Traduction par Wikisource.
George Redway (p. 1-21).

CHAPITRE I

LE SATANISME AU xixe SIÈCLE


Si, il y a peu de temps, on avait interrogé cette source de référence ultime et universelle, la personne d’intelligence moyenne, concernant le diabolisme moderne, ou la question de Lucifer : qu’est-ce que c’est ? Qui sont ses disciples ? Où est-il pratiqué ? Et pourquoi ? Notre personne moyenne aurait répondu, peut-être avec une certaine aspérité : « La question de Lucifer ? Il n’y a pas de question de Lucifer. Le diabolisme moderne ? Il n’y a pas de diabolisme moderne. » Et tous les gens avancés et tous les esprits forts auraient loué cette intelligence moyenne, après quoi on aurait clos hermétiquement la question, sans enquêtes malvenues ou inquiétantes comme la présente.

Le grand enseignant du christianisme vit Lucifer tomber du ciel comme un éclair, et, dans un sens différent, le monde moderne a été témoin d’un spectacle similaire. Assurément, le démon de Milton a été précipité du ciel de la théologie, et, sauf dans quelques centres de concentration doctrinale extrême, il n’y a pas de place pour lui. Les apôtres de la philosophie matérielle ont à leur manière fouillé l’univers, et n’ont produit, après tout, que la philosophie matérielle, et il n’y a pas de question de Lucifer. Au pôle opposé de la pensée il y a, disons, le spiritualiste, en possession de beaucoup d’instruments supérieurs, du moins par hypothèse, aux projecteurs de la science, par lesquels il reçoit les messages des sphères spirituelles et établit des contacts avec un ordre qui n’est pas de ce monde ; mais dans cet ordre aussi il ne semble pas y avoir de question de Lucifer, bien qu’il y ait de nombreuses questions vexées concernant des « esprits primitifs, » sans parler des esprits dits élémentaires. Entre ces pôles il y a le flux et le reflux d’innombrables opinions ; mais, sauf dans les centres mentionnés, il n’y a toujours pas de question de Lucifer ; elle a été mise de côté ou abandonnée.

Cependant, le renouveau de la philosophie mystique, et, en outre, de l’expérience transcendantale, qui est poursuivie en secret à une plus grande échelle que le public ne peut supposer, a rendu bavards de nombreux oracles, et ils sont plus volubiles à l’heure actuelle que le grand bosquet de Dodone. Comme on pouvait s’y attendre, ils murmurent occasionnellement sur des actes accomplis dans l’obscurité qui ont l’air bizarre vus en plein jour. Les termes satanisme, luciférisme, diabolisme, et leurs équivalents, ont été colportés fréquemment, mais assez indistinctement, et dans des accents qui trahissent l’existence d’une forte terreur — les gens ne savent pas tout à fait de quel genre — plutôt qu’une explosion de superstition. Pour être clair, la question de Lucifer a réapparu, et d’une manière qui doit être éminemment déconcertante à l’intelligence moyenne et à l’esprit fort et avancé. Elle a réapparu non pas comme une enquête spéculative sur la possibilité d’une incarnation personnelle du mal opérant mystérieusement, mais d’une manière entièrement spirituelle, pour la propagation de la seconde mort[1] ; on nous demande de reconnaître qu’il y a une manifestation visible et tangible de la hiérarchie infernale qui a lieu à la fin d’un siècle qui a nié l’existence du prince des ténèbres.

