Le Voyage au Parnasse/Table des auteurs cités dans le « Voyage au Parnasse »

TABLE

PAR ORDRE ALPHABÉTIQUE

DES AUTEURS

CITÉS

DANS LE VOYAGE AU PARNASSE.



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A B C E F G H J L M O P Q R S T V

A

Abarca (Diego de) y Maldonado, né à Tolède ; chevalier de l’ordre militaire de Saint-Jacques, trésorier du conseil de la Santa Cruzada. J’ignore s’il était poëte.


Acevedo (Alonso de) ; auteur d’un poëme épique : « La creacion del mundo, » Rome, 1615, imité de la « Semaine, » autre poëme de Dubartas sur le même sujet. G. Ticknor le juge sévèrement, en passant, il est vrai. M. Gayangos, au contraire, estime le talent poétique d’Acevedo ; et son opinion est conforme à celle de Don Cayetano Rosell, éditeur de ce poëme sur la création du monde, dans la « Biblioteca des autores españoles, » de Manuel Rivadeneyra. (V. le tome xxixe de cette collection : « Epicos españoles. ») Acevedo avait passé une grande partie de sa vie en Italie. Aussi Cervantes le fait-il parler italien.


Aguilar (Pedro de), né à Antequera ou à Malaga, suivit la carrière des armes et parvint au grade de capitaine d’infanterie. Auteur d’un traité d’équitation : « Tratado de la Caballeria de la Gineta, » (Séville 1572) et de quelques poésies de circonstance. Il y a grande apparence que ce n’est pas de lui qu’a voulu parler Cervantes, mais de Gaspar de Aguilar, célèbre poëte valencien. En effet, il le place entre Virués et Artieda, après Luis Ferrer et Guillen de Castro, qui habitaient tous, comme il dit, sur les bords du Turia. Ce rivai de Tárrega était secrétaire du vicomte de Chelva, dans sa jeunesse. Il fut plus tard majordome du duc de Gandia. Il mourut de chagrin à la suite de l’accueil plus que froid que reçut un épithalame de sa composition, à l’occasion du mariage de son maître. Gaspar de Aguilar a laissé neuf comédies, dont quelques-unes très-remarquables. On a de lui : « Fiestas nupciales que la ciudad y reino de Valencia hicieron al casamiento del rey don Felipe con doña Margarita de Austria, » Valence. 1599, in-8o. « Expulsion de los moriscos de España, » poëme en octaves ; Valence, 1610, in-8o. « Fiestas de la insigne ciudad de Valencia à la beatification de Fr. Luis Bertran. » Valence, 1608. in-8o. Ce dernier ouvrage est fort estimé. Lope de Vega parle des deux Aguilar, Gaspar et Pedro. Il classe ce dernier parmi les poëtes d’Antequera, et donne à entendre qu’il était mutilé des deux bras :

Y en la misma ciudad Aguilar sea
Su fama y su esperanza,
Y sin haberlo visto nadie crea
Que sin manos escribe.

Escribe, ingenio, y vive;
Estorbos fueron vanos,
Pues el ingenio te sirvió de manos.


Alcañizes (El marques de), grand seigneur né à Madrid, cultivait la poésie. Il y a de lui un sonnet très-joli en tête des Nouvelles morales de Cervantes, où l’on remarque cette idée qui est parfaitement juste :

Que con el arte quiso
Vuestro ingenio sacar de la mentira
La verdad.

Juan Perez de Montalvan l’apprécie en ces termes : « El marques de Alcañizes es elegantissimo poeta; tiene escritas varias poesias de gran primor, y con estilo grave y heroyco, y su voto para juzgar los versos es el mas atinado, seguro y cierto. » Lope de Vega a fait son éloge dans le Laurier d’Apollon.


Aldana (Francisco de), surnommé le Capitaine, à cause de la réputation qu’il s’était acquise dans la carrière des armes. On n’a point de renseignements précis sur la date, le lieu de sa naissance et ses premières années. Entré au service de bonne heure, il fit plusieurs campagnes en Flandres et en Italie, et mérita de fixer l’attention de Philippe II. Il fut désigné par ce prince pour accompagner l’héroïque et infortuné Sébastien, roi de Portugal, dans cette funeste expédition d’Afrique, qui fut un des plus grands désastres du seizième siècle. Aldana mourut bravement à côté de son Sébastien ; et cette fin prématurée occasionna la perte de la plupart de ses écrits. Il excellait également en prose et en vers. Il avait cultivé presque tous les genres, traitant avec un égal succès les sujets religieux, les hauts faits de guerre, les fables et les traditions chevaleresques, la pastorale et l’églogue. Il était très-sévère dans ses jugements sur les productions de son esprit, et plus d’une fois il jeta au feu quantité de vers qui lui avaient coûté beaucoup de veilles. Mort en 1578. On n’a de lui qu’un petit recueil de pièces d’une rare perfection : « Las obras que se han podido hallar del capitan Francisco de Aldana, » Madrid 1593. On y remarque entre autres, une admirable épître adressée au grand orientaliste et célèbre théologien Arias Montano, le savant éditeur de la Bible polyglotte d’Anvers, et une exhortation à Philippe II pour l’engager à secourir l’Église affligée et menacée de toutes parts par les hérétiques et les infidèles. Tout ce qu’on sait du capitaine Aldana est extrait de la courte introduction qui précède le recueil de ses œuvres. L’éditeur de ce recueil n’était autre que son propre frère, Cosme de Aldana, esprit distingué et bon poëte. Cosme de Aldana était dans la domesticité du connétable Velasco, gouverneur du Milanais. Le serviteur louait le maître en vers et en prose ; mais le maître n’était point généreux ; et comme il prévoyait que tôt ou tard il faudrait récompenser cet opiniâtre panégyriste : « Trêve de compliments, lui dit-il un jour ; vous n’êtes qu’un âne, » Dejad ya la porfia, que sois un asno. Le poëte éconduit ne pouvait demander satisfaction à un si haut personnage. Il se vengea à sa manière, par un poëme burlesque, intitulé : « La Asneida ; » et dans ce récit, où il n’était question que d’âneries, le connétable de Velasco jouait le plus triste rôle. Mais la mort du poëte suivit de près la publication du poëme, et le vindicatif connétable fit brûler tous les exemplaires. On n’a connaissance de cette œuvre perdue que par ce qu’en dit Suarez de Figueroa dans un passage de son Pasajero. Cet épisode de la vie littéraire en Espagne, au seizième siècle, peut donner une idée de la nature des relations qui existaient entre hommes de lettres et grands seigneurs. Cosme de Aldana a écrit en italien un ouvrage assez estimé : « Discorso contro il vulgo, in cui con buone raggioni si riprovano moite sue false opinioni, » Florence, 1578. Il avait eu pendant longtemps pour protecteur et pour maître François de Médicis, grand-duc de Toscane.


Almendarez (Julian de) ou Almendariz, né à Salamanque, auteur de deux poëmes religieux : « La vida de San Juan de Sahagun, » Rome, 1611 ; et « Elogios de Suan Juan de Sahagun, » Valladolid, 1603. J’ignore s’il est distinct de l’auteur dramatique dont le nom se trouve dans le voyage d’Augustin de Rojas, à côté de celui de Valdivieso.


Angulo (Gregorio de Barrio), né à Tolède, membre de la municipalité de cette ville, cultivait les belles-lettres. Lope de Vega l’a cité dans sa Jérusalem et a fait son éloge dans le « Laurier d’Apollon. » Gregorio del Barrio Angulo était un des amis de Cervantes, et très-lié avec son compatriote Valdivieso.


Aponte (Pedro Gerónimo, ou encore Hernandez, Fernandez de), né à Saragosse dans la première moitié du seizième siècle, comme il appert d’une lettre par lui écrite à l’historiographe Zurita, de Madrid, le 20 mars 1565, signée Hernandez de Aponte. On en trouvera un extrait dans la bibliothèque aragonaise de Latasa. Il était d’origine castillane ; son père, avant sa naissance, avait quitté la ville de Toro pour se fixer à Saragosse. Ayant accompagné son père à la cour, il s’y distingua par son grand savoir et obtint en 1575 la charge de notaire royal. Il remplit ensuite de hautes fonctions administratives à Grenade. Très-versé dans l’étude de l’histoire nationale, il s’appliqua avec beaucoup de zèle aux recherches généalogiques, et composa un ouvrage très-considérable, sous ce titre : « Lucero de España, » ou encore : « Lucero de la nobleza de España y de genealogias ilustres de las familias mas insignes de España, con sus principios aumentos y divisas que poseen. » Ce nobiliaire était un véritable répertoire de toutes les antiquités de l’Espagne, et à ce titre, il a été loué en termes très-favorables par le savant annaliste Ambrosio de Morales, dans le discours de los privilegios, qui fait partie de sa grande histoire d’Espagne (Alcalá, 1574–1577, 3 vol. in-fo). Il a écrit, dit Morales, « con mejores fundamentos y mayor averiguacion que nadie hasta ahora en España lo ha hecho, porque vió muchos y muy buenos privilegios y otras escrituras, y supo aprovechar de ellas con buen juicio para, su obra: asi se tiene aquella par la mejor escrita deste genero entre todos los que con razon pueden en esto juzgar. » Luis de Salazar, le savant généalogiste de Castille, lui rend à peu près le même témoignage. L’ouvrage d’Aponte n’a pas été imprimé ; mais il en existe un très-grand nombre de copies, qui l’ont fort répandu en Espagne. Il fut, paraît-il, composé à la réquisition et sous les auspices du cardinal-archevêque de Burgos, don Francisco de Bovadilla y Mendonza, et revu et augmenté par don Sancho Busto de Villegas, évêque d’Avila. Il était dédié à don Carlos, prince des Asturies et héritier présomptif de la couronne. Il ne faut pas confondre le savant archéologue aragonais, qui avait redoré le blason des gentilshommes espagnols, avec Fray Pedro de Aponte, des frères delà Rédemption, inquisiteur apostolique dans les Baléares, et plus tard évoque de Majorque, ni avec Vasco Gil de Aponte, attaché à la maison du comte Francisco de Andrade, auteur d’un traité généalogique de la noblesse galicienne : « Linages de Galicia. »


Arbolanches (Hieronymo de), né à Tudèle, en Navarre. On ne sait rien de la vie de ce poëte si durement traité par Cervantes. Il fit quelque bruit en son temps par la publication d’une espèce de pastorale, qui est au nombre des premières imitations de la Diane de Jorge de Montemayor. Cette composition mixte, moitié poëme, moitié roman, porte un titre assez singulier : « Los nuevos libros de las Havidas, » Saragosse, 1566, in-8. Il se distingue des églogues et pastorales qui étaient alors à la mode, par une particularité curieuse : cet ouvrage est entièrement en vers. M. Gayangos, qui a donné une excellente notice de cet ouvrage devenu très-rare, en a fait une courte analyse. Voici en peu de mots le sujet : « Un roi d’Espagne, Gargoris (nom fabuleux), abuse de sa propre fille, et de cet inceste naît un enfant nommé Abido (d’où le titre du poëme). Le père fait exposer l’enfant ; mais celui-ci ne meurt point ; les bêtes féroces respectent cette vie innocente. Le roi le fait marquer au bras et ordonne à un de ses fidèles serviteurs de le jeter à la mer. Les flots rendent l’enfant à la terre, et il est recueilli par un berger, qui l’élève. C’est à peu près l’histoire de Rémus et de Romulus. Le roi étant mort, le jeune berger est présenté à sa mère ; il est reconnu et finalement il prend la place du roi défunt. La partie la plus intéressante de cette fabuleuse histoire, c’est le récit des amours d’Avido avec une jeune bergère, pendant son séjour chez le berger qui l’a adopté. M. Gayangos admire grandement la poésie d’Arbolanches dans cette partie, et affirme que ses vers de tous genres et de toute mesure ne le cèdent en rien aux plus beaux de Jorge de Montemayor. Si tout ce qu’il n’a pu citer ressemble aux trois échantillons qu’il a produits à l’appui de son jugement, cette pastorale n’est pas en effet méprisable ; mais je crains fort que M. Gayangos, amoureux de son exemplaire de « las Havidas » à cause de sa rareté, n’ait beaucoup exagéré le mérite du poëte navarrois. Le volume d’Arbolanches est un petit in-8. On y trouve une épître dédicatoire en tercets à une dame, et une pièce de circonstance, adressée à l’auteur par un ancien professeur.


Argensola (Bartolomé Juan Leonardo de), né à Barbastro, en Aragon, en 1566, un an et demi environ après son frère Lupercio. Il fut, comme ce dernier, plus connu sous le nom de sa mère, doña Aldonza de Argensola, d’une noble famille catalane. Le père de ces deux célèbres écrivains et poëtes, Juan Leonardo, secrétaire de l’empereur Maximilien d’Autriche, était originaire de Ravenne. Bartolomé Argensola fut de bonne heure destiné à la carrière ecclésiastique et élevé en conséquence. Il étudia successivement les humanités, la philosophie et le droit canonique, avec beaucoup de distinction. Ayant reçu les ordres, il obtint, par la protection du duc de Villahermosa, un riche bénéfice dans sa province. Bientôt après il se rendit à Madrid, et fut nommé chapelain de l’impératrice douairière d’Autriche, retirée dans un couvent et qui avait déjà à son service, en qualité de secrétaire, le frère aîné Lupercio. Après la mort de l’impératrice, il alla habiter Valladolid où résidait alors la cour. Il y fut retenu par un ami tout-puissant, qui se déclara son protecteur, don Pedro Fernandez de Castro, comte de Lémos. Mais l’agitation de la cour ne convenait guère à cet esprit méditatif ; il la quitta pour se rendre à Salamanque. Dans cette ville dont l’université était encore florissante, il se livra tout entier à la culture des lettres, et mit à profit ses loisirs pour préparer son histoire de la conquête des Moluques, publiée en 1609. Enfin, il résolut de passer le reste de sa vie à Saragosse, et de jouir dans cette capitale de l’Aragon de sa prébende (il était chanoine de la cathédrale) et de la fortune que lui avait laissée son père. Mais il avait compté sans son Mécène, le comte de Lémos, qui venait d’être nommé à la vice-royauté de Naples, et qui emmenait avec lui comme secrétaire, le frère aîné, Lupercio. Bartolomé fut obligé de partir, et il devint un des plus brillants ornements de cette cour, qui était comme une colonie littéraire de l’Espagne au pied du Vésuve. Bartolomé partagea les travaux de son frère, jusqu’à la mort de ce dernier en 1613, et s’acquit une grande réputation en Italie, particulièrement à Naples et à Rome. Bartolomé était dans sa cinquantième année, lorsqu’il rentra en Espagne à la suite de l’ancien vice-roi, son maître. Il se rendit sans retard à Saragosse, où l’appelaient et son canonicat et les fonctions honorables d’historiographe de la couronne d’Aragon, qui lui avaient été confiées par les états du royaume, durant son séjour à Naples. Bartolomé de Argensola succédait dans cette charge à un savant antiquaire, le docteur Bartolomé Llorente. Mais l’histoire ne lui fit pas oublier la poésie, et il continua dans sa retraite studieuse, à cultiver les muses, comme on disait autrefois, jusqu’au moment où la goutte, qui le tourmentait depuis bien des années, le mit au tombeau, à l’âge d’environ soixante-six ans, en 1631. Comme historien, Bartolomé de Argensola a laissé deux monuments durables : « Historia de la conquista de las Molucas, » Madrid, 1609, in-fol., dédiée à Philippe III, et composée sous les auspices du comte de Lémos alors président du conseil des Indes, — on dirait aujourd’hui, ministre de la marine et des colonies. — C’est un ouvrage agréable, un peu romanesque, et qui a tout l’attrait d’une œuvre d’imagination, malgré le genre et le cadre classique, qui étaient alors obligatoires. Le style en est très-fleuri et très-pur. L’autre ouvrage historique d’Argensola, c’est la continuation des annales d’Aragon, par Zurita, en un énorme volume (Zaragoza, 1630, in-fol.). Cette suite va jusqu’à l’année 1520. Le style est remarquable par sa correction ; mais le continuateur a abusé des documents qui étaient à sa disposition ; de telle sorte que son récit est extrêmement prolixe. Nous ne dirons rien des fragments de sa correspondance : Mayans a réuni quelques lettres de notre poëte dans son recueil épistolaire (Cartas de varios autores españoles, Valence, 1773, 5 vol. in-12). Pour Bartolomé de Argensola, la poésie n’était qu’un délassement, un agréable passe-temps. Il était poëte à ses heures, et son bagage poétique est très-léger ; mais ce génie correct et classique avait un goût exquis et le sentiment de l’harmonie. Son modèle était Horace, qu’il imitait avec bonheur. On admire surtout dans son recueil de vers, un sonnet à un rêve, un autre sonnet sur la Providence, une ode à l’Église, après la bataille de Lépante, et d’excellentes épîtres satiriques. Bartolomé de Argensola était, ainsi que son frère, un adversaire de l’ancien théâtre national. — « Rimas » (Saragosse, 1634, in-4).


Argensola (Lupercio Leonardo de), né à Barbastro, vers 1564. Il fut élevé, avec son frère Bartolomé, à l’université de Huesca, la plus ancienne de l’Espagne, s’il faut en croire les vieilles traditions. Au sortir de l’université, il se remit sur les bancs à Saragosse, pour recommencer l’étude des belles-lettres et de la langue grecque, sous la direction du savant jésuite André Schott, auteur d’un excellent ouvrage sur l’histoire littéraire de l’Espagne, qui fraya le chemin à Nicolas Antonio. À l’âge de vingt ans environ, en 1585, il se rendit à Madrid, et s’y maria en 1587. Il eut de son mariage un fils unique, connu comme éditeur des œuvres poétiques de son père et de son oncle, il ne tarda pas à être nommé secrétaire de doña Maria, impératrice douairière d’Autriche. L’archiduc Albert lui conféra peu après le titre de gentilhomme de sa chambre. Lorsque cessèrent ses fonctions de secrétaire, par la mort de l’impératrice douairière, il fut désigné pour remplir l’emploi d’historiographe de la couronne d’Aragon ; et sa nomination à cette charge fut confirmée par les députés des États d’Aragon, qui l’élurent, en remplacement de Gerónimo Martel, démissionnaire. Chargé de continuer les annales de Gerónimo Zurita, Lupercio de Argensola se préparait à écrire l’histoire du règne de Charles-Quint, lorsque le comte de Lémos, nommé vice-roi de Naples, se l’attacha en qualité de secrétaire d’État et de la guerre, et avec lui emmena son frère cadet. Lupercio de Argensola était un habile diplomate, et il avait acquis une certaine réputation dans les affaires dès l’année 1594, où il s’acquitta d’une mission difficile, et répondit à la confiance de Philippe II, dont il était l’agent en Aragon, peu de temps après la fuite d’Antonio Perez. Lupercio de Argensola fut en quelque sorte le surintendant de la maison du vice-roi de Naples. Ce fut lui qui désigna parmi les écrivains et les poëtes contemporains, ceux qui devaient former la cour littéraire de ce grand seigneur fastueux. On comprend que les deux frères Argensola durent recevoir à cette occasion quantité de placets : mais ils ne pouvaient contenter tous les solliciteurs, et furent obligés de donner, faute de mieux, de bonnes paroles. Cervantes leur reproche doucement de ne l’avoir point appelé dans ce cercle de beaux esprits dont ils étaient les fondateurs et les présidents. Au milieu de ses graves occupations, Lupercio de Argensola ne négligeait point le culte des lettres. Il établit à Naples une académie des belles-lettres, dite des Oisifs, « Oziosi » ; mais il n’eut pas le temps de réaliser tous ses projets, la mort l’ayant frappé prématurément dans sa quarante-huitième année. Le vice-roi et l’Académie, dont il avait été le véritable promoteur, lui rendirent les honneurs funèbres, au milieu du deuil général (mars 1613). Son éloge fut prononcé solennellement par Giovanni Andrea de Paulo, secrétaire de l’Académie, dirigée alors par Manso, l’ami de Milton et du Tasse. Comme écrivain, comme poëte, Lupercio Leonardo de Argensola a les mêmes mérites que son frère Bartolomé : pureté, sobriété, netteté de langage. On a surnommé les deux frères, les Horaces espagnols. Quoique l’éloge soit outré, il répond assez à l’opinion qu’on peut se faire du talent correct et sévère de ces deux poëtes éminemment classiques. Ils avaient incontestablement le don de poésie ; mais ils étaient avant tout deux maîtres dans l’art de la versification. Lope de Vega disait d’eux qu’ils semblaient avoir quitté l’Aragon, pour enseigner la vraie langue espagnole aux Castillans. Lupercio a de fort belles poésies lyriques. On sait par son fils qu’il avait détruit à peu près toutes ses compositions poétiques, « mi padre, antes de morir, habia roto y quemado casi todos sus manuscritos, » dit-il dans la préface qui précède le recueil poétique des deux frères. — Lupercio Leonardo de Argensola n’avait guère plus de vingt ans, lorsqu’il se mit à travailler pour le théâtre. On a de lui trois tragédies, dans le goût ancien, Isabela, Filis, Alejandra. La seconde n’a pu être retrouvée. Les deux autres n’ont revu le jour que dans la seconde moitié du dix-huitième siècle. Sedano les a insérées dans le tome VIe de son Parnaso Español (Madrid, 1772). Ces trois tragédies eurent un succès extraordinaire sur les théâtres de Madrid et de Saragosse. Cervantes a parlé de ce grand événement littéraire, que l’on a bien de la peine à comprendre en relisant ces compositions monstrueuses, malgré l’élégance et la facilité du style. L’aîné des Argensola n’avait pas tout à fait tort de prendre le surnom de barbare lorsqu’il fut admis à Madrid dans une réunion ou académie de beaux-esprits. (V. Latasa.)


Argote y Gamboa (Juan de), qu’il ne faut pas confondre avec le célèbre Gonzalo de Argote y de Molina, noble Sévillan et savant archéologue, m’est complètement inconnu, malgré l’épithète dont l’a gratifié Cervantes,

« El gran don Juan de Argote y de Gamboa. »

Peut-être était-ce un parent de l’auteur de l’histoire de la noblesse d’Andalousie.


Arguijo (Juan de), gentilhomme de Séville, issu d’une riche et noble famille andalouse. L’année de sa naissance est inconnue. Ce qu’on sait de positif sur cet homme distingué, c’est qu’il usa libéralement de sa fortune et de son crédit (il était un des vingt-quatre échevins de sa ville natale) pour encourager les jeunes talents et soutenir les bons écrivains. Sa maison, semblable à celle de son contemporain et concitoyen, l’ingénieux peintre Pacheco, était un musée et une académie toujours ouverte aux beaux esprits. Les poëtes en particulier recevaient de ce magnifique seigneur toute sorte de bienfaits et de distinctions flatteuses. Lope de Vega lui a dédié trois de ses nombreux poëmes. Espinosa, dans son recueil poétique, donna la première place aux productions de cet esprit aimable et délicat, et pour reconnaître ce que lui devait la poésie contemporaine, et pour attirer le public ; car Juan de Arguijo, qu’on adorait presque à Séville à cause de sa bonté inépuisable et de l’aménité de ses mœurs, était connu dans toute l’Espagne par cette vertu que les Espagnols prisent entre toutes, la libéralité. À vrai dire, Juan de Arguijo doit être considéré comme un amateur de poésie, et non comme un poëte de profession ; mais sa passion désintéressée lui tint lieu de génie, et il n’est aucune de ses productions qui ne révèle de rares qualités d’esprit. Il a peu écrit : vingt-neuf sonnets, deux canciones, une bluette, sous le titre de Silva ; c’est tout son bagage. Cela ne pèse guère, à la vérité ; mais dans ces riens il y a ce je ne sais quoi qui charme irrésistiblement ; un parfum de poésie doux et léger dont la suavité pénètre les connaisseurs et désarme les critiques les plus fins, naris emunctæ. Le génie proprement dit ne fut point accordé à don Juan de Arguijo. Mais l’amour du beau, accompagné du goût le plus pur et d’une grande tendresse de sentiments, donnèrent à son intelligence des qualités proportionnées à la grandeur simple et naïve de son âme excellente. Il n’avait pas besoin d’écrire pour recommander son nom à la postérité, et ce qu’il a écrit sert encore aujourd’hui à relever, à maintenir la réputation qu’il s’était acquise de son vivant par ses libéralités et ses façons aimables envers les poëtes contemporains. Don Juan de Arguijo, dont le majorat représentait un revenu annuel d’environ vingt mille ducats, se vit réduit, sur la fin, à vivre de la dot de sa femme, c’est-à-dire à se contenter d’une rente de quatre mille ducats. Il en était arrivé là vers 1609, suivant le témoignage précis de Lope de Vega. Ce grand poëte lui a rendu souvent hommage. Cervantes, qui l’avait connu durant son long séjour à Séville, ne pouvait, sans injustice, l’oublier dans son voyage. Dans ses poésies, Arguijo s’est inspiré à la fois des Italiens et des grands poëtes de l’antiquité. On ne sait point la date de sa mort ; mais on s’accorde à la placer avant 1630.


Artieda (Andrés Rey de). Ni le lieu, ni la date de sa naissance ne sont positivement connus. D’après Rodriguez, le savant bibliographe valencien, Artieda naquit à Valence en 1549 ; il était fils de Juan Rey de Artieda, originaire du bourg de Tauste, en Aragon. Nicolas Antonio le fait naître à Saragosse, et il paraît que son opinion est la bonne, car Lope de Vega dit expressément, dans le laurier d’Apollon, qu’en dépit de Valence, Saragosse revendiquera Artieda et le comptera parmi les quatre grands poëtes qui ont honoré l’Aragon :

Y al capitan Artieda
Aunque Valencia lamentarse pueda,
Pondrá en sus quatro Saragoza el dia
Que de la numerosa monarquia
Apolo nombre un senador supremo.

Ximeno, autre bibliographe valencien, a naturellement adopté l’opinion de son prédécesseur Rodriguez, Mais Latasa, dans sa Bibliothèque aragonaise, soutient avec Nicolas Antonio qu’Artieda était de Saragosse et non de Valence. D’après l’annaliste Zurita, la famille Artieda était une des plus anciennes de l’Aragon : un de ses membres se rendit célèbre dès le treizième siècle, sous Pierre III, dit le Grand : un autre, paraît-il, aurait acquis quelque réputation sur la fin du neuvième siècle. Sans nous engager dans ces hautes recherches généalogiques, nous pensons avec Latasa qu’en supposant qu’il fut né à Valence de parents aragonais, Andrés Rey de Artieda appartient de fait à l’Aragon. Son éducation fut brillante, et son application à l’étude extraordinaire, comme la précocité de ses talents. À l’âge de quatorze ans, il était bachelier en philosophie, et sa réception est mémorable dans les annales de l’université de Valence (22 octobre 1565). D’après cette date, il est facile de déterminer précisément celle de sa naissance, qu’il faut placer entre 1550 et 1551, et non en 1560, suivant la conjecture de Sedano. Ses humanités achevées, Artieda alla successivement étudier la jurisprudence à Lérida et à Toulouse ; il fut reçu docteur en droit civil et canonique à l’âge de vingt ans. Il commença par suivre la carrière du barreau : mais s’étant lassé de la chicane, il entra dans l’armée, profession plus compatible avec sa naissance. Il ne cessa pas pour cela de cultiver la poésie : il s’y livra au contraire avec passion, et l’art des vers fut pour lui comme un délassement d’autres études plus sérieuses. Artieda, dans son ardeur de savoir, avait tout appris. Il savait parfaitement les mathématiques, et, d’après son propre témoignage, il professa l’astronomie avec succès en l’université de Barcelone. Il resta au service une grande partie de sa vie, et fut en activité pendant quarante-sept ans. Il paya de sa personne dans plusieurs rencontres, et sa valeur éclata dans les grandes occasions. Sa conduite fut héroïque à Chypre, à Navarin, à Lépante. Dans cette mémorable bataille, il fut blessé de trois flèches ; ce fut peut-être dans cette journée si glorieuse pour les armes chrétiennes qu’il fit la connaissance de Cervantes, son compagnon d’armes. Artieda ne se distingua pas moins en Flandre, sous le commandement du célèbre duc de Parme : son courage avait quelque chose d’héroïque. Il traversa un jour l’Elbe à la nage, en présence de l’ennemi, son épée entre les dents. Enfin, il fut nommé capitaine d’infanterie, et à ce degré s’arrêta sa fortune de soldat. Artieda s’était marié à Valence ; il eut de sa femme, doña Catalina de Monave, trois filles et deux fils. L’aîné s’enrôla dans la compagnie de son père et mourut jeune, au service du duc d’Albuquerque, vice-roi d’Aragon (1605). Le cadet se fit moine et honora l’ordre de Saint-Dominique par ses talents de poëte et de prédicateur. Andrés Rey de Artieda jouit d’un repos bien mérité dans les dernières années de sa vie. Il mourut à Valence, âgé de soixante-quatre ans, le 16 novembre 1613, trois années seulement avant Cervantes, et fut enterré dans l’église paroissiale de Saint-Étienne. Andrés Rey de Artieda était un savant poëte plutôt qu’un grand poëte. D’un goût irréprochable, d’un solide bon sens, sans sa modestie exagérée il eût pu, comme on disait autrefois, régenter le Parnasse espagnol. Ses épîtres et ses satires sont d’un critique très au courant des vices monstrueux qui commençaient à gâter la poésie espagnole. Il n’était pas possible de tourner plus finement en ridicule les honteuses extravagances de l’école dramatique de Lope de Vega, qu’il l’a fait dans sa fameuse épître au marquis de Cuellar :

A el calor del gran señor de Delo
Se levantan del polvo poetillas
Con tanta habilidad, que es un consuelo.
Y es una de sus grandes maravillas
Ver como una comedia escribe un triste
Que ayer sacó Minerva de mantillas.
Mas como en viento su invencion consiste,
En ocho dias y en menos espacio,
Conforme es su caudal la adorna y viste.

