Eusèbe Sénécal, imprimeur-éditeur (p. 5-14).

I

le chemin du pacifique. aperçu historique de l’entreprise.


Le projet de construire un chemin de fer sur le territoire britannique de l’Atlantique au Pacifique, n’est pas une idée nouvelle. Depuis longtemps il a été ébauché et on en a reconnu l’importance et la praticabilité. Si un certain public l’a accueilli pendant nombre d’années avec indifférence, en le rangeant au nombre des utopies, il a été en revanche mis à l’étude par des hommes pratiques et éclairés, qui ont démontré l’importance de la révolution économique qu’il doit opérer au nord ouest du continent.

Dès 1848, le lieutenant Synge publiait une brochure intitulée : “Canada in 1848” dans laquelle il faisait valoir fortement l’entreprise. Cet officier de l’armée anglaise, ayant passé quelque temps dans le pays, était en mesure d’en parler avec connaissance de cause.

En 1852, M. Synge, devenu Capitaine, revenait à la charge et lisait devant la Société Géographique de Londres, une étude sur la question d’un chemin de fer à travers le territoire britannique. Son projet, dit M. A. Langel,[1] « est conçu de telle manière que le chemin de fer s’appuie partout sur des voies navigables, et que chaque partie forme un tronçon assez important en lui-même pour attirer l’émigration. Le chemin de fer dès aujourd’hui peut suivre et côtoyer en quelque sorte, jusqu’à trois cents lieues dans les terres, les grands lacs qui forment le plus magnifique réseau de navigation intérieure qu’on puisse trouver dans le monde. Le grand système des rivières qui descendent dans le lac Winnipeg et entrent dans la Baie d’Hudson, en formait la continuation naturelle. Ces voies, qu’on pourrait partout rendre navigables, ouvriraient le continent jusqu’au pied des Montagnes Rocheuses. Cet immense réseau de lacs et de rivières serait complété, du côté du Pacifique, par le système des rivières qui vont y verser leurs eaux, et dont les sources indiquent les passages les plus faciles de la grande chaîne centrale. À ces hautes latitudes le massif montagneux est tellement abaissé, qu’à l’époque des grandes crues, les eaux des deux bassins hydrographiques se rejoignent et se mêlent. Bien que le climat des contrées qui dominent le lac Supérieur soit très rigoureux, le capitaine Synge les représente comme parfaitement propres à la culture. La saison d’été y est courte, mais très chaude, les céréales et les fruits y arrivent rapidement à pleine maturité. Plus on avance du côté de l’Océan Pacifique, plus l’âpreté du climat s’efface et tous les voyageurs s’accordent à reconnaître qu’à l’Île Vancouver, il est extrêmement doux. »

Le major Carmichael Smith qui avait également demeuré dans le pays, est aussi l’un des premiers promoteurs de l’entreprise. Brochures, lettres aux hommes d’état anglais, communications à la presse, il mit tout en œuvre pour attirer l’attention publique sur cette question qui ne lui avait jamais encore été présentée sous un jour aussi lumineux. Ces écrits n’eurent pas d’effet pratique, mais ils firent du moins connaître un projet qui n’était pas encore mûr, et l’auteur réussit tellement à dégager cette idée de toute apparence d’utopie, que la plupart des journaux de Londres en parlèrent fort avantageusement.

En 1849, il publiait en faveur de ce chemin, une lettre adressée à M. Haliburton, l’un des hommes les plus remarquables de la Nouvelle Écosse, et le satirique auteur d’un ouvrage plein de sel : “The Clockmaker.” Le Major Smith était l’ami intime de M. Haliburton et de notre vétéran politique, l’hon. M. Howe, aujourd’hui secrétaire d’État pour les Provinces.

En 1850, il livra ce travail à la publicité sous la forme d’une brochure. Le pays ne possédait alors que quelques tronçons de chemin de fer et le major Carmichael Smith demandait hardiment la construction d’une voie ferrée, d’un océan à l’autre, depuis Halifax jusqu’à la rivière Fraser, dans la Colombie Britannique.