Or, il y a quelques sujets qui paraissent à première vue futiles, mais nous venons à les considérer différemment quand nous constatons qu’ils sont pris au sérieux. Nous avons été habitués, avec une certaine apparence de raison, à lier l’idée de culte du diable avec des rites barbares pratiqués chez des peuples primitifs, de le considérer, en fait, comme un complément naturel des fétiches. Il semble hypothétiquement tout à fait impossible qu’il puisse y avoir quelconque personne, encore moins une société ou groupe de personnes, qui, à ce jour, à Londres, Paris, ou New York, adore le principe du mal. Par conséquent, si l’on avance que la magie noire est activement pratiquée à l’heure actuelle ; qu’il y a un culte actif de Lucifer ; que des messes noires sont célébrées, et impliquent des profanations révoltantes de l’Eucharistie catholique ; que le diable apparaît personnellement ; qu’il possède son église, son rituel, ses sacrements ; que des hommes, des femmes et des enfants se consacrent à son service, ou y sont dévoués par leurs parrains ; qu’il y a des gens, qu’on suppose sains d’esprit, qui mourraient dans la paix de Lucifer ; qu’il y a aussi ceux qui considèrent son domaine de feu éternel — une variété inconnue de feu Mr Charles Marvin — comme la véritable demeure de la béatitude ; dire tout cela n’améliorera pas la crédibilité de l’orateur, et ne prouvera pas son intelligence.

Mais ce développement improbable du satanisme est juste ce qui est sincèrement affirmé, et les affirmations faites sont prises dans certains milieux avec le plus grand sérieux. Elles ne sont pas apparues aujourd’hui ou bien hier ; on les entend plus ou moins depuis quelques années, mais leur importance en ce moment est due à l’insistance croissante, à la prétention à l’exactitude scrupuleuse, aux détails abondants et aux témoignages démonstratifs. Des rapports, en outre, ont récemment été livrés par deux témoins aux déclarations extrêmement détaillées et exhaustives, et ceux-ci ont distinctement donné un nouveau départ. Des livres se sont multipliés, des revues ont été fondées, l’Église prend des mesures, même un processus juridique a été institué. Le centre de cette littérature est à Paris, mais les nouvelles à son propos ont traversé la Manche, et sont passées dans la presse anglaise. Comme on affirme, par conséquent, qu’un culte de Lucifer existe, et que les hommes et les femmes qui y sont engagés ne sont ni ignorants ni particulièrement fous, ni encore appartenant aux couches les plus basses de la société, il vaut la peine d’enquêter sur la question, car on y trouvera intérêt, quelle que soit la conclusion.

Si le diable est réellement parmi nous, alors nous ferons bien de le savoir au nom de ce qui semble rustre dans l’orthodoxie religieuse, ainsi complètement exonérée ; au nom du fantastique dans la fiction et du sinistre dans la légende, ainsi inopinément concrétisés ; et, en outre, au nom du salut de nos âmes. Si Abaddon, Apollyon, et le seigneur des mouches sont effectivement des êtres réels ; surtout, si nous sommes susceptibles de les rencontrer en personne entre Free Mason’s Hall et Duke Street, ou entre Duke Street et Avenue Road, alors nous aurons tout intérêt à nous réconcilier au plus tôt avec la seule église qui a constamment et invariablement enseigné la doctrine virile et adulte des démons, et a les recettes de bonne foi pour les connaître, les éviter, et au besoin les exorciser, plus particulièrement si nous avons eu auparavant des tendances à concevoir un ordre du monde qui n’est pas basé sur la perdition.

Si, d’autre part, ce qui est dit est de la catégorie d’Ananias[2], à l’opposé de ce que les alchimistes appellent le code de vérité, il sera bon aussi de savoir que certaines parties des vieilles orthodoxies attendent encore leur délivrance des liens du scepticisme, que le réel doit être distingué du fantastique par l’ancienne méthode, à savoir sa stupidité comparative, et que nous pouvons encore créer notre univers sur tout pivot qui nous convient.

J’écris ostensiblement pour les transcendantalistes, dont je fais partie ; c’est en tant qu’élève du transcendantalisme que j’ai été amené à examiner ce mystère moderne, qui comporte des phénomènes d’aussi mauvais présage. Le diabolisme est, bien sûr, une question transcendantale, et la magie noire est liée à la magie blanche par la même opposition qui lie la lumière et l’obscurité. En outre, nous les mystiques sommes tous dans une certaine mesure accusés dans la question du diabolisme moderne, et cela fournit une autre raison d’enquêter et de publier le résultat. Dans le même temps, la question a de nombreux aspects intéressants pour de nombreuses personnes qui, se défendant d’être transcendantalistes, admettent néanmoins être curieuses.

