Le Voyage artistique à Bayreuth / V- Analyse musicale – (12/14) Les Maîtres Chanteurs

Le Voyage artistique à Bayreuth (1897)
Librairie Ch. Delagrave (p. 342-369).
LES MAÎTRES CHANTEURS DE NUREMBERG


DÉSIGNATION
des principaux Leit-motifs des
MAÎTRES CHANTEURS
dans l’ordre de leur première
apparition intégrale.
___________________________
OUV. 1er  ACTE 2me  ACTE 3me ACTE
[P= Prélude] P P 1er 
tabl.
2me  tabl.
SCÈNES : 1 2 3 1 2 3 4 5 6 7 1 2 3 4 5
Les Maîtres
L’Amour naissant
La Bannière
La Passion déclarée ■ ■
L’Ardeur impatiente
David
Saint Crépin
La Couronne
L’Assemblée
La Saint Jean
Walther
Beckmesser querelleur
La Bonté de Sachs
Motif patronal de Nuremberg
Éva
Calme de la nuit d’été
La Sérénade
La Bastonnade
Profonde émotion de Sachs
Nuremberg endimanché
Harmonie du Songe
Récit du Songe (Chant de Maîtrise)
Anxiété d’Éva
OUVERTURE

L’Ouverture des Maîtres Chanteurs, bien qu’elle constitue un superbe portique à l’œuvre et un morceau symphonique en apparence indépendant et complet par lui-même, ne peut être entièrement comprise et admirée comme elle le mérite que par celui qui a déjà une connaissance complète de l’ouvrage entier, c’est-à-dire à une deuxième lecture ou à une deuxième audition. Elle est construite sur cinq thèmes pris parmi les plus importants de l’ouvrage, dont elle expose le sujet réduit à sa plus grande simplicité. Deux de ces thèmes font connaître la docte et prétentieuse corporation des Maîtres Chanteurs ; les trois autres nous dépeignent les diverses phases de l’amour d’Eva et du chevalier Walther de Stolzing.

Tout d’abord, des accords lourds et pompeux, d’une allure à la fois noble et pédante, affectant un rythme de marche

LES MAÎTRES
[partition à transcrire]


dessinent énergiquement le caractère des Maîtres Chanteurs, gens à convictions profondes, à principes inébranlables, respectables au fond, mais poussant parfois leur zèle jusqu’à l’absurdité ; d’ailleurs gais et dispos.

Par une douce opposition, aussitôt se fait entendre le charmant motif de L’Amourt naissant, à la fois léger, discret, déjà tendre pourtant : l’éclosion de l’amour inconscient :

L’AMOUR NAISSANT
[partition à transcrire]

[Nous le retrouverons sans cesse dans l’ouvrage, parfois indiqué seulement par quelques notes initiales.]

Cet épisode est court : 14 mesures ; bientôt apparaît un 2e  motif caractéristique des Maîtres.

Celui-ci a nom La Bannière :

LA BANNIÈRE
[partition à transcrire]

Il est moins bourgeois, je dirais presque plus héraldique que le motif des Maîtres proprement dit ; on voit la bannière flotter largement au vent, la belle bannière avec le roi David jouant de la harpe, le signe extérieur et glorieux de la dignité de la corporation, lemblème de sa science, de sa fidélité aux règles, de son orgueil.

[De même qu’une bannière est faite pour être portée en tête de toute société ou maîtrise qui se respecte, lorsqu’elle a à se manifester, à prendre part à une fête ou une réjouissance publique, nous verrons le motif de La Bannière faire escorte à celui des Maîtres dans toutes les grandes circonstances.]

Ce motif s’étale largement, ayant pour continuation de beaux développements qui font voir sous de nouveaux aspects le motif des Maîtres, lequel se termine par une majestueuse cadence. Après un court épisode de huit mesures (qu’on a appelé l’Interrogation d’amour), il se présente un nouveau thème d’importance capitale, La Passion déclarée.

LA PASSION DÉCLARÉE
[partition à transcrire]


[qui parcourra tout l’ouvrage, et trouvera sa plus haute expression, comme sa forme définitive, au dernier acte, dans le chant de maîtrise, puis lorsque le peuple s’associe au triomphe de Walther et de son amour.]

Un dernier motif, attaché, celui-ci, au seul personnage de Walther, entre encore dans la contexture de l’Ouverture. On l’appelle L’Ardeur impatiente.