Et après avoir dénoncé en termes énergiques et piquants les invraisemblances, les monstruosités, les anachronismes, les erreurs de fait, les imaginations saugrenues de cette triste école d’improvisateurs, il termine par ce trait qui vole droit au but :

Como estas cosas representa Heredia,
A pedimento de un amigo suyo,
Que en seis horas compone una comedia.

Cet ami de l’acteur Heredia qui bâcle une comédie en six heures de temps, n’est autre que Lope de Vega. Empruntons encore à cette excellente épître, qui est un vivant tableau des mœurs du théâtre contemporain, quelques tercets qui résument la vie du poëte :

A mí y otros cuitados no nos nombres
Poetas, que son rusticos engaños
Darnos tan grandes titulos y nombres.
De Artes me gradué á los catorce años,
Graduéme de leyes á los veinte,
Con aplausos y pronosticos estraños.
Marte, favorecido en ascendente,
Dándome la Gineta, al primer paso
Me hizo ver las costumbres de la gente.
Tuve á Mercurio junto de Pegaso,
Y asi (aunque capitan de infanteria)
Me entretuvo Virgilio y Garciiaso.
Saturno que en la octava presidia,

Tanto me hizo privar con Tholomeo,
Que leí en Barcelona astrologia;
Y aunque me fué propicio el caduceo
Y me hizo ver mil cosas la Gineta,
Y al paso de Saturno aprendo y leo,
Jamás me aventuré á llamar poeta,
Ni entiendo con que espíritu se atreven
A pensar que lo son niños de teta.

Cette épître est signée Artémidore :

Tu criado menor, Artemidoro.

et c’est incontestablement la meilleure du recueil que Andrés Rey de Artieda publia sous ce titre :

« Discursos, epistolas y epigramas de Artemidoro. » Saragosse, 1605, in-4.

Voici la liste de ses autres écrits :

« Octavas á la venida de la Magestad del rey don Felipe mestro señor á la insigne ciudad de Valencia ; » Valence, 1586, in-8.

« Obra espiritual en quintillas. »

« Libro de sonetos á diferentes santos. »

« Libro de la vanidad del mundo, en octavas. »

« Libro de sonetos á diferentes asuntos. »

« Los Amantes de Teruel, comedia ; » Valence, 1581, in-8. La même probablement que Nicolas Antonio donne sous le titre de tragédie. Voir sur le sujet de cette pièce l’Histoire de la littérature espagnole, par Ticknor, édition de Gayangos et Vedia, tom. III, p. 165, note 4, et p. 495.

« El Principe vicioso, comedia. »

« Amadis de Gaula, comedia. »

Rodriguez, parle d’autres ouvrages imprimés qui seraient perdus. Ximeno dit avoir vu de très-jolies poésies d’Artieda et un discours remarquable sur la poétique, dans le recueil de l’académie des Nocturnos, dont Andrés Rey de Artieda était membre sous le nom d’Artémidore. Augustin de Rojas, dans son Viage entretenido (Loa 8, p. 45 verso de l’édition de Lerida, 1611), représente Artieda comme un des réformateurs de l’ancien théâtre :

Las cosas ya ivan mejor;
Hizo entonces Artieda,
Sus encantos de Merlin
Y Lupercio sus tragedias.

Artieda a été loué sans réserve, et de son vivant par Cervantes, dans sa Galatée, et par Lupercio Leonardo de Argensola. Ce dernier a fait un grand éloge du poëte-soldat dans un sonnet qui précède son recueil de discours et épîtres. Le sonnet se termine ainsi :

En tí dos graves Scevolas contemplo,
Uno del justo Marte favorido,
Otro de la que dió su nombre á Athenas.

Complaisance d’ami à part, les deux derniers vers de ce tercet résument bien la vie et les talents d’Artieda ; à la gloire militaire il associa la gloire qui s’acquiert par le culte de la sagesse et des belles-lettres. Artieda représente dans la littérature espagnole un élément bien rare en tout temps et en tous pays : l’inflexible raison et le solide bon sens. Marco Antonio de Aldana a fait aussi l’éloge de Andrés Rey de Artieda, et le grave critique Agustin Montiano y Luyando lui a rendu justice dans sa sévère poétique. Cervantes a bien compris Artieda :

Si tuviera, cual tiene la fortuna,
La dulce poesia varia rueda,
Lijera y mas movible que la luna,
Que ni estuvo, ni está, ni estará queda
En ella sin hacer mudanza alguna,
Pusiera solo á micer Rey de Artieda,

Y el mas alto lugar siempre ocupara,
Por ciencias, por ingenio y virtud rara.

(Galatea, lib. vi, Canto de Caliope.)


Attayde (Antonio de), premier comte de Castro Dayro, fils cadet du célèbre don Antonio de Attayde, deuxième comte de Castanheira, illustre dans la diplomatie et dans les armes. Il était d’une famille d’ancienne noblesse. Quoique Portugais, il servit le roi d’Espagne avec beaucoup de zèle. En 1582, deux ans à peine après l’annexion, comme on dirait aujourd’hui, il servait déjà sous le drapeau espagnol. Il prit part à l’expédition de l’île Terceira, commandée par le marquis de Santa-Cruz : on sait que Cervantes était aussi de cette expédition. Le gentilhomme portugais se distingua par sa valeur et ne tarda pas à obtenir la récompense de son mérite : il fut nommé successivement capitaine de cavalerie, colonel d’infanterie, commandant d’un corps d’armée, généralissime des armées portugaises et capitaine général des flottes de l’Inde. Philippe III et Philippe IV l’honorèrent de leur confiance, et Attayde fut assez fort ou assez heureux pour déjouer une conspiration de ses ennemis, qui ne tendait à rien moins qu’à le convaincre du crime de haute trahison. Barbosa est entré, à ce sujet, dans de grands détails. Le conseil de Castille reconnut l’innocence du grand capitaine indignement calomnié. Quant au roi d’Espagne, non-seulement il admit sa justification, mais il le combla de distinctions extraordinaires en le nommant son ambassadeur à la cour de Vienne, président des Cortès d’Aragon, conseiller d’État et enfin gouverneur général du Portugal en 1631. Antonio de Attayde méritait les hautes récompenses qu’on lui prodiguait. Dans son catalogue royal d’Espagne, qui est une espèce de nobiliaire, Rodrigo Mendez de Sylva parle ainsi de cet homme illustre : « Varon señalado por su gran talento, y partes naturales y adquiridas, y por los supremos lugares que ocupó en la monarquia, ascendiendo á ellos graduadamente, mas á fuerza de méritos que de fortuna. » Malgré cette réflexion, qui est toute à l’honneur de cet homme remarquable, il faut convenir que la fortune ne lui fut point contraire. Don Antonio de Attayde mourut octogénaire à Lisbonne en 1647 ; il était né vers 1570. On a de lui une mémorable apologie, qu’il composa lorsqu’il se vit obligé de repousser les calomnies odieuses de ceux qui avaient juré sa perte, Cette apologie, qui est en deux parties, a été imprimée à Lisbonne en 1621 et 1622 (in-folio). Il avait écrit aussi le journal de son voyage en Allemagne, à l’occasion de son ambassade. On cite encore de lui la traduction de quelques traités de Sénèque en portugais, et un nombre considérable de poésies de tout genre. Il passe aussi pour avoir composé un art poétique. Excellent humaniste, Attayde écrivait très-élégamment en latin et cultivait avec succès la poésie latine. Il était d’une grande bienveillance pour les auteurs qui recherchaient sa protection. Lope de Vega, dans sa jeunesse, lui dédia des vers et de la prose. Les travaux littéraires de don Antonio de Attayde n’ayant pas été imprimés, il faut fouiller dans les recueils du temps pour y trouver des échantillons de son talent poétique. Cervantes, qui s’est souvenu de lui, comme un ancien compagnon d’armes, lui a donné une grande preuve d’estime en le plaçant à côté de Rodriguez Lobo, poëte inimitable et sans rival dans l’églogue.


Avila (Gaspar de), secrétaire de doña Mencia de la Cerda, marquise del Valle, auteur dramatique d’un certain renom : « Gaspar de Avila ha puesto y pone en el teatro muchas (comedias), y todas de grande crédito para él, y mucho provecho para los autores, » dit Juan Perez de Montalvan. Quelques-unes de ses comédies figurent dans le grand répertoire du théâtre espagnol ; on cite entre autres : « El gobernador prudente ; La dicha por malos medios ; Servir sin lisonja ; El valeroso español y primero de su casa. » Auteur de quelques élégies et autres poésies de circonstance imprimées dans quelques ouvrages contemporains. Lope de Vega a fait son éloge dans le « Laurier d’Apollon. » (Silva viii.)

B

Balbuena (Bernardo), n’est pas nominativement désigné dans le voyage au Parnasse ; mais Cervantes cite un ouvrage de cet auteur dont le souvenir est resté dans l’histoire de la littérature espagnole. Il était né aux environs de Valdepeñas, dont les riants coteaux ont une grande célébrité. Il quitta l’Espagne dans son enfance pour suivre ses parents au Mexique, Il reçut une excellente éducation et se fit remarquer comme poëte dès l’âge de dix-huit ans. Il résida longtemps à la Jamaïque, pourvu d’un très-riche bénéfice. Ses progrès dans la carrière ecclésiastique furent rapides. Balbuena échangea son canonicat contre l’évêché de Puerto-Rico. Il mourut dans ses fonctions épiscopales en 1627, n’ayant fait qu’un voyage en Espagne, probablement à l’époque où il fit imprimer l’ouvrage qui a fait sa réputation : « El siglo de oro en las selvas de Erifile, » Madrid, 1608. C’est encore un roman-pastorale, suivant la mode du temps. L’ouvrage est divisé en neuf églogues ; la prose en est belle et correcte, sinon tout à fait exempte d’affectation. Les vers, très-nombreux, valent beaucoup mieux que la prose ; et à ne considérer que la poésie de ce roman, on peut affirmer qu’il l’emporte sur toutes les compositions du même genre. Il n’eut cependant qu’un succès d’estime, malgré sa valeur réelle, l’auteur s’étant montré trop sobre d’érudition et de citations savantes. En 1821, L’Académie espagnole a donné une belle édition du Siècle d’or de Balbuena, et a vengé de la sorte cet auteur de l’indifférence de ses contemporains. Quoique le livre de Balbuena ait été écrit en Amérique, on n’y trouve aucune de ces chaudes descriptions de la nature des tropiques, aucun des éléments de cette plantureuse littérature coloniale dont on nous a saturés. Balbuena avait composé un poëme héroïque sur la bataille de Roncevaux : « El Bernardo, ó victoria de Roncesvalles, poema heroico. » Madrid, 1624, in-4, et un ouvrage moitié historique, moitié fabuleux : « Grandeza Mexicana, » Madrid, 1604, in-8, qui est un mélange de prose et de vers. Ce n’est pas du Bernardo de Valbuena qu’il est question dans l’examen des livres de don Quichotte par le curé, mais d’un poëme en octaves portant un titre analogue d’Agustin Alonso de Salamanque : « Historia de las hazañas y hechos del invencible caballero Bernardo de Cárpio, » Tolède, 1585. Le Bernardo de Balbuena ne parut qu’en 1624.


Balmaseda (Andrés de), poëte lyrique. Lope de Vega l’a loué en ces termes :

Si se perdiera el arte
Lirico, no lo dudes que se hallara,

O todo ó la mas parte,

En la mélica lira, dulce y clara,
Que no hay número fácil que no exceda,
Del docto Valmaseda
Cuyo nombre repiten,
Si dudosas compiten
Las musas, porque tienen experiencia
Que natural y ciencia en él se depositan
Y el laurel solicitan
Para sus dulces versos que han honrado
El patrio Tajo, porsu voz dorado.

(Laurel de Apolo, Silva viii.)


Barahona (Louis B… de Soto), contemporain et ami de Cervantes, né à Lucena, dans l’ancien royaume de Cordoue. Il exerçait la médecine à Archidona, dans la province de Séville, avec une juste réputation. Il est étonnant que ce nom illustre ne figure pas dans la vaste compilation du docteur Hernandez Morejon, diligent biographe des médecins espagnols. Il est vrai que Barahona de Soto jouissait d’un plus grand renom comme poëte ; et c’est à son talent poétique qu’il a dû le tribut d’éloges que lui ont payé ses contemporains. Notre médecin-poëte avait débuté dans la poésie par des traductions ; il s’était particulièrement exercé sur les Métamorphoses d’Ovide. Mais ces premières essais n’ont pas été conservés. Ses poésies lyriques parurent pour la première fois dans la traduction de la Métamorphose d’Actéon (en 1599) avec les œuvres de Sylvestre, et depuis dans le recueil précieux de Pedro de Espinosa ; la pièce la plus remarquable est une idylle dans le goût ancien, sous une forme où se trahit l’influence de l’école italienne. Il est aussi l’auteur de quatre satires, dont deux, la première et la quatrième, sont essentiellement littéraires. Sedano les a publiées pour la première fois dans le tome IXe de son « Parnasse espagnol. » On voit que Barahona avait un bagage, non pas considérable, mais assez complet. Il y ajouta un poëme héroïque dans le goût chevaleresque, dont une partie seulement fut publiée en 1586, sous ce titre : L’Angélique ou les larmes d’Angélique (« Primera parte de la Angélica. » Granada, in-4). C’est une imitation du Roland furieux et la suite de ce inimitable poëme. Barahona ne fut point effrayé par le fameux vers dont s’est souvenu Cervantes, en terminant la première partie de Don Quichotte :

Forsè altri canterá con miglior plettro,

et reprenant l’archet, il prétendit achever le récit des aventures de son héroïne. Malgré son grand succès, l’Angélique de Barahona n’eut pas les honneurs d’une seconde édition, et la seconde partie ne suivit pas la première. En revanche, l’auteur fut loué sans ménagement par les poëtes les plus illustres de son époque.

Cervantes a bien traité Barahona en toute occasion, et particulièrement dans ce fameux passage où nous voyons soumis à un rigoureux examen les principaux livres qui étaient dans la bibliothèque de Don Quichotte. L’Angélique échappe aux mains de l’impitoyable gouvernante, et le curé déclare que l’auteur de ce poëme était au premier rang parmi les poëtes les plus illustres. On a trouvé depuis que l’amitié de Cervantes pour Barahona s’était montrée trop indulgente. Il est certain que les satires valent infiniment plus que le poëme héroïque, et que Sedano a rendu un véritable service aux lettres espagnoles, en les faisant connaître au public. Dans l’épître dédicatoire à don Juan Tellez Giron, marquis de Peñafiel, fils du duc d’Osuna, Barahona de Soto nous apprend qu’il avait pris part à la guerre de Grenade contre les Moresques, sous le règne de Philippe II, et déclare rondement qu’il renonça à continuer son Angélique, parce qu’il lui semblait que ce poëme tirait trop en longueur et qu’il était peut-être hors de saison, « ó por no llegar á sazon ó por la prolijidad de la obra. » Un auteur qui fait de pareils aveux a parfaitement le droit de faire des satires contre les méchants livres. Deux de ces satires, celles qui attaquent les mauvais auteurs et les poëtes médiocres, sont deux documents précieux pour l’histoire littéraire de l’Espagne à la fin du seizième siècle. — Dans la biographie de Cervantes, Mayans prétend que l’éloge des Larmes d’Angélique regarde Francisco de Aldana et non Barahona de Soto ; et il fonde son hypothèse sur une assertion de Cosme de Aldana, éditeur des œuvres de son frère. Il paraît que Francisco de Aldana avait commencé ou terminé un poëme en octaves « de Angelica y Medoro, » et qu’il avait traduit en vers les Épîtres d’Ovide. Mais ni le poëme ni la traduction n’ont vu le jour ; tandis qu’on a un fragment de la traduction des Métamorphoses par Soto Barahona ; et, d’ailleurs, le poëme de ce dernier est connu sous le titre qui se trouve énoncé dans Don Quichotte, « Las lagrimas de Angelica. » La prétention de Mayans, soutenue par Ximeno, est sans fondement.


Barrionuevo (Gaspar de), d’une illustre famille, très-connu par ses comédies ou intermèdes. Lope de Vega l’a loué après sa mort et lui a consacré ces quelques vers sous forme d’épitaphe :

Aquí yace Gaspar de Barrionuevo;
Respeta, oh huésped, la ceniza fria:
Murió la luz de Febo,
Murió con la humildad la cortesía,
El donaire, la gracia, la dulzura;
Asi la sombra de las almas dura.

(Laurel de Apolo, Silva i.)

Il ne faut pas le confondre avec un homonyme, Garcia de Barrionuevo, marquis de Cusano, auteur d’un panégyrique de don Pedro de Castro, comte de Lémos, cité par Juan Perez de Montalban.


Bateo (Juan). Je n’ai trouvé aucune indication concernant cet Irlandais, qui était probablement un officier de fortune et peut-être un compagnon d’armes de Cervantes.


Bermudez-Carvajal (Fernando), poëte contemporain de Cervantes, et probablement son ami. Il y a un éloge poétique de lui, en deux dizains, très-ingénieux, en tête des nouvelles morales (Novelas exemplares) de notre auteur. Il faut citer le dernier :

Y si la naturaleza
En la mucha variedad
Enseña mayor beldad,
Mas artificio y belléza;
Celebre con mas prestéza
Cervántes raro y sutil,
Aqueste florido Abril
Cuva variedad admira
La fama veloz, que mira
En él variedades mil.

Lope de Vega a fait mention de Bermudez-Carvajal dans le « Laurier d’Apollon » (silva III) ; on voit par ce qu’il en dit que ce poëte était heureux dans les concours poétiques. Il ne faut pas confondre Fernando Bermudez-Carvajal avec Gerónimo Bermudez, auteur de deux tragédies sur l’histoire d’Inés de Castro : « Nise lastimosa » et « Nise laureada ». Ce dernier était né en 1530 et mourut en 1590. (V. Sedano. Parnaso español, t. VI, p. XIII.)


Biedma (Juan Villen de), né à Grenade, humaniste et théologien distingué, fut chanoine de la cathédrale de Malaga et archiprêtre de celle de Grenade. Auteur d’une excellente traduction en prose des œuvres d’Horace : « Quinto Horacio Flaco, poeta lirico: Sus obras, con declaracion magistral en lengua castellana. » Grenade, 1599, in-folio.


Bovadilla (Bernardo Gonzalez de) n’est point désigné nominativement dans le Voyage au Parnasse ; mais Cervantes a parlé comme d’un ouvrage détestable de son roman-pastorale, publié sous ce titre : « Ninfas y pastores de Henáres, en 1587. » Il est probable que sans la double mention qu’en a faite Cervantes, dans le don Quichotte et dans le Voyage, ce méchant poëte serait parfaitement inconnu. Clemencin n’a pas vu cet ouvrage de Bovadilla. Mais Pellicer, qui l’avait vu, en donne intégralement le titre : « Primera parte de las ninfas y pastores de Henáres, dividida en seis libros; Compuesta por Bernardo González de Bovadilla, estudiante en la insigne universidad de Salamanca, Alcalá, » 1587. L’auteur dit expressément dans sa préface qu’il était né aux îles Canaries. Je ne sais où Ticknor a pris que Bovadilla n’avait jamais vu les lieux où il place la scène de son roman. Cela paraît peu vraisemblable ; d’autant que le roman de Bovadilla, d’après Pellicer, a été imprimé à Alcala. En résumé, ce que nous savons de cet auteur, c’est qu’il était étudiant à Salamanque, lors de la publication de sa pastorale. Dans la fameuse revue des livres de don Quichotte, le curé fait jeter pêle-mêle par la fenêtre le « Pastor de Ibéria, les Ninfas de Henáres, et le Desengaño de celos » de Bartholomé Lopez de Enciso : « Pues no hay mas que hacer, dijo el cura, sino entregarlos al brazo seglar del Ama, y no se me pregunte el porqué, que seria nunca acabar. »

C

Cabrera de Córdoba (Luis), né à Madrid dans la seconde moitié du seizième siècle, était fils de Juan de Cabrera de Córdoba et petit-fils de Luis de Cabrera, capitaine d’infanterie, tué glorieusement à la bataille de Saint-Quentin, en 1557. Ce brave soldat était monté des premiers à l’assaut avec son fils. Celui-ci abandonna l’état militaire et se retira à Madrid avec un haut emploi. Il fut nommé conseiller de la haute cour des comptes, et il eut de sa femme doña Maria del Aguila y Bullon, un fils qui devait profiter de la gloire acquise par son père et son aïeul pour faire fortune à la cour. Alvarez Baèna porte la naissance de Luis Cabrera à la date de 1559. De bonne heure il fut admis au palais et ne tarda pas à devenir secrétaire de la reine. Il épousa doña Baltazara de Zuñiga, dont la famille n’était pas moins riche et considérable que la sienne. Mort le 9 avril 1623, à l’âge de soixante-quatre ans. Luis Cabrera de Córdoba a écrit deux ouvrages remarquables : « Historia para entenderla y escribirla. » Madrid, 1611, in-4. C’est un traité didactique sur la manière d’étudier et d’écrire l’histoire. « Historia de Felipe II, primera parte, » Madrid, 1619, in-fol. La seconde partie n’a point été publiée. Luis Cabrera avait laissé en manuscrit : « Relaciones de las cosas sucedidas principalmente en la Corte desde 1599 hasta 1614, » in-folio, 578 feuillets. C’était probablement la suite de sa grande histoire de Philippe II, histoire remarquable par le style et la méthode ; mais faussée et gâtée par la flatterie. Luis Cabrera ne disait pas tout ce qu’il savait, et il avait beaucoup appris dans sa longue vie de courtisan et de familier du palais. Cet historiographe de cour cultivait aussi la poésie, par manière de délassement. Il était de l’école de Góngora. Juan Perez de Montalvan n’a eu garde de l’oublier dans son « Indice de los ingenios de Madrid, » qui est à la suite du recueil intitulé : « Para todos. » Voici ce qu’il en dit : « Luis Cabrera de Córdoba, criado de Su Magestad, de gran noticia, sutil ingenio y mucha leccion de libros, publicó un tratado para entender Historia y escrivirla, la primera parte de la Historia de Felipe Segundo, y dexó dado principio á la Segunda. » Fol. 12 recto, de son catalogue d’auteurs, dans l’édition de Huesca, 1633, in-4.


Calatayud (Francisco de), né probablement en Andalousie, remplissait de hautes fonctions dans l’administration des finances de Séville. Il avait publié un volume de vers sous le titre de Rimas. Ses poésies sont presque toutes de circonstance. Sedano a donné deux morceaux de Francisco de Calatayud : un éloge du fameux peintre-poëte, Juan de Jaúregui, et la description du portrait de Francisco de Rioja par don Juan de Fonseca y Figueroa. Voyez « Parnaso español, coleccion de Poesias escogidas de los mas célebres poetas Castellanos, » par D. Juan Joseph Lopez Sedano, tom. IX, p. XXV, p. 29, et l’index, à la fin du volume, p. X. Calatayud n’était qu’un poëte amateur.


Calvo (El maestro). Il s’agit évidemment d’un religieux, docteur en théologie, et très-probablement de Juan Calvo de los Reyes, de l’ordre de la Merci, de la province de Castille. Il avait fait ses études à l’université de Salamanque, et enseigna la théologie à Guatelama. Mort en 1638. Auteur d’un psautier à l’usage des captifs, « Psalterium Captivorum, » et d’un traité sur la liturgie. — Un autre religieux, nommé Pedro Calvo, né à Porto, des frères Prêcheurs, docteur en théologie et professeur célèbre, fut le prédicateur de Philippe II, en Portugal. Deux fois prieur de son couvent et recteur de l’université de Lisbonne. Outre un grand nombre de sermons et d’homélies, il écrivit la réfutation d’une satire des Ordres mendiants, intitulée « la Misère des Temps, » en français. L’apologie de Pedro Galvo porte ce titre : « Defensao das lagrimas dos justos perseguidos, e das Sagradas Religioens, fruto das lagrimas de Christo, » Lisbonne, 1618, in-4. — Citons enfin, dans l’incertitude, un poëte nommé Sebastian de Nieva Galvo, auteur d’un poëme épique sur la Vierge : « La mejor mujer, madre y virgen, » Madrid, 1625, in-4.


Capataz (Fray Juan Bautista), religieux de quelque ordre mendiant. Je n’ai trouvé son nom mentionné dans aucun des biographes et bibliographes consultés pour ces notices.


Caporali (Cesare), né à Pérouse, ville de l’État du Pape, le 20 juin 1531, d’une famille originaire de Vicence. Dans le cours de ses humanités, il fit paraître un goût précoce pour Horace et une grande inclination à la poésie. Ses études achevées, il alla chercher fortune à Rome, et s’attacha successivement au cardinal Fulvio della Corgna, neveu du pape Jules III, au cardinal Ferdinand de Médicis, depuis grand-duc de Toscane, au cardinal Octavio Acquaviva, et enfin au marquis Ascanio della Corgna, son dernier protecteur. Il mourut dans la maison de ce seigneur, à Castiglione, en 1601, âgé de soixante-dix ans, un jour après sa femme. Caporali était un bonhomme, tout entier à ses rêveries poétiques et absolument étranger aux choses de la vie pratique. D’une humeur douce et expansive, d’un commerce agréable, il était fort recherché pour sa conversation piquante. Sans être précisément un courtisan adroit, il réussissait très-bien à la cour. Il avait eu beaucoup de succès à celle de Florence : le grand-duc, son ancien patron, et la grande-duchesse, l’avaient en assez haute estime, et il reçut des preuves de leur généreuse protection. Cesare Caporali vécut dans la domesticité, comme on disait alors, ou dans la familiarité des plus hauts dignitaires de l’Église romaine ; il était admis notamment dans l’intimité du cardinal Sadolet. Mais il ne fut point ecclésiastique, et Ménage s’est trompé en l’affirmant. Il n’eut jamais d’autre profession que celle de plaire et de rimer en même temps. Ruiné de bonne heure par un de ses oncles, qui était son tuteur, il eut un instant le projet d’étudier la jurisprudence ; mais une grave maladie ayant interrompu ses études à peine commencées, il fit comme Ovide, et abandonna le droit civil et canonique pour la poésie. Il cultiva avec prédilection le genre burlesque, et s’y distingua de telle sorte qu’il est considéré comme un des plus brillants représentants de l’école poétique du Berni. Il aurait même la première place parmi ses émules, si son style rapide, clair et facile n’eût manqué quelque peu de cette élégance raffinée que l’on prise par-dessus tout en Italie. Pour ce qui est de l’invention, de l’esprit et du goût, Caporali était beaucoup mieux doué que les meilleurs poëtes de son école, et ses fictions aussi agréables qu’ingénieuses se font remarquer par une décence de ton à peu près inconnue parmi les disciples du Berni. La plupart de ses petits poëmes se lisent encore avec plaisir. Ginguené en parle avec des éloges qui auraient peut-être besoin de quelque restriction, car il est plus indulgent envers Caporali que les meilleurs critiques italiens. Il est vrai que ce poëte a été imité par des esprits d’une rare distinction, parmi lesquels il suffit de citer le célèbre Trajano Boccalini, ce spirituel censeur des sottises de son temps, qui a glissé tant d’utiles vérités sous une forme légère. N’oublions pas non plus, à sa louange, que Cervantes, qui l’avait connu familièrement pendant son séjour à Rome, a proclamé son incontestable mérite et s’est déclaré son imitateur. On a de Cesare Caporali huit poëmes burlesques et quelques sonnets :

La vita
L’essequie
Gli horti
di Mecenate,
Il viaggio
Gli avvisi
di Parnasso,
Il pedante
Il curiandolo
Sonetti.

