Le Zend-Avesta (trad. Darmesteter)/Volume II/Introduction/Chapitre I-1


 
Traduction de James Darmesteter

Édition : Musée Guimet. Publication : Ernest Leroux, Paris, 1892.
Annales du Musée Guimet, Tome 22.


INTRODUCTION
Chapitre I-1
I.
Le Vendidad est un des vingt et un Nasks dont se composait l’Avesta au temps des Sassanides. — Les sept Nasks légaux. — Analyse sommaire du Vendidad. — Rapports du Vendidad et des autres Nasks légaux. — Son importance religieuse comme code de la purification..


INTRODUCTION


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CHAPITRE I


LE VENDIDAD


I. Le Vendidad est un des vingt et un Nasks dont se composait l’Avesta au temps des Sassanides. — Les sept Nasks légaux. — Analyse sommaire du Vendidad. — Rapports du Vendidad et des autres Nasks légaux. — Son importance religieuse, comme code de la purification.

II. De la pureté légale : conception toute physiologique. — De l’impureté par la mort. — La Druj Nasu, démon de la contagion. — Expulsion de la Nasu par le Sag-did. — Purification par le gômêz. — Caractère hygiénique des cérémonies de purification. — Pureté de la terre. — Pureté de l’eau. — Pureté du feu. — Mélange des conceptions hygiéniques et de la conception théologique et abstraite de la pureté des éléments. — Purification par la mort. — Impureté de la femme dans ses règles ; de la femme enceinte. — Impureté des objets matériels.

III. Lois civiles. Les contrats. — Lois pénales. Coups et blessures.

IV. Des peines. — La peine physique. La flagellation. Le Sraoshô-carana. — Tableau des peines et des délits. — Conversion de la peine physique en amende. — La peine morale. La pénitence. — Des crimes inexpiables. — Jusqu’à quel point la législation du Vendidad est réelle ou idéale. — De la procédure. Le Ratu et le Sraoshâvarez.


I


La littérature sacrée du Zoroastrisme, à l’époque des Sassanides, formait un tout divisé en vingt et un livres ou Nasks 1[1], en souvenir des vingt et un mois de l’Ahuna Vairya. Un de ces Nasks nous a élé conservé dans son intégrité 1 : c’est le dix-neuvième 2 , le Vendidad.

Le Vendidad a souveut été désigné comme le livre des Lois des Parsis et nous-même gardons une expression analogue dans le titre de ce volume : mais ce n’est qu'un titre conventionnel et approximatif qui a besoin d’être défini et expliqué.

Les vingt et un Nasks de l’Avesta avaient été répartis plus ou moins artificiellement en trois classes, composées chacune de sept Nasks. Il y avait sept Nasks dits gâsânik ou gothiques, comprenant le Stôt Yasht , qui se retrouve, mêlé à des matières étrangères, dans notre Yasna, et autour duquel s’élaienl développés et groupés les six autres Nasks, commentant, développant, complétant ce texte central. Puis venaient sept Nasks dits dâtih ou légaux, c’est-à-dire ayant pour objet les lois civiles, pénales et religieuses. Venaient enfin les Nasks dits Hâdak-mânsarik , qui traitaient des sujets mixtes, historiques, légendaires, scientifiques. Le Vendidad est le type des Nasks légaux, mais ce n’était pas le seul. Ce n’est donc pas le Code des lois zoroastriennes, mais une section de ce Code.

Nous possédons dans le Dînkart une analyse des six autres Nasks légaux. Quatre seulement ont strictement droit à ce titre : le Nikâtûm, le Ganbâsar-nijat , le Hûspdram etle Sakâtûm. Le premier, le second et le quatrième traitaient sur tout de droit civil et de droit pénal; le troisième dont il reste de nombreux fragments traitait de liturgie. Le Citraddt et le Bakân Yasht traitent l’un d'histoire et l’autre du culte des divers Izeds et ne rentrent que conventionnellement dans le cadre des Nasks légaux. Il nous est resté une grande partie du Bakân Yasht : elle constitue nos Yashts actuels (voir le chapitre suivant). Si à présent on passe à l’analyse du Vendidad, on trouve que la partie la plus considérable en est constituée par les lois de purification, c’est-à-dire par des lois ayant pour objet de chasser le démon des objets qu’il a souillés : c’est le livre de la Loi considérée particulière-

1. Le seul selon la tradition, mais non point dans la réalité, car le Yasna, comme on l’a vu dans le premier volume (Introd., p. lxxxvii), a incorporé toutleSfdf Yasht.