L’ARDEUR IMPATIENTE
[partition à transcrire]

[Nous le verrons hanter spécialement le bon Sachs, notamment vers la fin de la scène iii du 2e acte.]

[partition à transcrire]

L’Ouverture se développe ensuite par des alternances de ces divers motifs, jusqu’au moment où trois d’entre eux : Les Maîtres, La Bannière, et La Passion déclarée, se combinant simultanément de la façon la plus ingénieuse, viennent nous faire pressentir ce que sera le dénouement de l’action elle-même : l’alliance, la fusion de l’Art savant, mais routinier, des vieux Maîtres avec un Art nouveau, plus spontané, celui de Walther, inspiré par l’amour.

Cette Ouverture est donc entièrement symbolique ; elle résume l’action, en écartant les personnages épisodiques et les incidents burlesques, et en expose nettement la conception philosophique, qui a puissance de thèse.

1er  Acte.

Scène i. — Au lever du rideau, et pendant les points d’orgue du Choral du Baptême (p. 264), Walther exprime d’abord sa flamme par une mimique expressive, qu’accompagnent tout naturellement, ainsi que son dialogue avec Eva, les motifs de L’Amour naissant, L’Ardeur impatiente, La Passion déclarée. Ensuite, préparant l’Assemblée des Maîtres, nous voyons pour la première fois Da'vid, avec son motif gai et sautillant, à l’air bon garçon :

DAVID
[partition à transcrire]


Plus loin nous retrouvons de fréquents emprunts aux Maîtres et à La Bannière, ainsi qu’aux motifs d’amour précités.

Scène ii. — La scène II ne nous fait connaître que deux nouveaux thèmes : celui de Saint Crépin, patron des cordonniers, personnifiant Hans Sachs dans l’exercice prosaïque de sa profession manuelle,

St  CRÉPIN (ou HANS SACHS CORDONNIER
[partition à transcrire]


qui apparaît ici une seule fois à l’orchestre pendant que David, tout en vaquant à ses occupations, s’efforce d’enseigner à Wallher les règles saugrenues de la tablature ; et celui de La Couronne, la belle couronne de fleurs, en forme de refrain populaire, que David chante le premier, et que les écoliers joyeux et espiègles reprennent en chœur.

LA COURONNE
[partition à transcrire]

[À chacun de ses retours il restera caractéristique de la joie enfantine des écoliers, qui le chantent souvent en dansant une ronde folle.]

Avant l’exposition de ces deux thèmes, ceux de David, de L’Amour naissant, de La Bannière, de L’Ardeur impatiente, sont assez souvent rappelés.

Scène iii. — Accompagnant l’entrée de Pogner et Beckmesser, nous entendons le thème de L’Assemblée :

L’ASSEMBLÉE
[partition à transcrire]


celui-ci représente les Maîtres, non plus dans leurs fonctions extérieures, leur apparat, mais dans leurs occupations intérieures et en quelque sorte administratives, leurs examens d’admission, auxquels ils conservent les mêmes formes solennelles et rituelles, le même sentiment de leur importance. Moins bouffi d’orgueil que celui des Maîtres, moins fanfaron que celui de La Bannière, celui-ci est empreint d’une onction et d’une dignité voisines de la fatuité, et achève délicieusement le portrait musical de la docte confrérie. Il règne pendant tout le temps où entrent successivement les douze apôtres de l’art, puis aussitôt après l’appel de leurs noms, Pogner nous fait connaître un motif plein de sérénité, La Saint-Jean,

LA St  JEAN
[partition à transcrire]


qui, en lui-même, exprime la joie et l’allégresse de la fête patronale, laquelle sera célébrée le lendemain, mais qui pour l’instant est inséparable, dans l’esprit du brave orfèvre, de la satisfaction qu’il éprouve à l’idée que sa fille Eva sera, avec sa fortune, le prix du concours, que ceia la rendra très heureuse et relèvera fameusement le prestige de la docte corporation.

Après son discours, le motif de La Saint-Jean se combine avec L’Assemblée et avec Les Maîtres ; La Couronne fait deux courtes apparitions. La discussion s’aigrit, tout le monde parle à la fois. C’est alors que Pogner présente le chevalier Walther de Stolzing aux Maîtres assemblés, et voici le motif qui accompagne cette présentation, motif dessinant en quelques notes sa tournure élégante et svelte, sa distinction de race :

WALTHER
[partition à transcrire]

[Ce fier motif, qui ne s’applique jamais qu’à Walther, traversera tout le reste de l’ouvrage.]