Toutes ses œuvres ont été réunies en un volume et accompagnées de commentaires par les soins de Carlo Caporali. Il en existe un assez grand nombre d’éditions. Nous avons eu sous les yeux celle de Venise :

« Rime di Cesare Caporali con l’osservationi di Carlo Caporali, dal medesimo di nuovo reviste et accresciute. In Venetia, M.DC.LVI. Appresso Giacomo Bortoli. » Dans son avertissement au lecteur, le commentateur annonce des poésies inédites qu’il ne paraît pas avoir publiées. « Sonovi altr’Opere curiose di quest’Autore, che nella cuna in fasci trà fasce invoite non hanno imparato a caminar ancora, ma queste forsi verranno a luce un giorno. » Dans les commentaires de Crescimbeni sur la poésie italienne, il est fait mention d’un manuscrit olographe du Voyage au Parnasse, qui se conservait dans la bibliothèque publique de Pérouse, avec beaucoup d’additions et corrections de la main de l’auteur.

« Storia della Letteratura italiana di Girolamo Tiraboschi, Parte terza, » tom. VII, vol. 12, p. 3. — Imitatori del Berni, lib. terz. XXVII, p. 1760–61 (édition de Milan, in-8., 16 vol.).

« Crescimbeni. De’Commentarj intorno all’istoria della volgar Poesia, » vol. III, lib. II, p. 120–121, c. 85 (édition de Venise, 1730, in-4.)

« P. L. Ginguené, Histoire littéraire d’Italie. » (2e édit., Paris, 1824 ; 2e partie, chap. 37e, tom. IX, p. 227–243.)


Carvajal (Juan de). Je n’ai pu rien savoir de ce personnage.


Casanate (Juan Luis de), célèbre jurisconsulte aragonais, se distingua beaucoup à Madrid, entra dans la carrière ecclésiastique et fut archidiacre de Daroca, dans la cathédrale de Saragosse. Auteur de plusieurs ouvrages de jurisprudence et d’une compilation estimée des principaux commentaires de l’Apocalypse. Sur ses mérites comme poëte, je n’ai trouvé aucune indication dans les recueils biographiques et bibliographiques. Un homonyme, Agustin de Casanate Rojas, a fait une épigramme latine sur le Voyage au Parnasse de Cervantes. La voici :

Excute cæruleum, proles Saturnia, tergum,
Verbera quadrigæ sentiat aima Tethys.
Agmen Apollineum, nova sacri injuria ponti,
Carmineis ratibus per fréta tendit iter.

Proteus æquoreas pecudes, modulamina Triton,
Monstra cavos latices obstupefacta sinunt.
At caveas tantæ torquent quæ molis habenas,
Carmina si excipias nulla tridentis opes.
Hesperiis Michael claris conduxit ab oris
In pelagus vates. Delphica castra petit.
Imo age, pone metus, mediis subsiste carinis,
Parnassi in littus vêla secunda gere.

Cette épigramme, qui ne vaut pas à beaucoup près le sonnet de Cervantes, tient la place de ce sonnet dans presque toutes les éditions du Voyage au Parnasse.


Castro (e Castilho Gerónimo de), né à Lisbonne, entra en religion à la fin de ses études, dans l’ordre de la Trinité, des frères de la Merci, au couvent de Tolède. Il s’appliqua particulièrement à l’histoire ancienne d’Espagne, et publia : « Historia de los reyes Godos que vinieron de la Scythia de Europa contra el Imperio Romano, y á España con sucession de ellos hasta los católicos Reyes don Fernando y doña Isabel ; » Madrid, 1624, in-folio. L’ouvrage, commencé par le père de Gerónimo de Castro, fut continué par celui-ci avec beaucoup de talent. Il était dédié à don Manuel de Fonseca y Zuñiga, comte de Monterey y de Fuentes. Il y a grande apparence que Gerónimo de Castro, dont le style est très-fleuri, cultivait aussi la poésie. Il ne serait pas d’ailleurs le seul qui, sans avoir été poëte, se trouverait mentionné dans le Voyage au Parnasse. Cervantes avait d’ailleurs en vénération les frères de la Merci pour la Rédemption des Captifs, et il a introduit dans son poëme d’autres religieux de cet ordre auquel il devait sa liberté.


Castro y Belvis (Guillen de), gentilhomme valencien, né en 1567, fit de brillantes études dans l’Université de sa ville natale, et se distingua comme poëte dès sa première jeunesse. Il était, dès l’année 1591, un des membres les plus actifs de la célèbre académie des Nocturnos, qui rivalisait avec les meilleures associations littéraires de l’Italie ; il avait pour amis et pour confrères Tarrega, Aguilar, Rey de Artieda et autres Valenciens qui ont laissé un nom dans l’histoire des lettres espagnoles. Il y a de lui un grand nombre de poésies et de discours dans les mémoires de cette Académie, d’après Ximeno, qui les avait consultés pour compiler sa bibliothèque des auteurs valenciens. Guillen de Castro fut enrôlé dans la milice qui était chargée de défendre les côtes méditerranéennes contre les descentes des Berberisques ; il obtint le grade de capitaine de cavalerie et devint ensuite le favori du comte de Benavente, fastueux vice-roi de Naples, qui l’employa dans son gouvernement. La fortune ne se lassait point de combler Guillen de Castro ; mais ce génie inquiet et remuant s’obstinait à tourner le dos à la fortune. Il eut beaucoup de succès à Madrid et reçut les faveurs des plus grands personnages : le duc d’Osuna et le comte d’Olivarès lui faisaient chacun une forte pension. Mais Guillen de Castro était trop indépendant pour mériter longtemps la bienveillance des hommes en place ; et, sur la fin de ses jours, il était obligé pour vivre de faire des pièces de théâtre. Cervantes en parle comme d’un auteur dramatique très-populaire en 1615. Il était fort en vogue vers 1620. Il fut le collaborateur de Lope de Vega, dans les pièces qui furent jouées lors de la canonisation de saint Isidore ; il remporta même un prix au concours qui s’ouvrit à cette occasion entre les premiers poëtes du temps. Il mourut en 1631, dans une si profonde misère, qu’il fut enterré par charité. En résumé, Guillen de Castro, qui était doué d’un grand talent, avait un caractère à la diable ; il fut malheureux par sa faute ; « pero todo lo perdió por sus travesuras, » comme dit le bibliographe Ximeno, en parlant des dons et pensions qui pleuvaient sur ce poëte atrabilaire. Quoique Guillen de Castro eût beaucoup écrit, on ne connaît de lui qu’une trentaine de comédies. « Las comedias de don Guillen de Castro, primera y segunda parte ; » comprenant chacune douze comédies. Valence, 1618–1625, deux volumes in-4o. Il y a encore deux autres comédies de Guillen de Castro : « El amor constante, el cavallero bobo, » dans un recueil intitulé : « Libro de comedias de cuatro ingenios Valencianos. » Madrid, 1614, in-4o. Dans les mémoires de l’Académie des Nocturnos, Ximeno a vu les écrits suivants de Castro :

1o Discurso contra la confianza.

2o Del mismo asunto (sur le même sujet).

3o Alabando el secreto de amor.

4o Como han de grangearse las damas.

Guillen de Castro eut le premier prix de poésie pour une pièce en redondillas, lors de la fête littéraire en l’honneur de saint Raymond de Peñafort. Il y a de lui une cancion et une pièce en décimas ou dixains dans le recueil des compositions poétiques qui furent présentées au concours, lors de la béatification de saint Isidore. Ce recueil a été publié par Lope de Vega. Guillen de Castro était un excellent dramaturge. Sa pièce la plus célèbre et à laquelle il doit sa grande réputation, « las Mocedades del Cid, » fondée, d’après Francisco Santos et le P. Sarmiento, sur d’antiques romances que les aveugles chantaient dans les rues, est très-connue en France par les emprunts que lui a faits Corneille. Les connaisseurs n’hésitent pas à proclamer la supériorité de Guillen de Castro. Plus tard, Diamante fit une imitation du Cid de Corneille, et c’est par erreur que Voltaire a fait de Corneille un imitateur de Diamante. Une autre pièce de Castro : « El curioso impertinente, » a été taillée dans la nouvelle de Cervantes qui porte le même titre.


Castro (Pedro Fernandez de), comte de Lémos. Ce célèbre favori et tout-puissant seigneur était un poëte, et il faisait même des comédies, en collaboration, s’entend. Juan Perez de Montalvan en parle avec une visible complaisance : « El conde de Lemos fue excelentissimo poeta, y escrivió una comedia que se representó á la magestad de Felipe tercero el Piadoso. » On sait qu’il fut un des protecteurs de Cervantes. Lope de Vega en a fait un éloge exagéré dans le « Laurier d’Apollon. V. « Relaciones de la vida del escudero Marcos de Obregon » de Vicente Espinel, 1re partie, descanso 23.


Cejudo (Frey Miguel), né à Valdepeñas, dans le diocèse de Tolède, chevalier de l’ordre militaire de Calatrava, excellent poëte latin, versifiait aussi avec quelque succès en espagnol. Lope de Vega, dans le « Laurier d’Apollon, » le loue sans mesure. Mort en 1609. Il ne faut pas le confondre avec Gerónimo Martin Caro y Cejudo, qui enseignait le latin à Valdepeñas vers le milieu du dix-septième siècle, auteur d’un recueil de proverbes : « Refranes castellanos y latinos. » Madrid, 1675, in-4.


Cepeda (Joaquin Romero de), cité dans le Voyage amusant d’Agustin de Rojas, parmi les auteurs dramatiques en réputation, est connu surtout par une pièce tirée en grande partie de la tragi-comédie de Celestina, et intitulée : « Comedia salvage. » Séville, 1582. C’était un poëte singulier, qui avait une imagination fougueuse et un goût médiocre. Sa manière rappelle le drame anglais. Il avait de l’esprit et versifiait facilement. Ce poëte était né à Badajoz, en Estramadure. Dans une seconde pièce intitulée : « Metamorfosea, » il y a des passages dignes d’un grand poëte lyrique. « Obras de Joaquin Romero de Zepeda, vecino de Badajoz. » Séville, 1582, in-4. Dans ce recueil on trouve un poëme épique : Destruycion de Troya ; » il est en dix chants et a plus de deux mille vers. Le vrai titre est : « El infeliz robo de Elena. » Hélène, bien entendu, est une reine d’Espagne. Énée joue dans ce poëme un assez vilain rôle. Cepeda cultivait aussi avec succès l’ancienne poésie nationale et le sonnet. V. Ticknor, édit. espagnole, tome III, p. 162, 190.


Cid (Miguel), poëte contemporain de Cervantes. Les bibliographes consultés ne m’ont rien appris sur son compte. V. Correo literario de Sevilla, 1806, p. 172.


Correa de Lacerda (Fernando), illustre poëte portugais, né à Tojal, à trois lieues de Viseu, d’Antonio de Lacerda et de Maria Cabral. Ces deux noms disent assez la noblesse de sa naissance. Il fit d’excellentes études à l’université de Coïmbre et brilla particulièrement dans le droit civil. En 1603, étant encore sur les bancs, il avait déjà une certaine réputation. Comme il s’était distingué par son application aux sciences, il se distingua par sa bravoure dans plusieurs expéditions en Afrique. De bonne heure il cultiva la poésie ; il écrivit pour le théâtre. Au rapport de Barbosa, ses pièces avaient un grand succès en Portugal et étaient fort courues en Espagne. Sa verve poétique s’accommodait de tous les genres ; il avait composé un poëme héroïque intitulé : « Imperio Lusitano, » dont le héros était don Alfonso Henriquez, et le sujet l’histoire même du Portugal. C’était une épopée nationale dans le goût de celle de Camoëns. Il ne réussissait pas moins dans le genre religieux et mystique. Antonio Alvarez da Cunha vante beaucoup un autre poëme de Correa de Lacerda en strophes lyriques sur le célèbre sanctuaire de Notre-Dame de Guadalupe, lieu de pèlerinage très-renommé en Espagne, et dont le nom est ineffaçable dans l’histoire des ordres monastiques et des établissements de charité. Ce poëme lyrique avait pour titre : « Pastor de Guadalupe ; » et d’après le critique portugais ci-dessus cité, le poëte, s’inspirant du sujet, avait trouvé l’accent juste ; il chantait « com táo devota melodia, que podia servir de texto espiritual aos contemplativos. » Correa de Lacerda, comme bon nombre de poëtes portugais ses contemporains, maniait dextrement la langue espagnole. On a de lui vingt jolies romances en castillan, dont la première, qui commence ainsi :

Sentado junto de un olmo,

est citée comme un chef-d’œuvre. Il a laissé aussi en espagnol une douzaine d’épîtres facétieuses (epistolas jocosas) et une pièce portant ce titre : « Romance á Ardenio enfermo de amores. » La plupart de ces vers ont été imprimés dans des recueils spéciaux.


Cueva (Francisco de la) y Silva, né à Madrid, célèbre jurisconsulte, auteur d’un ouvrage de droit canonique et de théologie : « Informacion de derecho divino y humano por la purisima Concepcion de la Virgen nuestra señora ; » Madrid, 1625. Mourut vers la fin de 1621 empoisonné, d’après le bruit que firent courir les ennemis du comte duc d’Olivares. Lope de Vega lui a dédié une de ses épîtres en vers, et Quevedo le seizième sonnet du recueil intitulé : « Melpomène. » On lui attribue un ouvrage d’imagination : « Mojiganga del gusto, en seis novelas y estorbo de vicios ; » Saragosse, 1622, in-8. Alvarez y Baena n’a trouvé aucune indication précise sur ce personnage, et il prétend à tort qu’aucun de ses contemporains n’en a fait mention : « No hé podido hallar otra noticia de este autor, ni le menciona ninguno de los que lo fueron en su tiempo. » Or, Francisco de la Cueva est mentionné par trois de ses contemporains les plus illustres, Cervantes, Quevedo, Lope de Vega. Faute d’autre renseignement que celui que lui fournissait le frontispice de l’ouvrage imprimé à Saragosse, Baena s’est efforcé de faire honneur de cet ouvrage au licencié Francisco de Quintana, auteur d’un volume intitulé : « Experiencias de amor y fortuna ; » Madrid, 1626, et publié sous le pseudonyme de Francisco de las Cuevas. Quintana était un ami de Lope ; il prononça l’oraison funèbre de ce fécond dramaturge. Juan Perez de Montalvan lui a accordé une mention très-honorifique. Reste à savoir si c’est Francisco de la Cueva le jurisconsulte ou Francisco de las Cuevas, le pseudonyme de Quintana, qui est mentionné par Cervantes, Quevedo et Lope de Vega. Or, il n’est pas douteux que ces trois poètes ont parlé de Francisco de la Cueva le jurisconsulte. Lope de Vega déplore sa mort dans le « Laurier d’Apollon, » et je n’entends absolument rien aux savantes et trop subtiles distinctions de Alvarez y Baena. Cervantes parle en termes très-exprès de Francisco de la Cueva le jurisconsulte.

E

Enciso (Bartolomé Lopez de), né à Tendilla, auteur d’un roman-pastorale en vers et en prose dédié à don Luis Enriquez, comte de Melgar. L’ouvrage est en six livres ; il devait y avoir une seconde partie. Heureusement la première seule a paru, et elle est assez mauvaise pour ne pas faire regretter la suite. Enciso était dans sa première jeunesse quand il composa cet insipide roman, absolument dépourvu d’intérêt. Ses bergers et ses bergères sont de fastidieux prédicateurs qui se proposent de démontrer en d’interminables sermons les inconvénients de la jalousie. La scène est sur les bords du Tage. La fiction est monstrueuse, le plan n’a pas le sens commun, et la forme ne vaut rien. Enciso a mis à contribution tous les souvenirs de la mythologie classique. Ses bergers sont fort érudits : ils citent les anciens poëtes grecs et latins. Le roman commence à une époque voisine du déluge et se termine par le récit de plusieurs événements contemporains, c’est-à-dire de la fin du seizième siècle. Cervantes a exécuté comme il faut cet auteur médiocre : le curé, passant en revue les livres de Don Quichotte, fait jeter par la fenêtre le « Desengaño de celos ; » Madrid, 1586, in-8. Cet ouvrage est devenu extrêmement rare. Ticknor attribue à Bartolomé Lope ou Lopez de Enciso une comédie intitulée : « Juan Latino. » Le héros est cet humaniste dont Cervantes a dit un mot en passant dans la pièce de vers de pie quebrado, qui précède la première partie de Don Quichotte. Juan Latino était un Éthiopien, esclave du duc de Sesa, petit-fils de Gonzalve de Cordoue, surnommé le grand capitaine. Affranchi par son maître, le nègre s’appliqua à l’étude et finit par être nommé professeur de grec et de latin au grand séminaire de Grenade. On a de lui un excellent poëme latin en deux livres, qui est un panégyrique de don Juan d’Autriche. Son histoire se trouve dans un curieux ouvrage de Francisco Bermudez de Pedraza : « Antigüedad y excelencias de Granada » (lib. III, c. 33). Le passage qui concerne Juan Latino a été extrait par Clemencin dans son Commentaire sur Don Quichotte, t. I, p. 60.


Enciso (Diego Jimenez de), né probablement à Séville, fut un des vingt-quatre échevins de cette ville. On a de lui, dans le grand répertoire du théâtre espagnol : « Comedias escogidas, » (Madrid, 1652–1704) ; quelques comédies ou mieux, quelques drames historiques, un sur la retraite de Charles-Quint au monastère de Yuste, l’autre sur la mort de l’infant don Carlos. Il vivait encore en 1623. Perez de Montalvan le loue en ces termes : « Don Diego Ximenes de Enciso, cavallero del hábito de Santiago no ha menester mas elogios en esta parte que su nombre, y decir que escrivió los Medicis de Florencia, que ha sido pauta y exemplar para todas las comedias grandes. »


Enciso y Monzon (Juan Francisco de), auteur d’un méchant poëme épique intitulé : « La Cristiada ; » Cadix, 1694, in-4 ; vivait à la fin du dix-septième siècle et ne doit pas être confondu avec les précédents. Comme Cervantes cite deux fois le nom d’Enciso, il est malaisé de savoir si la première fois qu’il le mentionne sans prénoms il a voulu parler de Diego Jimenez ou de Bartolomé Lopez. Ce dernier a été sévèrement jugé au tribunal du curé passant en revue les livres de Don Quichotte ; et il peut paraître étrange que l’auteur du voyage au Parnasse l’ait désigné dans ce tercet si élogieux :

Este es Enciso, gloria y ornamento
Del Tajo, y claro honor de Manzanares,
Que con tal hijo aumenta su contento.

D’un autre côté, il est difficile d’admettre que ces vers soient applicables à Diego Jimenez de Enciso, qui était domicilié à Séville. Il faut remarquer cependant que Montalvan a compté ce dernier parmi les auteurs dramatiques de la Castille, dans « Memoria de los que escriven comedias en Castilla solamente. »


España y Moncada (don Juan de), né à Madrid, fils de don Alonso de España, chevalier de Saint-Jacques. Lui-même fut nommé chevalier de cet ordre militaire par une grâce spéciale de Philippe III en 1607. À la mort de don Juan Muñoz de Escobar, il eut l’emploi de contador mayor ou surintendant des finances du cardinal-infant, don Ferdinand d’Autriche. Il était en 1644 procureur des affaires de son ordre, et assista en cette qualité aux funérailles solennelles de la reine Élisabeth de Bourbon, femme de Philippe IV. Il était souvent à la cour et remplissait les fonctions de héraut du roi. Il cultivait, avec succès les belles-lettres et plus particulièrement la poésie. Son éloge se trouve aussi dans le « Laurier d’Apollon. » Nicolas Antonio lui attribue un traité manuscrit sur les statuts de l’ordre de la Toison-d’Or, et des opuscules sur les cérémonies publiques, les fêtes et solennités de la cour, les formalités de l’étiquette. Juan de España figure évidemment dans le voyage au Parnasse comme un poëte amateur. La notice que lui a consacrée Alvarez y Baena, dans ses Hijos de Madrid, est fort sèche. Lope de Vega l’a loué en style amphigourique, et avec force jeux de mots qu’il n’est pas facile d’entendre.


Espinel (Vicente), né à Ronda, dans l’ancien royaume de Grenade en 1544, peut-être avant cette date, mais non en 1551, comme l’ont annoncé par erreur quelques biographes de ce poëte. On ne sait rien de sa famille et presque rien de ses premières années. Il fit ses études à Salamanque, et tout jeune encore fut obligé de quitter l’Espagne pour aller chercher fortune en Italie et en Flandres, en qualité de soldat. Las de la vie militaire et plus pauvre que jamais, il revint en Espagne et embrassa la carrière ecclésiastique. Il fut puissamment aidé dans sa nouvelle profession par don Francisco Pacheco, évêque de Malaga ; et grâce à ce prélat il obtint une place de chapelain à l’hôpital de Ronda. Espinel fit de vains efforts pour améliorer une position qui n’était guère en rapport avec ses goûts, et trop modeste pour sa légitime ambition. Après bien des démarches, il obtint une charge d’aumônier à l’hospice de Santa Catilina de los Donados, à Madrid ; et heureux du moins de vivre à la cour, comme on disait alors, il jouit du repos que réclamait son âge avancé. Il mourut vers 1630, à l’âge d’environ quatre-vingt-dix ans. Espinel était à la fois bon prosateur, poëte remarquable et excellent musicien. Le Sage a fait beaucoup d’emprunts à son roman, intitulé : « Relaciones de la vida del Escudero Marcos de Obregon, » ouvrage de sa vieillesse. Sa traduction de l’Épître d’Horace aux Pisons, en vers blancs, est réputée classique. Ses poésies lyriques sont fort estimées. Le recueil de ses œuvres poétiques parut à Madrid en 1591. Espinel est surtout célèbre comme inventeur en poésie et en musique. C’est à lui qu’on doit la perfection du dizain formé de deux stances de cinq vers, et qui est une des formes les plus heureuses de la versification espagnole. En espagnol, Decimas et Espinelas sont synonymes. Espinel ajouta une cinquième corde à la guitare ; et cette invention contribua très-fort à rendre son nom populaire en Espagne. Lope de Vega, qui était son ami et un peu son protecteur dans ses dernières années, a fait deux fois son éloge dans le Laurier d’Apollon. C’est par lui que nous savons qu’Espinel mourut nonagénaire :

Noventa años viviste,
Nadie te dió favor, poco escribiste.

Cervantes et Espinel avaient longtemps vécu en bonne intelligence ; mais leur amitié fut troublée lorsqu’ils étaient l’un et l’autre d’un âge avancé. Cervantes rend justice à son talent d’inventeur et d’écrivain ; mais il remarque que sa critique était mordante, et il rappelle à ce propos le nom de Zoïle. Dans la courte introduction au récit des aventures de l’écuyer Marcos de Obregon, Espinel nous apprend qu’il faisait aussi un peu de médecine, mais de cette médecine qui plaît si fort au vulgaire et dont il se moquait tout le premier. Ce qu’on peut dire de lui comme écrivain, c’est qu’il est resté fidèle aux deux lois qu’il s’était imposées, de narrer brièvement et de ne rien écrire de blâmable, « guardando siempre brevedad y honestidad. » Comme Cervantes, Espinel reçut les bienfaits de don Bernardo de Sandoval y Rojas, archevêque de Tolède. On suppose, non sans vraisemblance, que l’histoire de Marcos de Obregon est en grande partie le récit de ses propres aventures. « Diverses rimas de V. Espinel, » Madrid. 1591, in-8. « El Escudero Marcos de Obregon, » Madrid, 1618, in-8.


Esquilache (Francisco de Borja y Aragon, prince d’), petit-fils de saint François de Borgia, né à Madrid, selon toute apparence, et d’après le témoignage des contemporains, vers l’année 1580. Ses noms de famille (Borgia et Squillace) disent assez qu’il était d’origine italienne. Il descendait à la fois d’un général des jésuites, d’un pape honteusement célèbre (Alexandre VII) et de la branche royale d’Aragon. Il fut élevé comme un jeune gentilhomme destiné aux grandes places. Son éducation littéraire fut particulièrement soignée. Esprit élégant et facile, de bonne heure il cultiva la poésie et avec succès, car il devait se ressouvenir plus tard, et non sans plaisir, de ses premiers essais, qu’il appelle poétiquement des fleurs de jeunesse : « Flores de su primera juventud. » Il était doué d’un goût très-sûr, et parmi tant de poëtes qui brillaient du plus vif éclat lorsque se révéla son talent poétique, il choisit pour modèle Bartolomé Léonardo de Argensola, le plus correct et le plus sévère, une façon de Boileau espagnol. Un mariage avantageux avec une de ses parentes doubla sa fortune avec ses titres ; et naturellement ce grand seigneur se trouva appelé aux premières charges. En 1614, il fut nommé vice-roi du Pérou et gouverneur général de toutes les provinces attenantes. Il fit son entrée à Lima en décembre 1615. Un vice-roi du Mexique ou du Pérou n’était pas moins qu’un proconsul de l’ancienne Rome. Son gouvernement ne fut marqué par aucun événement mémorable, si l’on excepte la conquête d’une vaste étendue de terrain, dans la région des Maynas, sur le Maragnon par don Diego Vaca de la Vega, fondateur dans le pays conquis d’une ville qui reçut le nom de San Francisco de Borja, en souvenir du vice-roi. Pendant la vice-royauté du prince d’Esquilache, fut aussi découvert le détroit de Saint-Vincent. Le gouvernement de don Francisco de Borja dura six années. Il retourna en Espagne sans attendre son successeur, en 1622, quelques mois après la mort de Philippe III. On ne sait presque rien de cette période de sa vie. Il perdit sa femme en 1644, et ce fut probablement à la suite de ce triste événement qu’il songea à la retraite. Le reste de ses jours s’écoula dans la ville de Valence. Mort en 1658, âgé d’environ quatre-vingts ans. Outre les avantages de la naissance et de la fortune, le prince d’Esquilache eut un heureux tempérament et cet ensemble de qualités qui constituent un talent aimable. Son esprit se ressentait de l’urbanité de ses manières et de la distinction de sa personne aristocratique. Il n’abusa point de sa haute position pour se faire valoir, et ce n’est point sa modestie qui se fût arrangée de ce titre qu’on lui a donné de Prince des poëtes lyriques de l’Espagne : « Principe de los poetas liricos Castellanos. » C’est bien assez pour sa gloire qu’il ait tenu son rang, un rang très distingué parmi les plus célèbres poëtes d’une époque qui en produisit d’excellents. Il excellait dans la petite poésie, c’est-à-dire dans ces pièces de courte haleine qui valent surtout par la perfection de la forme. Celle du prince d’Esquilache était exquise. Mais cet homme d’un goût si délicat et d’un jugement très-exercé, voulut courir une carrière qui n’était pas la sienne, et fit la folie de composer un poëme épique. Il chanta la conquête de Naples par Alphonse V, roi d’Aragon, « Nápoles recuperada, » Saragosse, 1651, in-4. C’est une pâle et trop classique imitation de l’Énéide. On peut dire de ce poëme qu’il est mauvais à force d’art. L’auteur, en le composant, suivait de trop près les règles du genre, et usait sans discrétion de ses souvenirs classiques. Ce qu’il y a de mieux est sa préface, morceau judicieux et tout à fait bien écrit, qui témoigne d’une connaissance approfondie des principes de la poétique. Ce qu’on estime le plus d’Esquilache ce sont ses poésies légères, letrillas et romances (Obras en verso, Madrid, 1639, in-4). Elles sont remarquables par une grâce naturelle et par une élégance non affectée, qui rappellent les meilleurs modèles. Le prince d’Esquilache tournait assez bien une épigramme ou un madrigal. On cite de lui quelques épîtres satiriques, dans le genre tempéré d’Horace. Il avait touché aussi la corde religieuse ; et on peut relire, pour la pureté de la forme, son récit de la Passion du Christ, en tercets, « la Passion de N. S. Jesu-Christo en tercetos, segun el texto de los santos cuatro evangelistas, » Madrid, 1638, in-4.

