Joseph Labarre
(p. 14-19).

CHAPITRE IV

LE RETOUR DE JEAN, L’ANGOISSANTE NOUVELLE


Depuis le retour de la baronne, le château qui avait paru à Jean Desgrives, solitaire, avait repris comme par enchantement sa gaieté coutumière. Les lustres étincelants qui ornaient les grandes salles de réception où chaque soir se réunissaient les membres de la famille du marquis et de la marquise de la Roche-Brune, lui donnaient en ce moment un aspect de grandeur inouïe.

La voix de Rita qui s’éleva dans le silence de la nuit, émut étrangement Jean Desgrives qui lentement s'avançait vers le château. Cinq Jours s’étaient écoulés déjà depuis son absence, et voilà que ces cinq jours avaient suffi nour changer l’aspect de ce château. Voyant la franche gaieté qui semblait régner dans cette demeure, ce fut avec peine qu’il maîtrisa son émotion, qu’il refoula aux fonds de son cœur les larmes qui montaient à ses yeux, car dans son esprit maintenant éclairé, l’avenir lui apparaissait des plus sombres, la guerre, qui grondait à l’horizon, telle une meute de lions affamés, devait bientôt venir jeter la consternation en s’élançant sur son peuple qui, paisible, ne se doutait nullement du carnage sanglant qui se préparait.

Mon Dieu, se disait Jean à mesure qu’il approchait, que de foyers comme celui-ci ou règne la paix et le bonheur, seront détruits ! Que de sang sera versé ! et cela dans le seul but de satisfaire l’orgueil, plaie de l’humanité. Malgré la grande hâte qu’il avait de revoir Rita, il ralentit d’avantage le pas, il lui en coûtait tant d’aller jeter dans leur cœur joyeux, les premiers effrois de la grande tragédie qui allait se dérouler. Enfin, il fallait bien se décider ! Il était inutile d’hésiter davantage, puisque rien ne pouvait changer le cours des événements. Puis vivement, il escalada i’escalier de marbre qui ornait la façade du château. Sonnant à la grande porte vitîée, il attendit…

Cette porte s’ouvrit bientôt, et Rita qui par un hasard était venue l’ouvrir, ne le reconnut pas sous son nouvel accoutrement, toute surprise elle recula. Jean s’en aperçut et comprit que c’était la demi-obscurité qui l’empêchait de distinguer sa figure, par conséquent de le reconnaître. Il fit quelques pas, quand il fut sous les lumières étincelantes, elle le reconnut, cette fois. Pâlissante, elle porta la main à son cœur. Voyant la grande surprise que lui causait son arrivée au château dans cette tenue guerrière, Il s’empressa de s’expliquer en lui disant :

— Pardonnez-moi, Rita, de ne pas vous avoir prévenue, c’est qu’il m’était Impossible de vous adresser aucun message, Je devais garder de mes agissements le secret le plus absolu, vu la gravité des événements qui se sont passés durant mon absence. Je suis bien peiné d’être obligé de vous apprendre cette triste nouvelle, mais il le faut…

La France est présentement menacée d’une grande guerre des plus terrible, déjà des ennemis s’avancent sur nos frontières et l’ordre de la mobilisation générale a été donné… Si vous saviez combien est lourde à supporter la responsabilité que m’impose mon devoir de général. Pour vous aider à me comprendre il me faut vous dire que c’est sur moi que repose en ce moment le sort de la France.

À ces mots, il sembla à la jeune fille qu’elle allait mourir, tant l’émotion était grande.

— Mon Dieu, fit-elle, en jetant sur lui un regard navré, n’y a-t-11 plus aucun espoir, la France a-t-elle par tous les moyens cherché à éloigner d’elle ce cataclysme épouvantable ?