La première rumeur dont j’ai pu me rappeler en Angleterre, concernant les pratiques occultes auxquelles un but douteux pourrait être imputé, est apparue il y a quelques années dans un journal psychologique bien connu, et était tirée d’une source continentale, c’est-à-dire l’histoire d’une certaine société qui existait alors à Paris, qui se consacrait aux pratiques magiques et possédait un rituel secret s’invocation des anges planétaires ; c’était une association de personnes bien placées, refusant tout lien avec le spiritisme, et prétendant connaître des procédés thaumaturgiques plus efficaces que ceux qui ont cours dans les séances. Le récit fut publié sans contestation, car en l’absence d’informations plus explicites, il ne semblait guère utile d’attirer l’attention sur la vraie substance de l’histoire. Le rituel secret en question n’aurait pas pu être inconnu des spécialistes de la littérature magique, pas plus que pour moi ; en fait, c’était l’un de ces nombreux classiques de l’art goëtique qui circulaient subrepticement dans les manuscrits d’il y a deux siècles. Il ne fait aucun doute que les esprits planétaires dont le document traitait étaient des démons, selon l’auteur, et ont dû être invoqués en tant que tels, en supposant que le rituel ait été pratiqué. L’association française n’était donc pas en possession d’une source secrète de connaissances, mais comme les impostures de ce genre ne surprennent guère les transcendantalistes, quelle que soit leur expérience, je m’étais abstenu d’émettre des protestations à l’époque.

À peu près à la même période, il devint évident qu’un changement important avait eu lieu dans certains aspects de la pensée de « la ville la plus éclairée du monde » et que parmi la jeunesse dorée, en particulier, il y avait une forte révulsion contre la philosophie matérialiste dominante ; une époque de sentiments transcendantaux et mystiques s’ouvrait en fait. Des associations anciennes, aux objectifs transcendantaux, étaient en train de renaître ou reprenaient de l’importance. Les martinistes, les gnostiques, les kabbalistes et une vingtaine d’ordres ou de fraternités dont nous entendions vaguement parler à l’époque de la Révolution française ont commencé à manifester une grande activité ; des périodiques à tendance mystique — non pas spiritualistes, ni néo-théosophiques, mais hermétiques, kabbalistiques et théurgiques — ont été établis et ont rencontré le succès. Les livres qui avait pesé lourdement sur les étagères de leurs éditeurs pendant environ un quart de siècle étaient soudainement demandés et de ce côté de la Manche, des érudits de renom étaient attirés par ce nouveau centre. L’intérêt était compréhensible pour les mystiques déclarés ; la doctrine du transcendantalisme n’a jamais eu qu’un seul adversaire, à savoir la densité du sujet intellectuel, et partout où le sujet se clarifie, il y a de l’idéalisme en philosophie et du mysticisme en religion. De plus, chez les mystiques, particulièrement ici en Angleterre, la voie de ce réveil avait été préparée avec soin, et on ne pouvait s’étonner de ce qu’il vint et qu’il soit accompagné, comme il est accompagné presque invariablement, par des phénomènes transcendantaux qui ne lui appartiennent pas. Par conséquent, lorsque les rumeurs de magie noire, de diabolisme et de mauvais usage des forces occultes ont commencé à circuler, il n’a pas été difficile d’attribuer quelque fondement à ces rapports.

