Joseph Labarre
(p. 19-22).

CHAPITRE 5

LE COMMENCEMENT DE LA GUERRE. LES NOBLES SACRIFICES.


Comme la rapidité d’un ouragan qui se déchaîne, la guerre s’abattit bientôt sur l’Europe, menaçant la France. Le cœur de Rita, noble et généreux, s’apitoya devant toutes les misères qu’engendra ce terrible fléau. N’écoutant alors que son courage, elle résolut de quitter le château où s’étaient écoulés les plus beaux jours de sa jeunesse, abandonnant tout ce qui lui tenait tant au cœur pour devenir infirmière, afin de venir en aide aux blessés qu’on comptait par milliers.

Les surmenages excessifs qu’exigeait cette lourde tâche, eurent bien vite raison de sa santé délicate. Épuisée, elle se vit forcée d’y renoncer. Ne voulant pas rester inactive, elle trouva bientôt un autre moyen d’être utile à sa chère Patrie ; mais avant de mettre en exécution son audacieux projet, elle voulut voir Jean. Se rendant aux quartiers généraux de la France, elle obtint sans difficultés, l’entrevue qu’elle sollicitait.

— Jean, pardonnez-moi, mais des événements particuliers m’ont forcée de prendre une décision que je ne voulais pas mettre en exécution avant de vous avoir consulté. Depuis quelque temps, ma santé est chancelante. Sur l’avis des médecins, je me vois forcée d’abandonner la tâche si noble d’Infirmière. Je ne voudrais pas rester Inactive. Je me nuls rendu compte que ma voix était le seul moyen qu’il me restait pour continuer à servir la France, pour apporter quelques somlagements à ceux que la guerre a si cruellement éprouvés. Pour cela je dois quitter momentanément mon pays. Je crois que c’est vers l’Amérique que je pourrai mener à bonne fin mon projet. Avant tout dites-moi, en toute franchise, si le sacrifice que je suis prête à m’imposer sera de quelque utilité à la France. Vous devez comprendre combien il sera pénible pour moi d’abandonner tout te qui me tient tant au cœur.

— Rita, je sais que votre voix merveilleuse saura vous attirer les triomphes les plus éclatants, que la moisson d’or que vous récolterez ne manquera pas d’être utile à ceux qui souffrent de ce fléau, mais avez-vous songé aux misères que vous occasionnera ce voyage périlleux ? Puisque votre santé exige un repos, ne serait-il pas mieux d’abandonner ce projet et de laisser à d’autres, dont la santé est plus robuste, le soin de se dévouer pour la France… Vous n’êtes pas sans ignorer toute la douleur que me causerait votre départ !…

— Oui, je comprends, Jean, mais avons-nous vraiment le droit, de penser à notre bonheur, quand tant de mères sacrifient leurs époux, leurs fils pour combattre l’ennemi, et sauvegarder nos droits…

Lorsque je songe à toutes les tristesses de ces foyers, il me semble entendra les pleurs des enfants et voir leurs mains tendues vers leurs mères impuissantes à les protéger contre le froid et la faim… Alors, il me semble qu’il serait mal de ne pas répondre à leurs plaintes… Malgré toute la torture que me cause cette cruelle séparation, une voix me dit que c’est là mon devoir, que je serais lâche de ne pas l’accomplir. Si ma santé a été altérée par le surmenage qu’exigeait mon rôle d’infirmière, il me reste, soyez-en sûr, assez de forces pour mettre à exécution mon projet.

— C’est Juste, Rita, vos paroles sont l’expression d’un cœur grand et noble. J’admire votre courage. Je suis même bien confus de m’être montré en cette circonstance plus faible que vous. Pardonnez ma lâcheté. L’amour que J’ai pour vous est si grand, voyez-vous, que parfois il me rend égoïste. Je sais que nous n’avons pas le droit, pour conserver notre bonheur, de sacrifier le bien-être des veuves, des orphelins, de tous ces braves soldats qui sont tombés pour défendre leur patrie. Mais enfin pour rendre la séparation moins cruelle, promettez-moi encore une fois, de me garder votre amour afin que je puisse attendre patiemment votre retour. Ce sera là, je l’espère bien, la récompense pour tous les sacrifices que nous imposent les Jours sombres que nous traversons.

— Pour cela, Jean, comptez sur moi, jamais rien ne pourra détruire mon amour… Mon cœur vous appartiendra toujours. C’est justement votre souvenir qui m’aidera à supporter les ennuis de toutes sortes que je ne manquerai pas de rencontrer dans ce long voyage.

— Merci, Rita, fit Jean Desgrives, maîtrisant avec peine l’émotion qui l’envahissait.

Voilà comment la guerre allait séparer Jean et Rita, les jetant, dans des circonstances qui devaient changer le cours de leur existence et détruire a jamais le beau rêve qu’ils avaient fait.