passe notre récit il existait de ces petits ponts, tout comme aujourd’hui.

Il y en avait un en face de la maison de Gendron et c’était là que les garçons ou la fille allait puiser de l’eau.

Environ une huitaine de jours après que Pierre eût appris la nouvelle du mariage de son frère avec Alexina, un accident qui eut pu avoir des suites fâcheuses, arriva en cet endroit.

Un bon matin, Alexina partit comme elle avait l’habitude de le faire tous les jours, pour aller puiser de l’eau.

Rendue au bout du pont, elle se pencha pour remplir son sceau d’eau.

Au même instant le pont commença à s’ébranler.

La jeune fille leva la tête et regarda de tous côtés pour voir quelle était la cause de cet ébranlement.

Elle ne vit rien qui put l’expliquer.

Saisi d’un sinistre pressentiment elle s’empressa de mettre son sceau à l’eau.

Au même instant le billot qui retenait l’extrémité du pont, partit tout à coup et s’écroula entraînant la jeune fille dans sa chute.

En tombant Alexina se frappa la tête contre un caillou et disparut sous l’eau.

La jeune fille avait jeté des cris, en sentant le pont s’écrouler sous elle.

Un homme qui passait en ce moment en cet endroit, entendit ces cris et courut à la rivière.

Il arrive au moment où la jeune fille disparait.

Il jette son habit par terre et se précipite à l’eau.

Il plonge trois fois, sans pouvoir trouver la jeune fille.

Enfin à moitié mort de fatigue, il plonge de nouveau, attrape les cheveux d’Alexina, et reparaît à la surface avec elle.

Il la prend dans ses bras et court aussi vite que peut lui permettre le fardeau qu’il porte, jusqu’à la maison de Gendron.

Alexina était privée de connaissance, peut-être était-elle morte.

Le sang s’échappait par une large blessure qu’elle avait à la tête.

Son père et sa mère, s’empressèrent de lui donner tous les soins possibles, afin de la ramener à la vie.

Ce ne fut qu’une demi-heure plus tard, que la jeune fille ouvrit les yeux.

Elle regarda de tous côtés cherchant à comprendre ce qui lui était arrivé.

Enfin, la mémoire lui revint et on la vit frissonner.

Elle se calma de suite et demanda qui l’avait sauvée.

Ses parents appelèrent le jeune homme qui se tenait dans la chambre voisine.

Alexina reconnut en son sauveur, Arthur Julien son fiancé.

Quelle était la cause de l’accident qui venait d’arriver ?

Chacun se faisait cette demande, et personne ne pouvait trouver une réponse.

Si Gendron eut été sur le bord de la rivière, la veille au soir, il eut pu voir un homme s’acheminer furtivement du côté du petit pont.

Il eut vu cet homme se déchausser, retrousser ses pantalons jusqu’au dessus des genoux et se mettre à l’eau.

Il l’eut vu faire des efforts pour placer le billot de telle sorte qu’il suffirait de marcher sur les planches qu’il soutenait pour les faire tomber.

L’homme en question, après s’être assuré que son ouvrage était bien fait, sortit de l’eau, remit ses chaussures et se sauva dans la direction de la maison de Julien.

Le misérable qui venait de préparer un meurtre, si je puis m’exprimer ainsi, n’était autre que Pierre Julien.

Il avait dit que le mariage n’était pas encore fait ; il prenait le moyen pour qu’il ne se fit pas.

En effet n’eut été la présence providentielle d’Arthur, en cet endroit, au moment de l’accident, Alexis Gendron n’avait plus de fille et Arthur Julien plus de fiancée.

Quand le jeune homme arriva chez lui tout mouillé, Pierre venait de se lever.

Arthur, ne se doutant nullement que son frère put être assez vil, pour avoir préparé l’accident, raconta à la famille ce qui était arrivé.

Pierre écouta sans sourciller.

Il poussa même le cynisme jusqu’à plaindre la jeune fille, victime de sa méchanceté.

Alexina fut plusieurs semaines avant de se rétablir.

