Éditions Édouard Garand (29p. 17-18).

Chapitre III

UN ORNEMENT COMPROMETTANT


— Cher oncle Delmas ! fit Paul.

— Te voilà revenu enfin, et pour toujours, je l’espère, Paul ! s’exclama Delmas Fiermont. Chose étrange, je pensais justement à toi, et j’étais à me demander, pour la centième fois aujourd’hui peut-être, pourquoi tu n’avais pas répondu à ma dernière lettre, écrite il y a déjà trois mois…

— Je suis venu vous apporter la réponse moi-même, mon oncle, dit Paul en souriant.

— Oh ! Quel bonheur de te revoir, Paul !

Delmas Fiermont posa le droit sur un timbre, et au bout de quelques instants Prosper arriva. Delmas Fiermont n’était pas un égoïste ; il voulait faire participer à sa joie le personnel du « château ».

— Prosper, demanda-t-il, n’as-tu pas entendu le timbre de la porte d’entrée, tout à l’heure ?

— Oui, Monsieur, répondit le domestique ; mais comme j’ai entendu s’ouvrir la porte immédiatement après, j’ai cru que c’était M. Trémaine qui était entré vous voir, en passant.

— Ce n’était pas lui, Prosper.

— Alors, je regrette, Monsieur, de n’avoir…

Prosper se tut subitement ; c’est qu’il venait d’apercevoir quelqu’un qui, jusqu’à ce moment, s’était tenu dans l’ombre, mais qui venait de s’avancer sous la clarté de la lampe. Sur le visage du domestique aussi, se peignirent la surprise, l’incrédulité, puis la joie, et ce fut d’une voix tremblante d’émotion qu’il s’écria :

— Monsieur Paul ! C’est Monsieur Paul !

— Eh ! bien, Prosper, dit Paul, tu me reconnais donc, malgré que les années (sept ans, tu sais) ont dû beaucoup me changer ?

— Vous reconnaître, M. Paul ! Certes, oui ! Vous êtes très grand et tout bronzé ; mais vos yeux n’ont pas changé, non plus que vos traits… Ô M. Paul ! Quel bonheur de vous revoir !… Et c’est Mme Jacquin qui va être contente, elle aussi !

Mme Jacquin est-elle couchée, Prosper ? demanda Delmas Fiermont.

— Non, Monsieur ; je viens de l’entendre marcher, sur le second palier.

— Alors, va lui dire que je désire lui parler… Ne lui annonce pas la grande nouvelle cependant.

Bientôt, Paul et son oncle entendirent des pas qui s’approchaient. La porte de l’étude s’ouvrit et Mme Jacquin entra.

— Vous m’avez fait demander, Monsieur ? fit-elle, en s’adressant à Delmas Fiermont.

— Oui, Mme Jacquin. Ce monsieur, fit Delmas, en désignant Paul, qui s’était, encore une fois, retiré dans l’ombre, ce monsieur vient d’arriver, et je veux savoir s’il y a une chambre de prête pour lui.

— Certainement, Monsieur, répondit Mme Jacquin. Les chambres d’amis sont toujours tenues proprement, afin de…

Mais une exclamation jaillit de sa bouche soudain ; elle venait d’apercevoir Paul, la brave femme.

— Grand Dieu ! fit-elle. C’est… C’est Monsieur Paul !

— Eh ! oui, Mme Jacquin, c’est moi, répondit Paul. Vous m’avez donc reconnu, vous aussi ?

Paul s’approcha de la ménagère et déposa un baiser sur ses joues ; Mme Jacquin n’avait-elle pas été une véritable mère pour lui, jadis ?

— Oh ! M. Paul, que vous voilà grand !… Oui, je vous ai reconnu et… M. Paul, vous êtes de retour, et c’est pour toujours, je l’espère ? Vous ne songerez plus à nous quitter, n’est-ce pas ?

— Certes non ! s’écria Paul. Et je me demande comment j’ai pu vivre sept ans éloigné de mon oncle Delmas… et de vous tous !

— Quel bonheur ! fit Mme Jacquin. Je vais aller préparer votre chambre, M. Paul… je veux dire celle que vous occupiez autrefois. Votre chambre à coucher ainsi que votre étude sont dans un ordre parfait ; il n’y a qu’à mettre de l’eau fraîche et des serviettes… Voyez-vous, M. Paul, depuis le jour que vous êtes parti que nous vous attendons.

Paul n’avait pas à se plaindre d’être reçu froidement. Son oncle paraissait si heureux, qu’il en était, semblait-il, rajeuni de dix ans, et les domestiques étaient fous de joie de le revoir.

En comparant le présent avec le passé, si peu éloigné, Paul se dit qu’il oublierait vite les épreuves qu’il avait dû subir tout récemment, et c’était là son plus grand désir.

Cependant, ce soir-là, au moment de se déshabiller pour se mettre au lit, quelque chose glissa le long de son bras et tomba sur son poignet : c’était le bracelet de fer, qu’il n’avait pu enlever encore. Ce bracelet, partie des menottes qu’il avait dû porter aux bras durant son cheminement à travers les dunes, alors qu’il était le prisonnier du policier Peter Flax, ce bracelet dis-je, comment s’en débarrasser ?… Il faudrait le limer, et ce serait un bien long travail… Paul eut, un instant, la tentation d’avoir recours à Prosper ; pourtant, il lui répugnait de se mettre, en quelque sorte, à la merci d’un domestique, si discret et fidèle fut-il… Eh ! bien, aussitôt possible, il s’achèterait une bonne lime et il chercherait l’occasion de limer le bracelet…

Paul ne se faisait aucune illusion d’ailleurs ; il savait fort bien que c’était un ornement quelque peu compromettant que ce bracelet de fer.