Le chercheur de trésors ou L’influence d’un livre/13

Texte établi par Imprimerie de Léger Brousseau (p. 151-160).

CHAPITRE TREIZIÈME.


Come dwell with me, come dwell with me,
And our home shall be, and our home shall be,
A pleasant cot, on a tranquil spot,
With a distant view of the changing sea.

Song.
le mariage.

Tiens, dira la jeune fille en arrivant aux dernières pages de cet ouvrage, ils vont déjà se marier, et ils n’ont seulement pas eu un petit refroidissement ; c’est drôle. Ducray Dumesnil sait bien mieux arranger une histoire. Je le veux bien, moi ; mais je me suis promis de respecter la vérité, et en outre j’enseignerai une bonne recette à celles qui croient qu’on ne peut aimer sans se brouiller de temps à autre : elles n’ont qu’à voir leurs galants tous les six mois, et pour deux ou trois jours seulement, et elles ne chercheront pas à se l’attacher en le tourmentant ; et je crois, en outre, que cet ouvrage n’aurait pas fini par un mariage, si Amélie avait suivi ce système ; car Saint-Céran n’aimait pas les coquettes.

Le lendemain de son entrevue avec Dimitry, Saint-Céran écrivait la lettre suivante :


Ma chère Amélie,

Le temps est enfin venu de te rappeler tes promesses et de tenir les miennes. Tu dois être à moi, tu me l’as juré, et je réclame ton serment. Ton père est peut-être mort ; rien ne t’empêche de faire mon bonheur, et je pense que, s’il vivait, il ne me refuserait pas ta main maintenant. Mais peu importe, je serai près de toi dans quelques jours. Adieu mon amie.

De Saint-Céran.

Trois jours après, il reçut la réponse suivante :


Mon Eugène,

Tout est découvert ! Mon père est arrivé depuis deux jours. J’ai reçu ta lettre devant lui ; il m’a ordonné de la lui montrer, et j’ai été obligée de le faire ; il l’a lue sans rien dire : puis il s’est mis à sourire, de cette manière que tu sais, j’allais dire de cette manière qui fait mal, mais tu me l’as défendu. Puis il est parti, et je ne l’ai pas revu depuis. Je suis persuadée que tu ne viendras pas, dès que tu auras reçu cette lettre. Écris-moi ce que je dois faire. Mon père ne m’a pourtant rien dit, et je suis néanmoins bien malheureuse.

Ton amie affectionnée,
Amélie.

— Fâcheux contretemps ! dit le jeune homme en jetant la lettre sur son bureau, et se promenant à grands pas dans sa chambre. Tout s’en mêle ; il y avait quatre ou cinq ans qu’on n’en entendait plus parler, il faut qu’il ressuscite sept à huit jours trop tôt. Patience ! ajouta-t-il en allumant son cigare (c’était son remède universel), patience ! il faut retarder un peu ; voilà tout. Ou peut-être ferais-je mieux de lui parler ; il doit être pauvre comme un rat d’église ; je lui offrirai de l’argent, il ne pourra résister. Tout en parlant ainsi, Saint-Céran s’avança jusqu’auprès de la fenêtre, où il s’arrêta tout-à-coup avec un mouvement de surprise ; néanmoins, l’habitude qu’il avait de se commander à lui-même, lui fit bientôt reprendre son visage calme. « Le proverbe est vrai, » dit-il, « parlons du diable, et on en voit la tête. » C’était en effet Charles Amand lui-même, qui entra d’un pas ferme, l’air assuré, la tête haute, avec toute l’importance que donne un bon habit et trois ou quatre cents piastres dans la poche de celui qui depuis longtemps est privé de ces avantages, sans lesquels un homme est rarement bien vu dans le monde. Si mon lecteur ne croit pas que ces deux choses aient une grande influence sur le moral d’un homme qu’il aille le demander à tous ces jeunes commis et écrivains, qui le plus souvent sont sans place, et qui connaissent parfaitement ce qu’on appelle en anglais les up’s and down’s of human life ; et s’ils ne veulent pas l’avouer, c’est que ces messieurs brillent dans le moment. Or donc, Amand entra comme je viens de le dire :

— Bonjour, M. de Saint-Céran, dit-il du même air de confiance.

— Charmé de vous voir, Amand ; asseyez-vous.

Notre héros parut chagrin, son orgueil était froissé ; il lui sembla que son interlocuteur aurait bien pu dire monsieur Amand : un habit cela change tant un homme ! Néanmoins l’intérêt personnel, ce grand mobile des actions humaines, comme dit un auteur, l’empêcha de s’en plaindre ; car il venait pour se débarrasser de sa fille, et il n’aurait pas voulu tout gâter.