Les premiers jours qui suivirent l’accident, furent bien pénibles et pour les parents et pour le fiancé de la jeune fille.

Battue par une violente fièvre, Alexina fut plusieurs jours en danger.

Le prêtre dût même lui administrer les derniers sacrements.

On comprendra facilement dans quelle anxiété se trouvait ce pauvre Arthur.

On le voyait constamment chez Gendron.

Il passait les nuits blanches au chevet de la malade, en compagnie du père ou de la mère de cette dernière et ne prenaient que quelques instants de repos dans le jour.

Il maigrissait à vue d’œil.

Ses parents lui conseillaient de ne pas se fatiguer, lui disant que quand bien même il se rendrait malade, cela ne guérirait pas plus vite Alexina, qui était très bien soignée par sa famille.

Arthur ne voulait pas entendre raison.

Aussi, lorsque la jeune fille commença à se rétablir, ce fut à son tour, de prendre le lit.

Il fut bien malade, mais sa forte constitution triompha de la maladie et il fut bientôt sur pieds.


VI


Des mois s’étaient écoulés depuis le dimanche où Pierre avait appris le futur mariage de son frère avec Alexina.

L’accident arrivé à la jeune fille avait considérablement retardé le mariage, puis était venue la maladie d’Arthur.

Lorsque tout le monde fut rétabli, on était rendu dans le temps des foins.

Arthur avait eu de l’aide pour travailler sur sa terre, pendant sa maladie.

Il lui fallait maintenant faire les récoltes.

Le mariage fut donc remis à l’automne suivant.

Rien de bien étrange se passa durant ce temps.

Chacun travaillait de son côté.

Pierre continuait à être gai dans sa famille.

Le retard apporté au mariage de son frère, lui causait un grand plaisir.

Il espérait bien trouver dans sa mauvaise tête un nouveau moyen, sinon d’empêcher complètement, du moins de retarder ce mariage.

La récolte avait été excellente.

Arthur surtout était très-satisfait de la sienne.

Ses granges étaient pleines de foin et de grains.

Le mariage devait avoir lieu prochainement, dans huit ou quinze jours.

Arthur avait meublé sa maison, et tout était prêt pour recevoir les mariés.

Le jeune homme demeurait encore chez son père.

Une nuit, à la fin du mois de septembre, les habitants de Beauharnois furent réveillés en sursaut, par les cris de au feu, au feu.

En un instant toute la paroisse fut sur pied et se dirigea vers le théâtre de l’incendie.

Les familles Julien et Gendron furent les premières rendues.

Jugez de la douleur et du désespoir de ce pauvre Arthur, lorsqu’il s’aperçut que c’étaient sa maison et sa grange qui brûlaient en ce moment.

Malgré des efforts inouïs, on ne put rien sauver.

Maison, grange, récolte, animaux, tout fut détruit dans l’incendie.

Le malheureux jeune homme se trouvait complètement ruiné.

Il n’avait d’autres ressources que de vendre sa terre et de continuer à travailler pour son père.

La secousse fut trop forte pour Arthur.

En arrivant chez lui, après l’incendie, il tomba sans connaissance sur le plancher.

Son père et un de ses voisins le transportèrent sur un lit, pendant qu’un autre courrait à Chateauguay, chercher un médecin.

Arthur ne reprit connaissance qu’au bout de six heures.

Aux premiers mots qu’il prononça on s’aperçut qu’il était dans le délire.

L’origine du feu était le sujet des conversations, dans la paroisse.

On était dans le temps du battage des grains.

Quelques personnes prétendirent que le feu avait bien pu être mis par des batteurs qui auraient allumé leur pipe au moment du départ et laissé tomber une allumette à demi éteinte sur la paille.

Mais les batteurs avaient quitté la grange à six heures et le feu ne s’était déclaré que vers dix heures, ou dix heures et demie.

On dut donc laisser cette supposition de côté.

On chercha à expliquer autrement l’origine de l’incendie, mais en vain ; on ne put arriver à aucun résultat, si ce n’est que le feu avait peut-être été mis.