Il est très amusant de voir la façon dont il est dénaturé, au cours de la même scène, une dizaine de pages plus loin ; c’est alors Walther tel que le voit Beckmesser à travers les yeux hargneux de sa jalousie :

[partition à transcrire]

Walther chante presque aussitôt son ravissant Lied, « le Lied aux Maîtres de Walther ». (Voir p. 265.)

Kothner donne, sur une psalmodie bizarre et archaïque, lecture des règles immuables de la tablature ; Beckmesser lance son rauque : « Commencez ! » et Walther, saisissant le mot au vol, improvise son Hymne au Printemps (voir p. 266), qui est fort mal accueilli, surtout par Beckmesser, ce qui était à prévoir,

BECKMESSER QUERELLEUR
[partition à transcrire]


dont ce motif saccadé, cassant, plein de dissonances que l’orchestre se plaît à rendurcir, dépeint bien le caractère rechigné, querelleur, sournois et chicanier.

Une sorte de lutte s’établit à l’orchestre entre le motif de Beckmesser et ceux de Walther, comme sur la scène entre les deux personnages, jusqu’au moment où Hans Sachs prend la parole. Poursuivi parle souvenir de L’ardeur impatiente, il s’exprime avec une onction douce et calme qui fait un heureux contraste avec les violences précédentes. Voici le thème qui a été nommé La Bonté de Sachs :

LA BONTÉ DE SACHS
[partition à transcrire]
[Jusqu’ici, il ne peut éprouver pour Walther que de la sympathie ;

aussi lorsque, plus tard, nous retrouverons ce motif au 3e acte, scène ii, il aura acquis toute son expansion ; ce n’est plus alors seulement de la sympathie qu’il exprimera, mais le plus affectueux des dévouements.]

[partition à transcrire]

Dans le reste de la scène, la querelle s’envenime de plus en plus entre tous les motifs, et finalement le pauvre Sachs est battu par le haineux Beckmesser, aidé d’un méchant rappel de Saint Crépin.

Walther est évincé. Les Écoliers s’en amusent sur l’air de La Couronne ; les Maîtres routiniers triomphent, mais quand le rideau tombe,… un basson vengeur tourne en ridicule le motif des Maîtres !

2me  Acte.

Scène i. — Le Prélude du 2e acte rappelle le motif de La Saint-Jean. — Le rideau levé, il alterne avec La Couronne, celui-ci chanté et dansé par les Écoliers.

Scène ii. — Pendant le dialogue entre Pogner et sa fille, se fait jour dans l’orchestre Le motif patronal de Nuremberg, qui représente bien le brave bourgeois allemand du XVIe siècle, le contentement qu’il éprouve de la fête populaire, de ce repos à la fois joyeux et pompeux, qui flatte sa vanité de bon citoyen aisé, motif calme, sans bruit, sans tapage, d’une gaieté placide et un peu lourde.

MOTIF PATRONAL DE NUREMBERG
[partition à transcrire]

Les motifs de Saint Crépin et de L’Amour naissant, à peine indiqués, sont les seuls de cette scène.

Scène iii. — Après quelques nouvelles allusions à Saint Crépin, le motif de L’ardeur impatiente prend une grande importance pendant le Monologue de Sachs, de plus en plus ému.

Scène iv. — Ici apparaît, avec Eva, son thème caractéristique, empreint de grâce et de charme. C’est bien le type de la jolie fille allemande, gracieuse sans coquetterie, simple, naïve et sensible, intelligente aussi

EVA
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

C’est bien ainsi que doivent la voir Walther avec son enthousiasme de poète, Sachs avec sa tendresse quasi paternelle. Elle se fait câline auprès du bon Sachs pour tâcher de savoir ce qui s’est passé et ce qui pourra bien advenir.

Les motifs de Saint Crépin, de Walther, de Beckmesser querelleur, reviennent sans cesse sous le dialogue, commentant la conversation animée.

Scène v. — Walther paraît, escorté de son motif typique ; il rencontre Eva motif de L’Ardeur impatiente) ; ils causent de la décision de Pogner (motif des Maîtres) ; le Veilleur de nuit fait entendre sa trompe burlesque, et aussitôt surgit un nouveau motif d’amour, impersonnel,

CALME DE LA NUIT D’ÉTÉ
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


celui-là, dont l’harmonie, d’un charnue exquis, semble étendre sur toute la nature son influence apaisante. Le Veilleur psalmodie sa mélopée moyenâgeuse, constatant le calme de la petite ville, donne dans le lointain un dernier coup de corne ; et alors commence, pour ne finir qu’avec l’acte, une série de scènes désopilantes dans lesquelles la musique prend la part la plus spirituelle, mais inénarrable.