F

Faria Correa (Francisco de), né à Villa de Canavezes, dans la province du Minho, à huit lieues de Porto, excellent poëte portugais. Sa vie n’offre aucune particularité notable. Une riche prébende fut la récompense des talents qu’il déploya dans la carrière ecclésiastique. Faria Correa était prieur de l’église paroissiale de San Miguel das Lauradas. Dans ses loisirs, il composa un assez grand nombre de pièces de théâtre qui furent à peu près toutes représentées avec succès. Il excellait aussi dans les genres héroïque et lyrique. Ses sonnets étaient fort estimés, ainsi que ses élégies ; les critiques portugais citent avec éloges celle qu’il fit pour honorer la mémoire de doña Maria d’Attayde. Faria a été loué par Manoel de Gallegos, dans son Temple de Mémoire :

A numerosa e grave melodia
Com que vibrando rayos de brandura
Doce rendeo Francisco de Faria
A toda rebelada fermosura
Honre de Nuno o nome esclarecido,
E seja Marte o que dantes foy Cupido.

Antonio Figueira Durao, dans son poëme latin, ayant pour titre : « Le Laurier du Parnasse, » dit de Faria que c’était un autre Martial, « Franciscus de Faria alter Martialis. » Jacinto Cordeiro, dans ses éloges des poëtes lusitaniens, ne lui a pas ménagé les louanges :

Antonio de Soares entre canto vario
La lyra toca con que assi se loa
Que le animó Francisco de Faria,
Uno sol de su patria, el otro dia.

Faria florissait dans les dernières années du seizième siècle et dans le premier quart du dix-septième. — J’ignore si Francisco de Faria est distinct d’un homonyme que les bibliographes espagnols disputent aux Portugais, et qui serait né à Grenade. Chanoine d’Alméria et de Malaga, ce Francisco de Faria publia en 1608 une élégante traduction en vers de l’enlèvement de Proserpine par Claudien, « El robo de Proserpina de Claudiano, » Madrid, 1608, in-8. On lui attribue encore un poème religieux sur la Croix. Il est probable qu’il n’y a eu qu’un poëte de ce nom.


Ferrer (Luis), gentilhomme valencien ; connu moins par ses poésies, qui sont éparses dans les recueils du temps que par la mention qu’ont faite de lui quelques poëtes contemporains. Lope de Vega a fait ainsi son éloge :

Oh tu, don Luis Ferrer, como no templas
La dulcisima lira,

Pues tu sonoro canto el mundo admira,
Si la ocasion contemplas
En que puedes honrar tu patria hermosa
De ingenios, que produce como flores,
Pues tienes voz y mano milagrosa ?

Voilà bien des hyperboles qui prouvent seulement que Luis Ferrer écrivait peu. Luis Ferrer ne doit pas être confondu avec un homonyme, né à Antequera, jésuite, auteur d’ouvrages mystiques.


Figueroa (Cristóbal Suarez de), né à Valladolid dans la seconde moitié du seizième siècle, reçut une excellente éducation, et s’appliqua à l’étude du droit. Il était fort savant et montrait volontiers son savoir. Aussi Cervantes l’appelle-t-il ironiquement el doctorado. Figueroa était docteur en effet ; mais il était quelque peu pédant et toujours prêt à manier la férule. Toujours mécontent de son sort, il alla chercher fortune en Italie et entra au service. Il savait à fond l’italien. Sa traduction en vers du Pastor fido de Guarini est aussi estimée que celle de l’Aminte du Tasse par Juan de Jaúregui. (V. au sujet de cette traduction, une note de Gayangos dans la traduction espagnole de Ticknor, tom. III, p. 543–44.) De retour en Espagne, Suarez de Figueroa, toujours misanthrope, publia un ouvrage qu’on peut considérer jusqu’à un certain point comme ses mémoires. « El Pasagero, » tel est le titre de cet ouvrage, dont les divisions sont autant d’alivios ou soulagements. L’auteur y donne ses impressions avec une acrimonie qui exclut toute bienveillance. Content de lui-même, Suarez se montre plus que sévère pour ses contemporains les plus illustres : il maltraite fort Espinosa, Lope de Vega, Villegas, Cervantes et bien d’autres encore. El Pasagero est le livre le plus curieux de Figueroa. Son ouvrage le plus remarquable est une pastorale : « La Constante Amarilis, » divisée en quatre discours et entremêlée de vers excellents. Il la composa pour complaire à un grand personnage, et n’eut pas sujet, à ce qu’il paraît, de s’applaudir de sa condescendance. Cette nouvelle est d’un style agréable et pur ; on la lit encore et elle intéresse, en dépit des dissertations et digressions polémiques, et de ce ton doctoral dont Figueroa ne pouvait se défaire. C’était un censeur chagrin, un critique atrabilaire. Suarez de Figueroa a écrit une douzaine d’ouvrages d’histoire et de morale qui ont leur valeur ; seulement il faut s’armer de patience pour les lire jusqu’au bout. Un recueil de ses poésies parut à Lisbonne en 1625. Il est loin d’être complet. « La Constante Amarilis » a été traduite en français par Lancelot.


Figueroa (Francisco de), surnommé le « Divin, » a été disputé à l’Espagne par le Portugal ; mais il est avéré qu’il naquit à Alcalá vers 1540. Il appartenait à une ancienne famille de gentilshommes. Pour ses études, il n’eut pas à chercher bien loin des leçons et des maîtres. L’université d’Alcalá était alors florissante, et Francisco de Figueroa fut l’un de ses plus brillants élèves. Comme la plupart des grands poëtes, il annonça de bonne heure ce qu’il devait être un jour, et les prémices de son talent ne furent pas indignes de son génie. Au sortir des bancs, il entra dans l’armée et passa la plus grande partie de sa jeunesse au service, en Italie. Il partagea son temps entre les devoirs de sa profession et la culture des belles-lettres, menant de front la poésie castillane et la poésie italienne. Avec une rare facilité, il versifia en italien, et ses essais furent ceux d’un maître. Bientôt il fut renommé parmi les meilleurs poëtes de l’Italie, à Naples, à Rome, à Bologne, à Sienne, dans toutes les villes en un mot où l’avaient conduit ses obligations de soldat ou ses goûts littéraires. Francisco de Figueroa était en Italie le Mécène des Espagnols qui cultivaient les lettres et la poésie. Ce fut à Sienne particulièrement qu’il se distingua, et qu’il se fit aimer à la fois et admirer par la douceur de son commerce autant que par les agréments ce sa personne. Homme d’étude et bon courtisan, il sut concilier deux choses assez incompatibles, les préoccupations de la fortune et le culte des lettres. Son service terminé, il retourna en Espagne et alla s’établir à Alcalá, sa ville natale. Il s’y maria et vécut dans le repos jusqu’en 1579. qu’il se décida à suivre en Flandre don Carlos d’Aragon, premier duc de Terranova. Cette absence ne dura pas longtemps. Rendu à la vie domestique, il se livra aux occupations qui étaient dans ses goûts. Figueroa, autant qu’il est permis de le juger à distance, devait être d’une rare modestie. Il fut de son vivant beaucoup plus célèbre en Italie qu’en Espagne, et jamais il ne se pressa de donner au public le fruit de ses veilles poétiques. Son recueil de poésies ne fut imprimé qu’après sa mort, en 1626, par les soins de l’érudit Luis Tribaldos, de Tolède, historiographe de Portugal, à Lisbonne. On sait néanmoins que ce recueil était prêt pour l’impression dès l’année 1572 ; de sorte que Figueroa appartient réellement à la littérature du seizième siècle. Aussi Cervantes ne craint-il pas de le proposer comme un modèle sans pareil aux poëtes désireux de la vraie gloire. Il le met sur la même ligne que Garcilaso de la Vega, Francisco de Aldana et Fernando de Herrera. C’est un grand honneur assurément. Mais Sedano « Parnaso español » (tom. IV, p. XXI, notice sur Francisco de Figueroa) n’est pas satisfait d’une distinction si flatteuse pour notre poëte, et il déclare que des quatre poëtes privilégiés qui ont reçu le surnom de « Divin, » nul ne s’en est montré plus digne que Figueroa. C’est aller trop loin. Le plus parfait des poëtes lyriques espagnols est sans contredit Fernando de Herrera, sinon le plus grand, car je ne pense pas que Fray Luis de Léon le cède à aucun autre. Garcilaso est inimitable, et ses vers fluides et pressés rappellent la manière de Virgile. Tout au plus Figueroa peut-il le disputer à Francisco de Aldana ; de sorte que dans ce groupe d’élite, il ne serait que le troisième. À ne le juger que d’après ses vers, le divin poëte d’Alcalá avait une âme pour ainsi dire féminine. Il a, et à un très-haut degré, toutes les qualités aimables : douceur, harmonie, élégance, tendresse de sentiments, pureté et correction de la forme ; mais il n’a point cette force virile qui révèle la vraie passion du génie. D’ailleurs, il était imitateur, et sa poésie est à moitié italienne. Il faut le ranger parmi les réformateurs de l’école de Boscan. Comme Virgile, qu’il admirait beaucoup, Figueroa voulait, à son dernier moment, que ses poésies fussent jetées au feu. Il y a de lui des poésies inédites, et l’on a supposé avec quelque vraisemblance que le manuscrit qui fut remis à Luis Tribaldos de Tolède par don Antonio de Toledo, seigneur de Pozuelo, n’était qu’une copie ou bien un manuscrit distinct de celui que possédait la bibliothèque nationale de Madrid, manuscrit original et autographe au rapport de Sedano.

G

Galarza (Antonio de). Je n’ai point trouvé le nom de ce personnage dans les biographes et bibliographes. Peut-être est-ce le même dont il est question au début du voyage. Galarza, d’après ce qu’en a dit Cervantes, devait être un officier de fortune ou un fanfaron.


Galarza (Pedro Garcia de), né à Bonilla, dans le diocèse de Cuenca, élève du collége de Saint-Barthélemy, en l’université de Salamanque ; reçut le bonnet doctoral dans cette académie et enseigna la philosophie. Il fut chanoine magistral de l’église cathédrale de Murcie, et nommé ensuite par Philippe II à l’évêché de Coria. C’était un homme d’un grand savoir en théologie, et toujours prompt à la dispute. On a de lui un ouvrage en huit livres sur les institutions évangéliques (Madrid, 1579, en latin) ; et un traité sur la clôture des religieuses : « De clausura monialium. » Salamanque, 1589, in-4., en latin et en espagnol. Il mourut en 1606 ou en 1604, suivant l’histoire du collége de Saint-Barthélemy de Salamanque. Comme je n’ai trouvé d’autre homonyme de ce Galarza, ni dans mes souvenirs, ni dans mes recherches, je suppose que c’est de lui-même que Cervantes a entendu parler. Il en parle d’ailleurs comme d’un homme dont la mémoire était encore présente à ses lecteurs,

Ni del muerto Galarza la agudeza.

Galindo. Faute d’un prénom qui puisse distinguer les homonymes, nous ne savons de quel Galindo il est question dans le Voyage au Parnasse. Nicolas Antonio fait mention d’un Mateo Galindo, jésuite de la maison professe de Mechoacan, auteur d’une grammaire latine et d’un recueil d’inscriptions en vers pour la réception du marquis de Villena, vice-roi du Mexique. Peut-être s’agit-il de Benito Sanchez Galindo, né en Extramadure, auteur d’un poëme religieux : « Victoria de Christo, » en deux parties ; Barcelone, 1576. in-4. Sanchez Galindo était peintre. Il y a eu aussi une femme célèbre de ce nom : Doña Beatriz Gaiindo, surnommée la Latina, à cause de sa connaissance profonde de la langue latine. Elle était de Salamanque, et fonda à Madrid, au commencement du dix-septième siècle, un couvent qui porte encore son nom. Lope de Vega a fait son éloge dans le « Laurier d’Apollon. »


Giron (Félix Arias), né à Madrid, fils cadet de don Juan Arias Portocarrero, deuxième comte de Puñonrostro et de doña Juana de Castro y Ribadeneyra, suivit la carrière des armes. Il servit comme capitaine d’infanterie sous Philippe II en Flandres et dans la Franche-Comté, l’armée espagnole étant commandée par le connétable de Castille, Juan Fernandez de Velasco. Il fut commandant de place de la ville de Madrid. Attaché au puissant ministre, le duc de Lerme, il était au nombre des grands seigneurs qui l’accompagnèrent dans le voyage qu’il fit aux frontières de France pour présenter l’infante d’Espagne, épouse de Louis XIII et recevoir la sœur du roi de France, Élisabeth de Bourbon, princesse des Asturies. La carrière de ce grand seigneur fut facile. Il reçut tous les honneurs qui étaient dus à sa haute naissance, et ajouta beaucoup à sa réputation par son amour des beaux-arts et des belles-lettres. Il était excellent musicien et bon poëte. Ses poésies sont éparses dans les nombreux recueils du temps. Juan Perez de Montalvan a dit de lui : « El conde de Puñonrostro, Poeta lirico, hace con facilidad estremadas copias, y tiene el mejor voto para juzgar de los versos y las comedias. » Lope de Vega ne l’a point oublié dans son Laurier d’Apollon.


Godinez (Felipe), dramaturge en réputation à la fin du seizième siècle et au commencement du dix-septième. Cinq de ses nombreuses comédies figurent dans le grand répertoire du théâtre espagnol, « Comedias escogidas. » C’était un auteur de second ordre. Montalvan lui donne le titre de docteur et en parle ainsi :

« El Doctor Felipe de Godinez tiene grandisima facilidad, conocimiento y sutileza para este genero de poesia (la comédie), particularmente en las Comedias divinas, porque entonces tiene mas lugar de valerse de su ciencia, erudicion y doctrina. »


Gomez de Sanabria (Gabriel), né à Madrid, d’après quelques biographes, bien que Juan Perez de Montalvan ne l’ait pas inscrit dans son catalogue, « Indice de los ingenios de Madrid, » était originaire du pays basque, au dire de Lope de Vega :

« Aquel cuva nobleza honró á Cantabria, » fut conseiller à la cour royale de Lima en 1635 (oidor). Il avait traduit une grande partie des épigrammes de Martial en vers espagnols ; cette traduction, fort estimée, datait de sa première jeunesse. Il ne faut pas le confondre avec Gabriel Gomez de Losada, de l’ordre des frères rédempteurs, qui a écrit sur la condition des captifs chrétiens à Alger, et qui florissait dans la deuxième moitié du dix-septième siècle. Il y a grande apparence que c’est du premier, du traducteur de Martial qu’il est question dans le Voyage au Parnasse.


Góngora (Luis de y Argote) ; né à Cordoue le 11 juillet 1561, était d’une famille d’ancienne noblesse. Son éducation fut soignée. À quinze ans il alla étudier le droit à Salamanque ; mais sans négliger l’étude de la jurisprudence, il se livra avec passion à la culture des belles-lettres, et bientôt il suivit son inspiration poétique. Ses premiers essais révélèrent un poëte satirique. Le mérite de ses poésies légères le mit de bonne heure en évidence. Cervantes parle de lui comme d’un auteur en réputation, dans le chant de Calliope de sa Galatée (1584) :

En don Luis de Góngora os ofrezco
Un vivo raro ingenio sin segundo:
Con sus obras me alegro y enriquezco,
No solo yo, mas todo el ancho mundo.

Góngora avait alors vingt-trois ans, et résidait à Cordoue, presque dans la misère. Il était âgé de quarante-cinq ans environ, lorsqu’il résolut de changer d’état. Il se fit prêtre, et bientôt après il se rendit à Valladolid, où était la cour. Il n’y trouva pas la fortune ; mais la poésie l’aida à supporter sa pauvreté. Il y a beaucoup de vers de lui dans le recueil poétique d’Espinosa, qui parut en 1605. Il perdit ainsi onze années en démarches ; les grands personnages qui l’avaient appelé ou attiré à la cour se contentèrent d’honorer son mérite sans le récompenser : « Llamado don Luis, entre esta cortedad de suerte, de grandes principes á esta corte, los gozó familiares mucho, beneficos poco, » remarque sentencieusement un de ses biographes. Il obtint néanmoins de la faveur du duc de Lerme et de l’amitié du marquis de Siete Iglesias, le titre d’aumônier ou chapelain honoraire du roi, et de la protection du comte-duc de Sanlucar, l’ordre de Saint-Jacques pour deux de ses neveux. Olivarès s’était déclaré son protecteur, et Góngora était sur le point de voir sa fortune s’améliorer sous l’influence du tout-puissant ministre, lorsqu’il tomba gravement malade. Il alla mourir dans sa ville natale, à l’âge de soixante-six ans (24 mai 1627). Sa maladie était singulière. En pleine possession de son intelligence, il avait perdu complètement la mémoire. — Sur le rôle de Góngora dans la poésie espagnole, tout a été dit. Cet homme singulier, d’un tempérament mélancolique et d’un caractère étrange, était né avec un beau génie poétique ; et ses premières productions comptent parmi les plus belles de la muse espagnole. Mais l’ambition et la pauvreté poussèrent Góngora hors du bon chemin, et tout d’un coup il se mit à écrire de façon à ne ressembler à aucun poëte contemporain. Il composa deux poëmes et quantité de sonnets en style métaphorique, ampoulé, hérissé de figures extravagantes et d’expressions monstrueuses ; et bientôt il fit école. Il réussit doutant mieux qu’il attaqua et maltraita également les vivants et les morts. Sa verve satirique ne fit grâce à aucun de ses rivaux ; et comme jamais poëte espagnol, sans en excepter Quevedo, ne mania si dextrement l’épigramme, il fut vainqueur dans ce combat à outrance qu’il livra à la raison et au bon goût. Ses disciples se hâtèrent de commenter les œuvres du maître : mais admirateurs aveugles de ses défauts, et croyant comprendre l’inintelligible, ils ajoutèrent encore à l’obscurité d’un langage poétique, dont l’étrangeté même suppose de prodigieuses ressources d’esprit et une puissante imagination. Góngora s’essaya dans presque tous les genres : il a fait même deux comédies assez médiocres. Ce qu’on estime le plus aujourd’hui, ce sont ses romances, ses chants d’amour, ses sonnets et deux ou trois odes, où respire le sentiment national. Parmi les nombreux commentateurs de Góngora il en est trois qui méritent d’être cités : José Pellicer, Salazar Mardones et Garcia de Salcedo Coronel. Les œuvres de Góngora restèrent en grande partie inédites longtemps après sa mort. Une des meilleures éditions de ses œuvres est celle de Madrid, 1654, in-4. La première est de 1632. Il y a une excellente édition de Bruxelles, 1659, imprimée par Fr. Foppens. Elle a été procurée par Gerónimo de Villegas avec un grand luxe typographique et dédiée à don Luis de Benavides, gouverneur militaire des Pays-Bas.


Gracian Dantisco (Tomás), fils du célèbre Diego Gracian de Alderete, secrétaire de Charles-Quint et de Philippe II, succéda à son père en 1584, et entra au service du roi avec le titre de secrétaire pour les langues. Il ressemblait beaucoup à son père par le caractère et par le savoir. Gracian Dantisco publia en 1599 un petit traité de morale pratique, « El Galateo, » imité d’un ouvrage analogue de Giovanni della Casa, dont la réputation était grande en Italie. Notaire apostolique et royal, ce fut par devant lui que fit son testament l’infante d’Espagne, en religion sœur Marie de la Croix, au moment d’entrer au couvent des Descalzas, de Madrid. Andrés del Marmol, auteur d’une vie de son frère, le vénérable Gerónimo Gracian, a parlé de lui en ces termes : « Florecia tanto en las artes libérales, curiosidad de historia, medallas, inscripciones antiguas, pinturas y esculturas, que de cada profesion se pudieran formar algunos hombres raros con solo él. » Gracian Dantisco cultivait avec distinction la peinture. On voit, par le passage cité de Andrés del Marmol, que Tomas Gracian devait être mort au moment où fut publiée la vie de son frère, en 1619. Il dut mourir dans l’année même, vers la fin, car ce fut lui qui traduisit la bulle de béatification de saint Isidore, faite à Rome le 14 juin 1619. Il laissa treize enfants. Sa seconde femme, doña Laurencia Mendez de Zurita, se distingua aussi par ses écrits. On a de Gracian Dantisco, outre son Galateo, un traité de l’art épistolaire : « Arte de escribir cartas familiares, » Madrid, 1589. in-16. Lope de Vega a fait son éloge dans le « Laurier d’Apollon. »

H

Herrera y Saavedra (Antonio), fils de don Francisco de Herrera Saavedra, membre de La municipalité de Madrid, et de doña Isabel Sanchez Coello, femme distinguée par son instruction. Il hérita du majorat de sa maison et fut fait chevalier de Saint-Jacques le 19 avril 1621 ; le conseil de l’ordre ratifia sa nomination le 30 août de la même année. Herrera épousa doña Ana de Soria, fille de Juan de Soria, conseiller à la cour des comptes. Mort à Madrid le 14 septembre 1639. Il fut très-distingué comme poëte, et cultiva des genres très-divers. On a de lui quelques comédies. Lope de Vega lui a accordé une mention dans le « Laurier d’Apollon. » Il le place à côté de Rodrigo de Herrera. Juan Perez de Montalvan l’apprécie en ces termes : « Don Antonio de Herrera, caballero del habito de Santiago, dulce, sentencioso y elegante poeta, fuera de los muchos versos que tiene escritos en academias y çertámenes, tiene acabadas tres ó cuatro comedias con grande acierto. » Il ne faut pas le confondre avec le célèbre historien Antonio de Herrera Tordesillas.


Herrera (Fernando de), né à Séville dans la première moitié du seizième siècle, passa toute sa vie dans la solitude, avec ses livres, vivant modestement d’un bénéfice qu’il avait obtenu comme desservant de la paroisse Saint-André. Ce solitaire nourrissait dans son cœur un amour idéal, « honesto, santo y divino », comme il dit, pour une dame qu’il a célébrée sous des noms symboliques, à la manière de Dante et de Pétrarque. Herrera, qui avait plus d’un trait de ressemblance avec ce poëte raffiné, était fort savant. Il connaissait à fond les anciens et les auteurs italiens. Il a consigné en quelque sorte le fruit de ses méditations et de ses immenses lectures dans son commentaire de Garcilaso de la Vega (Séville, 1580).

Francisco Sanchez de las Brozas, qui était pourtant un érudit, avait commenté plus sobrement le premier ou le prince des poëtes espagnols de son temps, comme on disait alors. Mais l’érudition était à la mode lorsque parut le commentaire de Herrera, et il n’eut par la suite que trop d’imitateurs. Les commentateurs qui abondaient en Italie, fourmillaient en Espagne ; bientôt le moindre poëtereau fut commenté et longuement expliqué. Herrera préludait par ce commentaire à la publication de ses propres poésies, qui parurent à Séville en 1582. La diction de Herrera est irréprochable, car il limait ses vers et les repolissait sans cesse ; mais sa poésie est beaucoup plus savante que spontanée : on y sent trop l’imitation des grands lyriques de l’antiquité. La prose de Herrera est très-belle, très-sévère. Ce poëte avait presque du génie comme historien. On cite comme des morceaux classiques sa relation de la guerre de Chypre et le récit de la bataille de Lépante, Séville, 1572. Herrera avait écrit une histoire générale d’Espagne depuis les premières origines jusqu’à Charles-Quint. Cet ouvrage et quelques autres qui sont mentionnés par le célèbre archéologue sévillan Rodrigo Caro sont perdus. Le peintre Pacheco donna en 1619 une édition plus soignée des poésies de Herrera. Pacheco avait fait aussi le portrait de ce grand poëte.


Herrera (Pedro de), que Cervantes surnomme le Grand, devait être un gentilhomme de marque. Il n’est point cité comme poëte, mais comme très-fort sur le point d’honneur. Peut-être s’agit-il d’un de ces maîtres d’armes qui arrivaient à une haute réputation par leur dextérité et surtout par leur compétence dans les affaires d’honneur. Tel était par exemple le célèbre Carranza, mentionné avec l’épithète de grand dans le chant de Calliope (Galatea, lib. vi). Il ne peut être ici question d’aucun des deux homonymies qui figurent dans la compilation de Varflora.


Herrera y Ribera (Rodrigo de), fils naturel de Melchor de Herrera, premier marquis d’Aunon et de doña Inés Ponce de Leon y Villaroel, dame de haut parage. Son père fonda pour lui un nouveau majorat, lui fit donner l’habit de Saint-Jacques et épouser sa cousine doña Maria de Herrera y Mendoza. Le fils reconnaissant se montra digne en tout de ces marques de la faveur paternelle. Mort en 1641. Rodrigo de Herrera était un poëte de mérite. On a de lui quantité de pièces de vers sur des sujets très-divers et quelques comédies, dans le goût de l’ancienne école dramatique : « El voto de Santiago y batalla de Clavijo ; El primor templo de España y el segundo obispo de Avila. » Voici l’appréciation de Perez de Montalvan : « Don Rodrigo de Herrera, cavallero del habito de Santiago, poeta de grande espiritu, galante y conceptuoso, escrive con mucha cordura y acierto, y tiene acabada una comedia de valientes versos. » Il ne faut pas le confondre avec un autre poëte portugais, qui avait même nom, et qui faisait aussi des vers et des comédies.

J

Jaúregui (Juan de) y Aguilar, d’une famille originaire des provinces basques, né à Séville vers 1570, peintre et poëte de grand renom. On ne sait rien des premières années de sa vie, rien de ses études ; mais ses écrits attestent qu’il avait orné son esprit de toutes les connaissances qu’exige la culture des arts et des belles-lettres. Il dut quitter l’Espagne dans sa première jeunesse. Il voyagea longtemps en Italie et finit par se fixer à Rome ; il y fit d’excellentes études de peinture, tout en cultivant la poésie. Ce fut à Rome, en 1607, qu’il publia la traduction en vers espagnols de l’Aminte du Tasse. Il la dédia à don Fernando Enriquez de Ribera, duc d’Alcalá. Cette traduction, qu’il remania plus tard, est son meilleur titre. On peut dire que jamais traducteur ne fut plus heureusement inspiré. L’Aminte espagnole est en tout digne de l’Aminte italienne. Cette œuvre mit le sceau à la réputation de Jauregui. À son retour en Espagne, il fut très-bien accueilli à la cour : et il ne tarda pas à être nommé chevalier de l’ordre militaire de Calatrava. Il eut aussi quelques années après la charge de premier écuyer de la reine Élisabeth de Bourbon, première femme de Philippe IV. On ne sait si ce fut à cette époque ou avant son départ pour l’Italie qu’il fit le portrait de Cervantes, dont il est question dans la préface des Nouvelles morales (Novelas ejemplares). La dédicace des Nouvelles au comte de Lémos est de 1613 (13 juillet) ; et il y a grande apparence que ce fut à Madrid, après son retour d’Italie, que Juan de Jaúregui eut occasion de lier ou de renouer connaissance avec Cervantes, car il avait pu le connaître pendant son séjour à Séville. Ce portrait s’est perdu ; mais on peut croire, d’après la description si précise de Cervantes que le portrait que l’on conserve encore aujourd’hui à Madrid, dans les collections de l’académie espagnole, est une copie de celui de Jaúregui. Il est vrai qu’on ne peut que faire des conjectures à ce sujet, car on suppose, non sans vraisemblance, que le peintre Pacheco avait fait aussi le portrait de Cervantes. En 1618, Jaúregui publiait à Séville une nouvelle édition de sa traduction de l’Aminte, différente en tout de la première. Sedano, qui a eu les deux éditions sous les yeux, en a donné une bonne description dans la notice qui est à la fin du tome Ier de son Parnasse espagnol (p. xxiii). Notre poëte ne tarda pas à reparaître à la cour. Il était positivement à Madrid en 1624, pour la publication de son Orphée, poëme en cinq chants sur ce héros de l’antique mythologie. Malgré ses défauts, l’Orfeo de Jaúregui eut un grand succès. Montalvan, disciple dévoué de Lope de Vega, traita le même sujet, par une rivalité puérile, et réussit également. Jaúregui mourut à Madrid en 1640, au moment où il mettait la dernière main à une paraphrase ou traduction libre de la Pharsale. Cet artiste, doublé d’un poëte, était d’un caractère très-vif, et prenait aisément feu dans les disputes littéraires. Il eut des démêlés avec Quevedo, et notamment avec Góngora, dont il se déclara l’adversaire. Mais lui-même n’était point exempt de gongorisme, et son imitation de la Pharsale est en tout digne de l’école de Góngora. Ses poésies lyriques sont très-remarquables et valent infiniment mieux que ses sonnets. Disciple des poëtes italiens, Jaúregui portait dans la poésie quelque chose de son talent de peintre. Ses descriptions et ses paysages se distinguent par un sentiment vrai de la réalité. « Rimas, » Séville, 1618, in-4. Cervantes a loué dignement la traduction d’Aminte, qu’il met à côté de celle du Pastor fido, par Suarez de Figueroa. Dans la littérature militante de son temps, Jaúregui joua un rôle analogue à celui des deux frères Argensola, de Quevedo et du prince d’Esquilache. La Pharsale ne fut imprimée qu’en 1684. Il est à remarquer que Jaúregui, après avoir attaqué Góngora, dans une espèce de discours critique, « Discurso poético contra el hablar culto y oscuro, » qui n’est autre chose qu’une satire littéraire très-vive, se crut obligé de faire l’apologie de Fray Hortensio Félix Paravicino (Madrid, 1625, in-4), à l’occasion de l’oraison funèbre de Philippe III par ce détestable prédicateur, le vrai corrupteur de l’éloquence sacrée en Espagne.


