Eusèbe Sénécal, imprimeur-éditeur (p. 3-5).

LE CHEMIN DE FER CANADIEN DU PACIFIQUE.



Sir Allan McNab disait, il y a déjà bien des années : “My policy is railways.” Lorsque cet homme d’état faisait cette déclaration qui, depuis 1867 surtout, est devenue le credo de nos gouvernements, les voies de communication dans le pays étaient bien imparfaites. De fait, il ne faut pas reporter son souvenir loin en arrière pour signaler l’époque où il n’y avait pas un seul chemin de fer en Canada. En 1850, la locomotive ne parcourait encore qu’une distance de 55 milles.

Mais un énorme changement s’est réalisé depuis. Une véritable fièvre de progrès s’est emparée de notre population, et les habitudes routinières d’autrefois ont disparu rapidement. Les capitaux anglais qui ont construit les deux tiers des chemins de fer du monde entier, ont afflué dans notre pays, et nous ont puissamment aidé à mettre à exécution nos grandes entreprises nationales : nos chemins de fer et nos canaux.

Le Grand Tronc seul s’est construit au coût total de 102 865 429 $ et forme notre plus grande artère de communication. Le Grand Occidental (Great Western) a coûté 24 877 454 $ et la construction d’autres chemins de fer, qui ont semé sur leur passage l’activité commerciale et la prospérité, n’a pas fait dépenser moins de 30 000 000 $. Le pays est aujourd’hui sillonné par au moins 3 000 milles de chemins de fer et, avant deux ans, nous en aurons plus de 4 400 en opération.

Écrire l’histoire des chemins de fer en Canada, ce serait retracer le développement et les progrès énormes que le pays a subis depuis vingt ans. Car, c’est à ces rapides moyens de locomotion que nous devons attribuer dans une grande mesure le mouvement progressif dans l’agriculture, le commerce et l’industrie dont nous sommes témoins. Ils ont été encore nos meilleurs pionniers de la colonisation, et si la forêt s’éloigne aujourd’hui si promptement, nous pouvons en faire remonter la cause également à nos chemins de fer.

C’est ce que l’opinion publique éclairée a compris et le pays a fait les plus grands sacrifices pour encourager de pareilles entreprises et construire un véritable réseau de voies ferrées. Le gouvernement leur a accordé des subventions considérables en terres ou en argent et les municipalités ont suivi libéralement son exemple.

Nous croyons rester dans les strictes limites du vrai en affirmant que la Confédération a été surtout le point de départ des progrès créés par les chemins de fer. Quand bien même ce régime politique n’aurait produit que ce résultat, il suffirait presque pour donner raison aux hommes d’état qui ont contribué à son inauguration.

La Confédération portait dans ses flancs deux mesures extrêmement importantes pour le développement du pays : la construction du chemin de fer Intercolonial et du chemin du Pacifique. Ce sont deux nécessités du nouvel ordre de choses politiques et elles en sont la conséquence naturelle. Car, sans l’exécution de ces deux grandes artères de communication, les provinces fédérales restent sans rapports, sans cohésion, et leur union politique et commerciale n’est qu’un vain mot. Ces divers états continuent à se mouvoir isolément dans leurs orbites, éloignés de leur centre de gravitation. L’unité politique vers laquelle nous devons tendre, tout en maintenant nos franchises provinciales, devient irréalisable.

L’Intercolonial qui aura une longueur d’environ 560 milles, et dont on porte le coût à $20,000,000, sera terminé d’ici à deux ans. Cette route est indispensable à l’autonomie de la Confédération au point de vue commercial comme au point de vue militaire. Elle reliera les provinces maritimes au Canada, développera la colonisation sur presque tout son parcours, servira de débouché au commerce inter-provincial, en attendant qu’elle soit l’un des plus longs anneaux de la grande chaîne transcontinentale qui va joindre les deux océans. Dans un cas de guerre avec les États-Unis, elle serait en hiver la seule voie rapide de transport du côté de l’Atlantique pour les troupes anglaises qui viendraient au secours de nos foyers menacés. C’est le caractère militaire de cette route, qui a décidé le gouvernement anglais à garantir une partie de l’emprunt que nous avons contracté pour sa construction.

Quelle que soit l’importance de cette route, son éclat pâlit comme une étoile inférieure devant un météore lumineux, lorsqu’on la compare au Chemin Canadien du Pacifique, dont les chambres fédérales viennent de décréter l’exécution. Cette œuvre surpasse, par le coût et l’immensité de ses résultats économiques, toutes les autres entreprises publiques qui ont jamais été exécutées en ce pays.

Nous en donnerons une idée lorsque nous aurons dit que ses frais de construction dépasseront le montant entier de la dette publique de la Confédération, qui est d’environ 80 000 000 $. Et nous ne croyons pas exagérer en affirmant qu’aucun pays, ayant une population aussi relativement limitée que le nôtre, n’a jamais osé jusqu’à présent mettre à effet une conception aussi grandiose.

Une question de cette portée occupe donc, à juste titre, l’attention publique. Elle a été reçue avec une faveur exceptionnelle par nos hommes politiques de presque toutes les nuances, et le succès de cette grande œuvre ne saurait être mis en doute. Le temps est plus que jamais arrivé d’étudier son importance et les conséquences incalculables qu’elle est appelée à produire pour notre avancement matériel et le maintien de nos institutions politiques. Aussi croyons-nous remplir un devoir, en offrant au public canadien, notre modeste contingent de renseignements, sur une aussi vaste entreprise, qui aura sa place parmi les projets géants dont le dix-neuvième siècle a vu l’exécution.