Mercier & Cie (p. 194-201).

XXX

PAUVRE CLAIRE !…

Sept jours s’écoulèrent ainsi. Sept longues et immortelles, journées, pendant lesquelles Claire passa successivement par toutes les angoisses du désespoir et tous les frissonnements de l’espérance.

Andréa n’avait pas reparu.

Tantôt Pierre, tantôt La Grêlée lui apportaient à manger et renouvelaient les bougies.

Ni l’un, ni l’autre ne lui adressait la parole, et Claire se gardait même de lever les yeux sur eux.

La Grêlée arrêtait parfois sur la jeune fille un œil chargé de haine.

Pierre ne pouvait se défendre chaque fois d’un regard de convoitise de plus en plus ardent.

Mais c’était tout.

Claire pleurait quelquefois et priait toujours.

La douleur avait cependant raison souvent de sa prière, et alors, songeant à son cher Louis, à son père, à Blanche, à tous ceux qu’elle aimait, et que peut-être elle ne reverrait plus, sentant la folie la gagner dans cette tombe où elle était ensevelie toute vivante, elle se tordait les mains de désespoir et s’écriait :

— Mon Dieu ! mon Dieu ! vais-je donc mourir ?

Un soir — elle calculait que ce devait être la nuit, car il était toujours nuit pour elle dans ce sépulcre — il lui sembla, quand elle fut couchée, que quelque chose grattait une porte ou un mur au pied de son lit.

Était-ce un rat perçant le plancher ? Était-ce. un compagnon de captivité qui cherchait sa liberté ? Était-ce un libérateur ?

Claire se posa successivement ces trois questions et eut de violents battements de cœur.

Au bout de quelques minutes, le bruit cessa.

Alors Claire sentit s’évanouir l’espoir qu’elle avait eu un moment.

Souvent M. de Godefroy avait raconté à sa fille, quand elle était enfant, de surprenantes évasions accomplies par des prisonniers.

Quand elle avait entendu ce bruit qu’elle n’avait pu définir, Claire s’était dit :

— Peut-être Louis a-t-il appris où j’ai été conduite ? Peut-être vient-il me délivrer !

Mais : lorsque le bruit eût cessé, la jeune fille retomba dans son morne désespoir.

Tout-à-coup, un autre bruit se fît entendre.

Cette fois, c’était du côté du salon et bientôt la porte de sa chambre s’ouvrit.

Un homme, portant une veilleuse, entra. Il posa la veilleuse sur la table de nuit, ferma la porte, puis marcha vers le lit.

Claire, avec une épouvante sans nom, reconnut Pierre Maillard.

Elle se leva en jetant un cri et se réfugia dans la ruelle du lit.

— Ah ! ma petite, ricana le monstre, tu peux crier, personne ne t’entendra et j’ai tout le temps de te conter fleurette, comme un beau monsieur.

Et de ses mains calleuses, il chercha à la saisir.

Un miracle seul pouvait la sauver, et ce miracle Dieu le fit…

Une femme fit tout-à-coup irruption dans la chambre qui, d’un coup de sabot, envoya Pierre rouler assommé dans le fond de l’appartement. C’était La Grêlée, ivre de jalousie, qui venait ainsi sauver Claire.

Mais la colère de cette femme se tourna contre celle-ci qui sortait malheureusement de Charybe pour tomber dans Scylla. Elle la saisit à la gorge.

— C’est maintenant ta vie qu’il me faut, chipie, qui vient m’enlever mon homme, dit-elle.

Et ses doigts crochus s’arrondirent comme un étau autour du cou blanc de Claire.

— Tu peux crier, dit La Grêlée, tu ne crieras pas longtemps.

Elle serra plus fort.

Cette fois, c’était bien fini, quand la porte qui s’était refermée pendant la lutte, s’ouvrit de nouveau et un flot de clarté envahit la chambre.

Un troisième acteur entra, saisit La Grêlée par la nuque et lui fit lâcher prise. Un sauveur arrivait à Claire, ce sauveur, c’était Bigot !…

— Sauvez-moi ! monsieur, sauvez-moi ! s’écria la jeune fille en se relevant affolée par la peur.

Mais Bigot, au lieu de répondre, regardait sévèrement les deux misérables qui se ramassaient — qu’on nous passe l’expression — plus ou moins écloppés, et leur dit :

— Allez-vous m’expliquer, tas de canailles, ce qui vous arrive ?