— Vous avez voyagé depuis notre dernière entrevue, continua le jeune médecin ; bon succès, j’espère ?

— Ah ! oui, monsieur, répondit Amand ; fameux pays d’où je viens, on sait payer le mérite là ; j’y serais bien resté, car je faisais ma fortune rapidement ; mais j’ai une famille, et vous sentez que l’idée de la croire malheureuse suffisait pour empoisonner mon existence : cela, joint avec l’amour du pays, qui m’a pris, m’a décidé à revenir. Mais j’y retournerai, vous pouvez être sûr, s’il y a quelques moyens de s’y rendre.

— Vous avez donc été visiter la vieille Europe ?

— Non, mais j’ai été un peu en-deçà. Changeons de conversation. Je suis venu pour vous consulter sur quelques métaux dont je désirerais faire l’acquisition : savez-vous si je pourrais me procurer de l’étain de Cornwall en ville ?

— Je ne pourrais vous dire exactement si c’est de l’étain de Cornwall ; mais il ne manque pas d’étain ici : il y en a beaucoup plus que d’argent.

— Je crois bien, mais ce n’est pas ce qui m’embarrasse. Si j’en trouve, j’ai enfin découvert le véritable moyen de le changer en argent.

— Ah ! tant mieux pour vous, dit Saint-Céran ; bon secret celui-là.

— Vous seriez bien plus étonné, continua l’alchimiste, si je vous disais que s’il ne me manquait pas un livre, qu’un français m’a promis, j’en ferais de l’or piment ; et peut-être que vous ne savez pas que les plus fameux orfèvres ont de la peine à reconnaître de l’or piment avec de l’or ordinaire ; ainsi, avec bien peu de peine, on parvient à leur faire prendre le change. Vous avez beau sourire, ajouta-t-il en s’apercevant que Saint-Céran souriait en l’entendant.

Pour toute réponse, le jeune médecin alla prendre un dictionnaire de l’Académie dans sa bibliothèque.

— Je vais vous montrer, mon cher Amand, dit-il, ce que c’est que votre or piment ; et il lut l’article suivant :

Or piment, s. m. : arsenic jaune qu’on trouve tout formé dans les terres ; on s’en sert pour peindre en jaune : on le nomme aussi orpin.

Le héros le lut et le relut.

— Maudit français, menteur, murmura-t-il entre ses dents, et moi qui croyais tout le temps qu’il disait vrai ; c’est égal, quant à en faire de l’argent, cela j’en suis sûr. À propos, dit-il, désirant changer la conversation, vous avez écrit à Amélie, dites-le donc, vous lui proposez-là un joli coup.

— Nous y voilà, se dit tout bas Saint-Céran. Que voulez-vous mon cher Amand, vous ne voulez pas consentir à mon mariage, et il me faut Amélie à moi.

— Me l’avez-vous demandée ? est-ce que vous croyiez que j’allais vous l’offrir ?

— Hein ! fit Saint-Céran ; non, pas tout-à-fait. Mais vous lui aviez défendu de me parler pour toujours.

— J’avais mes raisons, dit le héros.

— Alors si je vous la demandais, me la refuseriez-vous ?

— Qui sait ?

Saint-Céran lui fit aussitôt une demande, dans toutes les formes, de la main d’Amélie, à laquelle Amand se hâta d’acquiescer. Le jeune médecin le pria d’accepter un petit présent de noces, ajoutant que connaissant sa soif de la science, il le priait de trouver bon que son don fût tout-à-fait littéraire. En conséquence il lui présenta le Dictionnaire des Merveilles de la Nature, en trois volumes, magnifiquement reliés, ouvrage qu’il lui assura avoir été écrit par des philosophes comme lui. Il y ajouta une vingtaine de manuels des différents arts et métiers. Amand, au comble de la joie, se retira avec son trésor, et l’on dit même qu’il alla consulter son français pour savoir si ce n’était pas une édition contrefaite du Dictionnaire des Merveilles de la Nature qu’on lui avait donnée ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’il partit le lendemain, avec Saint-Céran, pour Saint-Jean-Port-Joli, où le mariage fut célébré dans l’église paroissiale avec beaucoup de pompe et de solennité.

Ainsi mes lecteurs ne doivent plus avoir aucune inquiétude sur le compte de Saint-Céran et d’Amélie, qui, sans aucun doute, doivent avoir coulé des jours pleins de prospérité et de bonheur.