Éditions Édouard Garand (29p. 117-119).

Chapitre XI

PROJETS, QUI SE RÉALISÈRENT.


On était au 9 octobre ; le lendemain matin, Nilka deviendrait Mme Paul Fiermont. Huit heures du soir venaient de sonner à l’horloge de cathédrale d’Alexandre Lhorians.

Sur l’avant-pont de L’épave, un groupe, qui ne manquera pas de nous intéresser, est réuni. Il y a, d’abord, Nilka, et son fiancé, puis, Mme Fiermont, puis Alexandre Lhorians. À côté de l’horloger est un homme assez âgé, maigre, un peu courbé ; c’est un de nos vieux amis de Québec, le Notaire Schrybe. Le Notaire est venu à Roberval expressément pour préparer le contrat de mariage entre Paul et Nilka. À côté du Notaire est « tante Berthe » ; Madame Schrybe, depuis deux semaines. Les Schrybe, à leur retour à la Banlieue, prendront immédiatement possession de La Solitude, et quels aimables voisins pour les Fiermont que cet aimable couple ! Mais, continuons à nommer nos gens ; il en reste deux, deux jeunes filles de Québec : Estelle Delherbe et Renée Le Mouet. Toutes deux seront demoiselles d’honneur, au mariage de Nilka ; les garçons d’honneur avaient été choisis parmi des jeunes gens de Roberval : Pierre Laroche et Louis Lanthier.

Le mariage devait avoir lieu à dix heures de l’avant-midi. L’église de Roberval ressemblait à une serre ; jamais il n’y avait eu, et il n’y aurait jamais probablement, un aussi beau mariage à Roberval.

— Je vous assure, Mme Laroche, avait dit Cédulie à sa voisine, la veille, que ça va en être un beau mariage ! M. Paul a fait venir « tout un jardin » de fleurs, de la ville de Québec ; des fleurs… il y en a tant, que ce n’est presque pas croyable… Et c’est Raphaël qui est tout fier de servir de père à M. Paul, je vous le dis !… Et moi donc !… Je considère que M. Paul nous a fait un grand honneur lorsqu’il a demandé que le repas de noces se donne chez nous… et pour être un repas de noces, ça va en être un, je ne vous dis que ça ! Des caisses et des caisses de friandises sont arrivées de Québec ; c’est M. Paul qui fait tous les frais, bien entendu, et je vous assure qu’il ne mesquine en rien. M. le curé est fier comme un roi, vu que M. Paul a garni toute l’église des plus beaux tapis qui soient ; les marches de l’autel, le chœur, toute la grande allée sont couverts de tapis de velours… oui, de velours, Mme Laroche ! Moi, je vous dirai bien, je ne savais pas qu’il y avait des tapis faits en velours ; mais c’est bien ça, puisque M. Paul me l’a dit… En attendant, moi, je vis littéralement dans mes fourneaux, depuis au-delà d’une semaine ; c’est qu’il y en a des choses à préparer et à faire cuire !… Cette chère petite Nilka ! Je suis contente qu’elle se marie avec M. Paul ; elle va être heureuse, bien sûr ! Tout de même, je suis peinée de la voir partir, car Raphaël et moi, nous l’aimons comme si elle était notre fille. Mais, vous comprenez, Mme Laroche, ce n’eut pas été tenable, sur L’épave, l’automne et l’hiver… l’hiver surtout ; ici, en ces régions, vous savez ce que c’est…

— Les mariés se rendront-ils directement à Québec, ou plutôt, à la Banlieue, après le repas de noces, Mme Brisant ? se hâta de demander Mme Laroche, saisissant avidement la chance qui se présentait pour elle de mettre son mot dans la conversation.

— Oui, Mme Laroche, ils se rendront directement à la Banlieue. Et nous, Raphaël et moi, je veux dire, nous sommes invités à aller passer le temps des « Fêtes » au « château »… les fêtes de Noël et du Jour de l’An, vous comprenez…

— Irez-vous, Mme Brisant ?

— Si nous irons ?… J’vous crois ! comme dit L’Conteux, répondit Cédulie en riant.

— Nilka, disait, ce soir du 9 octobre, Estelle Delherbe à son amie, est-ce que ça ne vous coûte pas « un brin » de quitter L’épave ?

