Éditions Édouard Garand (29p. 50-53).

Chapitre VII

COMMENT SE NOMMAIT L’OISEAU BLEU


Anatole Chanty avait-il fini par comprendre qu’il valait mieux pour lui de se bien comporter ? Toujours est-il qu’il fut fort tranquille, tant que chanta l’Oiseau Bleu ; il applaudit, comme les autres, seulement. Tout de même Paul le surveillait et de près.

Aussitôt que la chanteuse se fut retirée, chacun se dispersa pour jouer aux cartes ou au billard. Notre ami, qui ne cessait d’observer le cousin de Réjanne Trémaine, vit celui-ci qui se faufilait le long du mur, avec l’intention évidente de se risquer dans le petit corridor conduisant dans la chambre où la jeune cantatrice devait être à prendre quelques rafraîchissements, dans le moment. Mme Dupin était de retour dans la salle à manger, conséquemment, l’Oiseau Bleu devait être seule.

Personne ne s’occupant de lui, Paul se leva et il suivit Anatole Chanty qui, ayant atteint l’extrémité du corridor, venait de frapper à une porte et d’entrer aussitôt.

Paul Fiermont hâtant le pas, arriva bientôt devant la porte par laquelle Anatole venait de disparaître… Il écouta… Des voix parvenaient jusqu’à lui.

— Laissez-moi vous dire, Monsieur, que vous n’avez pas le droit de vous imposer ainsi, disait la voix de l’Oiseau Bleu.

— Vous m’avez dit d’entrer, lorsque j’ai frappé tout à l’heure pourtant, répondit la voix d’Anatole Chanty.

— C’est que je croyais que c’était Mme Dupin qui revenait…

— Ne suis-je pas aussi plaisante compagnie que Mme Dupin ? gouaillait Anatole. Allons, Mlle l’Oiseau Bleu…

— Sortez, s’il vous plaît, fit l’Oiseau Bleu. Je me plaindrai à M. Dupin, le propriétaire de cette auberge.

— Je ne vous conseille pas de vous plaindre à l’aubergiste, Mademoiselle, cela créerait un joli scandale et…

— C’est la première fois qu’il m’arrive d’être insultée, depuis deux ans que je chante ici ! disait la jeune chanteuse d’une voix tremblante.

— Insultée !… Mais ce n’est pas du tout mon intention de vous insulter ! Je viens seulement m’offrir pour vous reconduire chez-vous, ce soir.

— Mon Dieu ! s’exclama l’Oiseau Bleu. Personne ne me délivrera-t-il par des importunités de cet homme !

Paul tourna la poignée de la porte et entra dans la pièce. Il vit que c’était une sorte de vestiaire. Debout, à l’extrémité d’une table sur laquelle des rafraîchissements avaient été servis, était l’Oiseau Bleu. À l’autre extrémité de la table et faisant face à la jeune fille, était Anatole Chanty : sur le visage de ce dernier s’étalait un sourire niais. La bouche en cœur, Chanty faisait, c’était évident, des efforts pour se rendre irrésistible.

À l’arrivée de Paul, l’Oiseau Bleu avait levé les yeux, et le jeune homme vit qu’elle l’avait reconnu, car un expression de soulagement parut sur ses traits. Anatole Chanty tournait le dos à la porte.

— Est-ce que vraiment vous refusez mon escorte, Mlle l’Oiseau Bleu ? demandait Anatole, d’un ton quelque peu gouailleur.

— Je vous ai demandé de sortir, Monsieur, répondit la jeune chanteuse.

— Sortir ? Non pas ! Je vais m’asseoir ici et attendre que vous ayez changé d’idée ; voilà !

Mais il n’eut pas le temps de s’asseoir, car, en un clin d’œil, Paul arrivait auprès de lui, et l’ayant soulevé de terre, le secouait par le collet, comme s’il eut été un chat.

Un frais éclat de rire retentit : c’était si comique aussi de voir malmener ainsi le jeune rustre, que l’Oiseau Bleu n’avait pu retenir son hilarité.