Justiniano, ou mieux, suivant l’orthographe italienne, Giustiniano ; nom d’une des plus illustres familles de Gênes, qui comptait deux doges, Alexandre et Lucas Giustiniano. Un fils de ce dernier, don Lorenzo Giustiniano, fixa sa résidence en Espagne, et se maria à Madrid. C’est apparemment de lui que Cervantes a voulu parler. Il devait être de ses amis.

L

Laso de la Vega (Gabriel), né à Madrid en 1559. On a pu déterminer la date de sa naissance d’après un portrait qui figure en tête de son poëme sur Fernand Cortés. La légende de ce portrait donne vingt-neuf ans au poëte, et la première édition du poëme est de l’année 1588. Laso de la Vega était d’une noble famille, et allié à l’illustre maison des comtes de Puerto Llano. Reçu à la cour et fort en faveur sous les rois Philippe II et Philippe III, il consacrait ses loisirs à la poésie. Il s’essaya dans les genres dramatique, épique et lyrique. Suivant l’exemple d’Alonso de Ercilla, il chanta la conquête du Mexique : « Cortés Valeroso, » Madrid, 1588, in-4. Cette première partie du poëme était dédiée au conquérant lui-même. Gabriel Laso compléta son œuvre et la publia sous un nouveau titre : « La Mexicana ; » Madrid, 1594, in-8. C’est surtout dans cette seconde édition que Laso de la Vega montre le désir de rivaliser avec l’auteur de l’Araucana. Sous le titre de « Manojuelo, » Gabriel Laso publia en 1587 (Alcalá, in-8) la première partie d’un recueil de romances et autres poésies. Ce recueil, considérablement augmenté, fut réimprimé quatorze ans après : « Manojuelo de Romances nuevos y otras obras ; » Barcelone, 1601, in-16. Cette seconde édition est dédiée à don Hieronymo Arias Davila Virués. Laso de la Vega a inséré aussi un assez grand nombre de romances très-jolies dans un ouvrage en prose d’un caractère sérieux et d’un grand mérite : « Elogios en loor de los tres famosos varones don Jayme, Rey de Aragon, don Fernando Cortés marques del Valle, y don Alvaro Bazan, marqués de Santa Cruz ; » Saragosse, 1601, in-8. Parmi les petites pièces de vers de ce poëte, on remarque surtout celles du genre burlesque.


Ledesma (Alonso de), né à Ségovie en 1552, mort en 1623 (les éditeurs de la traduction espagnole de Ticknor donnent 1562 pour la naissance et 1632 pour le décès), est célèbre pour avoir corrompu le style de la poésie religieuse. Il peut être regardé comme le chef ou du moins comme le représentant le plus autorisé de la détestable école des « Conceptistas, » poëtes raffinés qui recherchaient les métaphores et le langage allégorique et figuré. Il publia en 1600, sous le titre de « Conceptos espirituales, » un volume de vers qui fut six fois réimprimé de son vivant. Ce recueil est en trois parties, qui parurent successivement en 1600, 1606 et 1616. Ces vers « á lo divino » sont un pur galimatias. Ledesma faisait, comme on dit aujourd’hui, « du divin » à sa manière, c’est-à-dire du galimatias pur. Son chef-d’œuvre « El Monstruo imaginado, » Madrid, 1615, in-8, est un défi aux commentateurs les plus pénétrants. Ledesma avec son jargon et ses prétentions au mysticisme était fort libre dans ses propos, et il lâchait volontiers la bride à son imagination dans des sujets d’une moralité équivoque. Aussi l’inquisition mit-elle à l’index quelques-unes de ses pièces de vers. Ledesma avait pourtant un vrai talent de poëte ; mais son goût était perverti. Il eut de nombreux partisans parmi les prédicateurs et les écrivains mystiques. On a encore de lui : « Epigramas y geroglificos á la vida de Christo, festividades de Na Sa, excelencias de los Santos y grandezas de Segovia, » Madrid, 1625, in-12. La 3e partie de ses « Conceptos espirituales, » celle-là même qui a été prohibée porte ce titre : « Juegos de Noche buena moralizados á la vida de Christo, martyrios de Santos, y reformacion de costumbres, con unos enigmas hechos para honesta recreacion, » Barcelone, 1611, in-8. Elle est très-rare. « Epitome de la vida de Cristo, » Ségovie, 1619. C’est une vie de Jésus en discours métaphoriques, autrement dit en énigmes indéchiffrables.


Leiva (don Sancho Martinez de), qu’il ne faut pas confondre avec deux auteurs dramatiques de ce nom, contemporains de Calderon, était d’une naissance illustre. Il fut le premier comte de Baños et seigneur de Leiva. Entré jeune au service, il était mestre de camp en 1588. Il jouissait d’une grande considération auprès des gouverneurs des Pays-Bas, et d’une grande popularité parmi ses troupes. Il prit part aux deux expéditions du duc de Parme contre la France, en 1591 et 1592. Il fut nommé successivement capitaine général de la flotte de Naples, chevalier de Saint-Jacques et commandeur d’Alcuesca. Il cultivait la poésie. Alvarez y Baena cite un sonnet de lui, écrit à l’occasion d’un livre de Fernando Matute : « Triunfo de desengaños. » Lope de Vega n’a pas loué ce grand seigneur dans son « Laurier d’Apollon, » où il y a des louanges pour tout le monde.


Lobo (Francisco Rodriguez), célèbre poëte portugais, né à Leiria. Esprit grave et méditatif, il s’appliqua à l’étude de la politique et de la philosophie, et se prépara à la poésie par une immense lecture. Il était fort érudit. Sa famille était riche et considérée, et des plus nobles du Portugal. Appelé par sa naissance autant que par sa capacité à remplir les plus hauts emplois, Rodriguez Lobo préféra aux honneurs et aux grandes places, la vie tranquille des champs, et il se confina dans une retraite studieuse. Sa carrière fut rompue par une mort soudaine. Lobo se noya dans le Tage, en faisant le trajet de Santarem à Lisbonne. Un bel esprit composa à cette occasion une pièce de vers très-ingénieuse, qui est rapportée intégralement dans la Bibliothèque portugaise de Barbosa. Il faut en reproduire ici un fragment. Le poëte s’adresse au Tage et lui reproche la mort de Lobo, en lui faisant grâce toutefois parce que son corps a été rendu à la terre :

« Pomposa tumba de cristal le diste;
Quanto en su vida célebre viviste,
Vivirás infamado por su muerte.
Á quien en sus escritos te dilata
Vida gloriosa, tu el vivir limitas;
Infame vive quien ingrato mata.
Mas noble vuelves lo que infausto quitas,
Que son tus olas láminas de plata,
Dó sus memorias viviran escritas.
 »

Francisco Rodriguez Lobo, sans rival dans le genre bucolique, excellait surtout aux peintures de la vie pastorale. Il avait un sentiment très-vif des harmonies de la nature. Ses personnages et ses paysages sont réellement vivants. Comme il ne recherchait point les louanges et qu’il était poëte par vocation, car il semble, a dit de lui le judicieux Nicolas Antonio, qu’il fût expressément né pour servir les muses, il reçut l’hommage spontané de ses contemporains les plus illustres par le talent poétique. Lope de Vega lui a payé un juste tribut d’admiration dans son « Laurier d’Apollon. » Deux critiques portugais, qui écrivaient en vers latins, Antonio Figueira Duraô et Antonio daos Reys ont célébré à l’envi la gloire du grand poëte. Le premier lui a consacré ces quatre vers :

Hunc urbana Lupum décorat facundia tantum,
Tantusque aspergit singula verba lepos,
Ut si ipsos superos audiret musa canentes,
Istius alloquium crederet esse Lupi.

Le second, dans son poëme sur l’enthousiasme poétique, c’est-à-dire l’inspiration, s’exprime ainsi :

Tuque, Lupe, insontum quondam celebrator amorum
Qui tenues rivi Lis Lenaque flumina ducunt,
Laurea pro meritis ab Apolline serta tulisti.

Lorenzo Gracian, dans son « Criticon, » dit excellemment : « Este si, que será eterno, y mostró un libro pequeño; miradle y leedle, que es la Corte en Aldea del Portuguez Lobo. » Manuel de Faria et Souza, bon juge en poésie, n’hésite pas à le proclamer le premier des poëtes espagnols qui ont cultivé le genre pastoral : « Escrivió muchas églogas, y en aquel modo rústico es el mejor de España. » Ailleurs, il le met au-dessus de Théocrite. Tous ces éloges sont peut-être exagérés, les critiques portugais sont immodérés dans le panégyrique ; mais en rabattant ce qu’il faut de toutes ces louanges, Lobo reste un poëte hors ligne. On a de lui : « Corte na Aldeya, e noutes de inverno, » Lisbonne, 1630, in-4 ; traduit en espagnol par J. B. Morales, Montilla, 1632, in-8. — « Primavera, primeira parte, » Lisbonne, 1601, in-4 ; traduit par le même Morales, Montilla, 1629, in-8. — « Pastor peregrino, segunda parte da Primavera, » Lisbonne, 1608, in-4. — « O desenganado ; terceira parte da Primavera, » Lisbonne, 1614, in-4. — « O condestable de Portugal, D. Nuno Alvarez Pereira, » Lisbonne, 1610, in-4. — « Eglogas pastoris », Lisbonne, 1606, in-4. — « Romances » (1re et 2e partie), Coimbre, 1596, in-16. — « La Jornada que la magestad catholica del Rey Felipe Tercero hizo al Reyno de Portugal y el triunfo y pompa con que le recibió la insigne Ciudad de Lisboa, compuesta en varios romances, » Lisbonne, 1623, in-4. Tout cela fut réimprimé à Lisbonne en un volume in-folio (1723). On a encore de Lobo une élégie au Saint-Sacrement de l’église de Porto, Lisbonne, 1614, in-4. « Auto del nacimiento de Christo y Edicto del Emperador Augusto César, » Lisbonne, 1676, in-4. — « Historia da Arvore Triste, » en 196 octaves.


Lodeña ou Ludeña (Fernando de), gentilhomme, né à Madrid vers la fin du seizième siècle, descendait par sa mère de l’illustre maison de Barrionuevo. Il entra au service et fournit brillamment sa carrière. En 1623, sous Philippe IV, il était capitaine d’infanterie. Il fut chevalier de Saint-Jacques en 1631, et mourut subitement dans une église, en 1634, dans toute la force de l’âge. Ludeña cultivait avec succès les lettres et la poésie ; il tournait fort bien les vers burlesques. Il a laissé quelques comédies et intermèdes. Voici le jugement de Juan Perez de Montalvan sur ce poëte soldat : « Don Fernando de Ludeña, ingenioso y bizarro poeta, ha escrito y escrive comedias con aprovacion, y particularmente los versos de burlas con mucha sal, como se ha visto en sus sazonadísimos bayles y entremeses. » Don Fernando de Ludeña est l’auteur d’un joli sonnet qui orne le frontispice des Nouvelles de Cervantes. V. le 35e vol. de la collection Rivadeneyra, p. 400.


Lofraso (Antonio de), né en Sardaigne, suivit la carrière des armes et eut le tort d’être un méchant auteur. De tous les poëtes qui sont nominativement désignés dans le Voyage au Parnasse, il est à coup sûr le plus maltraité. Lofraso, tenté par le succès des nouvelles pastorales que la Diana de Jorge de Montemayor avait mises à la mode, publia en 1573, à Barcelone, un gros volume, avec ce titre : « Los diez libros de Fortuna de Amor. » Ce titre n’est pas moins ridicule que l’ouvrage, dont le sujet, au dire de l’auteur, devait être l’histoire des « honnêtes et pacifiques amours du berger Frexano et de la belle bergère Fortune », los honestos y apacibles amores del pastor Frexano y de la hermosa pastora Fortuna. L’auteur en personne figurait dans ce roman, qui est un mélange de prose et de vers, sous le nom de Frexano, équivalent de son propre nom. Lofraso, dans le dialecte sarde, signifie frêne. L’ouvrage, dédié au comte de Quirra se termine par une pièce de vers en tercets, intitulée : « Testament de l’Amour, » Testamento de Amor. En mettant à la suite les unes des autres les initiales des 168 vers qui font ensemble les 56 tercets, on trouve cette phrase : « Antony de Lofraso sart de Lalguer me feyct estant en Barselona en l’any myl y sinco sents setanta y dos per dar fy al present lybre de fortuna de Amor compost per servysy de l’ylustre y my senor conte de Quirra », c’est-à-dire : « C’est l’ouvrage d’Antony de Lofraso, né à Larguer en Sardaigne, résidant à Barcelone, en 1572, pour terminer le présent livre de la fortune d’Amour, écrit en l’honneur de l’illustre comte de Quirra, mon maître. » Cette attestation puérile peut donner une idée du talent et du goût de Lofraso. Cervantes, dans l’examen des livres de la bibliothèque de don Quichotte n’a pas manqué de louer ironiquement l’insipide roman du poëte sarde. « Por las órdenes que recebi, dijo el Cura, que desde que Apolo fué Apolo y las musas musas, y los poetas poetas, tan gracioso ni tan disparatado libro como ese no se ha compuesto, y que por su camino es el mejor y el mas único de cuantos deste género han salido á la luz del mundo, y el que no le ha leido, puede hacer cuenta que no ha leido jamás cosa de gusto. Dádmele acá, compadre, que précio mas haberle hallado que si me dieran una sotana de raja de Florencia. » En effet, ce livre, unique en son genre, est amusant à force d’être extravagant et absurde ; et le curé s’explique on ne peut mieux sur son compte. Cependant quelqu’un s’est trouvé qui a pris au pied de la lettre ces compliments ironiques. Un maître de langue espagnole en Angleterre, nommé Pedro de Pineda, commentant à sa façon ce passage de Cervantes, donna en 1740, à Londres, une nouvelle édition de la pastorale de Lofraso, en deux magnifiques volumes, et il en fit un pompeux éloge, en invoquant l’autorité de Cervantes. Le roman de Lofraso n’est pas seulement un détestable livre, il donne encore une assez pauvre idée du caractère de l’auteur, qui prodiguait les flatteries les plus plates aux grands personnages dont il attendait quelque récompense. Le lecteur a dû remarquer qu’il est trois fois question de ce méchant auteur dans le Voyage au Parnasse. Lofraso enrégimenté d’abord dans l’armée d’Apollon, finit par passer à l’ennemi.


Lopez del Valle (Juan). Il se peut que Cervantes ait désigné sous ce pseudonyme son professeur d’humanités, Juan Lopez de Hoyos, né à Madrid dans le premier quart du seizième siècle, très-connu de ses contemporains comme prédicateur. Il professait la rhétorique et les belles-lettres dans un établissement célèbre « El Estudio, » qui fut ruiné dès que le monopole de l’instruction publique appartint aux jésuites. Cervantes avait fait ses premiers débuts poétiques sous ce maître habile, dont il était l’élève de prédilection, « nuestro caro y amado discipulo. » Lopez de Hoyos était curé de la paroisse Saint-André en 1580. On suppose qu’il mourut en 1583. On a de lui : « Relation de la muerte y honras fúnebres del serenísimo Principe don Carlos, » Madrid, 1568, in-8. — « Historia y relacion verdadera de la enfermedad y felicísimo tránsito, y suntuosas Exéquias fúnebres de la serenissima Reyna de España, doña Isabel de Valois, nuestra señora, con sermones, letras, » T., Madrid, 1569, in-8. — « Recibimiento que hizo la villa de Madrid *a la señora Reyna doña Ana de Austria, el parto de la Reyna y solemne bautismo del Principe don Fernando ; » Madrid, 1572, in-8. — « Declaration de las armas de Madrid, y algunas antiquedades, » mss. Je n’ai rien trouve dans les bibliographes sur Juan Lopez del Valle.

M

Maluenda (el abad). Il n’est pas probable que Cervantes ait parlé dans son Voyage au Parnasse du grand théologien Thomas de Maluenda, de l’ordre de Saint-Dominique, un des luminaires de la théologie au seizième siècle. Cependant il ne faut pas oublier que Cervantes était l’obligé de l’archevêque de Tolède, Bernardo de Sandoval y Rojas, et que Maluenda devait beaucoup à cet excellent prélat. Thomas de Maluenda, né en 1566 dans une petite ville du royaume de Valence, mourut en 1628. Il ne faut pas le confondre avec fray Luis de Maluenda, franciscain suspect d’hérésie, et dont un ouvrage singulier « Lac fidei pro principe christiano, » fut prohibé par l’Inquisition d’Espagne. Thomas de Maluenda, auteur de nombreux commentaires de l’Écriture et d’ouvrages théologiques, n’a écrit en espagnol qu’un petit volume : « Vida y canonizacion de san Pedro martir, » Saragosse, 1613, in-8. Voir le catalogue de ses écrits dans la Bibliotheca nova de Nicolas Antonio. — Peut-être que Cervantes a voulu payer un juste tribut d’éloges à Jacinto Alonso Maluenda, poëte facétieux, né à Valence, auteur de quelques bonnes comédies, et de quelques pièces burlesques : « Tropezon de la Risa, » « El Bureo de las musas del Turia, y las cosquillas del gusto, » Valence, 1631, in-8. Dans ce recueil, il y a quelques poésies en dialecte valencien. Jacinto Maluenda était un esprit facile, élégant, très-enclin à la satire ; il saisissait et frondait à merveille les ridicules. On lui attribue encore une espèce de satire morale : « Bayles satiricos contra las depravadas costumbres de los hombres. » On ne sait pas si cet ouvrage fut imprimé. Onofre Ezquerdo prétend que cette satire exerça une salutaire influence sur les mœurs de la société valencienne.


Mantuano (Pedro) fut un des savants hommes de son siècle. Dès son enfance il fut attaché à la maison du connétable de Castille, et élevé avec don Juan Fernandez de Velasco. Il passa une partie de sa jeunesse en Italie, et composa à Milan son premier ouvrage : « Advertencias á la historia del P. Juan de Mariana, » imprimé en 1607. D’après Alvarez Baena, le célèbre jésuite répondit aigrement aux observations de Mantuano, le 19 septembre 1608, dans un écrit ayant pour titre : « Respuesta á las notas que se imprimieron contra la historia del Dr Juan de Mariana. » Mais la dispute ne s’engagea en réalité qu’entre Mantuano et le savant polygraphe, Tomas Tamayo de Vargas. Celui-ci prit d’office la défense de Mariana, probablement sans l’assentiment de ce dernier. Mariana profita d’ailleurs des critiques de son contradicteur, et rectifia de nombreux passages de son histoire générale d’Espagne, dans l’édition qu’il en donna en 1608. Mantuano reprit l’offensive dans une nouvelle censure intitulée : « Aviso o censura de la respuesta, » sous le pseudonyme assez transparent de « Juan de Aragon, esclavo del condestable, y Barrendero de su estudio. » Cette nouvelle critique fut réimprimée avec la première en 1631, à Milan, et non à Valladolid. Revus et remaniés, ces deux pamphlets littéraires parurent à Madrid en 1613, in-4. Pedro Mantuano avoue, non sans orgueil, qu’il n’avait que vingt-six ans, lorsqu’il osa attaquer l’autorité généralement respectée du P. Mariana. En 1618 il publia à Madrid la relation du double mariage du roi de France avec l’infante d’Espagne, et du prince des Asturies avec Madame, sœur de Louis XIII : « Casamientos de España y Francia, y Viaje del Duque de Lerma. » En 1611 il avait donné à Milan, en un volume in-folio, une édition d’un ouvrage généalogique de la maison des Velasco par son maître, le connétable. Mort en 1656.


Medinilla (Baltasar Elisio de), qu’il ne faut pas confondre avec son homonyme, Pedro de Medina Medinilla, naquit à Tolède en 1585. D’un talent précoce, il cultiva la poésie dès sa première jeunesse et prit pour modèle Lope de Vega, dont il fut l’ami intime et le disciple fidèle. Il mourut assassiné, étant encore jeune ; et l’on a soupçonné Moreto, le célèbre auteur dramatique, d’avoir trempé dans ce meurtre. Ticknor n’accepte point cette conjecture de don Eugenio de Ochoa. L’éloge que Lope de Vega a consacré à ce poëte, moissonné dans sa fleur, est touchant et semble avoir été inspiré par une affection profonde. Medinilla n’avait que trente-deux ans, lorsqu’il termina son poëme sur la Conception de la Vierge, « Limpia Concepcion de la Virgen nuestra señora. » Madrid, 1618, in-8. C’est un poëme en octaves,

Cantó la Concepcion en alto estilo,

dit Lope. Il avait écrit d’autres ouvrages en vers et en prose, qui n’ont pas été imprimés, et dont la liste a été donnée par Nicolas Antonio. Sedano a inséré dans le tome IXe de son recueil poétique (p. 354) une épitre de Baltasar Elisio de Medinilla à Lope de Vega, qui est une espèce de confession ou qui contient du moins des confidences voilées sur la vie intime du poëte, et à la suite une belle élégie de Lope de Vega sur la mort prématurée de son ami (p. 360). Dans cette élégie, qui est vraiment éloquente, on remarque ce beau vers :

« Tu vida fué un discurso honesto y santo. »

Et les deux suivants :

« Desdichada y dichosa fue tu estrella
En darte corta vida y larga vida.
 »


Medinilla (Pedro de Medina), né à Madrid, d’après Alvarez y Baena, à Séville, d’après Varflora, qui s’appuie sur le témoignage de Lope de Vega. Celui-ci le range en effet dans le « Laurier d’Apollon » (Silva II), parmi les poëtes sévillans, et l’appelle « poeta celeberrimo de España. » Pedro de Medina Medinilla était l’ami intime de Lope de Vega ; on a de lui une églogue touchante sur la mort de la première femme du fécond dramaturge, doña Isabel de Urbina. Sedano loue cette églogue avec exagération (Parnaso español, tom. VII, p. X de l’appendice). C’est à peu près tout ce que l’on connaît de la vie de ce poëte. Medinilla suivit la carrière militaire et passa en Amérique les dernières années de sa vie. Il dut mourir jeune. Ses poésies se trouvent dans les œuvres mêlées de Lope de Vega. Medinilla était si bien de l’école de Lope qu’il serait difficile, sans le nom de l’auteur, de distinguer ses poésies de celles de son maître. « Pedro Medina de Medinilla escrivió con mucha opinion versos en su tiempo. » Cette phrase de Montalvan confirme l’opinion des bibliographes qui font naître ce poëte à Madrid.


Mejia (Diego), né à Séville, se distingua dans la magistrature. Il fut conseiller à la cour de la Ciudad de los Reyes, au Pérou. Ayant quitté l’Espagne en 1596 pour aller prendre possession de sa place, il fit naufrage sur les côtes d’Amérique, et fut obligé de poursuivre sa route à travers des pays incultes. Chemin faisant, il avait pu se procurer un Ovide ; et à son arrivée à Temixtitlan (Mexique), il se trouva avoir traduit quatorze épitres du poëte latin. Il acheva sa traduction à Mexico et la fit imprimer à Séville. Il préféra le tercet « por parecerme, dit-il, que esta clase de rimas corresponde con el verso elegíaco latino, » opinion fort contestable et tout opposée à celle de Villegas, excellent poëte et traducteur des anciens poëtes grecs et latins. Ce que Mejia appelait les prémices de son génie poétique « primicias de mi pobre musa, » forme un volume qui parut sous ce titre : « Parnaso antártico. » Séville, 1608, in-4. Ce qu’il y a de plus curieux dans ce recueil, très-estimable d’ailleurs, c’est une épitre en vers adressée à Mejia par une dame américaine, contenant beaucoup de notices sur les poëtes de l’Amérique espagnole. C’est cette épitre qui a motivé le titre du recueil.

Il est difficile de savoir si c’est de Diego Mejia précisément qu’il est question dans le Voyage au Parnasse. Un Rodrigo Mejia fut témoin de Cervantes, lors de son mariage. Un autre Mejia est cité parmi les auteurs dramatiques les plus estimés par Agustin de Rojas, avec le titre de licencié. Juan Perez de Montalban parle en ces termes d’un autre homonyme : « Don Pedro Mejia de Tobar, hijo del conde de Molina poeta natural, agudo y sentencioso, hace en todos metros dulcísimos versos, y tiene acabada una comedia de linda traza y mejores copias. »


Mendoza (Antonio de), homme de cour et poëte distingué dans presque tous les genres, cultiva spécialement le théâtre et la poésie lyrique. Il fut le collaborateur de Quevedo Villegas et d’autres auteurs dramatiques à la mode dans une pièce que le comte-duc d’Olivarès fit représenter à l’occasion d’une fête qu’il donna à la famille royale le 21 juin 1631, et dont Mendoza lui-même a laissé une relation très-exacte dans le recueil de ses œuvres poétiques. Il travailla beaucoup pour la cour de 1623 à 1643. Dans toutes ses compositions, il s’appliquait à faire revivre les vieilles traditions nationales, notamment dans la Celestina et dans ses nombreuses romances. Quelques-unes de ses poésies lyriques sont adressées aux principaux personnages du temps. Parmi ses comédies, on estime beaucoup celle qui a pour titre : « Mas merece quien mas ama » dont l’idée a peut-être inspiré à Moreto un des chefs-d’œuvre du théâtre espagnol : « El Desden con el desden. » On cite encore deux autres pièces de Mendoza : « El trato muda costumbre » et « Amor con amor se paga. » Cette dernière comédie fut jouée à la cour par les dames d’honneur de la reine. On a de lui une vie de la Vierge, « Vida de nuestra señora Maria Santisima, » ouvrage posthume, imprimé à Naples en 1672, in-8. ; une églogue dédiée à doña Maria Coloma, dame d’honneur de la reine, en 1658. Antonio de Mendoza, qui n’appartenait point à l’illustre famille des Hurtado de Mendoza, était chevalier de l’ordre militaire de Saint-Jacques et commandeur de Zurita. Le recueil de ses œuvres ne lut publié que longtemps après sa mort, d’après un manuscrit appartenant à l’archevêque de Lisbonne, Luis de Sousa, avec ce titre ridiculement emphatique : « El fenix Castellano, don Antonio de Mendoza, renacido. » Lisbonne, 1690, in-4. Voici l’éloge de Mendoza, par Juan Perez de Montalvan : « Don Antonio de Mendoza, sino el primero, es de los de la primera clase en este exercicio, como lo confirman tantos aplausos repetidos en los teatros. » (Memoria de los que escriven comedias en Castilla.) Il devait être fort jeune en 1613, lorsque Cervantes écrivait son Voyage au Parnasse.


Mendoza (Lorenzo de), né à Sezimbra, en Portugal, dans le patriarcat de Lisbonne, fut expulsé de la compagnie de Jésus dont il était depuis l’âge de dix-sept ans (13 août 1602). Il cultivait avec succès les belles-lettres. Après avoir rempli les fonctions de juge au tribunal du légat apostolique, il devint évêque de Rio Janeiro. Lorsque Jean IV fut nommé roi de Portugal, Mendoza passa aux Castillans, et reçut la récompense de sa trahison. Il fut nommé commissaire du Saint-Office de la ville impériale de Potosí. On a de lui une supplique remarquable au roi d’Espagne pour revendiquer les droits des Portugais à résider dans les villes du nouveau monde, au même titre que les Castillans et les Navarrais. Madrid, 1630, in-4.