Homme de lettres distingué, Mr Huysmans est sorti du naturalisme de Zola pour adopter la religion transcendantale, et se faire en quelque sorte le découvreur du satanisme moderne. Sous le plus mince voile de fiction, il donne dans son roman Là-bas, une image incroyable et intraduisible de la sorcellerie, du sacrilège, de la magie noire et des abominations sans nom qui sont secrètement pratiqués à Paris. Possédant une brillante réputation, un large public et un intérêt pour la psychologie ancré dans sa personnalité, qui plus que l’excellence littéraire donne un aspect contagieux à ses opinions et ses impressions privées, il a donné du crédit à la question de Lucifer, l’a menée de l’obscurité à la notoriété et en a fait un sujet en vogue. Il est vrai que, par sa profession de romancier, on peut le soupçonner d’inventer ses faits, et le docteur Papus, président de l’influent groupe martiniste de l’occultisme français, affirme très clairement que les portes des fraternités mystiques lui ont été fermées, de sorte qu’il ne peut rien savoir, et que ses opinions sont par conséquent sans importance. J’ai soigneusement pesé ces points, mais à moins que les fraternités mystiques soient liées au diabolisme, ce que Papus nierait fort justement, ce fait n’exclut pas la possibilité que Huysmans ait des connaissances de première main concernant la pratique du satanisme et, en dehors d’une « brillante imagination », Mr Huysmans a récemment prouvé qu’il était sincère par sa préface à un traité historique sur Le satanisme et la magie, œuvre d’un disciple littéraire, Jules Bois. Dans une critique qui, dans sa sobriété générale et sa lucidité, ne laisse pas grand-chose à désirer, il affirme qu’un certain nombre de personnes, qui ne se distinguent pas spécialement du reste du monde par la marque de la bête sur leur front, « se livrent en secret aux opérations de la magie noire, se lient ou essaient du moins de se lier avec les esprits de ténèbres, pour assouvir leurs désirs d’ambition, de haine, d’amour, pour faire, en un mot, le mal. » Il affirme également qu’il existe des faits qui ne peuvent être dissimulés et à partir desquels une seule déduction peut être faite, à savoir que l’existence du satanisme est indéniable.

Pour comprendre le premier de ces faits, je dois expliquer que les efforts pour former une alliance avec les anges déchus de la théologie orthodoxe, qui constituent la magie noire, ont été, en Europe au moins, invariablement liés au sacrilège. Par l’hypothèse de la démonologie, Satan est l’ennemi du Christ, et pour plaire à Satan, le sorcier doit outrager le Christ, en particulier dans ce qui est sacré chez lui. Les faits sont les suivants : 1° les vols continus, systématiques et à grande échelle d’hosties consacrées dans les églises catholiques, et non pas comme conséquence du vol des récipients des sanctuaires, qui sont souvent de valeur insignifiante et laissés de côté. L’intention du vol est donc de prendre possession des hosties, et leur profanation future est la seule motivation possible. Or, avant qu’il paraisse utile de profaner l’Eucharistie, il faut croire en la présence réelle, et cela est reconnu par seulement deux sortes de gens : les nombreuses personnes qui aiment le Christ et quelques-unes qui le haïssent. Mais il n’est pas outragé, du moins pas intentionnellement, par ceux qui l’aiment ; donc, le sacrilège est commis par ses ennemis en chef, à savoir les pratiquants de la magie noire. Il est difficile, je pense, d’échapper à cette conclusion ; et je dois ajouter que les étonnantes profanations des sacrements, quoi qu’elles puissent être profondément déplorées par l’Église, sont cachées plutôt que mises en scène ostensiblement, et comme il est difficile d’en venir aux faits, on peut déduire qu’elles ne sont pas exagérées, du moins par l’Église ; 2° la perpétration occasionnelle de certains crimes scandaleux, y compris les meurtres et autres abominations, dans lesquels un élément de magie noire a été reconnu par des tribunaux. Mais ceux-ci sont trop isolés géographiquement et trop peu fréquents dans le temps pour prouver l’existence d’associations sataniques ou d’une pratique répandue. Ils peuvent donc être mis hors de cause dans la présente enquête pour qu’on puisse les appeler à la barre si nécessaire ; 3° l’existence d’une société de palladistes, ou des gens professant certaines doctrines appelées palladisme, comme le démontre, entre autres, la publication d’une revue dans son intérêt.