Scène vi. — Beckmesser arrive pour croasser sa Sérénade sous la fenêtre de sa belle ; il accorde cocassement son luth, et Sachs lui coupe la parole avec sa Chanson biblique (p. 367). Il parvient pourtant à chanter, tant bien que mal, et avec force contorsions ; mais le malicieux Sachs scande violemment chacune de ses fautes d’un grand coup de marteau sur sa forme de cordonnier.

La Sérénade elle-même est parfaitement grotesque, aussi bien par sa musique et sa prosodie que par l’absurdité des paroles, un vrai chef-d’œuvre d’ineptie, de bouffonnerie germanique, un peu lourde, un peu grosse, mais bien amusante ; le luth qui l’accompagne est joué dans l’orchestre par un des musiciens-assistants ; c’est une sorte de harpe informe dont les cordes ressemblent à de gros fils de fer ; les sons qui en sortent sont horribles et aussi baroques que la voix du greffier.

LA SÉRÉNADE
[partition à transcrire]

Le motif de La Sérénade est, dans l’idée de Beckmesser, on le sent, construit selon les principes réguliers, bien carré, et embelli des ornements les plus ridicules. C’est le triomphe de la pédanterie.

Scène vii. — Tout ce bruit ameute d’abord les voisins, puis le quartier et la population entière ; tout le monde se querelle, se bat ; du motif de La Sérénade, né lui-même de l’accord du luth, dérive celui de La Bastonnade :

LA BASTONNADE
[partition à transcrire]


tous deux sont traités par Wagner en forme de fugue des plus spirituelles, dans laquelle chacun a sa partie, Sachs, Walther, les Maîtres, les Apprentis, les Voisins, les Voisines ; les violons grincent, les cuivres beuglent, le tumulte fait rage, et tout cet admirable charivari n’est fait qu’avec des fragments du Luth et de la malheureuse Sérénade ; c’est Beckmesser bafoué par ses propres motifs.

Un coup de trompe du placide Veilleur met tout le monde en fuite, et quand il arrive, chacun est rentré dans sa demeure.

Seul règne Le Calme de la nuit d’été, dont la fraîcheur repose de tout cet amusant vacarme.

3me  Acte.

Scène i. — Le Prélude est tissé au moyen de trois motifs nouveaux : La Profonde Émotion de Sachs

PROFONDE ÉMOTION DE SACHS
[partition à transcrire]


lui sert de début comme de conclusion ; le Choral de Sachs (p. 364) et sa Chanson biblique p. 367) en constituent le milieu. Le premier, grave et triste, qu’on a aussi appelé le thème de la Sagesse Humaine, a déjà fait une très courte apparition, presque inaperçue, au 2e acte (scène iii) ; il va devenir très important.

Dès le lever du rideau, il se combine avec le gai motif de David, formant une curieuse ojiposition ; puis viennent des souvenirs du Luth, de La Sérénade, de La Bastonnade ; peu après, David chante Le Choral du Jourdain (p. 364) ; rappel de La Profonde émotion s’entremêlant avec L’Amour naissant ; le Motif Patronal de Nuremberg reparaît, accompagné d’une nouvelle forme qui semble caractériser Nuremberg endimanché, la ville en fête ;

NUREMBERG ENDIMANCHÉ
[partition à transcrire]


Le Calme de la nuit d’été se représente à la pensée de Sachs, avec de nouvelles réminiscences de La Sérénade et de La Bastonnade ; La Saint-Jean se confond avec L’Amour naissant. Tous ces motifs nous font pénétrer dans la pensée intime de Sachs, ils se rapportent tous à l’objet de ses préoccupations, et son émotion va croissant à mesure qu’il voit approcher le moment où il pourra terminer son œuvre en faisant deux heureux.

Scène ii. — Un arpège prolongé nous annonce l’arrivée de Walther, accueilli par La Profonde émotion, à laquelle se mélange de nouveau L’Amour naissant

Walther raconte qu’il a fait un rêve merveilleux ; aussitôt s’esquisse dans l’orchestre l’Harmonie du songe.