Mais on ne connaissait pas d’ennemis à Arthur.

Le jour de l’incendie Pierre arriva chez lui, vers six heures et demie.

Après le souper, il ne sortit pas, mais s’amusa à parler de choses et d’autres avec ses parents.

Vers neuf heures il monta se coucher. À neuf heures et demie, tout le monde dormait, ce soir là, chez Julien.

La chambre où couchait Pierre, se trouvait en arrière.

Il y avait une fenêtre qui donnait sur la cour et appuyée sur la maison, tout près de la fenêtre, se trouvait une échelle.

Quand Pierre se fut assuré, en écoutant attentivement, que tout le monde dormait dans la maison, il sortit par la fenêtre, descendit l’échelle, et rendu dans la cour, se mit à courir à travers les champs jusqu’à la maison de son frère.

La nuit était sombre.

Il n’y avait personne dehors à pareille heure.

Pierre ne craignait pas d’être rencontré.

Rendu près de la maison d’Arthur, il se mit à examiner la position des bâtiments.

Il voulait la ruine totale de son frère, et le meilleur moyen d’arriver à ce résultat, était de tout faire brûler.

Il y avait une maison, une grange et une étable.

Il résolut de mettre le feu à chacun des bâtiments.

Pierre prit un peu de paille et le plaça dans la maison, près d’une cloison en bois, puis il y mit le feu.

Dans la grange et dans l’étable il y avait assez de paille pour qu’il n’eût pas le trouble d’en charroyer.

Il n’eut qu’à jeter une allumette et dans un instant tout fut en flamme.

Pierre content de son succès, s’empressa de revenir chez lui.

Il se déshabilla à la hâte et se jeta sur son lit.

Il riait le misérable, en songeant au résultat de cet incendie.

Son frère ruiné ne pourrait plus songer à se marier et alors la jeune fille, qui ne devait l’aimer que parce qu’il était riche, serait bien forcée de l’accepter, lui, pour son époux.

Quelle âme vile !

Il fut troublé dans ses réflexions par les cris de au feu ! au feu !

Un homme revenant de Chateauguay avait aperçu les flammes.

Sachant que les bâtisses qui brûlaient appartenaient à un Julien, il s’empressa de venir les en avertir.

On sait quel fut le résultat de cet incendie : la ruine complète, pour le malheureux Arthur.

Il n’eut pas la force de supporter un pareil malheur.

Et comme nous le disions plus haut il devint fou.

On croira peut-être qu’en voyant son frère en cet état, Pierre eût regret de sa conduite.

Mais non ; est-ce que la folie de son frère n’était pas encore un avantage pour lui !

Y avait-il une jeune fille, sur la terre, assez stupide pour vouloir d’un fou pour époux.

La chose était impossible, il le savait, et s’en réjouissait.

Infailliblement, la jeune fille allait lui appartenir.

Mais le misérable avait compté sans l’amour sans borne qu’Alexina avait pour Arthur.

Et la position dans laquelle se trouvait son fiancé, n’était-elle pas de nature à centupler cet amour chez la jeune fille ?

A-t-on jamais vu, un cœur noble et généreux rester insensible à la souffrance !

Mais le misérable Pierre n’avait pas de cœur ; et il pensait tout le monde comme lui.

On verra plus tard, quel fut le résultat de ses mauvaises actions.


VII


Le temps s’écoule lentement.

Le pauvre Arthur est toujours dans le même état.

Chaque matin, au sortir du lit, il vient se placer près du poêle et il passe sa journée à se balancer doucement, sur une chaise.

Comme il est changé le pauvre homme.

Lui, si vigoureux, si robuste, il y a quelques mois, il n’est plus qu’un squelette.

Sa vue seule inspire la pitié de ceux qui le voient.

Il a les joues creuses, ses yeux sont enfoncés dans leur orbite.

Ses cheveux si noirs, sont devenus blancs.

Sa figure toujours gaie, n’annonce plus que la folie.

Son sourire a fait place à un air hébété, qui fait pleurer ceux qui le voit.