Mesa (Christobal de). On ne sait absolument rien de ce poëte remarquable, en dehors des quelques particularités qu’il a lui-même consignées dans ses écrits. Il était de Zafra, en Extramadure : il dut naître dans la seconde moitié du seizième siècle, car il était déjà connu avant la mort de Philippe II. Il eut pour compagnons d’études, dans sa jeunesse, Fernando de Herrera, le rival de Fray Luis de Léon dans la haute poésie lyrique, et l’ingénieux écrivain Luis Barahona de Soto ; il suivit aussi les leçons du célèbre humaniste Francisco Sanchez de las Brozas, auteur de la méthode latine Minerva Sanctii et d’un commentaire très-estimé des poésies de Garcilaso. Par conséquent, notre poëte fit une partie de ses études en l’université de Salamanque, où Francisco Sanchez professait avec éclat. Comme Christobal de Mesa était né sans fortune, il alla chercher une position en Italie. Il séjourna longtemps à Rome et y connut familièrement le Tasse. La méthode de Mesa dans ses poésies et son système de versification annoncent une étude approfondie des poètes italiens : aussi appartenait-il à l’école de Boscan et de Garcilaso. Christobal de Mesa passa cinq années en Italie. À son retour en Espagne, il se trouva sans ressources, et qui pis est, sans profession ; car la poésie l’avait détourné de l’étude du droit, à laquelle il s’était d’abord livré. On ne sait précisément si ce fut à cette époque qu’il embrassa la carrière ecclésiastique. Ce qui est certain, c’est qu’il ne gagna rien au métier de solliciteur, et qu’il ne réussit pas à se faire inscrire sur la liste des beaux esprits qui eurent le privilège envié de suivre le comte de Lémos dans sa vice-royauté de Naples. Il avait pourtant écrit à ce puissant seigneur, avant son départ pour aller prendre possession, une fort belle épitre, grâce à laquelle nous connaissons quelques particularités de la vie de notre auteur. On peut conjecturer avec quelque vraisemblance que sa mort arriva vers 1620. Son dernier ouvrage porte la date de 1618. Christobal de Mesa était un esprit facile et très-fécond. Il débuta par la poésie épique ; on a de lui trois grands poëmes, qui, à défaut d’un rare mérite, ont du moins celui de célébrer des souvenirs nationaux : « Las Navas de Tolosa. » Madrid, 1594, in-8 ; « La Restauracion de España. » Madrid, 1607, in-8 ; « El Patron de España. » Madrid, 1611, in-8. Le premier de ces poëmes est en trente chants, le second en a dix ; le troisième est divisé en six livres. Tous ces poëmes, en octaves, sont dédiés à Philippe III. Christobal de Mesa avait mis à profit les savantes leçons de l’humaniste Sanchez. Il savait à fond les deux langues classiques, et il mit sa facilité de rimeur au service des grands modèles de l’antiquité classique. On estime beaucoup sa traduction de l’Énéide (Madrid, 1615, in-12) et celle des Églogues (Madrid, 1618, in-8). On regrette seulement qu’il ait adopté pour ses traductions le même système qu’il avait suivi pour ses poëmes épiques. Virgile traduit en ottava rima, c’est presque un contre-sens. Mais Christobal de Mesa était rivé à cette forme de la poésie italienne ; et il s’en était servi aussi pour traduire l’Iliade. Cette dernière traduction n’a jamais vu le jour ; mais nous la connaissons par les nouvelles qu’en a données le diligent et très curieux investigateur, Tomas Tamayo de Vargas. On s’accorde à reconnaître que sa tragédie de « Pompeyo, » publiée en même temps que sa traduction des Églogues, est détestable. Ses poésies diverses parurent en 1611, à Madrid, sous ce titre : « Rimas de Cristóbal de Mesa. » Il faut joindre à ce recueil très-varié et fort intéressant une cinquantaine de sonnets qui furent publiés en 1618, avec sa traduction des géorgiques et des églogues. Quoi qu’en ait dit Christobal de Mesa, il n’était point un disciple de Herrera, qu’il avoue pourtant avoir pris pour modèle.


Mestanza (Juan de), poëte andalous, de la fin du seizième siècle, loué en ces termes par Cervantes dans le chant de Calliope :

Y tu, que al patrio Betis has tenido
Lleno de envidia y con razon quejoso
De que otro cielo y otra tierra han sido
Testigos de tu canto mumeroso
Alégrate, que el nombre esclarecido
Tuyo, Juan de Mestanza generoso,
Sin segundo será por todo el suelo
Mientras diere su luz el cuarto cielo.

Cette promesse d’immortalité ne s’est point réalisée, et sans l’amitié de Cervantes, Mestanza serait aujourd’hui entièrement inconnu.


Mira de Mescua (Antonio), né à Guadix, dans la province de Grenade, vers la fin du seizième siècle, fut un des plus célèbres poëtes dramatiques du règne de Philippe III. Il était prêtre. Dans sa jeunesse, il obtint une riche prébende dans la cathédrale de sa ville natale. Mais ce chanoine ne tenait point à la résidence, et en 1610, il était à Naples, auprès du vice-roi, le comte de Lémos. En 1620, il remporta à Madrid un prix de poésie, dans un concours public. Il mourut chapelain du roi Philippe IV. Les poésies de Mira de Mescua n’ont pas été réunies ; elles sont éparses dans les publications du temps. Ses comédies se trouvent en partie dans la grande collection « Comedias escogidas. » Quoique ecclésiastique, Mira de Mescua fut censuré plusieurs fois par l’inquisition. Quelques-unes de ses pièces furent prohibées, d’autres ne furent permises qu’après des corrections infinies. Mira de Mescua excellait également dans la comédie et dans les mystères, autrement dit autos sacramentales. Il a eu l’honneur d’avoir pour imitateurs trois poëtes dramatiques de premier ordre : Moreto, Alarcon et Calderon. Son Palacio confuso a servi de modèle à Corneille pour la pièce intitulée : « Don Sanche d’Aragon. » Mescua traitait volontiers dans ses comédies des sujets empruntés à la tradition ou à l’histoire nationale. Juan Perez de Montalban en parle en ces termes. « El doctor don Antonio de Mira de Amescua, gran maestro deste nobilisimo y cientifico arte, asi en lo divino como en lo humano; pues con eminencia singular logra los autos sacramentales y acierta las comedias humanas. »


Mola (Bartolomé), Valencien ou Catalan, d’après son nom. Je n’ai rien trouvé dans les bibliographes catalans, valenciens et aragonais, sur ce personnage.


Monroy (Antonio de), né à Plasencia. On ne connaît de lui qu’un sonnet de circonstance en l’honneur de don Martin Carrillo, prosateur aragonais, auteur de plusieurs ouvrages historiques. Il y a eu vers le milieu du dix-septième siècle un dramaturge de ce nom. Le chanoine Navarrete, dans son apologie pour la comédie : « Defensa de las comedias, » cite un auteur dramatique nommé Gonzalo de Monroy. Antonio de Monroy a été loué dans le Laurier d’Apollon :

Ya la real Plasencia
De don Antonio de Monroy blasona,
De cuyo ingenio y conocida ciencia
Sus timbres arma y su blason corona.

Ces vers ne peuvent guère s’appliquer qu’à un personnage considérable.


Montesdoca (Pedro de). Il y a eu un célèbre médecin et un grand théologien de ce nom au seizième siècle ; mais aucun des deux n’avait rien de commun avec Pedro de Montesdoca, né en Andalousie, et connu par l’éloge qu’en a fait Cervantes dans le chant de Calliope :

Este mesmo famoso, insigne valle
Un tiempo al Betis usurpar solia
Un nuevo Homero, á quien podemos dalle
La corona de ingenio y gallardia;
Las gracias le cortaron á su talle,
Y el cielo en todas lo mejor le envia:
Este ya en vuestro Tajo conocido,
Pedro de Montesdoca es su apellido.

C’est à Cervantes que ce nouvel Homère doit de n’être pas aujourd’hui parfaitement oublié. Auteur d’un poëme sur Lima. Loué par Espinel.


Mora (Gerónimo de), né à Saragosse dans la seconde moitié du seizième siècle. Il cultivait avec un égal succès la poésie et la peinture. Son nom figure dans les recueils poétiques du temps. Mora appartenait aux sociétés littéraires les plus distinguées ; il était de l’académie des Nocturnos, fondée par les beaux-esprits de Valence, et qui comptait parmi ses membres le chanoine Francisco de Tarraga, Gaspar de Aguilar, poëtes célèbres, Guillen de Castro et beaucoup d’autres écrivains de mérite. Mora avait pris dans cette académie le surnom de Sereno. Il fut aussi de la fameuse académie de Madrid, qui se tenait chez don Francisco de Silva, et qu’on appelait Salvage, à cause du fondateur, en jouant sur son nom. Dans une autre académie, Mora se nommait Ardiente et avait pour confrères le comte de Salinas, Góngora, Lope de Vega. Pedro Soto de Rojas a donné quelques renseignements sur le peintre et poëte aragonais dans son « Desengaño de amor. » Mora avait laissé un recueil d’œuvres poétiques : « Varios papeles de poesia, » parmi lesquelles étaient trois comédies : « El honrado en la ocasion ; la tragedia de Pilades y Orestes ; la Constante Aragonesa. » Son talent de peintre l’avait désigné pour décorer une partie de l’Escurial et de la résidence royale « la casa de Campo. » Il avait fait une quantité de vers de circonstance. Il y a des pièces de lui fort estimées dans le « Certamen de San Jacinto, » recueil publié par Martel, historiographe de la couronne d’Aragon, et un sonnet très-joli sur la jalousie dans « Flores de poetas ilustres de España, » de Pedro de Espinosa. Mora avait dû connaître Cervantes pendant son séjour à Madrid. Il a été loué dignement par l’historien Andrès et par le marquis de San Felices. Son nom brille à côté de ceux de Pacheco et Jauregui, peintres et poëtes renommés.


Morales (Pedro de), cité dans le « Viage entretenido » d’Agustin de Rojas, était un acteur célèbre qui faisait aussi des comédies. Quevedo, Lope de Vega et beaucoup d’auteurs contemporains en ont parlé avec éloge.

O

Ochoa de la Salde (Juan), qu’il ne faut pas confondre avec trois de ses homonymes, un jurisconsulte, un théologien et un mathématicien, est connu par une histoire anecdotique de l’empereur Charles-Quint : « La Carolea, enchiridion, que trata de la vida y hechos del invictissimo emperador D. Carlos. » L’ouvrage devait avoir deux parties ; la première seule parut à Lisbonne en 1585. On a du même auteur un autre ouvrage historique : « Corónica del esforzado principe y capitan George Castrioto, Rey de Epiro o Albania ; » traduite par lui-même, du portugais en espagnol ; Séville, 1582, in-folio. Ochoa prenait le titre de prieur perpétuel de Saint-Jean de Latran. J’ignore si Juan Ochoa de la Salde est le même que l’auteur dramatique dont Agustin de Rojas a parlé dans son voyage amusant. Le titre de licencié que lui donne Cervantes me persuade que c’est bien de ce savant portugais qu’il s’agit dans le voyage. La Carolea de Ochoa de la Salde n’a rien de commun que le titre avec le long poëme attribué au Valencien Sempere (Valence, 1560, 2 vol. in-12). Le « Carlo-Famoso » de Luis Zapata est un autre poëme sur Charles-Quint.


Oña (Pedro de), tel est le nom du continuateur d’Alonzo de Ercilla, le premier des poëtes épiques de l’Espagne. Malgré ses imperfections, la Araucana est un poëme d’un mérite rare. Voltaire s’en est souvenu dans son Essai sur la poésie épique. Ercilla a fait un récit héroïque de cette guerre mémorable à laquelle il avait lui-même pris une part glorieuse. Il écrivait les événements sous la tente du soldat, entre deux batailles ; aussi excelle-t-il dans la narration des faits d’armes, et comme chantre des combats, il est comparable à Homère. Ercilla, qui était un esprit créateur, avait un noble cœur et une grande âme. Il ne fut pas toutefois assez maître de ses sentiments pour pardonner une injure au général qui commandait l’expédition contre les tribus guerrières de l’Arauco. Don Garcia de Mendoza, marquis de Canete, était un rude guerrier, un représentant accompli de l’inflexible discipline militaire. Croyant à une tentative de rébellion imaginaire, il avait condamné Ercilla, avec un de ses compagnons d’armes, à avoir la tête tranchée. Mieux informé, il révoqua cet arrêt de mort. Mais Ercilla fut implacable, et il se vengea de son chef en ne disant pas un mot de ses actions glorieuses. Le nom de Mendoza ne se trouve point dans les trois parties dont se compose le poëme. Cet oubli volontaire fut peut-être la principale cause des infortunes de Ercilla. Ce grand poëte traîna une vie misérable, et ne fut employé, malgré sa capacité reconnue, que dans des affaires de petite importance, n’occupa jamais que des positions secondaires. Il déplore lui-même, non sans amertume, dans les derniers vers de son poëme, son triste sort, et en homme désabusé, il annonce le dessein de se retirer du monde pour se consacrer tout entier aux exercices de piété. La maison de Mendoza était toute-puissante ; elle avait des auteurs et des poëtes à gages. Dans l’immense répertoire du théâtre espagnol, il y a une méchante pièce, spécialement composée en vue d’exalter, de glorifier les faits et gestes de celui qui n’obtint pas une simple mention d’Ercilla : « Algunas hazañas de las muchas de D. Garcia de Mendoza (1622). » L’auteur supposé de cette misérable production est Luis de Belmonte, bien que des indications suspectes en fassent honneur à la collaboration de trois auteurs dramatiques dont les noms sont restés : Guillen de Castro, Mira de Mescua et Luis Velez de Guevara. Le docteur Suarez de Figueroa a écrit de son côté un panégyrique en un volume pour honorer la mémoire du chef de l’expédition contre les Araucaniens : « Hechos de don Garcia Hurtado de Mendoza, marques de Cañete » (Madrid, 1613, in-4). On prétend, peut-être sans raison, que ce fut dans le même dessein que Pedro de Oña, poëte du Chili, écrivit son poëme intitulé : « Arauco domado. » Ercilla avait chanté la guerre ; Oña chanta la conquête. Son poëme, qui a dix-neuf chants, fut publié en 1596 et n’eut point de succès. Réimprimé une fois seulement, l’auteur le laissa inachevé et tint compte de la leçon que lui avait donnée le public et qu’il méritait bien. La composition froide et extravagante de Oña ne se recommande que par l’exactitude des descriptions et par la vérité du récit des faits accomplis. Par ce côté seulement elle se rapproche de l’Araucane d’Ercilla. Il y a une pièce de Lope de Vega qui porte exactement le même titre et qui semble avoir été inspirée à ce vaniteux et fécond dramaturge par l’envie d’humilier Ercilla. Lope de Vega, poëte courtisan, paya aussi son tribut à la dynastie des Mendoza ; et il fut suivi plus tard par deux autres auteurs dramatiques, Gaspar de Avila et Gonzalez de Bustos. Comme Pedro de Oña était né en Amérique, c’est bien de lui, ce me semble, qu’il est question dans ce passage du Voyage où il est désigné et non pas nommé :

Desde el indio apartado del remoto
Mundo llegó mi amigo Montesdoca,
Y el que anudó de Arauco el nudo roto.

Si j’entends bien ce tercet, le continuateur d’Ercilla arrivait du Nouveau-Monde en même temps que Montesdoca, l’ami de Cervantes. Il s’agit donc de Pedro de Oña et non pas d’un autre continuateur d’Ercilla, qui se nommait Diego de Santisteban y Osorio. Ce poëte était de Léon et avait une véritable vocation pour le poëme épique. Il a chanté en vers héroïques la prise de Rhodes par les chevaliers de Malte. Ce poëme est de l’année 1598, postérieur par conséquent à sa continuation de l’Araucana, qui fut publiée en 1579. Elle est en deux parties et en trente-trois chants. Beaucoup plus estimée que le poëme de Pedro de Oña, elle a été plusieurs fois réimprimée, et magnifiquement en 1733, en un volume in-folio, faisant suite au poëme de Ercilla. Il y a dans cette œuvre, malgré des digressions intempestives, beaucoup d’invention ; mais l’histoire y tient bien plus de place que la poésie, et le récit des faits domine partout. Santisteban, par une inspiration généreuse, s’est complu au récit des exploits d’Ercilla lui-même parmi les Indiens. C’est dans ces épisodes surtout qu’il est intéressant. Cette suite de l’Araucana, d’après la confidence de Santisteban, était une œuvre de sa première jeunesse.


Orense (El maestro), religieux, docteur en théologie, professeur en l’université de Salamanque. Les bibliographes ne m’ont fourni aucun renseignement sur ce théologien.

P

Pamonés ou Pamanés (Pedro Gutierrez), poëte et astronome, florissait à la fin du seizième siècle et au commencement du dix-septième. On a de lui plusieurs compositions poétiques : « Poesía exegética ; Canciones dodecápodes á Nuestra señora de la Victoria en su convento de Málaga ; Fantasía poética ; Batalla entre los Titanes y los Dioses ; » Malaga, 1607, in-8. Il ne faut pas le confondre avec Philippe de Pamanés, né à Valence, auteur d’un ouvrage inédit sur le Pérou.


Paredes (Antonio de), un des bons poëtes de la grande école du seizième siècle ; connu par un recueil de vers publié après sa mort : « Rimas, » Cordoue, 1623, in-8, par les soins de Salvador de Cea Tesa. Il y a dans ce recueil plusieurs sonnets, plusieurs odes traduites ou imitées d’Horace, quelques épitres en tercets, dix-huit romances que M. Gayangos estime assez bonnes, et un fragment de poëme sur Daphné et Apollon, probablement d’après les Métamorphoses d’Ovide.


Pedrosa. Je n’ai rien trouvé dans les ouvrages que j’ai pu consulter. Cervantes nous apprend que ce Pedrosa était un méchant auteur de nouvelles. Il est inutile d’en savoir davantage. Cervantes était juste dans ses jugements, quand il ne se laissait pas aller à son indulgence habituelle.


Perez de Léon (Andres), auteur d’un roman célèbre et détestable, la Picara Justina, désigné par Cervantes, qui a cru sans doute prudent de ne point le nommer à cause de son caractère religieux. C’était un dominicain très-estimé dans son ordre, comme prédicateur et comme écrivain mystique. On a de lui trois ouvrages de dévotion : « Vida de san Raymundo de Peñafort, » Salamanque, 1601, in-8 ; « Sermones de Quaresma, » Valladolid, 1621, in-4 ; « Sermones de los Santos, » Valladolid, 1622, 2 vol. in-4. Comment Fray Andres Perez de Léon fut-il amené à composer un livre profane et d’une révoltante immoralité, c’est ce qu’on ignore. Il prétendait, il est vrai, que la peinture très-crue des vices les plus hideux ne devait servir qu’à redresser les mœurs ; mais le remède était pire que le mal, et la Picara Justina est restée en Espagne le type du mauvais livre. Cet insipide roman, dont le sujet est l’histoire d’une aventurière de bas étage, proche parente de la Célestine, parut en 1605 sous le pseudonyme de Francisco Lopez de Ubeda, à Médina del Campo, in-4. Mayans en a procuré une édition qui passe pour être la meilleure, à Madrid, en 1735, même format. La notice et le jugement de l’éditeur méritent d’être lus. Perez a mis quantité de vers dans son roman, et ce qu’il faut signaler comme une particularité littéraire des plus curieuses, c’est que parmi ce déluge de vers, la plupart détestables, il s’en trouve un assez bon nombre dont le dernier mot est coupé ; de sorte que le sens se devine, d’après le commencement du mot et la rime qui n’est point indiquée. Ces vers singuliers sont sur le même patron que les quelques pièces poétiques qui précèdent le Don Quichotte. Comme cet ouvrage et la Picara Justina sont également de 1605, les commentateurs de Cervantes, Pellicer et Clemencin, ont recherché lequel des deux auteurs était l’inventeur de ces vers tronqués. Tout porte à croire que c’est à Cervantes qu’il faut rapporter le mérite, si mérite il y a, de cette innovation. En effet, quoique le privilége pour la publication de la première partie de Don Quichotte n’ait été délivré que le 9 de février 1605, on sait par la taxe qui fixe le prix du volume que l’impression était achevée dès le 20 décembre 1604. Par conséquent Cervantes a la priorité. On voit par la façon dont il parle de la Picara Justina, que Cervantes n’estimait guère plus l’auteur que l’ouvrage lui-même ; et il me semble que le second passage où il est question de cet auteur pseudonyme dont tout le monde savait le vrai nom, renferme une accusation assez nette de plagiat. Ce prétendu licencié Lopez de Ubeda n’était pas le seul ennemi de Cervantes dans l’ordre de Saint-Dominique : il suffit de rappeler les noms du Père Aliaga, confesseur de Philippe III et de Blanco de Paz, ce persécuteur implacable du grand inventeur. L’auteur de la Picara Justina ne se piquait guère de délicatesse. Il avoue que son roman fut composé pendant qu’il faisait ses études à l’université d’Alcala, et qu’il profita du Guzman d’Alfarache, qui parut dans l’intervalle, pour l’augmenter considérablement. Il ne trouva rien de mieux, en terminant la première partie de son roman, que d’annoncer le mariage de son héroïne avec le héros de Mateo Aleman. Heureusement qu’il s’en tint à cette première partie, et que la seconde ne vit jamais le jour. L’auteur prétend que son récit, sauf le cadre romanesque, est une véritable histoire, et l’on suppose qu’il a voulu écrire son autobiographie. Quoi qu’il en soit, la Picara Justina est un des plus mauvais livres de la littérature espagnole. Boileau ne l’aurait pas traitée autrement que Cervantes.


Poyo (Damian Salustio del), auteur de quelques comédies qui eurent beaucoup de vogue. On a de lui un manuscrit dont les généalogistes espagnols font le plus grand cas : « Discurso de la casa de Guzman, y su origen, y de otras antiguedades, por Damian Salustio del Poyo, en satisfaccion de una carta de Francisco Perez Ferrer que censuró una comedia que havia escrito. » Dans ce traité apologétique, à propos d’une comédie trop vivement censurée, Poyo retrace les origines des maisons de Toral et de Medina Sidonia. Il était sous le patronage de la famille de Guzman. Voici en quels termes flatteurs Agustin de Rojas a rendu hommage à ses talents dramatiques, dans la huitième pièce de vers de son « Voyage amusant : »

Y entre muchos uno queda:
Damian Salustio del Poyo,
Que no ha compuesto comedia
Que no mereciese estar
Con letras de oro impresa,

Pues dan provecho al autor,
Y honra á quien las representa.

(Fol. 47, recto de l’édition de Lérida, in-12, 1611.)


Pozo (Andrés del), humaniste distingué, d’après Cervantes. C’est tout ce que je sais touchant ce personnage, qui appartenait aussi à un ordre quelconque et enseignait probablement la rhétorique ou les langues anciennes dans une grande université.

Q

Quincoces. J’ai trouvé dans les recueils bibliographiques de Barbosa et d’Alvarez y Baena, deux ou trois homonymes. Mais aucun n’est signalé comme poëte, et Cervantes parle, non sans une expression de mépris, d’un méchant rimailleur.


Quevedo Villegas (Francisco Gomez de), né à Madrid en 1580, de parents de noble lignage, attachés au service de la cour. Quevedo fut élevé par sa mère, et alla achever ses études à l’université d’Alcalá. À l’âge de quinze ans, il avait pris ses degrés en théologie. Alors se développa chez lui cette passion de tout savoir qui l’obligea de suivre tous les cours de l’université ; il apprit toutes les sciences, sans négliger les arts d’agrément. Quevedo était un maître d’escrime, et il tuait très-bien son homme dans un duel. À la suite d’une de ces rencontres, il fut forcé de quitter Madrid et d’accepter l’hospitalité que lui offrait le duc d’Osuna, vice-roi de Sicile. Quevedo devint un habile diplomate, et bientôt il fut député en qualité d’ambassadeur à Philippe III, pour le royaume de Sicile (1615). Le roi, reconnaissant son mérite et ses services, lui accorda une pension viagère. Quevedo déploya une grande habileté dans plusieurs autres missions diplomatiques que lui confia le duc d’Osuna, devenu vice-roi de Naples. Le roi récompensa ses nouveaux services en lui conférant l’ordre militaire de Saint-Jacques. En 1620, la fortune changea de visage. Son protecteur étant tombé, Quevedo fut relégué dans une propriété, « la Torre de Juan Abad, » où il était traité fort durement. Alors commença pour lui une ère de persécutions qui font de sa vie un véritable roman d’aventures. Menacé de nouveau de la faveur royale, Quevedo refusa tous les emplois, les ministères et les ambassades, et il se livra tout entier à l’étude de la philosophie, à la pratique des bonnes œuvres et aux exercices de dévotion. En 1634, à l’âge de cinquante-quatre ans, il se maria, perdit bientôt après sa femme et se plongea de nouveau dans sa retraite studieuse ; mais la haine de ses ennemis alla l’y chercher. Accusé d’avoir écrit des pamphlets politiques, il fut arrêté en décembre 1641 et enfermé au couvent de Saint-Marc-de-Léon. Traité avec la dernière rigueur et comme un prisonnier d’État, Quevedo se voyait réduit à la dernière misère ; il vivait littéralement d’aumônes. Il eut la force d’écrire au comte d’Olivarès et de protester énergiquement de son innocence. Son innocence fut en effet reconnue, l’auteur véritable de l’écrit incriminé ayant été découvert. Mais Quevedo avait trop souffert durant sa réclusion : il était frappé à mort. Il ne fit que reparaître à la cour ; et à la suite d’une longue maladie, il mourut en 1645, le 8 de septembre. Quevedo était boiteux de naissance ; ses deux pieds étaient difformes. Cervantes fait allusion à cette infirmité de la manière la plus flatteuse pour cet homme rare dont il admirait fort le génie extraordinaire et la vaste capacité. Quevedo était universel ; il a touché à tout. Ce n’est point à Voltaire qu’il faut le comparer, mais à Diderot. Il avait, comme ce dernier, une faculté prodigieuse d’improvisation, une verve intarissable, une grande vivacité de conception. Jamais il n’est vulgaire ; mais son goût n’était point assez sévère, et son imagination l’emportait souvent au delà des limites de la raison. Pour connaître à fond Quevedo, il faut tout lire dans ses volumineux écrits ; et il faut, pour l’admirer, ne le lire que par extraits. On peut faire dans ses œuvres un excellent choix de morceaux remarquables ; mais il n’a fait pour ainsi dire rien d’achevé. Quevedo avait deux grands travers : une manie d’érudition incurable, qui l’entraîne souvent au pédantisme, et un goût déplorable pour les jeux de mots. Dans ses meilleurs écrits on aperçoit le savant qui ne sait point contenir son savoir, et l’homme d’esprit qui abuse de ses meilleures qualités. Ce qu’il y a de certain c’est que Quevedo est sans rival dans la satire virulente à la manière de Juvénal. La meilleure édition de ses œuvres est celle que vient de publier M. Guerra y Orbe, dans la grande collection de Rivadeneyra.

R

Ramirez de Prado (Lorenzo), fils d’un conseiller de Castille, le licencié Ramirez de Prado, qui avait soutenu avec une rare habileté les droits de Philippe II sur la couronne de Portugal, et de doña Maria Ovando Velazquez. Il naquit à Zafra où résidaient ses parents ; mais il les accompagna tout enfant à Madrid. C’est à tort qu’on l’a cru né dans cette ville. Lui et son frère firent de très-fortes études, et suivirent la carrière de la magistrature. Alonso acquit une grande réputation comme jurisconsulte ; il était ecclésiastique, et fut successivement archidiacre d’Ubeda, conseiller-juge à la haute cour de Séville, et plus tard du conseil des Indes. Lorenzo Ramirez de Prado fut chevalier de l’ordre de Saint-Jacques, conseiller à la cour des comptes, membre du conseil des Indes et de la Santa Cruzada, ambassadeur en France. Il était prodigieusement savant ; ses commentaires sur les auteurs anciens, sur la législation et sur les chroniques du moyen âge attestent son immense savoir. Il avait, avant Du Cange, compilé un glossaire de la basse latinité, et fait de nombreuses observations sur l’histoire de Castille. Juan Perez de Montalvan, qui a donné un catalogue de ses écrits, « de grande erudicion, trabajo y estudio, » a dit de Ramirez de Prado, sans trop d’exagération, « que en el ingenio y en la ciencia no tiene el mundo quien le compita, » et il ajoute que ses nombreuses occupations ne lui laissaient pas le temps de soigner une édition de ses œuvres : « porque ocupaciones mayores no dan lugar al cuydado de su edicion. »

Lope de Vega l’a loué en même temps que son frère dans le Laurier d’Apollon.