— Oui, ma chère Rita, mais en vain, l’entente n’a pu être conclue, je peux vous affirmer, malheureusement, que rien ne pourra empêcher le désastre de se produire…

— Comme le bonheur est éphémère. Il y a quelques instants à peine, mon cœur était rempli d’espérance, l’avenir m’apparaissait tout souriant, mais par la nouvelle que vous m’apportez, mon cœur est doublement brisé. La France menacée… le bonheur que je rêvais devient aujourd’hui inaccessible… un obstacle infranchissable semble se dresser entre nous pour le détruire à jamais…

— Que signifient ces paroles, pourquoi désespérer ainsi ?… Il faut convenir qu’un grave péril semble menacer la France, mais il ne faut pas oublier que la vaillance de ses soldats est invulnérable, que toujours, ils ont su repousser et vaincre leurs ennemis… Je suis sûr que la France sera victorieuse… Les jours de paix et de bonheur renaîtront de nouveau. Alors, à ce moment nous pourrons être heureux.

— J’admire votre courage, comme vous je veux espérer aux jours meilleurs, au triomphe de la France ; mais avez-vous songé à la grande distance qui nous séparera tous deux, lorsqu’après la victoire, la France victorieuse acclamera son libérateur ?… Serai-je digne de figuier à vos côtés, moi, fille de paysans, sans grâce et sans fortune ?…

— Vous semblez oublier que je vous aime et que je vous ai donné mon cœur, on dirait meme qu’il vous plait de torturer…

— Je vous en supplie n’interprêtez pas ainsi le sens de mes paroles… bien loin de là est ma pensée… Je ne cherche que votre bonheur. Je voudrais bien ne pas avoir cette crainte, mais ma volonté est impuissante en cette circonstance. J’ai peur que toujours elle m’assaille, et me terrasse.

— Vous avez tort. J’ai besoin de votre confiance et de votre amour pour soutenir mon courage dans la grande lutte qu’il me faudra entreprendre ; vu la gravité du moment, ce n’est plu» une supplication que je vous adresse, mais un ordre que je vous donne. Ne faites plus allusion à tout ceci, ces mots me blessent, et me font beaucoup souffrir : une dernière fois ayez confiance en moi, croyez en ma sincérité.

— Merci. Jean, vos bonnes paroles font renaître dans mon cœur l’espérance, confiante en votre loyauté, je vous abandonne mon cœur tout entier… Libre à vous de le rendre le plus heureux, ou le plonger dans le plus profond désespoir, vous n’ignorez plus malmenant, quelle place vous avez pris dans ma vie, et jusqu’à quel point serait cruel pour moi l’effondrement de mon rêve.

— Encore une fois Rita, ne craignez rien, je saurai vaincre tous les obstacles qui entraveront notre bonheur ; lorsque la France aura triomphé, doublement victorieux, nous serons aussi doublement heureux…

— Évidemment, Jean, comme vous je veux encore l’espérer, mais avant que ce jour arrive, il se passera sans doute bien des événements, que nous ne pouvons prévoir, à cause de cela, je voudrais que notre amour, tel un trésor inestimable, reste caché au fond de nous-mêmes dans un secret des plus absolu. Ici, au château, malgré qu’on sache que j’ai pour vous une très grande estime, on ignore complètement notre Idylle amoureuse. Gardons-la secrète, jusqu’au jour où rien n’entravera notre bonheur. SI la fatalité nous éloigne, un jour, l’un de l’autre, il me semble que j’aurai plus de courage pour supporter ma douleur. Puis-Je compter sur vous Jean ?

— Hélas ! Rita, je ne peux que m’incliner devant votre volonté. Puisque c’est là votre désir. Je respecterai en tout et partout votre secret, malgré qu’il me paraisse étrange…

Encore une fois, Jean, merci, et maintenant, on doit commencer à s’inquiéter de mon absence qui est après tout inexplicable, car c’est le hasard qui m’a fait venir vous ouvrir… Faites-moi, je vous en prie, le bonheur de venir quelques instants à la salle de réception où le marquis et la marquise seront si heureux de vous revoir et aussi de vous présenter leur fille unique, la baronne de Castel arrivée au château après une absence assez prolongée.

— J’accepte avec plaisir votre proposition bien que j’aie très peu de temps à disposer, vraiment je ne peux résister au désir de revoir ceux dont l’amitié me fut si précieuse.

— Alors, suivez-moi, ajouta Rita, et tous deux se dirigèrent aussitôt vers la somptueuse salle de réception.