Le Voyage des princes fortunez de Beroalde/Entreprise II/Dessein XX

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DESSEIN VINGTIESME.


Le Parroquet ſe deſcouure à la Royne. Ils deuiſent ſouuent enſemble. La Royne fait vn ſonge & incite ce Roy à faire le beau ſecret. Il ſe met en vne poule, & le parroquet r’entre en ſon propre corps. La poule eſt priſe.



TOvt animal deſpayſé ou deſlogé eſt triſte, & auant que ſ’eſtre recognu ne fait pas ſes actions comme au parauant : cela fait croire à la Royne, que c’eſt la cauſe pour laquelle ſon parroquet ne parle point : car depuis qu’il fut poſé en ce lieu, où elle luy deſigna ſa place, il ne parla, ny beut, ny mangea, ains comme plein de grande ſolicitude, eſtoit ne plus ne moins qu’en conſideration. Le lendemain ſur le ſoir, ce Roy veint voir la Royne, & fut quelque peu de temps auec elle, mais auec tant de reſpect qu’il eut ayſément paru qu’il n’y eut eu aucune particularité entre ces perſonnes-là. Le parroquet y veilloit attentiuement, obſeruant tous les geſtes de la Royne & ſes comportements : Trois iours ſ’eſtans ainſi paſſez, la Royne ſ’auiſa de ſon parroquet, & dit à Gaſe : i’ay pardonné à ce parroquet, pource qu’il n’eſt pas en ſon cognu, mais s’il ne fait autrement, ie le renuoyeray. Adonques le parroquet ſongea en ſoy-meſme ce qu’il deuoit faire, & ſe trouuant en vne extreme peine, ſe reſolut tellement que ſur le midi il commença à dire, Parroquet mignon. La Royne veintà lui, & lui dit, Mon petit parroquet vous n’en dites gueres. le parroqvet. Vous n’en dites gueres. La Royne. Parroquet mon mignon parlez donc à moy le p. Ie me tais pour le ſeruice de ma maiſtreſle. la r. vous eſtes beau parroquet. le p. Il eſt beau qui a belle Dame. La Royne toute ſatisfaite dit à Gaſe, vraiment ma fille ce parroquet eſt des meilleurs, il le faut vn peu laiſſer r’aſſeurer. Le parroquet prenoit garde que la Royne ne ſortoit point, peu de gens la venoient viſiter, elle eſtoit comme ſolitaire, & n’auoit pres d’elle que les ordinaires de ſa chambre, & que ſi ce Roy venoit, il n’y eſtoit gueres, en apres il oyoit les diſcours qu’elle faiſoit à Gaſe, dont il iugeoit que ſon eſprit auoit de l’inquietude, ioint que la nuict il l’oyoit ſouſpirer, regretter, & ſe lamenter. Parquoy vn iour qu’elle auoit enuoyé ſes femmes, qui ça qui là, & que par hazard elle fut ſeule elle ſ’aprocha de ſon parroquet, qui tous les iours lui degoiſoit quelque nouueauté, & à ceſte heure là, cōme il la ſentit ſi pres de ſoy, la regardant d’vn œil de pitié il fe mit à ſouſpirer : la Royne ſ’auiſant de ce geſte, ne ſceut que preſumer, ſinon que ce fut quelque bon Demon, preparé à ſon ayde, ainſi qu’elle y penſoit profondement le parroquet lui dit, Mon eſſence, ie parle à vous. Si toſt qu’elle eut ouy ce mot, qui eſtoit le cher ſymbole de l’aliāce du Roy & d’elle, elle fut eſmeuë, dont elle dit, Mon mignon qui eſtes vous : le par. Belle Royne ie ſuis auiourd’huy en voſtre puiſſance, pour eſtre conſerué ſi vo° le voulez, ou acheué de ruiner ſi vous le deſirez : de vous ſeule depend l’acheuemēt de ma miſere, ou le renouuellement de mō bien. la royne. Quoy mon parroquet, vous auez biē du iugemēt, & du diſcours, vous m’auez dit vn mot qui eſtoit particulier à mon Roy & à moy, eſtes vous point quelque eſprit qui ſous ceſte figure d’oiſeau, vouliez ſcauoir mes affaires ! le par. Si mon ſecret vous eſt cognuie