Éditions Édouard Garand (29p. 16-17).

Chapitre II

À L’AVENTURE


Au mois de septembre donc, Paul Fiermont, au lieu de partir pour le collège, s’en alla à l’aventure, accompagné de Gédéon Legrand. Il avait promis à son oncle, en partant, de lui écrire le plus souvent possible et de lui désigner un endroit ou une ville quelconque où Delmas Fiermont pourrait lui adresser ses lettres.

La première lettre que le propriétaire du « château » reçut de son neveu contenait le post scriptum suivant :

« Dorénavant, cher oncle, veuillez écrire mon nom comme suit, quand vous m’adresserez une lettre : « Fairmount ». Comme il y a beaucoup d’Anglais dans les environs, c’est le nom qu’on me donne. J’ai eu beau leur expliquer que Fairmount n’est pas la traduction de Fiermont, on persiste à me nommer, et à écrire mon nom ainsi ».

Il y avait trois ans que Paul avait quitté son oncle, quand celui-ci reçut une lettre contenant une triste nouvelle : Gédéon Legrand était malade dans un hôpital de Chicago ; il devait être opéré dans deux jours, une opération fort sérieuse. Le lendemain, arrivait une dépêche annonçant que Gédéon Legrand était mort sur la table d’opération.

Huit jours plus tard, Delmas Fiermont recevait de son neveu une lettre lui demandant une extension de son congé. Il avait dix-huit ans maintenant, et il pouvait fort bien voyager seul ; si son oncle voulait lui permettre de continuer sa vie aventureuse, il lui en serait reconnaissant.

Eh ! bien, Delmas Fiermont n’avait jamais rien refusé à son neveu ; il accorda la permission demandée, mais non sans que cela lui coûtât un énorme sacrifice.

Pendant quatre ans encore, Paul voyagea, tenant toujours son oncle au courant de ce qu’il devenait, d’où il était.

Enfin, il y avait trois mois, Delmas avait écrit à Paul, le priant de revenir au « château ». Sept ans de voyages et d’aventures, ce devait être assez, et lui, Delmas, ne jouissait pas d’une bien bonne santé ; c’était le cœur qui allait mal. Bref, il rappelait instamment son cher neveu auprès de lui. Mais cette lettre était restée sans réponse et Delmas Fiermont était presque fou d’inquiétude.

Mme Jacquin, disait parfois Prosper à la ménagère du « château », Monsieur Fiermont finira par tomber malade, je le crains ; il ne mange pas, et c’est à peine s’il dort, je crois.

— Il s’ennuie de M. Paul, répondait Mme Jacquin. Pourquoi ne revient-il pas aussi, M. Paul ! Voilà sept ans qu’il est parti !

— Et pas de lettre de lui depuis trois mois ! Mon pauvre maître est presque malade d’inquiétude ; voilà !

— Ah ! j’espère qu’il ne lui est rien arrivé à M. Paul !

— Je l’espère, moi aussi !… Si je savais à quelle adresse lui écrire, je lui écrirais bien sûr, Mme Jacquin… Son oncle, qui ne lui a jamais rien refusé, se fait une maladie de ne pas recevoir de nouvelles !

Assis dans son étude, le soir où nous faisons connaissance avec lui, Delmas Fiermont pensait à Paul, et il se demandait ce que ce dernier était devenu… Qui sait ?… Peut-être avait-il trouvé la mort dans quelque désert ?… Peut-être avait-il succombé à la soif, à la faim, à la misère, lui, l’héritier du « château » et des millions de son oncle !… À cette pensée, Delmas frissonna et deux larmes coulèrent sur ses joues, qu’avaient creusées les inquiétudes et les angoisses de ces trois derniers mois.

— Je n’aurais jamais dû le laisser partir ! se disait-il. Du moins, j’aurais mieux fait de l’obliger de revenir, après le décès de Legrand !

À ce moment résonna le timbre de la porte d’entrée. Delmas Fiermont leva les yeux sur une horloge monumentale qu’il y avait non loin de son pupitre. (Entre parenthèses, Delmas Fiermont avait une vraie toquade pour les horloges monumentales ; il y en avait une dans chaque pièce du « Château »).

— Dix heures moins le quart ! se dit-il. Qui peut bien venir ici à cette heure ?… Trémaine, sans doute…

(M. Georges Trémaine était le voisin et ami intime de Delmas Fiermont).

Des pas pressés traversèrent le corridor, puis trois coups précipités furent frappés sur la porte de l’étude.

— Entrez !… Entre, Trémaine ! fit Delmas. La porte s’ouvrit… Un jeune homme de haute stature, au visage bronzé par le soleil, entra…

Tout d’abord, Delmas Fiermont demeura muet, tandis que son visage reflétait diverses émotions : celles de l’étonnement, de l’incrédulité, puis d’une immense joie. Enfin, il se leva, et tendant les bras vers le nouvel arrivé, il s’écria d’une voix remplie de larmes :

— Paul ! C’est Paul ! Ô Paul, mon enfant !