Il calculait que 2 935 milles séparaient les deux océans, soit : 635 milles d’Halifax à Québec, 1 200 de Québec à Fort Garry et 1 150 de Fort Garry à la rivière Fraser. La première section devait coûter 5 000 000 £, la seconde 10 000 000 £ et la troisième 10 000 000 £. M. Smith eût pu rendre cette évaluation sur le coût de l’entreprise plus exacte, s’il eut été mieux renseigné sur la longueur du trajet que le chemin devait parcourir, car il abrégeait la distance de plusieurs cents milles, puisque de Montréal à l’embouchure de la rivière Fraser seulement, elle est d’environ 3 000 milles.

L’auteur envisageait la question surtout au point de vue impérial, et dans son langage énergique, il appelait le chemin : the great link required to unite in one powerful chain the whole english race. Il était selon lui de la plus haute importance pour l’Angleterre de construire cette route comme devant lui assurer pour toujours une libre communication avec ses possessions orientales. L’Angleterre pouvait entreprendre l’exécution du chemin de concert avec la Compagnie de la Baie d’Hudson et ses colonies britanniques, et l’on aurait nommé un bureau de direction générale, formé de 15 commissaires, dont 3 de l’Angleterre, 3 de la Compagnie de la baie d’Hudson, 3 du Canada, 3 du Nouveau Brunswick et 3 de la Nouvelle-Écosse. Et les travaux se seraient faits sous son contrôle par une compagnie intitulée : « La compagnie du chemin de fer de l’Atlantique et du Pacifique. »

M. Smith voulait combiner la construction du chemin avec un système d’émigration, qui aurait eu pour but de déverser le trop plein du peuple anglais dans nos solitudes de l’ouest. Mais conformément à une idée fort populaire à cette époque, il suggérait de faire exécuter le chemin par des détenus qui, au lieu d’encombrer les prisons anglaises, auraient été employés aux terrassements de la route, dans ces régions éloignées. Leur surveillance se serait faite par des soldats, dont le licenciement, au bout de dix ans, aurait coïncidé avec l’octroi gratuit de lots de terre qu’ils auraient cultivés.

M. Smith faisait encore une description très encourageante du pays que devait sillonner cette grande artère intercontinentale. En signalant l’importance de cette entreprise, il nous représentait le pays complètement métamorphosé sous son influence, les plaines de l’ouest changées en de fertiles campagnes, Halifax, Québec et Montréal prenant un accroissement extraordinaire, et des villes pleines d’avenir surgissant le long de son parcours.

M. Smith disait encore : Sir Alexander MacKenzie a tracé en grosses lettres vermillonnées, cette courte inscription sur les rocs du Pacifique : « Alexander MacKenzie, du Canada, par terre, le 22 juillet 1794. » Quel sera le premier ingénieur qui gravera sur les Montagnes Rocheuses : « Ce jour, l’ingénieur A. B. a conduit la première locomotive à travers les Montagnes Rocheuses. »

MM. F. A. Wilson et Alfred B. Richards publiaient presqu’en même temps (1850), un livre assez considérable sous la rubrique : Britain redeemed and Canada preserved. Ils nous représentent l’Angleterre obérée de dettes, souffrant d’un surplus de population d’au moins 5 000 000 d’âmes, ravagée plus que jamais par la plaie du paupérisme, menacée d’une crise commerciale, et ne pouvant échapper à un désastre imminent et à un terrible mal social, que par cette grande entreprise qui devait raviver le commerce anglais, offrir un placement avantageux aux capitaux et attirer dans notre pays une affluence énorme de population anglaise.

Évidemment, ces deux publicistes n’auraient jamais formé partie de l’école de Manchester. Car, ils ont la plus haute idée de l’importance du Canada et ils croient que l’exécution d’un chemin de l’Atlantique au Pacifique aurait pour effet de river son avenir aux destinées de l’empire, de perpétuer l’union coloniale et de nous rendre à jamais indépendants des États-Unis. Comme M. Smith, ils suggèrent que l’on transplante des colonies pénales dans l’ouest, dans le but d’exécuter les immenses travaux du chemin.