Il rit encore, mais grand Dieu ! quel rire. Comme on préférerait des pleurs à ce rire insensé qui vous torture le cœur.

Il parle, mais quel discours.

Des paroles sans suite qu’il paraît adresser à des êtres invisibles.

On pleure presque continuellement, chez Julien.

C’était le meilleur de la famille, ce pauvre Arthur.

On l’aimait, on l’adorait en quelque sorte.

Et comme il savait rendre amour pour amour, caresse pour caresse !

Le soir, à la veillée, les parents et les amis se réunissaient chez Julien, et l’on parlait du jeune homme.

Chacun rappelait quelques souvenirs du passé et tout le monde pleurait en songeant au changement que la folie avait opéré chez le pauvre enfant.

Ah ! oui, pauvre enfant.

Encore à la fleur de l’âge, au moment où le bonheur lui apparaissait dans toute sa plénitude, se voir plongé dans les ténèbres de la folie.

On le plaignait, et l’on faisait des vœux pour sa guérison.

La malheureuse Alexina venait passer une grande partie de la journée auprès de celui qui devait être son époux.

Que de changements s’étaient opérés aussi, chez la jeune fille.

Comme elle était pâle, comme elle avait l’air triste et abattu.

Toute personne qui les voyait tous deux, Arthur et Alexina, assis l’un près de l’autre, ne pouvait retenir des larmes.

Il eut fallu un cœur de pierre, pour ne pas s’attendrir à la vue d’un spectacle aussi navrant.

Arthur, dès qu’il voyait entrer sa fiancée, se mettait à frapper des mains.

Il ne la reconnaissait pas cependant, mais il la voyait souvent, et comme elle était bonne pour lui, comme elle l’entourait de soins, il l’aimait.

Il lui parlait, il lui racontait ses peines, ses joies.

— Ah ! ma belle demoiselle, disait-il, je suis heureux de vous voir. Je vais me marier prochainement, et vous viendrez à mes noces.

Je suis assez riche, voyez-vous j’ai bien ménagé mon argent et je me suis acheté une belle terre.

Ma fiancé est bien belle.

Elle se nomme Alexina.

Elle est bonne et travaillante.

Nous allons être bien heureux tous les deux.

Puis songeant tout à coup à l’incendie qui l’avait ruiné, il s’écriait :

— Du feu ! du feu ! ce sont mes bâtiments qui brûlent. Ah ! mes animaux, mon grain, mes instruments, tout est perdu, tout est perdu ; je suis ruiné.

Et il se mettait à pleurer.

Alexina l’écoutait les larmes aux yeux, et cherchait à le calmer.

Comme elle souffrait la pauvre jeune fille.

Cet homme dans le délire, était son fiancé !

Elle lui avait donné tout son amour.

Elle avait mis en lui toutes ses espérances, tout son bonheur.

Elle l’aimait beaucoup avant sa maladie, mais comme son amour avait augmenté depuis qu’il était en cet état.

Elle savait qu’à moins d’un miracle, Arthur ne pourrait jamais guérir et par conséquent jamais l’épouser, mais elle avait fait le sacrifice de son avenir.


VIII


Je ne crois pas nécessaire de dire ici, que tout ce qui était humainement possible de faire, avait été fait, pour amener la guérison d’Arthur Julien.

Les habitants de Beauharnois ayant les Julien et les Gendron à leur tête, avaient décidé de prendre un bon moyen pour guérir le jeune homme.

Arthur avait souvenance d’avoir eu une terre et une maison en sa possession, et que tout avait été détruit par le feu.

Plusieurs personnes prétendaient que si le jeune homme revoyait tout ce qu’il avait perdu, il en serait tellement frappé, que la raison lui reviendrait.

Chacun se mit à l’œuvre et en un mois maison, grange et étable étaient debout.

Il y avait déjà deux ans que Arthur avait perdu la raison.

On se trouvait dans le temps du battage des grains.