Les faits cités par Mr Huysmans consistent donc en actes de sacrilège, indiquant l’existence d’associations dévouées à ces sacrilèges, qui doivent cependant être considérés comme un moyen et non une fin, la fin en question étant d’entrer en communication avec les démons. Indépendamment de Mr Huysmans, je crois qu’il n’y a aucun doute sur le sacrilège. Il est de notoriété publique qu’en 1894, deux ciboires, contenant cent hosties consacrées, ont été dérobés par une vieille femme à Notre-Dame dans des circonstances qui indiquent que les récipients ne sont pas les objets du larcin. Des déprédations similaires se seraient multipliées d’une manière extraordinaire au cours des dernières années et se sont produites dans toutes les régions de France. Pas moins de treize églises appartenant au seul diocèse d’Orléans ont été profanées en l’espace de douze mois, et dans le diocèse de Lyon, l’archevêque a recommandé à ses clercs de transformer les tabernacles en coffres-forts. Des sacrilèges se sont produits tour à tour dans les départements de l’Aude, de l’Isère, du Tarn, du Gard, de la Nièvre, du Loiret, de l’Yonne, de la Haute-Garonne, de la Somme, du Nord et du Dauphiné. Les abominations en question ne sont pas non plus limitées à la France : Rome, la Ligurie et Salerne ont également souffert, alors qu’aussi loin que l’île Maurice, un cas particulièrement révoltant s’est produit en 1895.

Je ne peux pas dire que les recherches personnelles du romancier français sont allées au-delà des statistiques du sacrilège, que, cependant, il a recueillies avec soin, et celles-ci constituent en elles-mêmes une forte présomption. Mr Huysmans est prolifique dans la fiction et peu prompt à écrire des essais, mais il nous donne à comprendre explicitement que le fameux chanoine Docre de Là-bas habite en fait en Belgique, qu’il est le chef d’un « clan démoniaque », et, comme le comte de Saint-Germain, il vit dans la terreur de ce qui l’attend dans l’au-delà. Selon un intervieweur, Mr Huysmans déclare que ses informations viennent d’une personne qui était elle-même sataniste, mais les révélations ont dérangé la secte, et le contact a été coupé, bien que l’écrivain avait été initialement accueilli « comme l’un des leurs ». Mais il est clair à mon esprit que pour ses descriptions des orgies qui ont lieu aux assemblées modernes des magie noire, Mr Huysmans doit beaucoup à des documents placés entre ses mains par les disciples de l’illuminé Eugène Vintras, le docteur Johannès de Là-bas. Vintras a été le fondateur d’une secte thaumaturgique singulière, incorporant les aspirations des sauveurs de Louis XVII. Il obtint une certaine notoriété vers 1860, et un compte-rendu de ses déclarations et de ses miracles se trouve dans l’Histoire de la magie d’Éliphas Lévi, dans la Clef des grands mystères du même auteur, et dans Les petites religions de Paris de Jules Bois. Il a laissé un certain nombre de manuscrits derrière lui, relatant ses combats de longue durée avec les prêtres de la magie noire, une série de récits fervents aux forts relents d’hallucination, mais très pittoresques, et que certains milieux acceptent très sérieusement.

De la même manière, en ce qui concerne l’existence d’associations sataniques, et en particulier du Palladium, Mr Huysmans tire ouvertement son savoir de sources publiées. Nous pouvons donc comprendre, par conséquent, qu’il se base sur une connaissance accidentelle et extrinsèque, et il n’a pas pu créer par lui-même la question de satanisme. Il indique l’existence d’une question, plutôt que de la prouver ; pour connaître sa portée et sa nature, nous devons faire appel aux témoins qui prétendent avoir vu par eux-mêmes. Ceux-ci sont de deux sortes, à savoir l’espion et le transfuge : le témoin qui prétend avoir enquêté sur le sujet par lui-même en vue de le dévoiler, et ceux qui se sont avancés pour dire qu’ils étaient autrefois des adorateurs de Lucifer, des adorateurs de Satan, des pratiquants de la magie noire, ou étaient au moins liés à des associations dédiées à ces fins, qui ont maintenant, cependant, coupé les liens avec celles-ci, et révèlent ce qu’ils savent. Dans la première catégorie, nous ne trouvons que le docteur Bataille ; dans la seconde, Diana Vaughan, Jean Kostka, Domenico Margiotta et Léo Taxil.