vous prie le tenir ſecret, & faites ſelon voſtre prudence. la royne vous m’eſpouuantez, parroquet. le par. Il n’y a point de cauſe de crainte, car ie ſuis ſous voſtre pouuoir, mais reſpondez à mon ſecret. la roy. mö cher parroquet ie cōmence à m’aſſeurer, voſtre ſecret ſera le mien. Cela dit, il lui conta amplement ce qui eſtoit auenu, & cōme ayant trop aymé Spanios, à qui il auoit declaré le beau ſecret, il l’auoit trahi, lui disāt ce qui c’eſtoit paſſé. Depuis ceſte heure là, la Royne voulant ſe retirer & recreer, elle auoit recours à sō parroquet, entretenant ce royal oiſeau qui lui faiſoit le diſcours de ſes fortunes, craintes, & deſirs, & elle le conſoloit l’aſſeurāt de ſon amitié parfaite, ce qui ne ſe paſſoit gueres, que la triſte Royne n’arrouſat la cage de l’oiſeau tāt aymé de ſes pudiques larmes, pleines de cōpaſſiō & d’amour, car le ruiſſeau en couloit de parfaicte affectiō, ces cheres goutes eſtoyent toutesfois pour la pluſpart pluſtoſt ſechees qu’aſſemblees, & bien que ſouuent elles fuſſent toutes de feu, l’angoiſſe les refroidiſſoit ſi lentement, que la pitié germoit à leur rencontre. En telle ſorte la pauure Dame aux heures deſrobees en ceſte deſolee conſolation ſouſpiroit tendrement deuant celuy ſeul qui demeure en ſon cœur, lequel cognoiſſant ce grand amour plein de loyauté, luy remonſtroit paiſiblement qu’il eſtoit beſoin de patience, & vſer d’vne grande prudence, afin de ne troubler rien, & de ne ruyner les affaires, eſtans ſoubs la puiſſance d’vne main plus forte, de laquelle il falloit attendre & endurer, tant que l’on peuſt auoir barre ſur elle, & qu’eſperant il conuenoit viure auec diſcretiō, & ſecretement. Ces deuis familiers durerent quelques iours, durant leſquels elle deſcouurit au parroquet ſon doute, ſes penſees, ſa feinte pour ſon ſuiet & tout ce qu’elle eſperoit. Voilà que c’eſt de la verité interieure, qui a telle force, que ceſte Dame n’a tenu conte de l’apparence de ſon bien, & auiourd’huy qu’elle en a la verité ſpirituelle, s’y tient tellement addonnee, qu’elle n’a delectation qu’à l’entretien de ſon fidele oyſeau, ſur la vie duquel ſans doute le traiſtre machineroit s’il le cognoiſſoit cepédāt il meurt de deſplaiſir de ne pouuoir obtenir ny oſer demander le doux ſoulas qu’il eſpere en la iouyſſance de la Royne. Les femmes de la Royne ſont fort eſbahies de l’affection qu’elle a vers ceſtoy ſeau : Elles ne l’euſsēt point trouué eſtrāge ſi elles euſſent ſçeu ce que c’eſtoit, & que par ainſi elles ſe fuſſent miſes diligément à eſplucher la grace que l’on perçoit en l’entretien d’vn bel eſprit bien-aymé, & de combien ce contentement excede l’ombre du plaiſir qu’on rencontre en la iouyſſance d’vn corps ſuiet à corruption : le ſoin qu’elles ont de ceſte action de leur maiſtreſſe euſt ceſſé, & leur cœur ſe fuſt eſiouy de ce que elle n’a plaiſir certain que celuy qu’elle ſauoure aupres de l’eſprit tant aymé : telle eſt l’affection des ſages Dames, dont les delices ſpirituelles ſont les excellentes ioyes de leurs cœurs. Le tēps concedé à la Royne s’eſcouloit, & le terme s’approchoit, ſi qu’il falloit ou tout perdre, ou reſtablir ce qui eſtoit deſcheu : Auſſi conuenoit terminer, les ingrates fortunes du triſte Parroquet, ſelō le conſeil duquel vn iour que ce Roy vint viſiter la Royne, il la trouua en l’eſtat qu’elle s’eſtoit preparee paroiſſante dolente, & à l’apparence de ſes yeux battus, de