Éditions Édouard Garand (29p. 27-28).

Chapitre X

LES CONCOURS


Le soleil se leva radieux, le matin de la fête champêtre.

Tout était prêt, et il n’y avait pas de doute que ce serait un succès, sur toute la ligne.

À cause des occupations de sa fiancée, Paul ne la dérangea pas, ce matin-là, et il fit seul sa promenade à cheval. À quatre heures précises de l’après-midi, il avait promis d’être à La Solitude, pour prendre part à la fête que la jeune fille avait préparée avec tant de joie et pour laquelle elle s’était donné tant de peine

Près de cent invitations avaient été lancées pour la fête champêtre, et il était presque certain que peu manqueraient de s’y rendre.

Quoique les invitations eussent été faites pour quatre heures de l’après-midi, il était à peine trois heures que des voitures remplies de monde commencèrent à arriver. Paul n’ayant pas encore fait son apparition, c’est Anatole Chanty qui, naturellement, aidait Réjanne à recevoir, ce qui suscitait quelques commentaires.

— On croirait que c’est M. Chanty le fiancé ! dit, en riant, une jeune fille, ancienne compagne de couvent de Réjanne.

— Ma chère Renée ! s’écria, en riant, elle aussi, une autre jeune fille, qui avait nom Estelle Delherbe.

— Si Réjanne t’entendait ! fit une autre jeune fille, dont le nom était Anne Pivert.

— Ah ! bah ! fit Renée, en haussant les épaules.

— Tu sais bien que Réjanne ne t’a jamais ménagée, Renée Le Mouet ! s’écria Anne ; surtout depuis…

— Depuis que tu avais triché au concours d’histoire de France, dans notre dernière année de couvent, acheva Estelle.

— C’est de l’histoire ancienne cela ! rit Renée. Ha ha ha !

— Sans doute, sans doute !… Et cette affaire d’histoire de France (et non d’histoire ancienne), comme tu le disais tout à l’heure…

Toutes trois se mirent à rire.

— Je disais donc que c’est plutôt comique cet incident, aujourd’hui.

— Certes ! s’exclama Anne, riant jusqu’aux larmes. Je te vois encore, Renée, arrivant au concours avec tes manches de robe bourrées de feuilles et ton traité d’histoire de France.

— C’était le bon temps ! fit Renée, d’un ton qui les amusa toutes trois.

— Mais, Réjanne a mis beaucoup de temps à oublier cette affaire de concours, je crois ? dit Anne.

— Bien sûr ! répondit Renée. Elle ne m’invitait ni à ses soirées, ni à ses réceptions. Pauvre Réjanne !

— « Pauvre Réjanne » ! dis-tu, Renée ? demanda Estelle.

— Eh ! oui, je dis : « Pauvre Réjanne » ! C’est qu’elle est si… si singulière, parfois, avec ses préjugés !… Entre nous, M. Fiermont aura besoin de se bien tenir !

— Tu dis ? s’écrièrent, en même temps Estelle et Anne.

— Je dis que M. Fiermont n’aura qu’à se bien tenir ! Si jamais Réjanne découvrait qu’il essaye à lui cacher quelque chose, quand ce ne serait rien de bien grave, elle ne se déciderait jamais à lui pardonner. Je le répète, Réjanne est la personne la plus préjugée que je connaisse… Elle appelle cette… mesquinerie de vues, ses principes. Or…

— Réjanne est charmante ! dit Estelle.

— Bien sûr ! Seulement, quand elle se met quelque chose en tête, il n’y a rien au monde pour l’en débarrasser.

— Renée, ma chère, fit Anne, avec un fin sourire, je crois que ça ne te ferait pas de mal d’avoir quelques préjugés, à l’occasion, tout comme Réjanne ; cela t’empêcherait de discuter notre amie, sous son propre toit…

— Ou dans son propre jardin ! ajouta Renée, et toutes trois, parce qu’elles étaient très jeunes et très gaies, partirent d’un franc éclat de rire.

Les invités continuaient à arriver, et à quatre heures, vint Paul, accompagné de deux messieurs ; tous trois s’avancèrent vers Réjanne.

— Oh ! fit la jeune fille en les apercevant. Vous êtes les très bienvenus, Messieurs, ajouta-t-elle, Paul, M. Fiermont, et vous, Notaire Schrybe !

— J’ai voulu faire d’une pierre deux coups, dit le notaire Schrybe. Ayant affaire à mon vieil ami M. Fiermont, je me suis dit que j’en profiterais pour me rendre à Votre gracieuse invitation, Mlle Réjanne.

— Merci de tout cœur, dit Réjanne. Venez, M. Fiermont, et vous aussi, Notaire, je vais vous conduire auprès de mes parents ; ils sont là, dans le kiosque. Puis s’adressant à Paul, elle continua : Les courses à cheval vont bientôt commencer, Paul ; nous n’attendions plus que vous. Ensuite ce sera le concours de tir à l’arc. Venez ! Venez tous !

