Le diable est aux vaches/Un mariage qui fait jaser


II

Un mariage qui fait jaser


Suis hier allé au Moulin
Voir ma mie Annette
Comme elle filait le lin
De sa quenouillette,
……………………………
Enfin j’y conte tout haut
Ce qui me tracasse
……………………………
Rrou et rou dondaine
Rrou et rou donné

(Botrel)


Quelques années auparavant, plus d’une jeune fille du canton avait eu peine à réprimer un gros soupir lorsque, à la surprise générale de ses ouailles, Monsieur le Curé avait annoncé, le dimanche, l’union projetée, mais absolument inattendue, de l’héritier de l’un des plus beaux biens de la paroisse, Jean-Baptiste Pinette fils, à une demoiselle Agathe XXX, de la campagne québécoise, de la Beauce quelque part.

Aussi le dimanche suivant dans plus d’un foyer où c’était au tour des vieux à aller à la messe il y eut des compromis… habilement préparés depuis une semaine, et d’après lesquels le père, au moins, consentait à sacrifier son tour en faveur des jeunesses et à garder encore ce dimanche-là, quitte à se reprendre plus tard…

Et voilà comme quoi, sur le perron et à la porte de l’église, avant comme après, et entre la messe et les vêpres, le petit Baptiste et sa nouvelle épouse furent le point de mire de toute la jeunesse en particulier, et fournirent un thème à la conversation des paroissiens en général.

Ce dimanche-là aussi les avis publics « par les présentes données » du secrétaire municipal furent plus ou moins écoutés, et les ventes pieuses du crieur pour les bonnes âmes rapportèrent peu, tant l’attention de la foule était captée par les jeunes époux.

Le marié semblait plus fier que jamais, mais avait l’air un peu gauche et dépaysé tout de même dans son habillement de noces tout en stoffe, son grand surtout noir, son chapeau haut de forme et ses gaiteurses neuves.

La mariée, superbement parée, paraissait tout à fait à l’aise, elle, dans sa modeste mais gracieuse toilette, ses bottines en cuir à patente et sa large crinoline, la dernière qu’elle devait porter et qui avait été achetée tout exprès pour la circonstance à Québec, chez Zéphirin Paquet, le riche.

Puis dans le Trois, toute la semaine, et tout un mois durant, ce que l’on inventoria les qualités bonnes ou mauvaises, réelles ou supposées de la nouvelle venue ! Et ce que l’on conjectura sur le sort réservé au petit Baptiste, qui avait voulu tirer du grand en sortant des Tonnechipes pour prendre femme, et surtout en ne publiant qu’un ban, comme s’il avait eu peur que le monde le sache. Le premier phénomène s’était rarement vu, et le second ne s’était jamais rencontré encore dans la paroisse !