ſon geſte r’abaiſſé, de ſa grace diminuee, & à la diſpoſition d’vne petite mignardiſe deſdaigneuſe, il sēbloit qu’elle euſt au cœur vne viue douleur ou quelque grand meſcontentement, dont il fut fort eſtonné & luy demanda auec demonſtration de vehement amour ce qui l’incommodoit & donnoit occaſion de ceſte triſteſſe. Elle luy vſa de quelques mignons propos comme auant-coureurs, & continuant dit, Il y a deſia pluſieurs nuicts que ie ſuis en grandes inquietudes, & me trouue fort en peine, & ſur tout approchāt de la fin du tēps que m’auez octroyé pour ma ſolitude, dont ie voudrois ia eſtre quitte, & que i’euſſe retranchee fort volontiers, n’euſt eſté que i’ay crainte d’eſtre eſtimee volage, & ie vous aſſeure que depuis cinq ou ſix nuicts les ſonges m’ont diuerſement agitee : Il me ſembloit vne fois que vous eſtiez courroucé contre moy, & que vous demandant pardon vous ny vouliez point entendre : vne autrefois ie cuidois que quelque indignation vous occupoit, qui faiſoit que ie ne vous eſtois plus agreable, ces penſees me reſueilloient auec peine, & puis me recommandant au ſommeil pour y trouuer repos, le ſonge me venoit encores incommoder, & ſe rendant plus faſcheux ne me donnoit aucune remiſe : car laiſſant les mauuaiſes figures qui m’auoient trauaillee, m’offençoit de plus cruelles, les imprimant fermement en ma fātaiſie : Et meſme ceſte nuit derniere il m’eſtoit aduis que pour auoir quelque conſolation ie vous ſuppliois que pour l’amour de moy, ainſi que pluſieurs fois vous l’auez faict, vous vous miſſiez en quelque corps d’oiſeau, & que vous m’en eſconduiſiez, croyez-moy que i’ay tant eu celà en la teſte, que i’en ſuis ſi troublee, que i’en perds repos & plaiſir, & qui pis eſt, ces ſignes m’oſtent l’aſſeurance de vous en ſupplier : toutesfois ie ſuis preſque remiſe, d’autant que vous ayant pleu ſçauoir l’occaſion de ma triſteſſe, & que ie la vous declare, vous ne trouuerez point mauuais que ie vous ſupplie pour recreer mon eſprit, & le retirer de la deffiance où il ſe veut gliſſer, que ie vous voye encore faire le beau ſecret. Ce Roy qui auoit le corps & non la memoire royale, ne ſçauoit pas ſi elle auoit veu ce qu’elle diſoit, parquoy il en croyoit ce qu’elle aduancoit, donc il luy reſpondit, Vous auez tort que vous ne m’en auez pluſtoſt parlé, ie ne vous euſſe pas fait languir apres voſtte deſir, voſtre propre ſilence vous a moleſtee, faites apporter icy quelque animal, & vous en aurez biētoſt le plaiſir. La Royne commanda à Gaſe de faire apporter vne poule viue : Cecy auoit eſté fort biē aduiſé, par ce que c’eſt vn animal qui a le iugement tardif, à cauſe des organes qui ſont diuiſez au cerueau : & partant que l’ame ſeroit long tēps en ce corps auant que d’eſtre auertie, & peut vſer de ſes propres functions, & puis le corps en eſt foible au prix de celuy du parroquet, qui eſt plus nerueux, ce qui fut arreſté & conſideré, à ce que s’il ſe fuſt fallu battre le parroquet euſt eu le deſſus, ainſi tout preueu, la poule apportee, la Roy ne trouua moyen de faire ſortir ſes femmes, pour demeurer ſeule auecce Roy, lequel print la poule, & la tua, puis s’eſtant diſpoſé de ſon long ſur le tapis, inſpira l’ame dans la poule, la quelle ſe releua & chemina par la place vers l’autre bout de la chambre : à lors la Royne ſe mit entre le corps & la poule : & le parroquet, la cage ayant eſté ouuerte, ſortit promptement, & ſe