La Grêlée répondit la première :

— Faut pas m’en vouloir, not’maître, mais quand j’ai vu que mon homme en tenait pour cette chipie et même qu’il avait laissé le lit conjugal pour venir la trouver, j’ai perdu la tête et j’ai voulu l’aplatir comme une galette.

Bigot regarda Pierre Maillard.

— Et toi ? dit-il.

— Moi, répondit Pierre en riant d’un rire hébété, j’ai pas voulu lui faire de mal, au contraire…

— Je vous défends — entendez-vous bien ? — de faire du mal à cette jeune fille, dit Bigot. Vous êtes ici pour la garder, pour l’empêcher de s’évader, et si je ne vous écrase pas en ce moment, c’est que j’ai besoin de vous et que, du reste, vous semblez avoir reçu d’avance un commencement de correction.

Claire comprit alors qu’elle n’avait aucun secours à attendre de Bigot, qu’elle me trouverait en lui qu’un nouveau geôlier.

L’intendant fit un geste impérieux.

— Sortez, dit-il aux deux misérables, et souvenez-vous que si vous transgressez mes ordres, je vous envoie à la potence.

Ils sortirent la tête basse.

La fin de cette scène s’était passée dans le salon où Claire s’était réfugiée. Assise sur un sofa, les yeux secs et fixes, elle semblait la statue du désespoir.

Bigot referma la porte et s’avança vers la jeune fille qui le regardait agir sans faire un mouvement. Tout à-coup, joignant les mains, elle se précipita à genoux :

— Monsieur, n’aurez-vous pas pitié de moi ? s’écria-t-elle.

L’Intendant, sombre et farouche, ne répondit pas.

Elle poursuivit :

— Eh ! bien ! je vous jure que si vous avez pitié de moi, que si vous renoncez à vos infâmes projets, je n’invoquerai pas contre vous les violences dont je suis la victime, que…

Bigot l’interrompit brusquement.

— Voulez-vous m’épouser ? dit-il.

Elle poussa un cri d’horreur et le regarda avec épouvante.

Mais lui, entraîné par la passion fatale qui bouillonnait dans ses veines, par la pensée qu’il croyait sa sauvegarde et rendait sa tête brûlante, poursuivit avec un accent sauvage :

— Vous serez ma femme !… Je le veux !…

— Jamais ! dit la jeune fille en se réfugiant dans le fond de l’appartement, jamais !

— Consentez, et je vous conduis ce soir même auprès de votre père.

— Tuez-moi plutôt ! cria-t-elle.

Il eut un rire féroce et étouffa une exclamation de rage folle.

— Non, dit-il avec une sorte de fureur, j’ai juré que vous m’appartiendriez…

Et il voulut enlever Claire dans ses bras, mais elle le repoussa avec indignation et bondit à l’autre bout du salon en poussant un cri de joie : elle venait d’apercevoir sur un guéridon un pistolet tout armé oublié là sans doute par Bigot en entrant.

La vaillante fille reparaissait, le sang des Mortemart s’éveillait en elle.

Elle saisit ce pistolet et couchant en joue l’Intendant :

— Un pas de plus, dit-elle, et vous êtes mort !…

L’action avait été si rapide que la jeune fille tenait Bigot au bout du canon de son arme, avant qu’il fût revenu de sa surprise.

Il lut dans les yeux de Claire tant de calme résolution qu’il eût peur et recula :

— Et maintenant, misérable, lâche, dit-elle, sortez !…

Bigot, après avoir hésité quelques instants, se dirigea vers la porte. Avant de la franchir, il se retourna :

— Vous l’emportez aujourd’hui, dit-il, mais j’aurai ma revanche, car vous êtes en mon pouvoir.

— Oh ! Dieu sera plus fort que vous, et quelque chose me dit que ma délivrance est prochaine…

— N’y comptez pas. Tous ceux qui pouvaient vous secourir sont retenus devant l’ennemi.

— Vous ne réussirez pas à m’effrayer…

— Sachez que la ville est sur le point de se rendre et qu’au premier jour les Anglais vont donner l’assaut.

Claire ne répondit pas, mais elle fit d’un geste énergique signe à Bigot de sortir.

— Vous l’aurez voulu ! fit-il en sortant blême de rage.

La jeune fille barricada la porte et s’assit silencieuse et désespérée. Quelque temps après, jetant un regard sur le pistolet qu’elle tenait à la main, elle murmura :

— Oh ! du moins, maintenant, je n’ai plus à craindre aucune tentative criminelle, car je saurai bien me défendre, et malheur à celui qui tenterait de m’outrager !…