E. Dentu (p. 127-136).


CHAPITRE XIV

LES HOMMES FONT LES LOIS, LES FEMMES FONT LES MŒURS.


Les femmes font les mœurs ! Legouvé l’a dit, d’autres l’avaient dit avant lui, pourquoi ne le répèterions-nous pas !

En étudiant l’histoire, il nous est démontré que la décadence d’Athènes et de Rome datent de l’époque du relâchement des mœurs. Le Christianisme, avec Jésus crucifié, vit Marie sur le mont Calvaire. Les disciples avaient abandonné leur maître, Pierre l’avait renié, Marie et Madeleine recueillirent son sang et l’ensevelirent !

Au temps des immolations religieuses, alors que confesser sa foi c’était se dévouer au supplice, les femmes eurent le sublime courage de la souffrance ; ouvrez le martyrologe, il contient les faits à l’appui de notre assertion. Les courtisans avaient perdu Athènes ; les femmes martyres propagèrent à Rome le christianisme. Au moyen âge, alors que la chevalerie menaçait de tourner au brigandage, quelques esprits supérieurs la relevèrent par le côté de l’amour. À la devise : Mon Dieu et mon droit ; on substitua celle de : Mon Dieu, mon roi, ma dame. Dès lors, la chevalerie fut sauvée. Chacun eut à répondre de ses actes à la dame de ses pensées, et l’on put dire : Noblesse oblige.

Dans des temps plus près de nous, la poésie se mourait ; les jeux floraux, inaugurés par Clémence Isaure, la vivifièrent et la firent briller d’un nouvel éclat !

Notre grande révolution, avec ses tricoteuses dans la rue, n’eut-elle pas au premier plan de la Gironde, Charlotte Corday ? Et de la prison du Temple, où Robespierre envoyait ses victimes, combien de nobles têtes de femmes montèrent à l’échafaud le front haut, le sourire sur les lèvres ? Madame Roland ne mourut-elle pas plus fièrement que le ministre son mari ? Et si, comprise dans une hécatombe humaine, Madame Dubarry succomba lâchement, c’est que cette courtisane considérait la mort comme la fin de tout.

Les grands législateurs, les grands philosophes, n’ont point éloigné d’eux les femmes, et l’on a pu constater qu’aux époques organiques elles avaient pris place dans la société, tandis qu’aux époques de transition elles en étaient isolées, se bornant à exercer leur bonne ou funeste influence sur les individus isolés.

Dans le bien comme dans le mal, les femmes dépassent souvent la limite du juste, semblables aux enfants gâtés qui n’ont de règle que leurs caprices. Mais prend-on la peine de redresser leur jugement, de former leur raison, de les préparer à l’inattendu de l’avenir ? Enfants, on leur donne des poupées ; jeunes filles, on les rend poupées elles-mêmes ; celles qui sortent de l’ornière commune sont l’exception.

On redoute, dans le monde, l’influence des Jésuites ; quelle ne fut pas jadis celle des religieuses de Port-Royal ? Les monastères qui transmettaient manuscrite la pensée avant Guttemberg, dominaient-ils plus la société que les grandes abbayes ou les maisons des dames chanoinesses ?

Le tort d’un sexe est de s’isoler de l’autre ; heureux le souverain soutenu par la douce inspiration d’une femme ! Le roi Louis-Philippe, après dix-huit ans d’un règne pacifique, dut peut-être la perte de son trône à l’événement qui le frappa le 1er janvier 1848 : la mort de sa sœur, madame Adélaïde.

Parmi les États gouvernés par des femmes, l’Angleterre, par exemple, vaut-elle moins que les peuples ses voisins ? et la Russie ne dut-elle pas sa marche rapide autant à Catherine II qu’à Pierre le Grand ? S’il y a dans l’autorité de l’homme plus de véhémence, dans celle de la femme il y a plus de douceur.

On a donc le droit d’imputer aux souverains absolus et isolés, les erreurs dont sont entachés les actes de leur règne ? Les peuples sont pour ceux-ci ce que la lune, dont nous ne connaissons que la moitié, est pour notre planète.

Il faut plaindre la génération qui, sans respect pour elle-même, ne voit dans la femme jeune qu’un instrument de plaisir, dans la femme âgée qu’un objet de pitié. La séparation des sexes tend à la dissolution de la famille, à la démoralisation de la société.

« Je passais, il y a quelques jours, ― nous disait une amie, ― sur le trottoir d’une nouvelle voie ouverte entre la rue de Moscou et la rue de l’Église, à Batignolles. Une troupe de jeunes collégiens s’avançait vis-à-vis de moi ; tous ils s’entendirent pour rester maîtres du terrain, et me laissèrent piétiner dans la boue. Je ne connais pas le maître de ces élèves, ― ajouta notre amie, ― mais sur ce seul fait, je le juge, et ce n’est pas en ses mains que je placerais mon fils. »

La réflexion nous paraît fondée, le directeur de tels pupilles, ou n’est pas marié, ou est mal marié : tel maître, tels élèves, comme tels enfants, tels pères… Entrez dans une famille où la douceur et l’aménité règnent, vous verrez ces mêmes sentiments se réfléter sur les traits des enfants. Hippolyte M… a dix-huit ans, une physionomie heureuse, un esprit droit, une bonté exquise. D’où lui viennent et sa douce sérénité et sa parfaite bienveillance ? des exemples qu’il a reçus, de l’inaltérable affection que se sont vouée son père et sa mère !