ietta ſur ſon corps, & par la vertu d’inſpiration, reſpiration & expiration, remit l’ame dans le legitime corps, dont elle auoit eſté ſi longuement diſtraite. Alors le Roy ſe leua, ce que voyant la poule ſe trouua fort eſtonnee, ainſi qu’il eſt à preſumer : car qu’eſt-ce qu’elle peut plus ? les organes de ce malheureux corps n’ont rien de propre à la prononciation, elle ne peut demander miſericorde, de s’enuoler pour euiter le danger il n’y a pas moyen, tout eſt clos, de reſiſter elle eſt trop foible, il faut qu’elle ſe cache pour auoir quelque minute de reſpit & temps à ſe depiter puis perir. Et puis oyant le Roy luy dire Malheureux & meſchant traiſtre, que i’ay tant aymé, & m’as ſivilainement trahi, tu ſeras puny, cruel Spanios, & periras miſerablement, auſſi bien es-tu deſia enueloppé de miſere. A ce coup la craintiue poule ſe va muſſant és recoins & endroits ombreux de la chambre, mais pour neant, car à coups de baſton elle eſt raddreſſee par vn iuſte vengeur de ſa propre offence, qui la ſaiſiſſant par les aiſles la retint, luy communiquant autant de peur voire plus que ceſte ame deſconfortee n’auoit eu de contentement de ſon exaltation, puis la fit mettre en vne cage de fer, luy ayant fait couper vne aiſle au ras du corps, & la laiſſa là en priſon, luy faifant donner des peurs intollerables. Quelquesfois vn renard priué eſtoit mis pres cette cage qui marchādoit la poule, vne autre fois vn ſoldat paſſoit, qui diſoit que il la falloit couper membre à membre, & la dōner en capilotade aux corbeaux : les pages & laquais luy faiſoient mille affres, diſans que ceſte maudite poule ne preſageoit que malencontre, ainſi ceſte ame miſerable tiroit deſia ſes malheureuſes penitences. La Royne apres auoir recouuré ſon deſiré Seigneur en eſtat parfait de ce que il auoit éſté, laiſſant à part & luy auſſi les mageſtez & auſteres retenues que la ſerieuſe qualité Royale introduit au deſaduantage des couſtumes d’amour, ſe iette à ſon col, l’embraſſe & le carreſſe, & luy de meſme ne ſe preſumant que mary bien aymé, en aymant ſe colle entre les bras de ſa deſiree, & ainſi ſe font mutuellement vn recueil le plus agreable qui ſe puiſſe imaginer entre les receptions & rencontres amiables de perſonnes ſe ſouhaittans vnanimement, & ſe conſolerent reciproquement. Ceſte fortune fut diuulguee, feux de ioye en furent faits, les Princes s’en eſiouyrent, les grands en eurent du plaiſir, & le peuple du contentement : & en ces delices le corps du parroquet fut dignemēt embaumé, & luy fut faict vn riche & excellent Cenotafe, pour ce qu’il auoit eu l’honneur d’auoir logé en ſoy l’ame Royale. La Royne enuoya querir l’oiſeleur qui fut biē appointé, car le Roy l’ennoblit & tous les ſiens le faiſant premier au turſier, & Gentilhomme ordinaire de ſa Chambre. C’eſt vne notable amitié que celle qui ſe pratique par la frequentation & rencontre : le Roy le cognoiſt, & ſon cœur ne peut qu’il n’ayt quelque douce inclination de ſouuenance, vers la biche où l’ame Royale a logé, par † bien qu’il ſcache & croye qu’elle eſt con ommee, ſi eſt-ce qu’il monte à cheual, & va ſur le lieu, où il ſcauoit l’auoir laiſſee, & y fit baſtir vn petit edifice, qu’on nomme encore Biche-raiſon, où eſt la figure entiere d’vne Biche toute d’or, & meſmes elle eſt vn Taliſmam, qui a telle vertu, que les Biches qui ſe rencontrent à vingt & vne toiſe pres de là, ſont hors de tout danger.