— Mais non, Estelle, répondit Nilka, souriant et rougissant, puisque je pars avec Paul.

— Sans doute ! Sans doute ! fit Estelle, riant, elle aussi. Ce que je voulais dire, c’est que L’épave est un véritable petit palais et…

— Du palais au château, la chute n’est pas grande, dit Renée Le Mouet, en souriant. Et puis, ça va être si beau, si beau, le mariage de demain ! Si vous voyiez l’église de Roberval, Nilka ! C’est une vraie serre !

— Et les magnifiques tapis en velours écarlate, partant du pied de l’autel et se rendant jusqu’au trottoir presque ! s’écria Estelle.

— Jusqu’au « parapette », tu veux dire, sans doute, Estelle, corrigea Renée, et tous de rire d’un grand cœur.

— Le… « parapette » ?… Mlle Renée ?… Expliquez-nous donc cela, je vous prie, demanda le notaire Schrybe.

— Je me rendais à l’église, hier, expliqua Renée, et ayant demandé mon chemin à un homme qui passait, il me répondit : « Le chemin est facile à trouver, mam’zelle ; suivez l’parapette, tout drette ».

— On en entend de drôles de choses, par ici ! s’écria Estelle.

— Oui, mais on s’y habitue, répondit Nilka. Et puis, comme me l’avait prédit Mme Brisant, ces régions… le lac St-Jean… on finit par les aimer.

— Nous y reviendrons, Nilka, ma chérie, dit Paul. L’épave n’est plus à vendre ; nous allons la garder, et si vous aimez à venir passer un mois ou deux de l’été au lac St-Jean, rien ne nous en empêchera, et notre demeure nous y attendra. Une demeure qui ne sera plus stationnaire ; une demeure qui nous transportera où il nous plaira d’aller. Quelles belles excursions nous ferons, sur les côtes du lac St-Jean, ma Nilka ! L’épave est grand, et il y aura toujours place pour nos amis, ajouta-t-il en souriant et s’adressant à tous ceux qui étaient présents.

— Ce sera charmant, idéal ! s’écrièrent-ils tous.

— Ainsi, tout est décidé, n’est-ce pas ? demanda Paul à sa mère ; dans huit jours, vous viendrez nous rejoindre, à la Banlieue, avec M. Lhorians, le Notaire et Mme Schrybe, et Mlles  Estelle et Renée ?

— Oui, Paul, c’est entendu, et tout sera fait ainsi que tu le désires… que nous le désirons tous, reprit Mme Fiermont.

— Joël et Koulina suivront, quelques jours plus tard, lorsqu’ils auront remis tout en ordre sur L’épave, avant de l’abandonner pour l’hiver.

M. Fiermont, dit soudain Alexandre Lhorians, je crains beaucoup pour mon horloge de cathédrale ; si elle allait être endommagée, dans le transport !

— Ne craignez rien, M. Lhorians, répondit Paul. Votre horloge sera emballée avec grand soin, et je vous promets qu’il ne lui arrivera rien. Nous allons vous donner deux grandes pièces, dans le « château », ajouta-t-il ; l’une d’elle vous servira d’atelier ; l’autre sera votre chambre à coucher, et Joël sera attaché à votre service personnel.

— Merci, M. Fiermont, merci ! fit l’horloger. Je ne vous cacherai pas que je reverrai avec plaisir la collection d’horloges de votre défunt oncle, M. Delmas Fiermont. (On n’avait pas jugé nécessaire d’expliquer à Alexandre Lhorians les relations de parenté qui existaient entre Delmas Fiermont et Paul). C’est, reprit-il, la plus belle collection que j’aie vue… Et vous me permettrez, je l’espère, de m’occuper des horloges du « château » ; de les tenir toujours en bon ordre ?…

— Certainement, M. Lhorians, dit Paul.

— Voyez-vous, M. Fiermont, il n’y a rien qui m’impressionne désagréablement comme une horloge qui s’est arrêtée, ou qui ne marche plus… Cela me fait un singulier effet… L’horloge doit avoir une âme… du moins, elle a un cœur, continua le pauvre toqué, en s’exaltant un peu ; quand le cœur de l’horloge cesse de palpiter (que son balancier s’est arrêté, je veux dire) l’horloge n’est plus qu’un… cadavre, selon moi.