Au printemps, les Gendron et les Julien aidés de quelques amis, avaient ensemencé la terre, puis dans le courant de l’été avaient fait la récolte, de sorte que la grange était pleine de grain et de foin.

On avait acheté le même nombre d’animaux qu’il y avait sur la terre au moment de l’incendie, ainsi que les instruments agricoles.

On avait pris un grand soin de construire maison, grange et étable tels qu’avant leur destruction.

En un mot une personne qui n’eut pas été témoin de ce qui s’était passé en cet endroit s’y serait trompé et aurait cru que les bâtisses étaient les mêmes que celles qui existaient avant l’incendie.

Arthur n’avait pas mis les pieds sur sa terre depuis la catastrophe qui l’avait ruiné.

Il avait toujours refusé d’y aller et je dois avouer qu’on ne cherchait pas à l’y conduire, afin que la surprise qu’on voulait lui causer fat plus grande et amena s’il était possible sa guérison.

Enfin le moment était arrivé de faire voir au jeune homme sa propriété.

Ce fut Alexina qui eût pour mission de le décider à y aller.

Un matin, elle arriva chez Julien de bonne heure : il était environ cinq heures et demie.

Arthur étant debout et se promenait de long en large dans la cuisine.

Comment, lui dit la jeune fille, tu n’es pas encore rendu sur ta terre, et tes gens qui sont à battre ton grain depuis plus d’une heure. Allons paresseux, viens examiner leur ouvrage.

Alexina s’efforçait de sourire en parlant, mais, une personne qui eut prêté attention, se fut aperçu que la jeune fille avait des larmes dans la voix et qu’elle faisait des efforts pour ne pas éclater en sanglots.

En entendant parler Alexina, Arthur se mit à la regarder tout ébahi, puis, après quelques minutes de réflexion, il se rappela sans doute de l’incendie, car il répondit :

— Tout est brûlé, tout est brûlé, je suis ruiné.

— Brûlé, brûlé, mais rêves-tu ? Allons, viens avec moi, tu verras que tout est bien comme tu l’as laissé hier.

Machinalement, Arthur suivit la jeune fille.

Pendant le trajet de la demeure de son père à sa terre, le jeune homme ne dit pas un mot.

Il se faisait cependant un travail considérable dans sa pauvre tête malade.

Il regardait de tous côtés, s’arrêtait pour examiner une maison, un arbre.

Tout le monde savait dans la paroisse, la tentative qui devait se faire ce jour là, pour faire recouvrer la raison à ce pauvre enfant.

Ceux qui demeuraient sur le parcours que devait suivre Arthur, se mettaient sur le perron de la porte de leur maison et le saluaient au passage.

Il mettait alors la main sur son front comme s’il eut voulu rassembler ses souvenirs, puis comme s’il ne pouvait trouver ce qu’il cherchait, il se mettait à branler la tête comme un homme découragé, et continuait son chemin.

Enfin, ils ne sont plus qu’à quelques arpents de la maison d’Arthur.

Le père Julien est sur le perron, qui regarde venir son pauvre enfant.

Il tremble le brave homme, ses jambes fléchissent sous lui.

Quel serait le résultat de cette tentative ?

Si elle n’allait pas réussir ?

Il eut la force d’entrer dans la maison et informa ceux qui s’y trouvaient qu’Arthur s’en venait, qu’il n’était plus qu’à quelques arpents.

Chacun se mit à l’ouvrage et on attendit avec impatience l’arrivée du jeune homme.

Plus Alexina avançait, plus elle se sentait faiblir.

Elle faisait des efforts surhumains pour ne pas pleurer.

Quand elle aperçut la maison, elle prit son courage à deux mains, et s’adressant à Arthur, elle lui dit en la lui montrant :

— Tiens regarde ta maison ; tu vois bien que tu te trompais tantôt, quand tu disais qu’elle était brûlée.

Arthur regarde dans la direction désignée par la jeune fille, et s’arrête subitement, la tête en avant, les yeux grands ouverts.

Il pousse alors un soupir prolongé et s’écrie en se tenant la tête de ses deux mains :

— Ah ! mon Dieu, ma tête, ma tête ; je crois que je vais devenir fou.