Les courses à cheval battaient bientôt leur plein. Au gagnant serait donné un fouet au manche serti de pierreries.

Ainsi que chacun s’y était attendu, c’est Paul Fiermont qui gagna la course, et ce n’était guère étonnant, n’est-ce pas ? Pendant sept ans, il avait littéralement vécu sur son cheval ; il y avait passé des jours entiers, voire même des nuits, y dormant, parfois, durant l’espace de milles et de milles, bercé doucement par le trot cadencé de sa monture.

Anatole Chanty avait senti grandir sa haine contre Paul, au triomphe de celui-ci. Mais il l’attendait au concours de tir à l’arc ! Ce garçon, qui n’eut pas touché, sans pâlir et trembler, à une arme à feu, ne craignait pas les flèches enrubannées d’un arc de fantaisie ; de plus, il était expert dans cette sorte de sport. L’heure du triomphe allait sonner pour lui ; petit triomphe, il est vrai ; mais Réjanne en serait témoin. Pauvre Anatole !

Une tête de cheval avait été dépeinte sur une planchette, et il s’agissait d’atteindre avec une flèche, le centre de l’œil droit. Il y eut bien des applaudissements et des éclats de rire, aux maladresses de certains concurrents ; mais on était là pour rire et s’amuser, et les maladroits riaient, plus fort même que les spectateurs, de leurs propres maladresses.

Enfin, ce fut le tour d’Anatole. Il s’avança au milieu des spectateurs, il tendit son arc et visa avec soin. Jamais il n’avait tant eu l’air d’une « petite demoiselle » qu’en ce moment, et plus d’un sourire fut échangé parmi les invités.

La flèche lancée par Anatole partit en sifflant, et elle arriva dans le coin de l’œil du cheval.

Il y eut de sincères applaudissements, cette fois, car c’était le meilleur coup qui eut été porté encore.

— Bravo, Chanty ! Bravo ! Bravo !

Anatole saluait de droite à gauche, comme une diva qui vient d’exécuter d’extraordinaires et difficiles trilles. Ses yeux se portèrent sur Réjanne, qui lui sourit amicalement,

— Fiermont ! Fiermont !

Paul aurait préféré ne pas prendre part à ce concours. Il savait qu’il était doué d’un coup d’œil infaillible, et que, s’il désirait lancer la flèche au centre même de l’œil du cheval, il y parviendrait, sans prendre la peine presque de viser. Plus d’une fois, il avait abattu, avec des flèches, des oiseaux, au vol.

Il hésita donc, lorsque son nom fut appelé ; ce qui fit qu’Anatole crut que Paul ne voulait pas se risquer, sûr qu’il était de faillir, devant sa fiancée. Il rit même tout haut ; ce rire sot, en même temps qu’insultant, parvint aux oreilles de plusieurs, et il provoqua, de la part de Paul, un haussement d’épaules, de la part de Réjanne, un froncement de ses fins sourcils.

— Fiermont ! Fiermont !

Ma foi ! Puisqu’on l’appelait à si grand cris, il n’allait pas se faire prier ; ce serait ridicule, à la fin. Et, quant à lancer une flèche, il prendrait la peine de viser, afin de faire honneur à sa fiancée.

Il s’installa à la place que venait d’occuper Anatole Chanty. Ayant tendu l’arc, la flèche arriva, ainsi qu’il l’avait prévu, au centre de l’œil du cheval.

Ce fut un triomphe, et Paul reçut, comme prix, des blanches mains de sa Réjanne, arc et flèches dorés.

Anatole Chanty vit rouge. Fou de colère et de déception, il osa s’avancer sur Paul, les poings crispés.

— Vous avez triché ! cria-t-il, le visage très pâle, les lèvres tremblantes.

— Triché ? fit Paul, sans s’émouvoir. Vous êtres parfaitement ridicule, mon pauvre M. Chanty !

— Vous… Vous… balbutia Anatole.

Il se préparait à éclabousser Paul d’injures, quand une main se posa sur son épaule, et la voix de Mme Trémaine dit :

— Mon cher Anatole !… Aurais-tu perdu la tête, par hasard ?… S’il te plaît me suivre ; j’ai affaire à toi.

Comme un bon petit garçon bien obéissant, Anatole suivit Mme Trémaine.

Des rires étouffés se firent entendre, et Renée de dire à Estelle :

— Bien sûr, le petit Anatole va recevoir une bonne volée de sa tante Jeanne !

— Et elle l’enverra se coucher sans souper ! ajouta Anne.

— Il l’aura bien mérité ! répondit Estelle, en éclatant de rire.

Réjanne entendit ces propos, qui la firent sourire, malgré elle ; mais elle se hâta d’annoncer que les rafraîchissements étaient servis. Elle conduisit ses invités à une autre extrémité du jardin, où, sous des tentes tricolores, des tables avaient été dressées, et bientôt, tous se délectaient des mets exquis que leur servaient les domestiques de La Solitude.