Ramon. Il y a deux homonymes contemporains de Cervantes. Fray Alonso Ramon de Cuenca, ou de Vera del Rey, dans le diocèse du Cuenca, de l’ordre de la Merci, docteur en théologie, auteur de nombreux écrits historiques, ascétiques et théoriques très-estimés, dont on peut voir la liste dans Nicolas Antonio. On estime ses Vies des Saints et des personnages illustres, ainsi que la chronique générale de son ordre, qui est un de ses meilleurs ouvrages. On lui doit la première édition de la « Conquista de la nueva España, » par Bernai Diaz del Castillo. Latasa cite un Fray Tomás Ramon, de l’ordre de Saint-Dominique, né à Alcañiz en 1569, prédicateur, humaniste et théologien distingué, mort en 1640. Ce dernier a laissé quelques poésies.


Rejaule ou Rejaul (Matheo), né à Valence, suivit avec distinction la carrière de l’enseignement du droit, après avoir fait de brillantes études dans l’université de sa ville natale. Après avoir reçu le bonnet de docteur il fut nommé successivement professeur d’institutes et de code. Il était fort savant en histoire, et cultivait avec succès la poésie, tout en se livrant à des recherches d’érudition ; il connaissait parfaitement le latin, le grec et l’hébreu. Il était aussi orateur, et très-employé comme avocat. On a de lui un ouvrage didactique de jurisprudence et des commentaires sur le droit romain. Il figurait souvent et avec avantage dans les joutes littéraires ou concours poétiques qui avaient lieu dans toutes les grandes solennités. Lors de la canonisation de saint Raymond de Peñafort, Rejaule envoya au concours trois pièces de vers qui furent jugées dignes du premier prix. On les trouve dans un recueil publié par Gomez, sous ce titre : « Fiestas de la canonizacion de san Raymundo de Peñafort. »


Rejaule y Toledo (Pedro), fils du précédent, suivant Ximeno, né à Valence, s’illustra dans la magistrature. Il était juge criminel à la cour royale, et en grande faveur auprès des vice-rois, qui avaient recours a son éloquence dans les grandes occasions, par exemple lorsqu’il s’agissait de haranguer le roi ou les princes du sang. Rejaule avait des ennemis qui jurèrent sa perte. Il se justifia et fut reconnu innocent des fautes que lui reprochaient ses calomniateurs, grâce à la toute-puissante amitié de l’archevêque de Valence, fray Isidro de Aliaga. Réintégré dans ses fonctions, il les résigna, et passa le reste de ses jours dans une profonde retraite. Rejaule cultivait la poésie dramatique. On a de lui quatre comédies que Rodriguez, dans sa « Bibliothèque valencienne » attribue par erreur à Luis Ferrer de Cardona : « La Burladora burlada, la Beligera española, la Fé Pagada, Vida martirio y muerte de san Vicente martir, hijo de Huesca y patron de Valencia, » imprimées par Philippe Mey dans « Norte de la poesía española, » Valence, 1616, in-4. « Soledades de Ricardo del Turia, » recueil d’élégies composées pour charmer les loisirs de sa solitude. Dans ces pièces remplies de sentiments et de souvenirs personnels, Rejaule avait imité la manière de Góngora. Il ajouta dans la suite à ce recueil des sonnets et des vers de toute mesure, « rimas. » Mais rien de tout cela n’a été imprimé.


Rioja (Francisco de), né à Séville, vers la fin du seizième siècle, est un des plus célèbres poëtes lyriques de l’Espagne. On sait fort peu de chose de sa vie. Après avoir fait de bonnes études, il prit le grade de licencié en droit canon, et entra dans la carrière ecclésiastique. Il se livra avec passion à l’étude des langues anciennes et de l’archéologie. Protégé par le comte-duc d’Olivarès, il fut appelé à la cour et nommé bibliothécaire du roi et historiographe de Castille. Dans la suite il fut membre du Saint-Office à Séville, et, plus tard, du conseil de la Suprême. En 1636, il fut pourvu d’une riche prébende à Séville. Rioja, esprit frondeur et enclin à la satire, s’était fait de nombreux ennemis. Ils conspirèrent contre lui, et réussirent à le dénigrer dans l’esprit du roi et de son ministre. On avait fait de Rioja un criminel d’État. Son innocence ayant été reconnue, il fut rendu à la liberté et alla s’enfermer à Séville dans une délicieuse retraite. Il revint à Madrid, avec une mission du chapitre dont il était membre ; et il mourut le 8 août 1659. Rioja était doué d’une haute raison et d’une âme éminemment poétique. Il a écrit sur la politique, à propos de la révolte des Catalans, sur la théologie et sur la prédication. Ses poésies sont en fort petit nombre, mais exquises. Rioja cultivait de préférence l’élégie, et il faisait ce qu’on appelle maintenant des méditations poétiques et religieuses. Quiconque sait l’espagnol, a lu la fameuse ode aux ruines d’Italica, que l’on a attribuée au célèbre archéologue Sévillan, Rodrigo Caro. Ses épitres, un peu froides, sont de véritables traités de morale pratique très-élevée. Rioja est souvent cité à côté de Herrera, et il est dans son genre moins sublime et un peu plus humain, presque aussi parfait que ce grand poëte lyrique.


Rodriguez (Pedro) ; né à Grenade, d’après Cervantes. Les bibliographes ne font point mention de ce poëte. Barbosa, dans sa « Bibliotheca Lusitana, » cite trois auteurs de ce nom. Auteur d’une ode à saint Jacques, dans le recueil d’Espinosa.


Rueda (Lope de), né à Séville, était batteur d’or de son métier, batihoja. Il se fit connaître comme auteur et acteur dramatique. Il fut, à vrai dire, le créateur du théâtre en Espagne. Il parcourait les grandes villes à la tête d’une troupe de comédiens, qui jouaient les petites pièces de sa composition. Il se fit une grande réputation à Séville, à Cordoue, à Valence, à Ségovie et à Malaga. Il mourut dans cette dernière ville, et fut enterré en grande pompe entre le chœur et le maître-autel de la cathédrale. Cervantes et Antonio Perez parlent avec enthousiasme de son prodigieux talent comme acteur. Il jouait souvent dans les fêtes et cérémonies religieuses. D’après Colménarès, il donna une représentation à Ségovie, en 1558, pour l’inauguration de la nouvelle cathédrale. Jamais auteur comique, si l’on excepte peut-être Lope de Vega, ne jouit de son vivant d’une popularité comparable à celle de Lope de Rueda. On a de lui quatre comédies, une douzaine de dialogues en prose et deux dialogues en vers. Moratin a donné de nombreux échantillons du répertoire de Lope de Rueda dans son excellent essai sur les origines du théâtre espagnol. Ce comique de génie avait une grande verve de gaieté et parlait avec une rare distinction la langue naïve et imagée du peuple. Lope de Rueda eut pour éditeur son ami Juan de Timoneda. Cervantes a parlé avec feu de Lope de Rueda dans la préface de ses comédies.

S

Salas Barbadillo (Alonso Jerónimo de), né à Madrid vers 1580, était fils d’un employé dans l’administration des affaires d’outre-mer, ou comme on dirait aujourd’hui, du ministère de la marine et des colonies. Son père figura dans l’enquête à laquelle il fut procédé en 1593, à l’occasion du procès que l’Espagne poursuivait en cour de Rome pour la canonisation de saint Isidore, patron de Madrid. On sait dans quel quartier se trouvait la maison où naquit Salas Barbadillo ; on sait dans quelle paroisse il fut baptisé, mais son acte de baptême ne s’est point retrouvé ; on n’a pu découvrir que ceux de ses frères et sœurs. Comme il prend au frontispice de ses ouvrages le titre de Criado del Rey, il est probable qu’il avait quelque emploi à la cour ou dans l’administration. Il était fort estimé des littérateurs de son temps et jouissait de la faveur du public, qu’il méritait d’ailleurs par l’inépuisable fécondité de son esprit inventif. « Varon insigne de nuestra patria, dit Juan Perez de Montalvan, por lo mucho que en calidad y cantidad tiene escrito. » Il est bien vrai que la qualité de ses productions serait peut-être meilleure si le nombre n’en était pas aussi considérable ; mais il faut reconnaître que la plupart de ses écrits se recommandent par la facilité de l’invention et du style. Il excellait particulièrement dans la nouvelle ; il a laissé en ce genre des œuvres qui seraient plus parfaites si on n’y trouvait à presque toutes les pages des vers de toute mesure et des échantillons de toutes sortes de poésie. La manie de rimer à propos de rien était alors endémique en Espagne ; et Cervantes lui-même en fut atteint. À côté du conte populaire, Barbadillo cultivait la nouvelle sentimentale et philosophique, et travaillait dans le goût picaresque. Pour se faire une idée de ses actions romanesques, il faudrait se représenter un écrivain qui réunirait non pas toutes, mais quelques-unes des qualités d’esprit de Scarron, de Le Sage et de l’abbé Prévost.

Salas Barbadillo a fait aussi de bonnes comédies, en imitant les premiers maîtres du théâtre espagnol, et notamment Lope de Vega, et une quantité prodigieuse de poésies courtes et légères parmi lesquelles on distingue ses sonnets et ses épigrammes. Voici la liste à peu près complète de ses écrits :

« La Ingeniosa Elena, hija de Celestina, » Lerida, 1612, in-12.

« El curioso y Sabio Alexandro, fiscal y Juez de Vidas agenas, » Madrid, 1615, in-8.

« Correccion de vicios en boca de todas verdades, » Madrid, 1615, in-8.

« Rimas castellanas, » dédié au marquis de Cañete, Juan Andres Hurtado de Mendoza, » Madrid, 1618, in-8.

« El caballero puntual, » deuxième partie, Madrid, 1619, avec la comédie « Prodigios de amor. » On ignore la date de la première.

« El necio bien afortunado », Madrid, 1620, in-8.

« El sagaz Estacio, ó Marido examinado, » Madrid, 1620, in-8.

« Casa del placer honesto, » 1620, in-8. La deuxième partie n’a pas paru.

« El caballero perfecto, » première partie, Madrid, 1620, in-8.

« El sutil cordovés Pedro de Urdemalas, » Madrid, 1620, in-8, avec la comédie « El gallardo Escarraman. »

« El cortesano descortés », Madrid, 1621, in-4.

« Las Restas de la boda de la incasable malcasada, » Madrid, 1622, in-8.

« Don Diego de Noche, » Madrid, 1623, in-8.

« La Sabia Flora Malsabidilla, » Madrid, 1621, in-8.

« La Estafeta del Dios Momo, » Madrid, 1627, in-8.

« La Patrona de Madrid restituida, » poëme héroïque dont le sujet est Notre-Dame d’Atocha. Madrid, in-8, 1608.

« El licenciado Talega. »

« La Escuela de Celestina, » Madrid, 1620, in-4.

« El Coche de las Estafas. »

« Coronas del Parnaso, y Plato de las Musas, » ouvrage posthume. Madrid, 1635, in-12.

On cite encore de Barbadillo d’autres comédies, des contes et des pièces de vers, qui ne portent point son nom. Mort en 1634 ou 1635. En octobre 1634, il obtenait le privilége royal pour l’impression de son « Curioso y Sabio Alexandro. » C’est donc à tort qu’Alvarez y Baena le fait mourir en 1630.


Saldaña (El conde de). N’ayant pas le nom de ce grand seigneur, je n’ai rien découvert touchant sa vie dans les auteurs qui ont été consultés pour ces notices. Notons seulement que Cervantes l’a placé entre deux poëtes d’un rare talent : le comte de Villamediana et le prince d’Esquilache, ce roi du Parnasse, suivant Juan Perez de Montalvan, « Coronado rey de todo el Imperio del Parnaso. »


Sanchez (Francisco). Il y a plusieurs homonymes. Comme il s’agit d’un jeune homme, il est probable que Cervantes a voulu désigner le fils du célèbre Francisco Sanchez de las Brozas, et non Francisco Sanchez de Lisbonne, bénédictin du couvent de Montserrat, auteur d’un commentaire sur l’Ecclésiaste, ou Francisco Sanchez del Campo, franciscain, auteur d’un ouvrage de théologie, imprimé à Alcalá en 1597. Francisco Sanchez marcha sur les traces de son père. Celui-ci, dont Cervantes a fait un très-grand éloge dans la Galatée, avait commenté les poésies de Juan de Mena (1582) et donné une édition de « Garcilaso de la Vega » (1574). Dans son « Laurier d’Apollon » Lope de Vega loue le talent de Francisco Sanchez pour la poésie lyrique et religieuse :

Mira al doctor Francisco Sanchez, mira
Cómo en la sacra lira

Del Rey Profeta canta
Versos divinos en la cumbre Santa
Del celestial Parnaso.

Si j’entends bien les vers qui suivent, Francisco Sanchez était archevêque de Tarente.


Sanchez Vidal (Miguel), né en Aragon vers la fin du seizième siècle. Latasa place approximativement sa naissance en 1589. On ne sait rien de sa vie. Il cultivait avec succès la poésie lyrique et dramatique. On a de lui une comédie dont le titre est assez étrange : « La Isla barbara, comedia historica instructiva. » Le savant bibliographe aragonais cité plus haut possédait l’original de cette pièce dans un volume de variétés littéraires qui avait appartenu à don Francisco Ximenes de Urrea, historiographe de la couronne d’Aragon. La comédie de Miguel Sanchez était en trois actes ou « jornadas, » d’après la réforme introduite par Virués, Cervantes et autres auteurs dramatiques de la fin du seizième siècle. Miguel Sanchez avait écrit un assez grand nombre de comédies, aujourd’hui perdues et qui avaient très-bien réussi, puisque l’auteur avait mérité le surnom de « Divin. » Ce n’était cependant qu’un dramaturge de second ordre. Voici en quels termes Agustin de Rojas fait son éloge :

El divino Miguel Sanchez,
Quien no sabe lo que inventa;
Las copias tan milagrosas,
Sentenciosas y discretas,
Que compone de contino,
La propiedad grande dellas,
Y el decir bien dellas todos,
Que aquesta es mayor grandeza.

(Viaje Entretenido.)

Ces deux quatrains attestent la popularité de Miguel Sanchez.

Lope de Vega a fait mention de Miguel Sanchez dans son « Arte nuevo de hacer comedias. »

El engañar con la verdad es cosa
Que ha parecido hien, como lo usaha
En todas sus comedias Miguel Sanchez,
Digno por la invencion desta memoria.


Segura (Fray Bartolomé de), de l’ordre de Saint-Benoît, auteur d’un poëme estimé sur sainte Thérèse : « Amazona christiana; Vida de la beata madre Teresa de Jesus, dirigida á doña Catalina de Sandoval y Lacerda, condesa de Lemos, etc. ; » Valladolid, 1619, in-8. La versification de ce poëme est remarquable par la facilité et l’élégance ; l’auteur ayant adopté l’ancien mètre national (redondillas), qui est le plus convenable pour la narration et les longs récits. Segura a écrit dans le même genre : « De la vida de san Julian, obispo de Cuenca ; » 1599, in-4.


Silva (Diego de), y Mendoza, marquis d’Alenquer, en Portugal, duc de Francavila, comte de Salinas, né probablement à Madrid en décembre 1564, fut baptisé en grande pompe le 23 du même mois et tenu sur les fonts par Luis Quijada, majordome de l’empereur Charles-Quint, et doña Guiomar de Villena. Il était le second fils du prince d’Eboli, duc de Pastrana, Ruy Gomez de Silva, et de doña Ana de Mendoza et Lacerda. On sait que son père était en grande faveur auprès de Philippe II et tout-puissant à la cour et dans les affaires. Né pour ainsi dire au pied du trône, Diego de Silva se vit comblé de très-bonne heure. À l’âge de sept ans, il entrait en possession de la commanderie de Herrera, dans l’ordre militaire d’Alcantara, par une grâce spéciale de Philippe II (4 juin 1571). Son père mort, cet enfant, marqué au front par la fortune, resta sous la tutelle de sa mère, qui le préférait à ses autres frères. On sait que la veuve du prince d’Eboli avait une grande influence sur le roi ; elle en usa pour avancer l’ambition de ce fils qu’elle aimait avec prédilection. En 1580, Diego de Silva était nommé capitaine général de la frontière de Zamora, et commis à la garde de cette place forte, pendant que l’armée espagnole faisait son entrée en Portugal. En 1588, il eut, avec le même titre, mission de veiller à la sûreté de la côte d’Andalousie, pendant que le duc de Medina-Sidonia, commandant de cette flotte invincible qui devait être dispersée et engloutie par les flots, tentait une descente en Angleterre. Quelques années après, Diego de Silva était député aux Cortès d’Aragon, comme lieutenant ou représentant du roi, et il présida en cette qualité à l’arrestation de don Pedro Luis Galzeran de Borja, grand-maître de l’ordre militaire de Montesa. En 1593, alors qu’il était déjà comte de Salinas et Ribadeo, il fut admis le jour des Rois à la table royale ; rare distinction qui prouve combien il était en faveur auprès du nouveau roi. En effet, Philippe III le tenait en très-haute estime : il le nomma successivement contrôleur général du trésor en Portugal, membre du conseil d’État de ce royaume et marquis d’Alenquer. En 1615, le comte de Salinas fut nommé capitaine général des armées et vice-roi du Portugal ; il remplit ces hautes fonctions à la satisfaction de son maître. Il était à côté du roi lorsque celui-ci fit son entrée solennelle à Lisbonne, en 1619, ainsi qu’aux Cortès de Tomar, réunies pour le serment de fidélité que les représentants du royaume devaient prêter au prince des Asturies, héritier présomptif de la couronne d’Espagne. En 1621, à l’avènement de Philippe IV, il représenta ce prince, retenu à Madrid, et jura en son nom respect et fidélité aux lois et coutumes du Portugal. En 1626, le temps de sa charge étant expiré, il rentra à la cour, prit place au conseil d’État et devint président du conseil d’administration pour le gouvernement du Portugal. Ainsi, cet homme heureux se vit comblé d’honneurs et de faveurs sous trois règnes successifs. Mort en 1630, au milieu de ses occupations multipliées, le comte de Salinas n’oublia point les satisfactions que procure l’étude. Non-seulement il cultiva les belles-lettres, mais il exerça sa plume comme historien et comme poëte. Il avait écrit un abrégé du règne de Philippe II, pour servir d’introduction à celui de Philippe III : « Epitome de las acciones del Rey D. Felipe II ; Introduccion á la historia de Felipe III ; » et un ouvrage d’histoire généalogique de sa maison : « De los sucesores de los duques de Hijar y de Salinas ; Historia de la casa de Sarmiento de Villamayor. » Quant à la poésie, il a écrit un nombre considérable de vers qui annoncent une rare facilité et un esprit délicat. Ces vers sont répandus dans les recueils du temps. Le nom de Diego de Silva, qui revient si souvent dans l’histoire d’Espagne, mérite d’être signalé au milieu de cette pléiade de poëtes grands seigneurs qui ont honoré les lettres espagnoles. Cervantes, qui le connaissait personnellement, selon toute apparence, devait une mention spéciale à ce bel esprit. Il ne lui a pas ménagé les éloges.


Silva (Francisco de), né à Telha, district de Lisbonne, en 1583, dans une famille d’ancienne noblesse. Avant d’avoir terminé ses études, il entra comme novice dans l’ordre du Carmel, et il fit sa profession le 5 octobre 1603. Ardent à l’étude et ferré sur la philosophie scolastique, ses supérieurs le destinèrent à la carrière du professorat. Il enseigna la théologie dogmatique au collège de Coïmbre et au couvent des Carmes de Lisbonne. Il était docteur en théologie de l’université d’Evora. Il y fut reçu le 19 mai 1624 ; et comme jusque-là aucun religieux, sauf quelques membres de la Compagnie de Jésus, n’avait pris ses degrés dans cette faculté, sa réception fut un véritable événement. Francisco de Silva passait pour un grand prédicateur et un profond théologien. Son savoir était immense et son imagination très-riche. Au milieu de ses graves occupations et de ses études si sévères, il trouva le temps de cultiver la poésie et se fit une place parmi les poëtes les plus distingués. Jacinto Cordeiro le loue emphatiquement dans ses éloges des poëtes portugais. Mais en ne prenant que le quart des louanges qu’il lui accorde, Silva se trouve assez loué. Comme tant d’autres qui étaient possédés du démon des vers, le carmélite portugais sacrifiait à la poésie ses moments perdus et n’attachait pas une grande importance à ses productions poétiques. Francisco de Silva jouissait d’une juste considération dans son ordre ; il fut tour à tour prieur du couvent des Carmélites de Lisbonne en 1625, provincial en 1628. Il mourut en 1633, âgé de cinquante ans environ.


Silveyra (Miguel de), gentilhomme portugais, de race juive, et, d’après Rodriguez de Castro, juif converti. Né vers le milieu du seizième siècle, son éducation fut très-soignée, et il fit de brillantes et fortes études, d’abord à Coïmbre, ensuite à Salamanque. Il apprit tout ce qui s’enseignait dans la première université de l’Espagne : les mathématiques, la médecine, la jurisprudence et même un peu de théologie. De son propre aveu, il avait étudié pendant quarante ans dans ces deux célèbres universités et professé pendant vingt ans. Silveyra était donc un savant docteur ; mais la réputation qu’il s’était faite dans les écoles ne suffisait point à contenter son ambition. Chargé d’un lourd bagage scientifique, il prétendit au laurier du Tasse, et consacra près du tiers de sa vie à la composition d’un poëme épique dans le genre de la Jérusalem délivrée. Le poëme parut en 1638 sous ce titre : « El Macabeo » (Naples, in-4). Le privilége ou permis d’imprimer atteste que l’auteur vivait encore à cette époque ; de sorte qu’il faut rejeter l’assertion de Barbosa, qui fait mourir Silveyra en 1636. Avant de se mettre à l’œuvre, Silveyra avait soumis son dessein aux écrivains et poëtes les plus recommandables de l’Italie et de l’Espagne. Il s’explique lui-même à ce sujet dans la préface de son poëme, et à sa façon de dire on voit aisément qu’il connaissait à fond les règles de l’art ; mais on devine aussi qu’il n’était pas inspiré. Le poëme n’a pas moins de vingt chants ; il est en octaves. Le sujet était beau et de nature à séduire un vrai poëte ; on sait que le Tasse lui-même s’en était emparé et qu’il l’abandonna ensuite. Silveyra le traita médiocrement. Faute d’invention et de variété, son œuvre languit, elle paraît longue, et le style ne compense pas malheureusement la pauvreté du fond ; le poëte ayant adopté la manière prétentieuse de Góngora. Cependant le Machabée eut un prodigieux succès. Un autre juif converti, Antonio Enriquez Gómez, auteur d’un autre poëme épique du même genre (Sanson Nazareno), n’hésite point à classer Silveyra parmi les quatre grands poëtes qui, à son avis, ont emporté la palme de la poésie épique : Homère, Virgile, le Tasse et Camoens. Homère, dit-il, est divin, Virgile éminent, Camoens admirable, et Silveyra héroïque ; à tel point que jamais vigoureux esprit ne célébra une action héroïque avec une pareille élévation de style : « Y tanto que ha sido el mas vehemente espiritu que cantó accion heroíca por tan levantado estilo. » Enriquez Gomez se trompe. Non-seulement Silveyra n’avait point cette véhémence de génie qui sait vaincre les plus grands obstacles, mais il était à peu près dépourvu de ce sentiment de l’héroïsme, sans lequel on ne crée point d’épopée. Quant au style, il est mauvais, affecté, faux ; et Enriquez Gomez, dont le goût n’était point irréprochable, et qui avait plus de verve que de bon sens, a pris le clinquant pour de l’or fin. Le plan du poëme est passable, de même que la conception ; mais un esprit méthodique ne suffit point pour enfanter un poëme viable. Silveyra se bat les flancs, peut-on dire, pour courir après l’originalité, et il ne rencontre que singularités et extravagances. Sans doute il y a çà et là quelques passages qui ne sont pas entièrement dépourvus d’intérêt ; on l’a dit depuis bien longtemps : il n’est si mauvais livre qui ne vaille par quelque endroit. Cela est vrai du poëme de Silveyra, mais il n’y a point de circonstances atténuantes qui puissent l’absoudre d’un péché capital et irrémissible en littérature. Le Machabée est une œuvre souverainement ennuyeuse et insipide, quoi qu’en ait dit cet excellent M. Amador de los Rios, qui se distingue parmi tous les critiques contemporains par une très-vive sympathie pour les auteurs médiocres et les œuvres mortes :

Qui Bavium non odit, amet tua carmina Mævi.

Auteur d’une Vie de Séjan : « Vida de Elio Seiano. »


Solis Mexía (Juan de), poëte dramatique. Il ne faut pas le confondre avec son célèbre homologue Antonio de Solis, auteur de quelques bonnes comédies et d’excellents ouvrages historiques. Juan de Solis Mejia a fait un sonnet très-ingénieusement tourné sur les Nouvelles morales de Cervantes :

¡O tú, que aquestas fábulas leiste!
Verás que son de la verdad engaste
Que por tu gusto tal disfraz se viste.
.............
Rica y pomposa vas, filosofía,
Ya, dotrina moral, con este traje
No habrá quien de ti burle ó te desprecie.

Dans ce sonnet, adressé aux lecteurs, Juan de Solis prend le titre de gentilhomme de la cour : « gentil hombre cortesano. »


Soto de Rojas (Pedro), né à Grenade, dans la seconde moitié du seizième siècle ; avocat du saint-office, chanoine de la collégiale de San Salvador, dans sa ville natale, où il avait fait ses humanités et ses études de droit et de théologie. Il était l’ami intime de Lope de Vega. Celui-ci fut l’éditeur d’un recueil poétique de Soto, où l’on trouve d’excellentes pièces lyriques et pastorales dans le goût italien. L’école de Sannazar jouissait alors d’une grande influence en Espagne. On voit par les sonnets de Soto qu’il imitait volontiers le style et la manière de Góngora : « Desengaño de amor en rimas ; » Madrid, 1623, in-4. Si Soto de Rojas n’eût publié que ce volume de vers, il aurait sa place marquée parmi les poëtes espagnols de la belle époque, qui ont acquis la célébrité par un petit nombre d’excellentes productions. Mais Soto de Rojas aspirait aussi à la gloire des poëtes épiques. Il est auteur d’un poëme dans le goût mythologique ayant pour titre : « Les rayons de Phaéton (Los rayos de Faeton) ; » Barcelone, 1639, in-4. C’est la fable narrée par Ovide, gâtée par une affectation ridicule. Soto ne s’arrêta pas en si beau chemin, et il donna vers le milieu du dix-septième siècle un fragment d’un poëme descriptif sous ce titre baroque : « Le Paradis fermé à la foule ; jardins ouverts à un petit nombre, avec des fragments de l’Adonis (Parayso cerrado para muchos, jardines abiertos para pocos, con los fragmentos de Adonis) ; » Grenade 1652, in-4, Ces fragments étaient probablement des essais d’imitation du fameux poëme de Marini, le corrupteur du bon goût, en Italie. En tout cas, Soto imitait à merveille et Marini et Góngora, et dans ce poëme extravagant et insipide, qui n’est autre chose qu’une minutieuse description d’une maison de plaisance, la nature elle-même est gâtée par les inventions bizarres et les métaphores impossibles du poëte. Dans une introduction en prose de don Francisco de Trillo et Figueroa, ami de l’auteur, on voit que ce dernier, dans sa jeunesse, était allé chercher fortune à la cour, et qu’il avait pour maître et protecteur Jorge de Tobar, secrétaire et favori de Philippe III. De bonne heure il fit connaissance avec la plupart des écrivains alors en réputation. Finalement, il sut attirer l’attention du comte-duc, le tout-puissant ministre ; il fut admis à lui faire sa cour et obtint un riche bénéfice. La chute de son Mécène rendit Soto de Rojas à la vie privée. Il se retira dans sa ville natale pour y jouir de sa prébende, et profita de ses loisirs pour composer ces poëmes étranges qui lui ont valu un rang distingué parmi les plus détestables partisans et imitateurs de Góngora. Encore une fois, c’est dans la petite poésie que Soto a laissé d’excellentes choses, et plus particulièrement dans ses sonnets, chansons et autres compositions de courte haleine. À la vérité, aucune de ses meilleures pièces n’est exempte de recherche : mais le tour en est vif et la versification facile et harmonieuse. Quand Soto n’imitait pas Góngora, il était de l’école de Boscan et de Garcilaso. Son Discours sur la poésie, en tête de son Desengaño de Amor, est très-estimé. C’est un morceau judicieusement écrit et qui fournit des renseignements utiles au sujet des règles de la versification espagnole. Ce discours fut prononcé par Soto de Rojas à l’ouverture d’une société d’écrivains et de poëtes qui s’intitulait : « Academia salvaje, » en 1612. Soto, de son nom académique, s’appelait el Ardiente. Ces associations littéraires, qui commencèrent en Espagne vers la fin du seizième siècle et prirent racine dans les premières années du dix-septième, rappelaient en tout les académies de ce genre qui étaient si nombreuses en Italie. Il ne faut pas confondre Pedro de Rojas avec son célèbre homonyme, le spirituel et divertissant Augustin de Rojas, auteur du Voyage amusant, « Viage entretenido. »

T

Tamayo (Pedro), militaire et poëte. Je n’ai trouvé aucun renseignement sur cet auteur. Cervantes lui donne le grade de capitaine.