HARMONIE DU SONGE
[partition à transcrire]


[qui ne sera exposée en entier qu’à la scène iv,

[partition à transcrire]


lorsqu’il s’agira de donner un nom à la mélodie issue de ce rêve, c’est-à-dire quelques mesures avant le Quintette du Baptême.]

C’est dans cette scène que le thème de La Profonde émotion de Sachs atteint son summum, pendant que Sachs donne à Walther la plus belle et la plus élevée des leçons de composition. Incidemment reparaissent à chaque instant, soulignant les démonstrations, La Passion déclarée, Walther, Nuremberg endimanché, escorté du Motif Patronal.

C’est aussi au cours de cette leçon que Sachs intercale la jolie mélodie Souvenir de jeunesse (p. 368), et que Walther ébauche son gracieux et poétique Récit du songe,

RÉCIT DU SONGE
[partition à transcrire]


[qui deviendra plus tard, mûri et mis à point selon les conseils du bon maître, le Chant de Maîtrise.]

À noter que le début de la troisième Strophe n’est autre que le motif de La Passion déclarée, qui nous est connu depuis l’ouverture, et trouve ici son emploi justifié.

[partition à transcrire]


Scène iii. — Divers fragments du Luth, de La Sérénade et plus encore de La Bastonnade accompagnent l’entrée de Beckmesser, non sans se heurter à La Profonde émotion, à Saint Crépin, au Récit du songe, à Nuremberg, à Beckmesser querelleur, etc. Ici, aucun nouveau motif.

Scène iv. — Peu après l’arrivée d’Eva, il faut remarquer un joli dessin mélodique, d’une charmante souplesse, qui se prêtera à merveille à dépeindre son Anxiété dans toutes les phases par où elle passera successivement.

ANXIÉTÉ D’EVA
[partition à transcrire]


espoir, crainte, inquiétude… La plupart des autres motifs lui font cortège, notamment celui de Walther, qui répète intégralement son Récit du songe, suivi d’une nouvelle explosion de La Profonde émotion de Sachs, bien en situation.

Ici se place un fait musical sans analogue dans toute l’œuvre wagnérienne, et plein d’un spirituel à-propos :

Sachs ayant à dire qu’il connaît l’histoire de Tristan et Iseult, et qu’il n’entend pas donner un pendant au Roi Marke, c’est par des emprunts faits à la partition même de « Tristan et Iseult » que l’orchestre souligne ses paroles. Et combien ils sont heureusement choisis ! L’amour de Tristan et Iseult est représenté par le motif du « Désir », et le Roi Marke par celui de la « Consternation ». (Voir p. 310 et 333.)

Ensuite, Le Choral du Baptême (acte 1er  scène i) est plusieurs fois spirituellement rappelé, L’Harmonie du songe reçoit ici toute son extension, puis arrive le séduisant ensemble vocal qui a reçu le nom de Quintette du Baptême, et qui sort singulièrement des habitudes wagnériennes. Nous en reparlerons (p. 369).

Une sorte d’intermède orchestral, formé surtout des motifs de Nuremberg, de La Saint-Jean, des Maîtres, entrecoupés d’appels de cors et de trompettes, et pendant lequel le décor change, sert de trait d’union avec le tableau suivant, entièrement formé d’une seule scène.

Scène v. — Cette dernière scène de l’ouvrage ne contient aucun thème nouveau.

Les corporations défilent : les cordonniers sont accompagnés par La Saint-Crépin ; les tailleurs et les boulangers sont précédés de leurs fanfares respectives ; les Ecoliers dansent une Valse rustique et pleine d’entrain ; enfin l’entrée des Maîtres a lieu aux sons de leur propre motif typique, escorté, cela va de soi vu la solennité, de La Bannière, acclamée par tout le peuple, lequel entonne spontanément Le Choral de Sachs (p. 364), ce qui redouble La Profonde émotion de l’excellent homme.

Il fait un court mais chaleureux discours, accompagné par le dessin de L’Assemblée, par le motif des Maîtres, et celui de La Saint-Jean. Puis commence le concours.

Beckmesser ouvre le feu. Il ânonne les vers de Walther, défigurés et dépourvus de tout sens, sur une mélodie (?) du genre de sa Sérénade, en s’accompagnant sur son inénarrable guimbarde ; il se trompe, il bafouille, il est hué par la foule, et encore plus par l’orchestre, il rage : Beckmesser querelleur reparaît.

Après ce retour de la grosse bouffonnerie du 2e acte, c’est à Walther à chanter ; il fait entendre une dernière fois le Récit du songe, parvenu à son complet épanouissement, et qui prend ici le nom de Chant de Maîtrise.