L’année suivante (1851), M. Allan MacDonell publiait à Toronto une brochure intitulée : A railroad from Lake Superior to the Pacific, the shortest, cheapest and safest communication for Europe with all Asia. Le titre de l’ouvrage indique parfaitement le but de l’auteur, et quoique cette étude n’ait que 16 pages, petit texte, elle contient, sous une forme extrêmement concise, tous les arguments que l’on pouvait faire valoir en faveur de l’entreprise. C’est pour la première fois probablement que cette importante question était aussi habilement traitée par une plume canadienne.

M. MacDonell calculait que 1 700 milles séparaient le Lac Supérieur du Pacifique et que le chemin pourrait se construire, au coût d’environ 20 000 $ par mille, moyennant la somme totale de 35 000 000 $. Cette évaluation était bien trop modérée, puisque le chemin nécessitera une dépense trois fois plus considérable.

Le pays qui ne portait pas ses vues si haut, ne prêta guère d’attention à une entreprise aussi gigantesque. Aux yeux d’un grand nombre, elle devait avoir le sort de tant d’autres beaux projets que l’on caresse comme de vaines chimères.

L’esprit d’incrédulité avec lequel on accueillit cette idée n’a pas lieu de nous surprendre. N’a-t-on pas tourné en dérision M. Ash Whitney, de New York, lorsque l’un des premiers, il fit un énergique appel à l’opinion publique et aux capitalistes, pour construire un chemin de fer à travers le territoire américain jusqu’au Pacifique ? Mais on sait que M. Whitney a fini par avoir raison d’une manière éclatante, puisque le 10 mai 1869, on inaugurait au milieu de démonstrations solennelles et enthousiastes, le premier chemin de fer américain qui ait relié les deux océans, en donnant une solution victorieuse à l’un des plus grands problèmes qui se soient encore offerts à la science et à la persévérance humaine.

Cependant ce germe d’une grande idée se fit jour quelque part. L’hon. M. Sherwood présenta dans notre législature provinciale en 1851, un bill incorporant une compagnie pour la construction du chemin du Pacifique. Dans la session de 1852-53, une pétition fut présentée par M. Allan MacDonell et autres pour construire un chemin de fer du Lac Huron au Pacifique, à la condition que le gouvernement leur allouât une subvention de 60 milles de terrain sur tout le parcours de la ligne.

En 1854-55, l’hon. A. N. Morin, le champion de tant de belles causes, fit passer un bill incorporant une compagnie pour la construction du Chemin du Pacifique du Nord. Mais cette compagnie ne s’avisa pas plus que les précédentes de mettre sa charte à effet.

En 1858, une puissante compagnie s’organisa dans le même but et l’on crut que l’entreprise allait avoir enfin un commencement d’exécution. Mais, malgré la formation d’un bureau de direction composé d’hommes influents, on ne tenta aucune opération sérieuse. Cette compagnie prit le nom de « Compagnie de transport maritime et par chemins de fer du Nord Ouest. » Elle avait, dit M. Fleeming dans une étude publiée en 1863, des pouvoirs très étendus ; en outre de la faculté de trafiquer sur les fourrures, le pémican, les cuirs, l’huile de poisson, et autres articles de commerce, elle était autorisée à rendre navigables les différents cours d’eau ; à construire des chemins en fer et des voies à rails en bois, et des lignes ferrées entre les lacs et rivières navigables de manière à faciliter les moyens de transport du Lac Supérieur à la rivière Fraser. Elle avait encore le droit d’acheter et d’employer des navires de toutes sortes sur le Lac Supérieur et sur toutes les nappes et cours d’eau au nord et au nord-ouest du dernier de ces deux lacs, ce qui lui ouvrait un vaste champ pour les entreprises commerciales.