Lorsque Paul eut secoué Anatole Chanty à son goût, c’est-à-dire jusqu’à ce que les dents de celui-ci eussent claqué comme des castagnettes, il le remit par terre. Chanty, rouge de colère, et aussi probablement, à moitié suffoqué, s’avança vers Paul Fiermont, les poings serrés, « de vrais poings de jeune demoiselle », eut dit Paul.

— Ah ! fit-il, en apercevant à qui il avait eu affaire. Tiens ! ajouta-t-il, c’est vous, Monsieur l’aventurier ?

— Oui, c’est moi ! répondit Paul.

— Vous vous faites, à ce que je vois, le champion de l’Oiseau Bleu…

— Sortez ! dit simplement Paul, en désignant la porte.

— Eh ! bien, non, je ne sortirai pas, entendez-vous, Monsieur l’aventurier ? Du moins, je ne sortirai d’ici que quand ça me plaira.

— La porte est ouverte ; sortez ! répéta Paul.

— Je viens de vous dire, je ne sortirai pas, Monsieur l’aventurier, redit Anatole, convaincu qu’il était, de lancer la plus grande des injures à Paul Fiermont en le nommant ainsi.

Anatole Chanty se dirigea vers le fond de la pièce, où était une fenêtre entr’ouverte, car, malgré qu’on fut en hiver, il faisait une chaleur presqu’intolérable dans toutes les pièces de l’auberge.

— Vous refusez de sortir par la porte, n’est-ce pas ? fit Paul, en s’approchant d’Anatole Chanty, eh ! bien, vous allez sortir par la fenêtre !

Ce disant, il saisit Anatole par la taille et le jeta par la fenêtre.

Un cri retentit, et s’étant retourné, Paul aperçut l’Oiseau Bleu qui, pâle jusqu’aux lèvres, s’écria :

— Ô Monsieur ! Comment avez-vous pu faire pareille chose ?… Nous sommes au deuxième étage ici, et ce jeune homme…

Mais, entendant un léger bruit et s’étant tournée du côté de la porte, la jeune fille vit Mme Dupin, qui se tordait de rire.

Mme Dupin ! Comment pouvez-vous rire ainsi ? dit-elle, d’une voix tremblante. Ce jeune homme, que ce Monsieur vient de jeter par la fenêtre… peut-être s’est-il fracassé le crâne sur quelque pierre, en bas !

— Ne craignez rien, chère Mademoiselle, répondit la femme de l’aubergiste, en s’essuyant les yeux. Si je ris (ha, ha, ha !) c’est que c’est infiniment drôle !… La fenêtre de cette pièce ouvre sur une allée étroite où nous jetons les cendres des poêles, l’hiver durant. Or, celui que Monsieur, ajouta-t-elle, en désignant Paul, vient de jeter par la fenêtre, est arrivé sur un vrai lit de cendre. Que c’est drôle ! Que c’est drôle !

L’Oiseau Bleu sourit malgré elle.

— Il n’a pu se faire mal, voyez-vous, Mademoiselle, continua la brave femme ; mais, son habit de soirée doit être dans un bel état, dans le moment ! Cette bonne Mme Dupin riait jusqu’aux larmes.

Paul, s’étant approché de la fenêtre constata que Mme Dupin avait dit vrai : une vraie colline de cendre se voyait en bas. Il sourit. S’il eut fait jour, on aurait probablement distingué l’empreinte du corps d’Anatole Chanty sur la cendre. Ce dernier aurait piètre mine pour arriver à son hôtel ; c’était, en effet, très comique, ainsi que l’avait dit la femme de l’aubergiste.

— Maintenant, Mademoiselle, dit Mme Dupin, en s’adressant à l’Oiseau Bleu, je regrette infiniment d’avoir à vous dire que je ne pourrai pas aller vous reconduire chez-vous, ce soir. Nous venons de recevoir un message nous annonçant de vingt-cinq à trente personnes ; elles doivent venir prendre le réveillon ici, après un concert. Il faut absolument que je sois présente… Je ne sais vraiment que faire…

— Ne soyez pas inquiète à mon sujet, Mme Dupin, répondit la jeune fille.