Puis, sans songer à sa compagne, il s’élance à la course, dans la direction de sa maison.

La jeune fille le suit du plus près qu’elle le peut.

Ils arrivent ainsi en courant jusque devant la maison.

Arthur se dirige alors du côté de la grange et s’arrête en face des batteurs.

Ces derniers le saluent et l’un d’eux lui dit en riant :

— Tu es en retard ce matin, Arthur, je crois que tu fais le paresseux.

Arthur répète encore :

— Ah ! mon Dieu, ma tête.

Il ne dit rien aux batteurs et se dirige vers l’étable.

Ses voitures sont là, telles qu’elles étaient la veille de l’incendie.

Il regarde dans le champ et aperçoit ses animaux.

Il court alors vers la maison criant toujours : ma tête, ma tête.

Mais la secousse était trop forte.

En arrivant dans la maison, il tombe sans connaissance sur le plancher.

Son père aidé de l’un des batteurs le transporte sur un lit.

Il n’est pas nécessaire de dire dans quelle disposition d’esprit se trouvaient les familles Gendron et Julien.

Alexina surtout, croyant avoir un tout autre résultat que celui qu’elle espérait, se faisait mille reproches sur sa conduite.

Elle pleurait à chaudes larmes, auprès du lit, sur lequel Arthur gisait privé de connaissance.

Arthur fut plus d’une demi-heure sans connaissance.

En revenant à la vie le jeune homme se mit à regarder de tous côtés.

Son regard, n’était pas égaré, mais annonçait l’étonnement.

— Où suis-je demanda-t-il à son père qui se trouvait devant lui ?

— Chez toi, mon enfant : mais repose-toi. Ne parle pas, car cela te fatiguerait. S’il y a quelque chose que tu désires savoir, tu m’en parleras tantôt.

Arthur ne voulut pas écouter les recommandations que son père lui faisait

— J’ai fait un mauvais rêve je crois, dit-il. J’ai souffert, horriblement, mais je ne me rappelle de rien.

Son regard, son parler, tout annonçait que le jeune homme avait recouvré la raison.

Je ne saurais décrire la joie qu’éprouva les parents et les amis d’Arthur, lorsqu’ils s’aperçurent qu’il était guéri.

Alexina, surtout, en sautait de joie.

Elle courut d’un trait jusqu’à la demeure de son père, afin d’annoncer à ceux qui étaient restés à la maison, la guérison de son fiancé.

Et tout le monde qui demeurait sur le chemin qu’elle dut parcourir, l’appelait à son passage pour lui demander des nouvelles du jeune homme.

Alexina, sans prendre la peine de s’arrêter, criait à chacun de ceux qui s’informaient.

— Il est guéri.

Et il fallait voir la joie qui apparaissait sur la figure de tous ces gens en apprenant la bonne nouvelle.

— Arthur est guéri se disait on : quel bonheur.


IX


Un mois après les événements que j’ai rapportés dans le chapitre précédent, Arthur était complètement rétabli.

Le dimanche suivant, M. le curé devait publier le dernier ban du mariage d’Arthur Julien avec Alexina Gendron.

Tout allait donc pour le mieux.

Que faisait Pierre pendant ce temps là, me demandera-t-on ?

Pierre cherchait dans sa mauvaise tête un moyen d’empêcher le mariage.

Le brave père Julien se doutait de quelque chose.

Il n’avait pas remarqué sans un certain mécontentement que pendant l’année qui avait suivi l’incendie des bâtisses du malheureux Arthur, Pierre avait été d’une gaieté folle.

Il s’amusait, et lorsque quelqu’un lui parlait de son frère et lui faisait remarquer qu’il était bien gai quand tout le monde dans sa famille était triste, il répondait invariablement… Est-ce ma faute à moi, si mon frère est fou ?

Le misérable hypocrite !

Il savait fort bien que c’était lui qui avait été la cause de la folie de son frère, mais il ne voulait pas qu’on vint à soupçonner qu’il était l’auteur de ce crime.