2. Le dix-neuvième dans l’ordre du Dînkart (VIII, i, 12). Les Rivâyats postérieurs, mettant en tête le Stôt Yasht, que le Dînkart met en queue, donnent au Vendidad le vingtième rang. particulièrement comme « ennemie des Daêvas », dâtem vîdaêvô-dâtem. Celte épithète de vîdaêvô-dâtem, qui s’applique d’une façon générale à toute la Loi *, en tant qu’elle a à lutter contre les puissances impures, est devenue le nom spécial de notre Nask , parce que c’est celui qui se préoccupe le plus particulièment de cette lutte de la Loi contre les démons, bien que d’ailleurs cette lutte ne l’occupe pas tout entier.

Le Vendidad se compose de vingt-deux chapitres ou Fargards, dont les deux premiers et les trois derniers rentrent plutôt dans la définition des Nasks hâdak-mânsarîk, étant d’un caractère légendaire ou mythique. Le premier est une énumération des contrées iraniennes créées par Ahura et des fléaux qu’Ahriinan oppose à la création de chacune d’elles. Le second Fargard, qui se rapporte également aux origines de l'histoire, conte comment Ahura offrit en vain à Yima Khshaêta (Jamshîd) de porter sa religion aux hommes, comment Yima refusa, mais accepta de gouverner la terre, de l’agrandir et d’en bannir la maladie et la mort. Le même Fargard décrit aussi le Yar, construit par Yima, sur les ordres d’ Ahura, pour servir d’abri aux plus beaux spécimens des races animales et végétales, qui repeupleront la terre après les ravages des hivers envoyés vers la fin des temps par Mahrkusha. Les trois derniers Fargards traitent des origines de la médecine (Farg. XXÏ), de la puissance guérissante des Eaux (Farg. XXI) et de celle de la Parole sainte (Farg. XXII). Si les diascévastes du Vendidad avaient eu quelque souci de l’ordre et de la composition, ils auraient donné place immédiatement après le second Fargard, à celui qui occupe à présent la dix-neuvième place et qui est consacré à la mission de l’homme qui remplira le rôle refusé par Yima, Zoroastre. Ce Fargard décrit les efforts inutiles d’Ahriman pour faire périr Zoroastre ou le séduire et donne en abrégé la révélation d’Ahura à Zoroastre.

Restent seize chapitres, les Fargards UI-XVIII, consacrés presque tout entiers à des questions de loi. La plus grande partie, les Fargards V-XII,

1. Farg. V, 23; cf. note 43.

2. En pehlvi Jût-dîv-dât ou Jûl-shêdâ-dât ; le nom moderne est une corruption indienne de vi-daêvô-dâtem, vî-dîv-dât. L’équivalence de la voyelle longue et de la voyelle nasalisée est un phénomène des plus fréquents dans l’Inde pracritique, dès l’époque d’Asoka (cf. Senart, Inscriptions de Piyadasi, 1, 10 sq.). traite principalement de l’impureté qui nait de la mort ou du contact avec un cadavre et des moyens employés pour s’en dégager. Les Fargards XVI, XVII et une partie du XVIII 0 traitent des impuretés sexuelles etaulres. Les Fargards XIII et XIV avec une partie du XV 0 traitent du chien, de sa dignité, de ses droits, de ses vertus et des peines dont est frappé son meurtrier. Le Fargard III traite du culte de la terre. Le Fargard IV traite des contrats et du droit pénal. Parmi tous ces textes, il en est fort peu qui offrent une unité parfaite : seuls les plus courts présentent ce caractère (par exemple : Farg. X, sur le nombre de fois qu’on doit répéter les principales formules d’exorcisme; Farg. XI, sur les formules d’exorcisme employées pour chasser le démon des divers objets souillés; Farg. XII, sur la durée du deuil selon les divers degrés de parenté; Farg. XVII, sur la façon de couper ses cheveux et ses ongles). La plupart sont interrompus de digressions et formés de fragments qui plus d’une fois se répètent d’un Fargard à l’autre 1 et qui se suivent rarement dans l’ordre le plus rationnel et le plus clair.