Le peuple l’applaudit, les Maîtres eux-mêmes lui sont gagnés, tous les motifs d’amour se croisent dans l’orchestre, et Eva lui décerne la couronne, qu’elle dépose sur son front en reproduisant elle-même le contour mélodique initial de la 3e Strophe du Chant de Maîtrise.

Inutile de dire que tous les motifs ont trouvé l’occasion de s’en donner à cœur joie pendant cette scène d’ensemble.

Sachs s’avance pour haranguer le vainqueur, lui prend la main, et alors nous entendons, comme dans la péroraison de l’ouverture, La Passion déclarée (3e Strophe du Chant de Maîtrise) associée au thème des Maîtres Chanteurs, auquel ne tarde pas à se joindre, bien entendu, la pompeuse Bannière.

C’est sur ces derniers motifs, c’est-à-dire ceux de l’Ouverture, que l’ouvrage se termine en une orgie de trompettes étincelantes.

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CHORALS

La partition des Maîtres Chanteurs de Nuremberg, dont l’époque nous reporte aux premiers temps de la réforme luthérienne, contient trois Chorals dont il importe fort d’avoir connaissance.

Le premier est entendu dans la vieille église de Sainte-Catherine, dès le lever du rideau, et harmonisé dans la manière austère et classique de J.-S. Bach.

CHORAL DU BAPTÊME
[partition à transcrire]

Le deuxième est entonné par David presque au début du 3e acte (scène i), sous la forme mélodique.

CHORAL DU JOURDAIN
[partition à transcrire]

Le troisième, soi-disant attribué à Hans Sachs, figure dans le Prélude du 3e acte juste assez pour qu’on le reconnaisse lorsqu’à la scène finale le peuple lui en fait une flatteuse ovation.

CHORAL DE SACHS
[partition à transcrire]




MOTIFS INDÉPENDANTS

Il convient de signaler encore, bien qu’elles ne constituent pas des Leit-motifs, de grandes et belles formes mélodiques absolument indépendantes, avant leur autonomie et formant à elles seules un tout complet. Il faut y voir des sortes de Lieder qui apportent comme un repos au milieu de la trame contrepointée de la mélodie infinie, à laquelle ils se rattachent pourtant maintes fois, soit par des détails amusants de leur structure harmonique, soit par les contours mélodiques introduits à dessein dans les formules d’accompagnement. Ce sont principalement :

Le motif des Maîtres de Walther, qui se déroule en deux strophes, plus l’envoi (1er  acte, scèneiii);

LES MAÎTRES DE WALTHER
[partition à transcrire]

L’Hymne au Printemps, deux strophes aussi, mais dissemblables celles-ci, d’une ravissante poésie et d’une exquise fraîcheur, dont l’accompagnement est presque entièrement construit avec des fragments de L’Ardeur impatiente (1er  acte, scène iii);

HYMNE AU PRINTEMPS
[partition à transcrire]

La Mélopée du Veilleur de nuit, qui apparaît deux fois (2e acte, scène v ; 2e acte, fin de la scène vii), chaque fois précédée et suivie d’un comique appel de trompe, qui sonne toujours abominablement faux ;

MÉLOPÉE DU VEILLEUR DE NUIT
[partition à transcrire]

La Chanson biblique, d’un tour à la fois archaïque et plein de la plus spirituelle bonhomie,

CHANSON BIBLIQUE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


qui est formée de trois couplets réguliers (2e acte, scène vi). Elle est rappelée dans le prélude du 3e acte ; Le Souvenir de jeunesse (3e acte, scène ii),

SOUVENIR DE JEUNESSE
[partition à transcrire]


et le délicieux ensemble du Quintette du Baptême, qui termine la scène iv du 3me  acte de la façon la plus gracieuse et la plus poétique.

LE RÊVE PROPHÉTIQUE (Quintette du Baptême)
[partition à transcrire]

La présence d’un Quintette, d’un morceau d’ensemble régulièrement développé, est faite pour surprendre dans une œuvre de la pleine maturité de Wagner.

On peut pourtant l’expliquer en considérant que les cinq personnages en scène sont à ce moment en parfaite communion d’idées, ce qui lui enlève tout caractère d’illogisme.

Toutefois, il est vraisemblable que ce morceau aura été écrit longtemps avant le reste de la partition, dont il serait une des premières ébauches (voir p. 285), remontant à l’époque de « Tannhauser ».