— Vous avez raison, M. Lhorians, répondit Paul, pour dire quelque chose. Et maintenant, ajouta-t-il, pour les Fêtes de Noël et du Jour de l’An, rendez-vous à tous ici présents, au « château », n’est-ce pas ?

— Nous serons tous au rendez-vous, Paul, assura le Notaire Schrybe.

Toute la veillée se passa à faire des projets pour l’avenir ; projets qui, à l’encontre de tant d’autres, élaborés avec tant de soin pourtant, devaient se réaliser, de point en point.

— Maintenant, fit Mme Fiermont, puisque nous devons être sur pied de bonne heure, demain matin, je propose que nous nous retirions pour la nuit.

Aussitôt, tous se levèrent. On échangea des bonsoirs, et chacun se retira dans sa chambre.

Mme Fiermont partageait la chambre de Nilka, car elle avait cédé la sienne à M.  et Mme Schrybe. Estelle et Renée occupaient la chambre de Koulina, et cette dernière couchait sur un des bancs de l’arrière-pont. Paul coucherait dans la cabine No 6, à côté de celle qu’occupait Joël.

Quand notre jeune ami fut rendu sur le deuxième pont, ce soir-là, et au moment où il allait pénétrer dans sa cabine, il fut fort étonné d’entendre Joël lui demander :

— Monsieur, me permettez-vous de vous dire quelques mots ?

— Mais, certainement, mon bon Joël, répondit Paul, en prenant place sur un banc près de l’établi du domestique.

— Monsieur, reprit Joël, je vous le demande, en grâce, dites-moi, d’où vous vient ce bracelet de fer que vous portez à votre poignet gauche !

— Ah !… Cela vous inquiète, Joël ? fit Paul, en souriant. Il n’y a rien qui doive vous inquiéter pourtant, je vous l’assure.

— Monsieur, dit le domestique, dont les joues venaient de s’inonder de larmes, vous allez épouser, demain, un ange d’innocence et de bonté… Or, ce bracelet de fer…

— Écoutez, Joël, je vais vous expliquer tout ; voici.

Et Paul raconta au domestique la raison de son arrestation, certain jour, dans un wigwam, sur les bords du lac Huron. Accusé injustement du meurtre d’un chef sauvage, il avait parcouru les dunes, prisonnier d’un policier du nom de Peter Flax. Il parla de l’horreur qu’il avait ressentie en constatant que le policier était atteint des fièvres des dunes ; qu’il en mourrait peut-être, et que lui, Paul, serait attaché à un cadavre par une chaîne de menottes. Il raconta comment il était parvenu à limer cette chaîne, tout près de son propre poignet. Paul parla ensuite du décès de Peter Flax et de qui s’en était suivi. Tout cela s’était passé il y avait deux ans.

— Alors, Monsieur, fit Joël, au comble de l’étonnement, comment se fait-il que vous ne vous soyez pas encore débarrassé de ce bracelet de fer ?… Car je vois qu’il… orne encore votre poignet gauche.

— Ma foi, je n’en sais rien, Joël ! répondit Paul, avec un rire assez insouciant. Je me suis acheté une lime, et j’ai essayé de limer ce bracelet, mais j’ai trouvé que c’était un travail si long, si difficile, que j’ai dû y renoncer.

— Un travail long, difficile, dites-vous, Monsieur ? s’écria Joël. Mais en quelques coups de lime…

— Me rendriez-vous le grand service de me débarrasser de cet… ornement, Joël ? demanda le jeune homme, en tendant son bras gauche au domestique.

— Dans dix minutes, ce sera fait !

 

Mme Fiermont et Nilka étaient à causer tout bas, dans leur cabine, quand elles entendirent, soudain, un petit bruit métallique.

— Qu’est-ce que cela ? demanda Mme Fiermont à la jeune file.

— C’est probablement Joël, qui a laissé choir un de ses outils, répondit Nilka.

Mais elle se trompait : ce bruit métallique que la mère et la fiancée venaient d’entendre, c’était celui qu’avait fait, en tombant sur le plancher du deuxième pont, aux pieds de Paul Fiermont, le bracelet de fer.


FIN DE LA QUATRIÈME ET DERNIÈRE PARTIE.