Ce désordre ne tient pas tout entier au vice de l’esprit oriental et à la hâte avec laquelle on a classé tant bien que mal, au moment de la codification, les débris de l’ancienne littérature : il a été favorisé en grande partie par la forme même du Vendidad. La révélation est faite par Ahura dans une série de réponses faites à autant de questions posées par Zoroastre, et comme ces questions sont spéciales et non générales, l’exposition se brise en un nombre considérable de fragments indépendants, dont la succession et l’enchaînement étaient exposés à tous les accidents qui menacent des corps d’armée mal reliés.

Une partie des sujets traités dans le Vendidad reparaissait aussi dans d’autres Nasks. Le quatrième Fargard, qui s'occupe des contrats et des coups et blessures, est loin d’épuiser le sujet qui était traité plus à fond dans le Nikâtûm. Une des sections de ce Nash , le Patkàr-ratistân , traitait des enquêtes judiciaires ; une autre, \eZatamistdn , des coups ; une troisième, le Rêshistân , des blessures; une quatrième, le Hamêmâlistàn, des procès en

1. V, 45-62 = VII, 60-72; XIII, 52-56 = VIII, 53-57; VIII, 35-72, cf. IX, 12-36. général 1 . Le septième Fargard du Vendidad a des détails piquants sur l’organisation de la médecine et les honoraires du médecin : le Nask Hûspârâm traitait de nouveau le sujet et complétait les données du Vendidad 2 . Le XIII e Fargard n’était pas le seul texte à la gloire du chien : toute une section du Nask des voleurs 3 4 , le Ganbd-sar-nijat A , lui était consacrée. Ce sont les lois de purification qui donnent son caractère propre au Vendidad, car non seulement elles en remplissent la plus grande partie, mais les autres Nasks ne s’en occupent qu’incidemment ; et c’est probablement là la raison qui nous a conservé le Vendidad, tandis que des quatre autres Nasks légaux il ne nous reste que quelques citations dans la littérature pehlvie. Ces lois donnaient au Vendidad une valeur religieuse que les autres Nasks, plus préoccupés d’objets profanes, ne possédaient pas au même degré. L’intérêt et les nécessités de la vie pratique rappelaient sans cesse et maintenaient les lois d’un caractère plus profane : les lois de purification étaient plus exposées à être négligées et oubliées. C’est pourquoi l’on en inséra la lecture dans le grand office. Le grand office, en effet, l’office du Vmdidad comme on l’appelle, contient une récitation du Vendidad, réparti à cet effet entre neuf sections, qui sont intercalées au courant du Yasna-Vispéred 5 .

1. Dtnkart , VIII, 16-19.

2. Voir 1’ Appendice au Fargard VIII.

3. Le Pasûsh-hâurvastân ; Dtnkart , VIII, 23.

4. Gânbâ-sar-nijat — (?) tàyusli sarô-jata : cf. tâyusli peshô-sâra.

5. Ces neuf sections sont composées et intercalées comme il suit :

Vd. I-IV : après Ys. XXVII, Vp. XII; c’est-à-dire immédiatement avant les Gâthas. Vd. V-VI : après Ys. XXX, Vp. XI 1 1 ; c’est-à-dire immédiatement après les Tisrô paoirya (les trois premiers Hâs de la Gâtha Ahunavaiti : vol. I, 203).

Vd. VII-VIII : après Ys. XXXIV, Vp. XIV; c’est-à-dire immédiatement avant le Yasna Haptanliâiti.

Vd. IX-X : après Ys. XLII, Vp. XVI-XVII; c’est-à-dire immédiatement avant la Gâtha Ushtavaiti.

Vd. XI-XII : après Ys. XLV1, Vp. XVIII; c’est-à-dire immédiatement avant la Gâtha Speùta-Mainyu.

Vd. XIII-XIV : après Ys. L, Vp. XIX; c’est-à-dire immédiatement avant la Gâtha Vohu-khshathra.

Vd. XV-XVII : après Ys. IJ, Vp. XX; c’est-à-dire immédiatement après la Gâtha Vohu-khshathra.

Vd. XVII-XVIII : après Vp. XXI-XXII ; c’est-à-dire après la seconde récitation du Yasna Haptañhàiti qui dans le Vendidad Sadé suit la Gâtha Vohu-khshathra.



  1. 1. L’analyse de ces Nasks nous est conservée dans le VIIIe et le IXe livres du Dînkart (traduits par M. West dans le IVe volume de ses Pahlavi Texts).