— Joël ne devait-il pas venir à votre rencontre, Mademoiselle ?

— Oui, mais, évidemment, quelque chose l’en a empêché. Je n’ai pas peur de m’en aller seule, vous savez, Mme Dupin, répondit l’Oiseau Bleu, quoiqu’elle pâlit un peu, et que sa voix tremblant.

— Je n’aime pas cela, je veux dire que je n’aime guère vous voir retourner seule, dit la femme de l’aubergiste. Qui sait d’ailleurs, si le jeune homme que Monsieur vient de jeter par la fenêtre, ne vous attend pas à quelque coin de rue ? Il vous importunerait encore…

— Si Mademoiselle veut accepter mon escorte, intervint Paul Fiermont, en s’inclinant devant la jeune fille, je me ferai un plaisir de la reconduire chez elle.

L’Oiseau Bleu jeta un coup d’œil sur le jeune homme, puis elle lui tendit franchement la main en disant :

— J’accepte votre offre, M. Laventurier.

Paul sourit sous sa moustache. Évidemment, le nom qu’Anatole Chanty lui avait donné, dans l’intention de l’insulter, tout à l’heure, avait induit l’Oiseau Bleu en erreur. Il ouvrit la bouche pour lui dire. Je me nomme Fiermont et non Laventurier, quand Mme Dupin lui dit, en indiquant l’Oiseau Bleu.

— Monsieur, j’ai la responsabilité de cette jeune fille ; mais, je vous la confie…

— Merci, Madame, répondit Paul, en s’inclinant devant la brave femme.

— Voyez-vous, reprit-elle, votre visage m’inspire confiance, et il est rare que je me trompe, car je suis assez bonne physionomiste.

— Je saurai me rendre digne de la confiance que vous mettez en moi, répondit le jeune homme.

En quittant l’auberge, l’Oiseau Bleu, accompagnée de Paul, se dirigea vers la haute-ville.

— Mademoiselle, demande notre ami, vous souvenez-vous de m’avoir rencontré déjà, sous d’assez étranges circonstances ?

— Sans doute, je m’en souviens… Sur le petit promontoire, là-bas, dans la Banlieue… Vous veniez d’être victime d’un accident…

— Je n’ai jamais oublié votre bonté, Mademoiselle ! s’écria Paul.

— Je n’ai rien fait de bien extraordinaire pourtant, répondit-elle, en souriant. Vous aviez besoin de mes soins et je vous les ai donnés ; voilà tout.

— Voilà tout, dites-vous ?… Sans votre secours, je ne sais ce que je serais devenu, car j’avais reçu un rude coup sur la tête. Mais… ajouta Paul, savez-vous, chose étrange, je vous avais prise pour une enfant, ce jour-là.

— Je le sais bien, répondit-elle, avec un joyeux éclat de rire, et cela m’avait beaucoup amusée !

— N’avez-vous pas perdu un objet de valeur, ce jour-là, sur le petit promontoire, Mademoiselle ?

— Mon médaillon ! s’écria l’Oiseau Bleu. Oh ! Monsieur, est-ce que vous l’auriez trouvé ? Ce serait avoir trop de chance vraiment !

— Oui, je l’ai trouvé, et j’ai même annoncé la chose dans les journaux.

— Ah !… Malheureusement, je ne lis jamais les annonces d’un journal, dit la jeune fille. Mais… Le médaillon…

— Le voici, Mademoiselle, dit-il, en lui remettant un joli écrin, qu’il prit dans la poche de son habit. Je l’ai toujours porté sur moi depuis.

Elle ouvrit l’écrin immédiatement et elle eut une exclamation de joie en apercevant le médaillon.

— Que je suis contente ! s’écria-t-elle. Ce portrait est celui de ma mère, que j’ai à peine connue, ajouta-t-elle, en montrant au jeune homme la photographie contenue dans le médaillon.

— Vous lui ressemblez extraordinairement ! dit Paul. C’est en voyant ce portrait que je fus convaincu que le joyau vous appartenait.

— Mais, cette chaînette d’or, et cet écrin ne m’appartiennent pas ; veuillez les reprendre, Monsieur.

