Le fétichisme en amour/Prologue

Bandeau du livre Les vacances au château – Le fétichisme en amour
Bandeau du livre Les vacances au château – Le fétichisme en amour



PROLOGUE.



C’était aux Variétés, aux beaux jours de „La Grande Duchesse” le rideau venait de se lever sur le deuxième acte, Hélène Scheffer, la grande favorite du public, attaquait de sa voix d’or, les mélodieux accents de la déclaration d’amour, de ses doigts fuselés où scintillaient mille feux, elle chiffonnait un merveilleux mouchoir en Point d’Alençon et elle affectait de le passer légèrement sur les boucles soyeuses de l’ami Fritz, assis à ses genoux. La salle toute entière était suspendue aux lèvres de l’enchanteresse, un frisson de volupté parcourait tous les rangs des spectateurs.

Dans une baignoire d’avant-scène, un jeune couple, triomphant de jeunesse et de beauté, détaillait à coups de lorgnette, tous les charmes des deux acteurs et échangeait, à mi-voix, ses impressions.

Le jeune homme, le teint de rose et de lait, la moustache fine, vêtu d’un smoking à revers de soie, la boutonnière fleurie d’un magnifique œillet blanc, se profilait derrière sa campagne, dont la toilette riche et de bon ton, indiquait la femme du vrai-monde.

C’était une ravissante brune, aux yeux bleues, aux lèvres charnues, trahissant la passion et les aspirations sensuelles, peu de bijoux, deux simples perles grises aux oreilles, le corsage ouvert en pointe, où, en plongeant, on devinait des seins fermes, qui soulevaient en cadence, les Valenciennes de la chemise.

„ — Tu sais, ma chérie, ce qu’on dit d’Hélène, il paraît, qu’il n’y a rien de simulé dans son jeu, et que vraiment, elle est transportée de passion, pour le joli soldat Fritz ; c’est une vraie toquade, qui va jusqu’à l’aberration.”

„Conte moi cela,” dit la jeune femme, en s’inclinant vers son époux, avec une expression de curiosité sensuelle.

„Il paraît, reprit le mari, qu’hier à la fin de l’acte, elle a entraîné Fritz dans sa loge, et sans lui donner le temps des explications, s’est précipitée sur lui, et s’est mis à le dévorer et à boire à la source même du plaisir, jusqu’à ce que la fontaine de jouissance fut à sec ! Fritz sortit de cette lutte, flageolant sur ses jambes et dut à l’acte suivant réclamer l’indulgence.”

Pendant ce récit, la jeune femme avait passé par tous les tons de la gamme des couleurs, du rose tendre au rouge pivoine et se contenta de répondre :

„Quelles délices !”

À ce moment, le regard de la jeune femme se croisa avec celui d’un jeune mâle, dont elle ignorait la présence, qui dans la stalle voisine, était jusqu’à cette heure, resté dissimulé dans la pénombre ; au début du récit, il s’était avancé sans bruit, et s’était placé de façon à être bien vis-à-vis de la dame et à suivre sur ses traits l’effet que produisait la narration du mari. Sous le regard scrutateur du jeune homme, la confusion de la jeune femme fut à son comble et pour dissimuler son embarras, elle essaya de se moucher dans son mouchoir de dentelle.

À ce moment l’acte finissait et la dame avait repris tout son sang-froid, elle détaillait à son tour son voisin d’avant-scène, et pour compléter son examen, sous le prétexte de contempler la salle, à l’aide de son face-à-mains, elle acheva de dévisager le jeune homme, qui s’enflammait à son tour sous le regard inquisiteur de la jeune femme ; il passa rapidement sur ses lèvres sensuelles la pointe rose d’une langue vipérine et du bout des doigts envoya un baiser rapide et discret à la dame, qui esquissa un léger sourire ; la cause était entendue !

À ce moment, l’époux de la dame profitant de l’entr’acte sortit, pour aller à l’emplette du traditionnel sac de bonbons.

Les yeux de la jeune femme étaient rivés sur le voisin, qui décidément lui faisait une profonde impression ; sa poitrine se soulevait plus rapidement et ses joues commençaient à se roser, elle tortillait machinalement les valenciennes de son mouchoir et mordillait sa lèvre inférieure à la chair épaisse, sur laquelle elle promenait fréquemment une langue humide. Le jeune homme devinant l’émotion de sa voisine, voulut la mettre à son comble ; au risque de se faire expulser du théâtre, avec prudence et sans attirer l’attention, il releva l’écran de la stalle qui le dissimulait au public, la jeune femme suivait ses mouvements avec une curiosité fébrile ; il se leva sans bruit de sa place, se recula et se dressant dans le coin de la loge, certain qu’il n’était vu que par la dame qui ne le quittait pas des yeux et au moment où munie de son face-à-mains elle cherchait à deviner ce qui allait se passer, pareil à un exhibitionniste, il mit au jour un membre viril, frémissant de luxure ! Les yeux de la dame, fascinés comme par un aimant, ne s’arrachaient pas à cette contemplation ; et pour réprimer un mouvement de folie, elle se tamponnait la face avec son mouchoir de dentelle ! Le mari rentrait.

„Oh, qu’il fait chaud !” s’écria-t-elle. L’acte suivant se passa sans incidents et à la chûte du rideau, la dame avant de sortir, plaça son vêtement à cheval sur la cloison qui séparent les deux loges et sortit avec son époux.

Intrigué et pensant trouver une explication dans la façon dont la dame avait placé son vêtement, il regarda avec attention et il ne fut pas déçu dans ses recherches.

Dans une pochette de la jaquette émergeait un coin du mouchoir de dentelle, il le tira prudemment et comme une relique le porta fiévreusement à ses lèvres : il sentit une piqûre : une carte minuscule y était épinglée, avec ces simples mots : Madame la Baronne de St. SIXTE

Mardi à mon five o’clock tea.

Il se hâta de glisser le précieux objet dans sa poche de poitrine et lorsque la jeune femme rentra dans sa loge, suivie de son mari, il se contenta d’indiquer discrètement le coin de Valenciennes, qui sortait de son smoking.


Cul de lampe du livre Les vacances au château – Le fétichisme en amour
Cul de lampe du livre Les vacances au château – Le fétichisme en amour