CHAPITRE QUATORZIÈME.
Mon âme aujourd’hui solitaire,
Sans objet comme sans désir,
S’égare et cherche à se distraire
Dans les songes de l’avenir.
Laharpe.
charles amand.
L’épouse d’Amand, dont nous n’avons
fait nulle mention dans le cours de cet
ouvrage, parce qu’elle ne prit aucune
part aux événements que nous avons
décrits, mourut peu de temps après le
mariage d’Amélie. Amand se trouva
donc seul dans le monde. Semblable à
l’étudiant ambitieux de Bulwer, il aurait
pu s’enfermer dans son cabinet, méditer
sur les poètes, et regarder avec tristesse
le soleil levant ; mais lui, il n’avait pas
de cabinet ni de fenêtres
Aux longs panneaux de soie ;
aussi se livra-t-il à ses études alchimiques, près de l’âtre de l’humble chaumière où nous l’avons trouvé en commençant cette histoire, et où il mourra probablement ; car, voyez-vous, son âme à lui, c’est dans ce foyer. Ne l’accusez pas de folie, au moins dans cela, car le foyer c’est le royaume des illusions, c’est la source des rêves de bonheur. Vous tous, nés au sein de l’aisance, ne faites-vous pas consister une partie des délices de la vie à être couchés près d’un feu pétillant, en vous reposant de ce que vous appelez les fatigues de la journée ? N’est-ce pas parmi ces brasiers, aux images fantastiques, que votre imagination cherche une autre existence qui puisse vous dédommager d’un monde où vous ne trouvez que des intérêts plus vils les uns que les autres, et qui s’entre choquent sans cesse ? N’est-ce pas près du foyer que la jeune canadienne, que l’éducation n’a pas encore perfectionnée, se demande si parmi cette foule d’hommes élégants qui l’entourent, elle ne trouvera pas une âme poétique, dont les cordes vibrent à l’unisson de la sienne ? Enfin,
n’est-ce pas le temple du souvenir ? Eh bien ! lui, s’il n’a pas une de ces magnifiques grilles qui décorent nos salons ennuyeux, il peut néanmoins savourer la même jouissance ; car c’est en contemplant un métal brillant qui reluit au fond d’un creuset, entouré de quelques petits charbons ardents, qu’il cherche à jeter dans l’oubli toute l’amertume de l’existence.
Amand se livra donc entièrement à l’étude des merveilles de la nature, dont Saint-Céran lui avait donné la clef, à ce qu’il disait ; et, s’il perdit le goût de faire des conjurations, cela ne l’empêchait pas, soit qu’il se trouvât la nuit dans un bois, ou sur le rivage, de s’entretenir souvent avec quelques gnomes solitaires (qu’il décorait du nom pompeux de gognomes), cachés dans quelques taillis ou gémissant sur quelques roches que la marée montante allait ensevelir : c’était les seules distractions qu’il se permettait, et encore assurait-il que c’était purement par accident qu’il rencontrait ces esprits infortunés.
Tranquille et sans inquiétude,
Il coulait ses jours sans soucis,
La nature était son étude
Et les livres ses seuls amis.
Laharpe.
Il y a quelques années que l’auteur
ne l’a pas vu ; il a seulement entendu
dire qu’il cherche toujours la pierre
philosophale, et qu’il lit sans cesse le
petit Albert, ouvrage qui a décidé du
sort de sa vie.
Ph. Aubert De Gaspé Fils.
FIN