Le gouvernement canadien qui commençait à sentir l’importance d’ouvrir des communications avec le Nord-Ouest, fit faire une exploration topographique et géologique de la région située entre le Fort William et le Fort Garry et de la vallée de la Rivière Rouge, sous la direction de M. Gladman. Les documents officiels de 1858 renferment des rapports vraiment précieux sur cette exploration.

En 1858, une autre expédition fut organisée sous les auspices du gouvernement, par M. Henry Houle Hind. L’administration canadienne, satisfaite des informations importantes qu’elle avait déjà obtenues sur ces territoires, voulut poursuivre ses recherches plus loin, en faisant explorer les deux immenses vallées de l’Assiniboine et de la Siskatchewan. L’expédition avait instruction de se procurer les renseignements les plus complets sur la géologie, l’histoire naturelle, la topographie et la météorologie de ces régions. La plupart des explorateurs étaient des spécialistes distingués et MM. Henry Houle Hind et S. J. Dawson ont publié des rapports très étendus et fort élaborés, que nous aurons l’occasion de mentionner ultérieurement.

La petite colonie de la Rivière Rouge, perdue pour ainsi dire dans l’immensité des prairies, et n’ayant de rapports qu’une fois par mois avec l’étranger par la voie des États-Unis, ressentait vivement de son côté les mille inconvénients de sa séquestration du monde civilisé. À quelques cents milles au sud, le Minnesota était alors en plein enfantement, et les colons de la rivière Rouge enviaient avec raison la rapidité de ses progrès.

Un projet était alors sur le tapis pour construire un chemin et établir une ligne télégraphique depuis le Lac Supérieur jusqu’à la Colombie Anglaise, et ils crurent l’occasion favorable d’élever la voix en faveur de l’entreprise, en faisant un appel, à la fois, aux gouvernements impérial et canadien. Telle était leur anxiété de voir s’ouvrir une communication avec le Canada, qu’ils offrirent de construire un chemin depuis le Fort-Garry jusqu’au Lac des Bois, une distance de 90 à 100 milles, si l’Angleterre ou le Canada voulait ouvrir le reste de la route jusqu’au Lac Supérieur.

Ils présentèrent un mémorial sur les avantages d’une route jusqu’au Pacifique et M. Sandford Fleeming, ingénieur de renom, fut chargé de faire valoir leur cause dans une brochure, nourrie de données précieuses sur l’importance d’une route intercontinentale à travers le territoire britannique.

En 1863, alors que l’administration McDonald-Sicotte était au pouvoir, il est fait pour la première fois mention de l’ouverture de communications avec la Colombie Anglaise dans le discours du trône. Elle était conçue dans les termes suivants : « J’ai reçu, disait le gouverneur, du secrétaire d’état pour les colonies, une dépêche contenant copies d’une correspondance entre le gouvernement de Sa Majesté et l’agent de l’Atlantic and Pacific Transit and Telegraph Company, se rapportant à une proposition faite par cette compagnie pour l’établissement d’une communication télégraphique et postale entre le Lac Supérieur et New-Westminster, dans la Colombie Britannique.

« L’importance d’une pareille entreprise pour les provinces britanniques de l’Amérique septentrionale au double point de vue commercial et militaire, m’induit à recommander le sujet à votre considération. Des copies de cette correspondance seront mises devant vous, et je suis assuré que si quelque proposition propre à effectuer l’établissement d’une pareille communication, à des conditions avantageuses à la province était faite, elle serait reçue favorablement. »

Lors des débats qui amenèrent la Confédération, en 1865, il fut souvent question du chemin du Pacifique, et la plupart de nos hommes d’état, déclarèrent qu’il serait avant longtemps une nécessité commerciale et politique pour les provinces confédérées. Le regretté Thomas D’Arcy McGee, fit entendre plus d’une fois d’éloquents accents en faveur de cette colossale entreprise, et dans ses brillants tableaux sur notre avenir, il nous représentait les richesses de l’Orient : l’or d’Australie, les châles du Cachemire, les diamants de Golconde, les soies de la Chine, les épices du Molabar et des Moluques passant au milieu de nous pour se rendre en Europe.