Pierre avait encore dans la tête, de devenir l’époux d’Alexina Gendron.

On sait que tout ce qu’il a fait, soit contre la jeune fille, soit contre Arthur n’avait pour but que d’empêcher leur mariage.

Après le refus de la jeune fille, il essaya de faire mourir cette dernière.

Cependant, Pierre n’éprouvait pas encore de la haine pour Alexina.

Dans un premier moment de colère il avait désiré sa mort mais l’amour avait bientôt pris le dessus.

Il regretta même ce qu’il avait fait, mais comme avant tout, il tenait à ce qu’Alexina n’épousât pas Arthur, il résolut d’empêcher le mariage en ruinant son frère.

Arthur fou, il fut dans la jubilation. Alexina finirait bien par l’accepter pour époux ; c’était du moins ce qu’il pensait.

Mais il fallait se faire accepter de la jeune fille, voilà ce qu’il y avait de plus difficile.

Pierre laissa faire quelque mois.

Il n’osait encore parler, car il croyait s’apercevoir qu’Alexina n’avait pas beaucoup d’amitié pour lui.

Enfin voyant qu’Arthur ne revenait pas à la raison, il prit sa lâcheté à deux mains et se disposa à faire une nouvelle tentative auprès de la jeune fille.

Il se mit de nouveau à fréquenter la famille Gendron.

Pierre jouait du malheur.

Dès qu’il faisait son apparition chez Gendron, on voyait Alexina partir furtivement, et se rendre chez Julien.

Se doutait-elle de ce qui amenait le jeune homme chez son père.

Sa conduite le laissait bien entendre.

Pierre rageait.

Chaque fois qu’il revenait de chez Goudron, le misérable passait des heures à sacrer, à blasphêmer contre la jeune fille.

Il pleurait de rage, en constatant son impuissance à captiver même l’estime de celle qu’il aimait.

Il résolut malgré tout, de lui parler encore une fois de son amour.

Ce fut un dimanche, après la messe, qu’il aborda Alexina, au sortir de l’église.

Ils marchèrent un bon bout de chemin, sans se dire un mot.

Alexina se doutait de ce que Pierre avait à lui dire et elle se préparait à le recevoir de manière à lui ôter le peu d’espoir qu’il pouvait encore avoir.

Enfin Pierre, après avoir parlé de choses et d’autres, finit par une déclaration d’amour des plus accentuées.

Le regard que lui lança la jeune fille et l’air de mépris qui se lisait sur sa figure, firent reculer Pierre de quelques pas.

— Comment lui dit la jeune fille, tu oses me parler d’amour, toi, Pierre Julien. Crois-tu que je vais oublier celui qui m’a sauvé la vie. Non, Pierre, j’ai plus de cœur que tu ne le crois. Plus Arthur sera dans le malheur, plus je l’aimerai. Soyons amis, mais ne me parle jamais de ton amour.

Évidemment la jeune fille faisait des efforts pour parler doucement.

À voir l’indignation qui se reflétait sur sa figure, on eut pu s’attendre à une explosion de colère, mais il n’en fut rien.

Il est probable qu’Alexina, connaissant le mauvais caractère de Pierre, ne voulait pas trop le froisser.

Ils ne s’adressèrent plus une seule parole, pendant le reste du trajet.

Rendue en face de la demeure de son père, Alexina souhaita le bon jour à Pierre, qui ne répondit même pas.

Dans le courant de l’après midi la jeune fille raconta au père Julien, ce qui lui était arrivé.

Julien répondit : je m’en doutais.

Puis il ajouta mentalement : pourvu qu’un nouveau malheur n’arrive pas.

Deux ou trois mois plus tard, Pierre fit une nouvelle démarche auprès de la jeune fille.

Le résultat ne fut pas meilleur pour lui, que la première fois.

Le cœur plein de rage, en face de l’indifférence, pour ne pas dire plus, qu’Alexina éprouvait pour lui, il dit à cette dernière, en la laissant :

— Écoute, Alexina, qu’Arthur devienne mieux, où qu’il reste dans l’état où il est actuellement, tu ne seras jamais son épouse.