— Je vous en prie, Mademoiselle, daignez accepter et l’écrin et la chaînette ! L’écrin, en fin de compte n’est qu’une simple boîte en carton…

— Doublée en velours bleu, acheva l’Oiseau Bleu, en souriant.

— Tout de même, ça n’a aucune valeur. Quant à la chaînette, elle est, elle aussi, sans réelle valeur. (Inutile de dire, n’est-ce pas, que la chaînette était de la meilleure qualité d’or). Si vous portez ce médaillon suspendu à un ruban ou cordon, vous courrez le risque de le perdre de nouveau… Vous allez l’accepter, je l’espère ?

— Ça semble si curieux pour moi d’accepter un cadeau d’un monsieur ! dit en souriant, l’Oiseau Bleu. Je ne sais vraiment si…

— J’apprécierai hautement la faveur que vous me ferez en acceptant cette modeste chaînette, croyez-le, Mademoiselle !

— Je l’accepte alors, et merci ! Elle mit, dans sa sacoche, l’écrin, contenant et contenu. Ah ! J’arrête ici, reprit-elle ; je ne serai que quelques minutes.

On était arrivé devant un magasin de fleuriste. L’Oiseau Bleu prit, des mains de son escorte, les boîtes contenant les fleurs qu’on lui avait présentées ce soir-là, puis elle entra chez la fleuriste. Lorsqu’elle en sortit moins de cinq minutes plus tard, il ne lui restait plus qu’un des cartons.

— Je n’ai pu me décider de vendre ces fleurs, dit-elle à Paul, en désignant le carton qu’elle tenait à la main. Ce sont des myosotis, et j’adore ces mignonnes fleurettes.

— Vraiment ? fit le jeune homme. Alors, je suis heureux d’avoir…

Il se tut subitement, mais l’Oiseau Bleu avait compris.

— Ah ! C’est donc vous qui m’avez présenté ce magnifique bouquet ? demanda-t-elle. Comment avez-vous pu deviner que je raffolais des myosotis ? ajouta-t-elle, avec un sourire que son compagnon trouva adorable.

— Des fleurs bleues à l’Oiseau Bleu… fit Paul.

Ils avaient repris le chemin de la basse-ville, et bientôt, ils pénétraient dans une rue très étroite et fort mal éclairée ; de fait, on ne voyait pas à deux pieds devant soi.

Paul avait offert son bras à la jeune fille et elle l’avait accepté, sans minauderie et sans coquetterie. Tous deux marchaient assez lentement, car les trottoirs étaient très mal entretenus, ou plutôt, ne l’étaient pas du tout.

— Nous tournons à droite ici, dit soudain l’Oiseau Bleu. C’est dans cette rue que je demeure.

Encore une rue étroite et noire. Mais les deux jeunes gens n’y avaient fait que quelques pas, quand apparut un homme, que Paul reconnut, malgré l’obscurité, à cause de sa taille, car il n’avait jamais pu apercevoir son visage. C’était Joël, le domestique (du moins, on le supposait), de la jeune chanteuse. Il accourut à leur rencontre.

Mlle Nilka ! Mlle Nilka ! s’écria-t-il. Combien j’ai regretté de n’avoir pu aller à votre rencontre ce soir !

— Nilka ! répétait sans cesse Paul Fiermont, en retournant à son club, après qu’il eut laissé la jeune fille aux soins de Joël. C’est le plus joli nom du monde !… Nilka ! — C’est doux, rare, et… seyant, en quelque sorte… Nilka !… Si belle ! Si charmante, et… si pauvre !… Car il faut qu’elle soit bien pauvre, l’exquise jeune fille, pour chanter ainsi dans une auberge, et pour se voir obligée ensuite de vendre les fleurs qui lui sont présentées… Nilka !… Il y a de la mélodie dans ce nom… Nilka !… Ô Nilka ! si mon rêve se réalise un jour, bientôt, vous serez riche et heureuse, car vous deviendrez la châtelaine de mon « château ». Nilka, gentil Oiseau Bleu, que je vous aime !