La construction du chemin du Pacifique, est l’une des mesures déterminées par l’Acte d’Union de 1867.

La colonie de la Rivière Rouge n’était pas seule à demander l’ouverture de communications avec le Canada. La Colombie Britannique a appelé plus d’une fois l’attention des autorités impériales sur le sujet et, en 1868, M. Alfred Waddington un ingénieur distingué, se rendit en Angleterre dans les intérêts de l’entreprise.

Il y publia une brochure intitulée : Overland route through British North America, qui renferme des renseignements complets sur le chemin du Pacifique. Il est de toute nécessité, disait-il, que cette route se construise. Il y va des plus grands intérêts de l’empire. Les États-Unis auront terminé sous peu, un chemin du Pacifique et ils enlèveront à la Grande Bretagne le commerce oriental et la suprématie maritime, si elle ne se met de suite à l’œuvre et ne construit à travers le territoire canadien la route la plus courte pour communiquer avec l’Asie.

M. Waddington a été incontestablement le plus ardent champion de cette entreprise. Exploration de la route, étude du caractère physique des Montagnes Rocheuses, publications, conférence devant la Société Géographique de Londres, voyages en Angleterre, aux États-Unis et en Canada, pétition à la Chambre des Communes d’Angleterre, démarches auprès des hommes politiques et des capitalistes, il a été sans cesse sur la brèche pour faire valoir la grande idée dont il s’était constitué l’infatigable promoteur.

Il allait voir enfin ses courageux efforts, qui indiquent un caractère fortement trempé et l’intelligence des grandes choses, couronnés de succès, lorsque la mort est venue l’étreindre brusquement à Ottawa, il y a quelques mois. Il a laissé à d’autres le soin de recueillir la moisson, mais son nom n’en demeurera pas moins inséparablement associé à cette entreprise[2].

Malgré le réveil de l’opinion publique, l’exécution de ce projet eut été différée encore bien des années, si l’annexion de la Colombie Britannique au Canada n’eut empêché tout autre atermoiement. En 1871, des délégués de cette province entamèrent des négociations avec le gouvernement canadien au sujet de son entrée dans la Confédération. Leur mission fut couronnée de succès et la construction du chemin du Pacifique fut définitivement arrêtée.

L’engagement conclu entre le Canada et la Colombie Britannique est conçu dans les termes suivants : « Le gouvernement canadien s’engage à faire commencer simultanément, dans les deux années de la date de l’union, la construction d’un chemin de fer du Pacifique aux Montagnes Rocheuses, et du point qui pourra être choisi, à l’est des Montagnes Rocheuses jusqu’au Pacifique, pour relier la côte maritime de la Colombie Britannique au réseau des chemins de fer canadiens, — et de plus à faire achever ce chemin de fer dans les dix années de la date de l’union. »

L’administration a déployé une grande activité pour faire honneur à cet important engagement. L’hon. M. Langevin s’est rendu dans l’été de 1871 à la Colombie Britannique pour examiner cette région et ses ressources, afin d’être en état de diriger, à bon escient, la grande entreprise projetée, qui relève du ministère des Travaux Publics. Et il a publié à son retour, un rapport de sa visite officielle, qui constitue une véritable mine d’informations sur un pays extrêmement favorisé par la nature, et qui mérite d’être mieux connu qu’il ne l’est.

Des partis d’ingénieurs furent dépêchés sans délai aux deux extrémités de la route pour faire l’étude du tracé et du caractère topographique du pays qu’elle devra sillonner. Nous connaissons déjà le résultat d’une partie de leurs explorations, que nous signalerons dans une autre partie de cette étude.

Une somme considérable est affectée à cet objet. Le gouvernement en entreprenant ces explorations préliminaires, a imité l’exemple donné par les États-Unis qui ont dépensé 340 000 $ pour mettre à l’étude les tracés qu’ils firent explorer à diverses latitudes, dans le but de construire un chemin du Pacifique. Mais les frais d’exploration seront déduits de l’octroi en argent voté par le parlement canadien.