Enfin, nous avons, comme indiqué dans la préface, certains témoignages d’écrivains représentant les intérêts de l’Église romaine, d’une manière particulière, car ils parlent avec l’autorité de cette Église. Le plus important d’entre eux est le regretté archevêque Meurin. Dans le même temps, à part Mr Huysmans — qui occupe largement la même position quasi-religieuse que celle qui a attaché un intérêt éphémère à la personnalité de Mr W. H. Mallock — tous les écrivains et tous les témoins sont, ou sont supposés être, à l’heure actuelle, de convaincus et zélés catholiques.

J’ai déjà déclaré que le but de la magie noire est tout simplement et évidemment de communiquer avec les démons, et si nous interrogeons nos sources de connaissance quant à l’objet de cette communication, il faut admettre que la réponse est vague. Peut-être le but sera-t-il mieux défini comme le renforcement des capacités humaines par le pouvoir et l’intelligence du diable dans le but de pratiquer le mal ainsi que d’assouvir le désir individuel et l’ambition. Pour accomplir ce qui est bon, l’homme aspire vers Dieu, et pour faire le mal, il tente de conspirer avec Satan.

Il faut cependant observer que le culte moderne du diable, tel qu’exposé par ses experts français, a deux aspects, correspondant à la distinction déjà établie dans ma préface. Il y a : 1° le culte du diable pur et simple, soit une tentative de communiquer avec les esprits maléfiques, en admettant qu’ils sont maléfiques ; 2° le culte de Lucifer, étoile du matin, distingué de Satan, supposant qu’il est un esprit bienfaisant. On verra très facilement que l’essence du diabolisme est insuffisante dans la deuxième définition, à savoir, l’intention satanique, de sorte qu’il appartient vraiment à une autre catégorie, bien que la classification peut être acceptée pour le moment pour éviter la controverse au début d’un enquête quelque peu complexe. La première catégorie est, en tout cas, le satanisme proprement dit, et ses adeptes sont appelés satanistes ; ceux de la deuxième catégorie sont, d’autre part, les lucifériens, palladistes ou autres appellations. Les deux ordres sont également distingués comme non organisé pour le premier, et comme organisé pour le second. Le culte de Satan est censé être principalement pratiqué par des personnes isolées ou d’obscurs petits groupes ; celui de Lucifer est centralisé dans au moins une institution importante et présente partout — en d’autres termes, le premier est rare et sporadique, le second est une pratique très courante. Nous entendons donc peu de choses du premier, alors que les témoignages recueillis concernent exclusivement l’autre. Il est possible, en fait, de rejeter le satanisme de la première définition en quelques mots, parce que les matériaux manquent pour son histoire. Il est fondé sur le christianisme orthodoxe ; il reconnaît que le diable est un ange perdu, mais il affirme que le dieu des chrétiens a trompé ses fidèles, trahi la cause de l’humanité et exigé la suppression de la nature qu’il lui a lui-même donnée ; ils ont donc abandonné un maître cruel et tyrannique, et sont allés par désespoir à son ennemi.

Le satanisme de la seconde catégorie, ses principes et son origine, seront décrits dans le deuxième chapitre.

  1. NdT : la seconde mort est un concept biblique, aux interprétations diverses, selon lequel les âmes des humains peuvent être condamnées définitivement après une mort naturelle.
  2. Ndt : soit des mensonges.