Tejada (Augustin de), né à Antequera, en Andalousie, vers 1568, suivit la carrière ecclésiastique ; il était docteur en théologie et dignitaire de la cathédrale de Grenade. Tejada cultivait les belles-lettres avec passion, et la poésie avec beaucoup de succès. Cependant il reste bien peu de chose de son œuvre poétique, cinq pièces seulement sur divers sujets, dans le recueil de Pedro de Espinosa, « Flores de poetas ilustres. » Valladolid, 1605, in-4. Toutes ces poésies sont d’une rare perfection, et très-remarquables par l’invention autant que par la facilité des vers et l’élévation du langage. Mort en 1635 à l’âge de soixante-sept ans. Il avait laissé en manuscrit une histoire d’Antequera, sa ville natale. Sedano a reproduit dans son « Parnasse espagnol, » tome I, p. 168, une fort belle cancion de Tejada, qui est un magnifique échantillon de la grande poésie lyrique espagnole. Lope de Vega a fait l’éloge de Tejada dans son « Laurier d’Apollon. »


Timoneda (Juan de), né à Valence au commencement du seizième siècle, était imprimeur d’après Esquerdo. Ximeno remarque à ce sujet que son nom ne figure sur aucun livre, et il suppose avec quelque fondement, que Timoneda exerçait la profession de libraire. Il cite un libraire de ce nom. On lit d’ailleurs au frontispice d’un roman de Timoneda : « Vendese en casa de Joan de Timoneda. » Éditeur des comédies et autres petites pièces dramatiques de Lope de Rueda, il se permit, d’après son épître préliminaire, quelques changements. Il fut aussi le premier et le plus fidèle de ses imitateurs. Il mourut vers 1597, dans un âge très-avancé. On a de Timoneda treize ou quatorze pièces dont les meilleures sont celles qui empruntent le langage populaire ; quatre scènes dialoguées (pasos) et autant de farces ; deux comédies en vers et en cinq actes ; un auto sacramental et une traduction libre des Ménechmes de Plaute. Ces pièces sont d’un style vif et rapide, d’une allure un peu leste et dégagée, faites en un mot pour être jouées en plein vent. On les représentait sur les places publiques de Valence. En 1573, Joan de Timoneda publia en un gros volume un recueil de romances, qui se divise en quatre parties : « Rosa de Amor, » « Rosa española, » « Rosa gentil, » « Rosa real » et d’autres poésies légères. Nicolas Antonio regarde Timoneda comme le premier auteur de nouvelles en Espagne, « par no haver hallado otro mas antiguo, » observe sensément Ximeno. Les petits contes grivois de Timoneda sont fort agréables et ses anecdotes très-amusantes. « El Patrañuelo » est un recueil tout à fait dans le goût picaresque. « El Sobremesa » et « El Deleytoso » peuvent donner une parfaite idée du talent de Timoneda comme conteur. On trouvera dans Ximeno un catalogue très-complet de ses écrits divers.

V

Valdés (Alonso de). Le même apparemment dont il est question dans le sixième livre de la Galatée ; car il n’est pas probable que Cervantes ait voulu parler de Francisco de Valdès, auteur d’un traité sur la discipline militaire (« Espejo y disciplina militar. » Bruxelles, 1553, in-8) ni d’autres homonymes mentionnés dans la bibliographie d’Alvarez y Baena. Alonso de Valdés était un poëte élégiaque. Voici l’octave que lui a consacrée Cervantes dans le chant de Calliope :

De Alonso de Valdés me está incitando
El raro y alto ingenio á que del cante,
Y que os vaya, pastores, declarando
Que á los mas raros pasa, y va adelante:

Halo mostrado ya, y lo va mostrando
En el fácil estilo y elegante
Con que descubre el lastimado pecho,
Y alaba el mal que el fiero amor le ha hecho.

Sedano cite une ode burlesque du licencié Juan de Valdés y Melendez, extraite du recueil de Pedro de Espinosa « Flores de Poetas ilustres. » À moins d’une erreur, qui serait facile à comprendre, Juan de Valdés et Alonso de Valdés étaient deux poëtes distincts. Il s’agit bien d’amour dans l’ode citée par Sedano : mais cette ode est une plaisanterie qui n’a rien d’élégiaque.


Vargas (Antonio Gentil de). Je n’ai pu rien ajouter aux quelques indications fournies par Cervantes sur ce poëte, né à Gênes, et qui cultivait, non sans succès, la poésie castillane.


Vargas (Jusepe de), poëte castillan, loué par Lope de Vega en ces termes :

Si á Jusepe de Vargas,
Verdadero poeta castellano,
El verde lauro encargas,
Por el aire le tienes en la mano;
Que fuera de sus versos y concetos
Cándidos, puros y en rigor perfetos,
No dudes que hasta ver el fin del caso
Alborote las musas y el Parnaso;
Pero si va de paz y llega solo,
El casará las musas con Apolo.


(Laurel de Apolo, silva VIII).

Tout cela ne signifie pas grand’chose, et une courte notice vaudrait bien mieux ; mais les biographes et bibliographes sont muets.


Vasconcellos (Juan Mendez de), poëte portugais, florissait au commencement du dix-septième siècle. Il se distingua dans la guerre de l’indépendance du Portugal contre l’Espagne. Auteur d’un poëme épique en langue espagnole, « La liga deshecha por la expulsion de los Moriscos de los Reinos de España. » Madrid, 1612, in-8. À propos de cet épisode, Vasconcellos a fait un tableau général des principaux événements de l’histoire d’Espagne. Le poëme est en dix-sept chants et en douze cents octaves. La versification en est passable ; mais l’intérêt manque. Il est probable que Vasconcellos, devenu un personnage important après la délivrance de son pays, dut regretter les flatteries qu’il avait prodiguées sans mesure à Philippe III.


Vega (Bernardo de la). Alvarez y Baena, dans ses « Enfants de Madrid, » affirme carrément que Bernardo de la Vega « fué natural de Madrid, » et qu’il devint chanoine de la cathédrale de Tucuman. Il met à son compte deux ouvrages qui n’ont aucun point de ressemblance : « El pastor de Iberia, » 1591, in-8, et « Relacion de las grandezas del Perú, México y los Angeles. » Mexico, 1601, in-8. Il est vrai qu’Alvarez y Beana n’a fait que suivre l’opinion de Mayans y Siscar dans sa vie de Cervantes, et la conjecture de Nicolas Antonio. Pellicer, le savant commentateur de don Quichotte, n’a pas été moins affirmatif que Mayans. Cependant rien ne prouve que l’auteur du Pastor de Iberia et le chanoine de Tucuman, soient une seule et même personne. Il est même très-probable que le poëte n’avait rien de commun avec l’auteur de ce livre sur le Pérou et le Mexique, qui fut publié en 1601. Le consciencieux Clemencin fait remarquer que dans le Pastor de Iberia, qui abonde en allégories, comme la plupart des romans-pastorales de ce temps-là, il n’y a pas une allusion, pas un détail qui s’accorde avec l’opinion de Mayans, et il n’hésite pas à reconnaître que Bernardo de la Vega était un gentilhomme andalous. « El Pastor de Iberia, » imprimé à Séville en 1591, in-8, est dédié à don Juan Tellez Giron, duc d’Osuna et comte d’Ureña. C’est un mélange de vers et de prose en quatre livres. L’ouvrage est absolument mauvais ; il abonde en barbarismes et en solécismes, et la conception est à l’avenant. Ces fautes grossières contre la langue et la syntaxe sont une forte présomption en faveur de ceux qui pensent que l’auteur n’était point Castillan. En Castille, le paysan le plus illettré parle purement et correctement le castillan. Comment s’imaginer qu’un auteur, né à Madrid, aurait péché de la sorte contre les règles de l’art de bien dire ? Ce qui ajoute à l’ennui de ce roman insipide, c’est l’étalage d’érudition mythologique dont l’auteur fait parade à toutes les pages. Cervantes avait déjà sommairement exécuté Bernardo de la Vega dans le chapitre sixième de la première partie de don Quichotte. Dans le Voyage au Parnasse, l’auteur du Pastor de Iberia est un des plus redoutables champions de l’armée ennemie.


Vega (Garcilaso de la), né à Tolède en 1503, appartenait à l’illustre famille de Guzman. Son père avait été ambassadeur de Ferdinand et d’Isabelle à la cour de Rome. Garcilaso entra de bonne heure au service de l’empereur Charles-Quint. À l’âge de vingt-quatre ans, il épousa doña Elena de Zuñiga, et en eut deux fils : l’aîné mourut très-jeune dans un assaut, le cadet entra en religion dans l’ordre des frères prêcheurs, sous le nom de Dominique de Guzman. Garcilaso était un vaillant soldat ; il travaillait sous la tente, et relisait entre deux combats ces grands maîtres de l’antiquité dont il a été l’heureux imitateur. Il se distingua particulièrement à Vienne au siége de Tunis. Une affaire de famille dont il s’était mêlé contre le gré de son maître, le fit reléguer pendant quelque temps dans une île du Danube. Rentré en activité de service, Charles-Quint lui confia le commandement d’un corps d’armée, au moment d’envahir la Provence. Garcilaso, arrêté près de Fréjus par une cinquantaine de paysans qui s’étaient fortifiés dans une tour, monta le premier à l’assaut et fut frappé à la tête d’une blessure mortelle. Il mourut à Nice en 1536, à l’âge de trente-trois ans. Garcilaso excellait également dans la musique et dans la poésie, et faisait des vers latins avec une grande facilité. Tout a été dit sur le rôle de Garcilaso dans la poésie espagnole. Il lui a suffi de trois églogues, de deux élégies, d’une épître, de cinq canciones, d’une quarantaine de sonnets et de quelques menues poésies, pour mériter le titre de prince des poëtes castillans. Le style de Garcilaso, pour emprunter une comparaison homérique, est doux comme le miel, et sa versification est admirable de simplicité. Aucun poëte espagnol n’a rencontré comme lui cette perfection de la forme. Quant au génie poétique, Garcilaso est pour moi le seul des poëtes modernes qui me rappelle Virgile. Il avait un sentiment très-vif des beautés de la nature et des sites champêtres. Ses paysages sont dignes de Théocrite.


Vega Carpio (Lope de), né à Madrid le 25 novembre 1562, fut un enfant précoce. Il a dit lui-même que son génie lui avait enseigné l’art des vers dès le berceau. À douze ans, son éducation était achevée. Il entra jeune aussi dans la vie. Avant de commencer le cours des études supérieures à Alcalá, il avait fait un peu son tour d’Espagne. Au sortir de l’université, il entra au service du duc d’Albe. Il se maria quelque temps après et se fit exiler à Valence, à la suite d’un duel. De retour à Madrid, il perdit sa femme, et, dans son désespoir, il s’engagea dans l’Armada qui allait envahir l’Angleterre. Il perdit, dans cette désastreuse expédition, son frère qui était officier de marine. Il revint à Madrid et fut successivement secrétaire du marquis de Malpica et du comte de Lémos. Il épousa en secondes noces doña Juana de Guardio. Il en eut un fils qui mourut très-jeune et une fille qui devait être son héritière. Ayant perdu sa seconde femme, il se fit prêtre, entra dans la confrérie des prêtres natifs de Madrid, fut comblé d’honneurs par le pape Urbain VIII, et devint un des familiers de la sainte Inquisition. Il mourut au milieu de ses travaux et de ses exercices de piété, le 25 août 1635, dans sa soixante-treizième année. Lope de Vega, qui jouit de son vivant d’une immense popularité, fut enterré comme un monarque, aux frais du duc de Sesa. Ces funérailles magnifiques étaient comme le dernier reflet de sa gloire. Lope de Vega, abusant de sa facilité prodigieuse, écrivit, comme il en convient lui-même, trop de sottises pour complaire au public ; et en lisant le recueil immense et surtout incomplet de ses œuvres, on constate que la plupart de ces œuvres ne sont pas viables. Lope de Vega vivait en quelque sorte au jour le jour. On peut dire de lui qu’il mangea son fonds avec son revenu, et son nom n’est plus qu’un souvenir, le symbole d’une fécondité incroyable. Sauf quelques comédies, qui ne sont pas d’ailleurs parmi les meilleures du théâtre espagnol, sauf ses poésies légères dont quelques-unes sont charmantes, Lope de Vega n’a point laissé une de ces œuvres maîtresses qui recommandent un homme à l’éternel souvenir des générations. Cervantes l’a excellemment nommé « el monstruo de naturaleza. » C’était en effet un prodige, une espèce de monstruosité dans l’ordre intellectuel.


Vera (Juan de) y Figueroa, comte de la Roca, célèbre diplomate, fut longtemps ambassadeur d’Espagne à Venise. Il était de Séville. Il a écrit un excellent traité sur la diplomatie, intitulé : « El Embajador, » et un poëme épique assez médiocre : « El Fernando ó Sevilla restaurada. » Milan, 1632, in-4. Ce poëme est le récit héroïque de la conquête de Séville par le saint roi Ferdinand. L’auteur avait commencé par traduire en vers espagnols la Jérusalem délivrée du Tasse, et lorsque la traduction touchait à sa fin, il l’adapta simplement au nouveau sujet, moyennant quelques modifications. De sorte que la conquête de Séville par Ferdinand III n’est au fond que le poëme du Tasse métamorphosé. Le poëme n’a pas moins de vingt chants ; mais il n’est pas en octaves. Juan de Vera a adopté l’ancienne forme des petits vers qu’on appelle redondillas. On a de lui une apologie de Pierre I, roi de Castille, surnommé tantôt le Cruel, tantôt le Justicier, « El Rey don Pedro defendido. » Madrid, 1648, in-8. Mayans y Siscar a nettement accusé Juan de Vera y Figueora d’avoir fabriqué de toutes pièces ou du moins altéré le recueil intitulé : Centon epistolario del bachiller Fernan Gomez de Cibdad real. Perez Bayer était du même avis, et M. Gayangos, qui ne croit point à l’authenticité du recueil, estime que le célèbre diplomate était très-capable de mystifier le public par une de ces supercheries littéraires dont on compte un assez grand nombre en Espagne. Mort en 1658. — Je ne pense pas que Cervantes ait voulu parler d’un homonyme, Juan de Vera y Villaroel, auteur dramatique de la première moitié du dix-septième siècle. En tout cas, ni l’un ni l’autre ne doit être confondu avec Juan de Vera Tassis y Villaroel, éditeur des œuvres de Caldéron, à la fin du dix-septième siècle.


Vergara (Juan de Vergara). Acteur et auteur dramatique. Agustin de Rojas l’a cité dans son voyage amusant :

De los farsantes que han hecho
Farsas, loas, bayles, letras,
Son Alonso de Morales,
Grajales, Zorita, Mesa,
Sanchez, Bios, Avendaño,
Juan de Vergara, Villegas,
Pedro de Morales, Castro
Y el del hijo de la tierra.

Les ouvrages consultés pour cette table des auteurs cités dans le Voyage au Parnasse, ne m’ont rien fourni sur Juan Vergara. Cervantes l’avait déjà loué dans sa Galatée :

El alto ingenio y su valor, declara
Un licenciado tan amigo nuestro,
Cuanto ya sabeis que es Juan de Vergara,
Honra del siglo venturoso nuestro:
Por la senda que él signe abierta y clara,
Yo mesma el paso y el ingenio adiestro,
Y adonde él llegar de llega me pago,
Y en su ingenio y virtud me satisfago.

Nicolas Antonio cite un Hipolito de Vergara, de Séville, auteur d’une vie du saint roi Ferdinand, 1630, in-8. D’après Agustin de Rojas, Vergara était à la tête d’une troupe de comédiens. Il y a eu un chirurgien célèbre de ce nom.


Villamediana (le comte de), don Juan de Tassis y Peralta, célèbre dans l’histoire galante de l’Espagne, était un grand seigneur, très-brillant, qui mourut victime de sa galanterie et de son génie satirique. Il était de toutes les fêtes de la cour et composait des pièces que la reine et ses dames d’honneur jouaient sur le théâtre du palais. Un jour, la reine d’Espagne traversant une galerie pour rentrer dans ses appartements, quelqu’un vint par derrière et lui mit les deux mains sur les yeux : « Qu’est-ce donc, comte ? » dit simplement la reine. Mais ce n’était point le comte ; c’était le roi, et quelques jours après Villamediana fut assassiné. Il avait reçu le jour même de sa mort, l’avis de veiller sur sa personne. Mme d’Aulnoy, dans son curieux « Voyage en Espagne, » a raconté l’histoire romanesque du comte de Villamediana. On prétend, non sans raison, que cet assassinat fut provoqué par quelques pamphlets ou satires politiques du comte : aussi quelques contemporains disent qu’il mourut « por haber hablado mas de lo que debiera. » Villamediana était de l’école de Góngora ; mais doué d’un vrai talent de poëte, il a laissé des poésies très-remarquables. Le recueil de ses œuvres parut huit ou neuf ans après sa mort, à Saragosse, en 1629, in-4. On trouve dans ce recueil trois poëmes (Phaëton, Daphné, Europe) qui sont évidemment des imitations du Polyphème de Góngora. Parmi ses trois cents sonnets, il en est de satiriques, de sérieux et de burlesques. Ses poésies légères rappellent les anciennes romances. Le recueil des œuvres de Villamediana, publié à Saragosse, est loin d’être complet. On cite un très-grand nombre de poésies manuscrites.


Virués (Cristóbal de), né à Valence, fils du docteur Alonso Virués ; se distingua également dans les armes et dans les lettres. Il servit longtemps dans le Milanais et obtint le grade de capitaine. Il était aussi à la bataille de Lépante. Son nom est un des plus illustres de cette pléiade de poëtes qui formaient à Valence une sorte de colonie littéraire. Virués était en relations d’intimité avec Lope de Vega. — On sait que ce fécond dramaturge, à la suite d’une affaire d’honneur, fut exilé à Valence en 1585. — Il était à la fois poëte dramatique, lyrique ou épique. Dans la préface de ses œuvres tragiques et lyriques, Virués s’attribue l’honneur d’avoir le premier réduit les comédies en trois journées ; et il dit expressément la même chose dans le prologue en vers qui précède sa tragédie, « La gran Semiramis : »

Y solamente porque importa advierto
Que esta tragedia, con estilo nuevo
Que ella introduce, viene en tres jornadas
Que suceden en tiempos diferentes.
En el sitio de Batra la primera,
En Ninive famosa la segunda,
La tercera y final en Babilonia,
Formando en cada cual una tragedia
Con que podrá toda la de hoy tenerse
Por tres tragedias, no sin arte escritas.

Lope de Vega répète cette assertion dans sa singulière poétique :

El capitan Virués, insigne ingenio,
Puso en tres actos la comedia, que antes
Andaba en cuatro como pies de niño,
Que eran entonces niñas las comedias.

(Arte nuevo de hacer comedias en este tiempo.)

S’il ne s’agissait que de la division des pièces de théâtre en trois actes, ni Virués, ni Rey de Artieda, ni Cervantes, ni d’autres encore n’étaient dans le vrai, en s’attribuant le mérite de cette innovation, dont l’auteur véritable est peut-être Francisco de Avendaño (1553). Mais Virués, s’adressant à son public, à la manière des tragiques grecs ou des comiques latins, parle d’une véritable trilogie, ou si l’on veut d’une triple tragédie sous un titre unique. En autres termes, il déclare que dans sa tragédie de Sémiramis, il y a trois actions différentes, qui forment autant de tragédies ; et chacune de ces tragédies se passe dans une ville différente. Le spectateur se trouve successivement transporté à Bactres, à Ninive et à Babylone. Virués, qui s’inspirait de la tradition classique, n’entendait point violer l’unité de lieu, et il croyait sincèrement concilier celle-ci avec l’unité d’action. — On a de Virués cinq tragédies ou mieux cinq drames, écrits en 1580 et 1590, et publiés seulement en 1609. Ils sont d’une rare extravagance ; les personnages y meurent par douzaines, et telle action ne dure pas moins de quarante années. La plus régulière et la moins absurde de ces pièces est celle qui a pour titre : Elisa Dido, tragédie conforme, non pas à la tradition virgilienne, mais au genre adopté par les Grecs ; faible d’ailleurs comme intérêt et comme peinture de caractère. Virués est auteur d’un poëme légendaire et religieux : « El Monserrate; fundacion de aquella real casa y camara angelical, con relacion de la vida y penitencia de Fray Juan Guarin, » Madrid, 1587. « El Monserrate segundo, » Milan, 1602, in-8. C’est le même poëme revu et augmenté, un des meilleurs de la littérature espagnole. Cervantes le cite avec éloge dans l’examen des livres de Don Quichotte, à côté de l’Araucana de Ercilla et de la Austriada de Juan Rufo : « Todos estos tres libros, dijo el Cura, son los mejores que en verso heróico en lengua castellana estan escritos, y pueden competir con los mas famosos de Italia: guárdense como las mas ricas prendas de poesia que tiene España. » Le poëme est en vingt chants, et remarquable par l’harmonie des vers. Virués avait composé, non sans succès, quelques épîtres morales et satiriques : on cite notamment une épître sur les bienfaits de la paix, et un morceau descriptif : « Le passage du Saint-Gothard par les troupes espagnoles, allant de Milan aux Pays-Bas (1605). « Obras trágicas y liricas, » Madrid, 1609, in-8. Une lettre de Balthazar Escobar, en tête du « segundo Monserrate, » nous apprend que Virués tenait prêt pour l’impression un volume de vers : « Rimas. »


Valdivieso ou Valdivielso (El maestro José de), né à Tolède, contemporain de Cervantes, de Lope de Vega et de cette nombreuse pléiade d’écrivains et de poëtes qui ont illustré la littérature espagnole, dans le premier quart du dix-septième siècle. Il suivit la carrière ecclésiastique avec distinction. Chapelain de la chapelle mozarabe de la cathédrale de Tolède, il fut l’ami et le protégé du cardinal-infant. Il était le plus souvent à Madrid, et voyait familièrement la plupart des auteurs en renom. Il joua dans les lettres un rôle analogue à celui du célèbre père Mersenne dans les sciences. Peu d’ouvrages littéraires parurent sans son approbation, depuis 1607 jusqu’au delà de 1630. Il n’était pas, à proprement parler, l’arbitre de la littérature de son temps ; mais ses jugements se recommandaient par le bon sens autant que par le bon goût ; et la plupart de ses critiques, sous une forme élégante et mesurée, peuvent être admises sans trop de restrictions. Il évitait ces banalités qui étaient monnaie courante parmi les panégyristes officieux et même parmi les censeurs officiels. Valdivieso était lui-même un écrivain et un poëte distingué. Il a fait beaucoup de poésie religieuse, mais sans exclure toutefois le genre et les sujets profanes. On ne peut pas dire qu’il ait travaillé pour le théâtre ; car ses pièces dramatiques et ses autos sacramentales (analogues aux anciens mystères du théâtre français) furent jouées presque toutes dans la cathédrale de Tolède, suivant une ancienne coutume dont la tradition se retrouve encore de nos jours en Espagne, dans les cérémonies de la semaine sainte et les réjouissances de Noël et de Pâques. Ces productions de Valdivieso annoncent un esprit facile, ingénieux, une imagination féconde, et un sentiment très-délicat. On cite parmi ses petits drames religieux, l’Enfant prodigue, qui jouit d’une grande popularité ; Psyché et Cupidon, sujet tout mythologique et profane, ingénieusement traité au point de vue religieux, grâce à une perpétuelle allégorie, qui est aussi le grand ressort d’une autre pièce, du genre biblique, ayant pour titre : « l’Arbre de vie. » Ce qu’il y a de singulier dans toutes ces pièces, c’est le mélange d’une foi religieuse très-profonde, et des souvenirs d’une autre civilisation, cette association du sacré et du profane qui nous montre les penchants mystiques en parfait accord avec les instincts poétiques ; l’imagination la plus fougueuse aux prises avec les dogmes de la théologie, en peu de mots, la religion positive servant de thème à l’improvisation ou a l’inspiration. On sait comment Calderon a su mettre en œuvre tous ces éléments hétérogènes. Valdivieso a fait aussi deux comédies dans le même genre : l’une en l’honneur de la Vierge, l’autre de l’ange gardien. Elles sont inférieures à ses autos. Mais ce qui recommande également autos et comédies, c’est la facilité du style, la vivacité du dialogue et l’évocation perpétuelle des vieilles traditions nationales. C’était plus qu’il n’en fallait pour plaire au public, et Valdivieso avait beaucoup de succès. Il a été moins heureux dans ses deux poëmes sur la vie de saint Joseph, son patron, et l’image miraculeuse de la Vierge qu’on vénérait à Tolède. Quoi qu’en ait dit le judicieux Nicolas Antonio, ces volumineux poëmes ne se recommandent que par la piété solide de l’auteur ; mais, sauf une certaine facilité de versification, ils sont absolument sans intérêt, c’est-à-dire sans valeur. Ces deux poëmes sont en octaves. Valdivieso excellait aussi aux petites compositions ; et il y a nombre de pièces très-remarquables dans son Romancero religieux. Cervantes faisait grand cas du talent poétique et du goût de cet ecclésiastique. Valdivieso de son côté, qui était lié d’amitié avec Cervantes (ils étaient l’un et l’autre de la confrérie du Saint-Sacrement), a rendu justice pleine et entière en termes excellents dans la censure qu’il fit du « Persilès, » ouvrage posthume du « rare inventeur. » — « Vida, excelencias y muerte del gloriosisimo patriarca san José. » Tolède, 1607, in-8. — « Romancero espiritual del santisimo Sacramento, » 1612, in-8. — « Sagrario de Toledo. » Madrid, 1616, in-8. — « Doce autos sacramentales y dos comedias divinas. » Tolède, 1622, in-4. — « Exposicion parafrastica del Psalterio. » Madrid, 1637, in-8. — « Elogios del santisimo Sacramento, á la Cruz santisima y á la purisima Virgen. » Madrid, 1630, in-8.


Velez de Guevara (Luis), né à Ecija, en Andalousie, en 1570, mort à Madrid en 1644, célèbre romancier et poëte dramatique, fut un des plus habiles représentants des théories poétiques de Lope et le plus fécond des dramaturges de son école. Il était très-populaire. Douze années avant sa mort, Juan Perez de Montalvan portait déjà à quatre cents le nombre de ses comédies (1632). Voici ce qu’il en dit : « Luis Velez de Guevara ha escrito mas de quatrocientas comedias, y todas llenas de pensamientos sutiles, arrojamientos poéticos y versos excelentisimos y bizarros, en que no admite comparacion su valiente espiritu. » En effet, Luis Velez de Guevara maniait admirablement les vers, et il était comme Lope, plein de verve et de mauvais goût. Ses pièces sont en général intéressantes, notamment celles qui ont pour sujet quelque événement mémorable de l’histoire nationale. Il est surtout connu en France par son roman satirique, « El diablo cojuelo », Madrid, 1641, in-8, si populaire depuis l’imitation qu’en a faite Le Sage. Velez de Guevara a écrit aussi : « Elogio del juramento del serenisimo principe don Felipe Domingo deste nombre Cuarto. » Madrid, 1608. Cet écrit lui fut probablement commandé par le ministre tout-puissant de Philippe III.


Sous le nom de Tityre, Cervantes a désigné Virgile, et Sannazar sous celui de Sincero, un des personnages de l’Arcadie de ce poëte napolitain.

Iciar (Juan de), basque, auteur d’un traité d’arithmétique pratique (Saragosse, 1546), et d’un autre traité d’orthographe et de calcul (ibid., 1553, in-4o).

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