La conduite de Pierre avait déjà fait naître chez son père le soupçon qu’il ne devait pas être étranger aux malheurs arrivés à Alexina et à Arthur ; ce que la jeune fille lui raconta, ne fit que confirmer ses soupçons. Il résolut donc de veiller son fils aîné de près.

Le samedi qui précéda la publication du dernier banc, vers neuf heures et demie du soir le père Julien qui était toujours aux aguets, crut entendre ouvrir la fenêtre de la chambre de Pierre.

Prenant toutes les précautions possibles pour ne pas faire de bruit, il se rend auprès de la fenêtre de sa chambre qui se trouve au dessous de celle de son fils et regarde dehors.

Il faisait affreusement noir, cependant il put voir une forme descendre l’échelle qui était appuyée sur la maison, puis partir en courant à travers les champs.

Le misérable, s’écrie le père Julien, indigné, il va renouveler son crime d’il y a deux ans, mais cette fois j’y serai.

Il ouvre la porte et le voilà parti à la recherche de Pierre.

Il le distingua bientôt dans l’ombre, courant toujours dans la direction de la maison d’Arthur.

Désirant le prendre sur le fait, il ne chercha pas à l’approcher.

Ils coururent ainsi, jusqu’à la grange d’Arthur.

Rendu en cette endroit, Pierre se disposait à mettre le feu, lorsqu’il se sentit subitement empoigné par une main de fer.

— Misérable, s’écrie le père Julien, que fais-tu là ?

En se sentant empoigné, Pierre chercha à s’esquiver, mais il avait affaire à plus fort que lui.

Quoique passablement âgé, le père Julien avait encore le poignet solide et malgré tous les efforts qu’il fit, Pierre ne put s’échapper.

— C’est toi, Pierre, continua le père Julien, qui veux ruiner de nouveau ton pauvre frère. Ah ! je connais maintenant, qui a causé l’accident qui a failli coûter la vie à Alexina, je connais maintenant qui a mis le feu aux bâtiments d’Arthur. C’est toi, malheureux qui a commis tous ces crimes. Tu n’as donc pas de cœur. Tu ne crains donc ni la prison ni l’exil.

Pierre se remit bientôt de la surprise que lui avait causé l’apparition de son père en cet endroit.

Se voyant pris sur le fait, il résolut de payer d’audace.

Il se moqua de la jeune fille, d’Arthur, et de son père même.

Il dit qu’il avait juré que le mariage entre Arthur et Alexina n’aurait pas lieu et il était décidé à mettre tout en œuvre pour remplir son serment.

Le père Julien voulut alors lui faire quelques remontrances.

Fou de rage, ne sachant plus ce qu’il disait, Pierre se mit à injurier son père de la manière la plus brutale.

Le père Julien commençait à sentir la colère s’emparer de lui. Il se contraignit autant qu’il put ; finalement, le cynisme révoltant dont son fils faisait preuve, le mit hors de lui-même et dans un moment d’indignation facile à comprendre il s’écria :

— Va-t-en, misérable et ne remets jamais les pieds dans la paroisse, va-t-en, je te chasse, je te maudis.

En même temps, il lâcha le bras de Pierre qu’il avait tenu jusque-là.

Pierre partit alors à la course et disparut bientôt dans les ténèbres.

Quand au malheureux père Julien, il se laissa choir sur un morceau de bois qui se trouvait près de la grange.

Il resta là, sans bouger pendant quelques instants, puis il se mit à pleurer à chaudes larmes.

Il était une heure du matin lorsque le père Julien arriva chez lui. Personne ne s’aperçut de son absence, et personne ne le vit arriver.

Le lundi suivant Arthur et Alexina étaient unis par les liens du mariage.

La paroisse toute entière assista à la cérémonie, pour donner une preuve de la joie que lui causait le bonheur de ces deux êtres qui avaient tant souffert.


FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.