À la dernière session des chambres fédérales, Sir George E. Cartier, dont le nom est depuis longtemps lié à la cause des chemins de fer, a fait adopter, à une très forte majorité, un bill pour la construction du chemin du Pacifique. Le principe d’une mesure aussi grosse de conséquences, a été accepté par tous les partis, et le projet n’a été combattu que sur le meilleur mode à adopter pour le mettre à exécution. C’est un fait important à constater, car il prouve que l’esprit public s’élève en Canada, à mesure que l’horizon de notre politique s’agrandit. Ainsi il ne suffit pas toujours, à l’encontre du passé, qu’une grande mesure d’utilité publique soit défendue par un parti, pour que ses adversaires la combattent avec un opiniâtre acharnement, au risque de nuire aux plus graves intérêts du pays. Il y a d’ailleurs assez d’autres questions importantes qui offrent un vaste champ aux luttes politiques, sans que l’esprit de parti doive s’attaquer aux mesures qui contribueront réellement à notre avancement et à notre progrès matériel.

Le gouvernement canadien s’est engagé par cette mesure à donner un octroi de 30 000 000 $ en argent et de 50 000 000 d’acres de terre à la compagnie qui voudra entreprendre l’exécution du chemin. Le subside en argent sera contracté au moyen d’un emprunt sur le marché anglais, dont le tiers a été garanti par le gouvernement impérial.

Cette double subvention assure, suivant toutes probabilités, la construction du chemin. Déjà deux compagnies se sont formées pour entreprendre les travaux et, à la tête de l’une d’elles, se trouve Sir Hugh Allan, dont le nom est accolé à tant d’autres grandes entreprises, qu’il a su toutes mener à bonne fin par sa haute intelligence des affaires et son indomptable énergie. Cet homme est le véritable fondateur de cette magnifique flotte de steamers et voiliers qui sillonnent aujourd’hui l’océan, et il a fait plus que qui ce soit pour mériter au Canada, le nom de quatrième puissance maritime du monde[3].

Sir Hugh Allan veut couronner sa laborieuse carrière en attachant son nom à cette gigantesque entreprise, et il est probable qu’il saurait en recueillir gloire et fortune. Son nom seul aura une énorme influence sur les capitalistes et, si l’entreprise lui est confiée, on s’accorde à dire que le succès est certain.

  1. Le chemin de fer du Pacifique. A. Langel. Revue des Deux Mondes. 1856
  2. M. Frédéric Whymfer dans son ouvrage : Voyage et aventures dans la Colombie Britannique, l’Île de Vancouver et l’Alaska dit qu’il fit la connaissance de M. Alfred Waddington, lors de son voyage dans la Colombie Britannique, au mois de mars 1864. M. Waddington faisait alors exécuter à ses frais la route de Cariboo dans le but de faciliter la colonisation. Quatorze des ouvriers qu’il employait furent assassinés, le 30 avril 1864, par les sauvages Tchilicotes et M. Whymfer apprit que M. Waddington lui même avait été massacré. « Ces événements, » dit-il, « produisirent à Victoria une sensation profonde. Chacun déplorait la fin lamentable de M. Waddington et regardait sa mort comme une calamité publique. »

    M. Waddington n’est pas le premier personnage dont l’éloge funèbre ait été publié avant sa mort.

  3. Comme le rang que nous assignons au Canada, comme puissance maritime pourrait paraître trop élevé, nous appuyons cette assertion des statistiques suivantes publiées par le Statesman’s Year-Book de 1870.
    Pays. Nombre de vaisseaux. Tonnage.
    Grande Bretagne, 22 250 5 516 434
    États-Unis, 23 118 4 318 309
    France, 15 637 1 042 811
    Canada, 7 591 899 096
    Italie, 17 788 815 521
    Norvège, 6 215 795 876
    Prusse, 1 460 406 612
    Espagne, 4 840 367 790
    Netherlands, 2 117 267 596
    Autriche, 7 830 324 415
    Russie, 2 132 180 992
    Danemark. 3 132 175 554