Où s’inspire le sarcasme et la satire, ne peut pas naître l’affection, et, nous le répétons : les femmes surtout font les mœurs. Madame Aline J…, jeune et tendre mère, partageait son cœur entre ses enfants et son mari, c’était là son univers. D’abord fille et sœur dévouée, son culte avait naturellement changé d’objet. Un événement la priva tout à coup de son mari, et, par un double malheur, le jour où s’éloignait l’honorable chef de cette famille, madame J… pleurait sur le cercueil de sa petite fille. Perdre à la fois deux objets bien chers, se séparer de l’un, enterrer l’autre, c’était de quoi faire blasphémer une âme ordinaire. Madame J… trouva en elle le courage qui lui devenait nécessaire : un fils, enfant encore, lui restait. À le regarder, la mère, refoulant ses larmes et prête à tous les sacrifices, rejoignit en de lointains pays son époux bien-aimé. Une petite fille, un ange, leur naquit, ce fut là leur récompense…

Madame J…, à qui avait-elle dû les sentiments qui l’animaient ? à sa mère. Petite enfant, elle avait deviné ce qui ne s’inspire pas, les délicatesses du cœur ! Se dévouer, pour elle c’était vivre, et, malgré de plus nombreux devoirs, elle est restée sœur comme elle a su être épouse et mère. Aujourd’hui son fils a dix-sept ans, sa fille dix : l’un et l’autre, imbus de bons exemples, purifiés à l’école du malheur qui anéantit les faibles et élève les forts, ces enfants ne seront jamais ni sans pitié pour les fautes de la jeunesse, ni sans respect devant l’âge mûr ! Tous les élans généreux, ils les éprouvent ; tous les bons sentiments, ils les puisent dans leur propre cœur, leur père et leur mère veillent sur eux avec tant d’amour !

Si nous recherchons, au premier rang, l’influence bonne ou mauvaise des femmes, c’est que près du mousquet de Charles IX, nous voyons le doigt de Catherine de Médicis, et sous le seing d’Élisabeth, la condamnation de Marie Stuart. Lorsqu’elles donnent dans les excès, les femmes n’y donnent pas à demi. Sublimes de dévouement en amour, elles sont implacables de haine, sous la fougue de leur impétueuse organisation. Toutes sont condamnées, de par la nature, à souffrir. Les inconvénients attachés à leur sexe réagissent sur leur système nerveux, comme un accès de fièvre brûlante qui bientôt s’éteint et les laisse étonnées d’elles-mêmes. On peut dire de certaines femmes qu’elles font des enfants et des enfantillages ; mais celles-là sont en minorité et font partie de la classe mignarde, des privilégiées du sort. Les femmes du peuple n’ont pas le temps d’écouter leurs nerfs, les jours de labeur se ressemblent tous pour elles.

On a dit :

Les hommes n’ont ni l’habitude ni la patience du mal, un rhume les abat, une migraine les accable ; ils s’indignent contre le plus léger malaise, la nature les a si largement favorisés ! Certes, ils travaillent à la sueur de leur front, mais la femme à son tour enfante avec douleur…

Sublime sentence : « Tu n’es point la condamnation, mais la glorification du couple humain ! Tu travailleras à la sueur de ton front. Tu enfanteras avec douleur.»

Mais le travail est la glorification du génie créateur de l’homme, et l’enfantement, le travail glorieux de la maternité !

Dieu juste ! cette allégorie de l’ange gardant l’entrée du Paradis, est-elle autre chose qu’une figure symbolique ? Adam et Ève goûtent à l’arbre de la science. Dès ce moment leur nudité les frappe ; ils quittent le lieu qui les vit oisifs, et cette science qu’ils ont appréciée, ils la recherchent ! cette humanité, qu’ils ont commencée, ils la paient de leur labeur ! telle est leur destinée ! Dieu avait tout mis sur le globe pour eux ; avant eux, le minéral, qui se végétalise ; le végétal, qui s’animalise, l’animal, qui s’humanise, forment les sublimes degrés de la prévoyance divine. Que la foi, agrandie, rayonne donc de monde en monde jusqu’à l’Éternel, qui, du semblable, tira le couple égal en substance, divers en manifestations.

Inclinons-nous devant la puissance infinie, l’aimant, parce que nous la connaissons ; la glorifiant, parce que nous la sentons, non point telle que la font les hommes ; mais telle qu’elle est en effet, immense, infinie, pleine de mansuétude !