Le Voyage artistique à Bayreuth / V- Analyse musicale – (13/14) Tétralogie

Le Voyage artistique à Bayreuth (1897)
Librairie Ch. Delagrave (p. np).
LA TÉTRALOGIE DE
L’ANNEAU DU NIBELUNG


DÉSIGNATION
des principaux Leit-motifs de la
Tétralogie de

L’ANNEAU DU NIBELUNG
dans l’ordre de leur première
apparition intégrale.

_________________________
L’OR DU RHIN LA WALKYRIE SIEGFRIED LE CRÉPUSCULE DES DIEUX
[PRO. = Prologue] 1er 
ACTE
2me 
ACTE
3me
ACTE
1er 
ACTE
2me 
ACTE
3me
ACTE
PRO 1er 
ACTE
2me 
ACTE
3me
ACTE
[P = Prélude] P P P P P P P P P
SCÈNES : 1 2 3 4 1 2 3 1 2 3 4 5 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 1 2 3 4 5 1 2 3
Le Rhin
Les Filles du Rhin
La Servitude
L’Or
Adoration de l’Or
La Puissance de l’anneau
Renoncement à l’amour
L’Anneau
Le Walhalla
Salut au Walhalla
Le Traité
La Fascination de l’amour
Freïa
La Fuite
Les Géants
Convention avec les Géants
Les Pommes d’or
Loge
Charme des flammes
Le Regret de l’amour
La Forge
Le Pouvoir du Casque
La Réflexion
La Puissance d’Alberich
L’amoncellement du trésor
Cri de triomphe du Nibelung
Le Dragon
Travail de destruction des Nibelungs
Malédiction de l’anneau
Les Nornes
Le Déclin des dieux
Incantation du tonnerre
L’Arc-en-ciel
L’Épée
La Tempête
Lassitude de Siegmund
La Compassion
L’Amour
La Race des Wälsungs
Hunding
L’Héroïsme des Wälsungs
Hymne au Printemps
La Volupté
La Chevauchée
Cri d’appel des Walkyries
Le Courroux de Wotan
Détresse des dieux
La Poursuite
Le Sort
La Mort
Siegfried gardien de l’Épée
La rédemption par l’amour
Le Sommeil éternel
Le Sommeil de Brünnhilde
L’Annonce d’une nouvelle vie
Chant d’adieu de Wotan
Appel du fils des bois
L’Amour de la vie
L’Amour filial
Le Désir de voyager
Wotan errant
La Puissance divine
Mime rampant
La Fonte de l’acier
Fafner
La Vengeance
L’Oiseau
L’Héritage du monde
Salut au monde
Salut à l’amour
Enthousiasme de l’amour
La Paix
Siegfried, trésor du monde
La Décision d’aimer
Brünnhilde
L’Amour héroïque
Amitié perfide de Hagen
La Trahison par la magie
Bienvenue de Gutrune
Justice de l’expiation
Le Meurtre
Appel au mariage

L’ANNEAU DU NIBELUNG

_________

L’OR DU RHIN


Prélude. — Le prélude de l’Or du Rhin consiste uniquement en cette colossale tenue d’un seul accord, l’accord de mi ♭, dont nous avons déjà parlé (p. 282). Cette tenue elle-même est déjà un Leit-motif des plus expressifs et descriptifs, du caractère le plus philosophique. Elle symbolise l’élément primitif, l’eau, à l’état de repos ; l’eau, dont, suivant la donnée mythologique, sortira la vie tout entière, avec ses luttes, ses passions. Pendant cette longue tenue, nous allons entendre se constituer la vie ; voilà de ces choses qui échappent au domaine de la parole, et que seule la musique, parlant sans intermédiaire à l’intelligence, peut tenter de nous faire concevoir.

Une seule note mystérieuse, fort grave, se fait d’abord très longuement entendre : c’est la nature qui sommeille ; à ce son fondamental, unique, primitif, vient s’adjoindre sa quinte ; longtemps après encore, l’octave ; puis peu à peu, tous les autres harmoniques dans l’ordre même où les produit la nature : puis des notes de passage, de plus en plus fréquentes ; des rythmes apparaissent, d’abord rudimentaires et se compliquent, se mélangent ; c’est déjà un commencement d’organisation ; les instruments s’ajoutent les uns aux autres, à de longs intervalles ; une sorte d’ondulation, régulière et cadencée, s’établit et donne le sentiment de l’eau en mouvement ; la sonorité s’enfle graduellement, envahit l’orchestre comme un torrent : l’agitation des vagues s’accentue, un frémissement s’annonce et grandit, faisant pressentir la vie, et lorsque

le rideau se lève… nous ne sommes nullement surpris de nous trouver au fond d’un large fleuve coulant à pleins bords ; notre esprit l’avait déjà conçu tel que le montre le décor.

[Ce prodigieux motif, qu’on appelle souvent motif de l’Élément Originel, restera destiné, dans toute la « Tétralogie », à personnifier Le Rhin, et néanmoins ses rappels ne seront pas des plus fréquents. En dehors du Prologue, qu’il encadre, nous le retrouverons seulement, d’une façon incidente, esquissé en passant dans la 1re  scène de « Siegfried », simplement parce que celui-ci, dans son langage imagé, parle de poissons qui nagent ; il reprend la plus grande importance dans le « Crépuscule », toutes les fois qu’il est question de rendre son bien au Rhin, considéré ici comme représentation de l’élément primordial, l’eau.

Mais son importance capitale domine l’œuvre entière, et se manifeste en ceci que la plupart des motifs les plus essentiels sont formés de ses éléments constitutifs, c’est-à-dire des sons harmoniques naturels (l’accord parfait majeur), groupés de différentes façons et plus ou moins ornés de notes de passage que tout musicien saura discerner. Parmi ceux qui en dérivent ainsi le plus indubitablement et qu’on rencontrera par la suite, je citerai principalement : Les Filles du Rhin, L’Or du Rhin, Les Pommes d’or, Les Nornes, Le Déclin des Dieux, L’Incantation du Tonnerre, L’Arc-en-ciel, L’Épée, La Chevauchée des Walkyries, Le Sommeil de Brünnhilde,… dont la signification, soit matérielle, soit psychologique, soit métaphysique, permet toujours d’établir un lien quelconque entre eux et l’idée de l’élément originel.]

Voici donc ce très important motif sous quelques-unes des formes principales qu’il revêt successivement dès le début du Prélude,

LE RHIN
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


lequel Prélude il remplit dans son entier, toujours croissant, grandissant et envahissant, sans jamais quitter le seul et unique accord de mi ♭ majeur.

C’est une merveille d’audace et de génie.

Scène i. — Aussitôt qu’apparaît un nouvel accord, la vie elle-même se manifeste par la présence et le chant plein de séduisante innocence des charmantes Filles du Rhin, nageant gracieusement autour de leur Or.

LES FILLES DU RHIN
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

Ce motif souple et charmeur, mélangé avec celui du Rhin, domine tout l’ensemble de la scène i, dans laquelle pourtant se dessinent certains rythmes saccadés et heurtés, apparaissant l’un à l’entrée d’Alberich (sol mineur), l’autre au 2/4, tous deux caractérisant, sans nul doute, la disgracieuse démarche et les allures répulsives de l’antipathique gnome.

[On reconnaîtra le deuxième au début de la scène iii.]

Lorsque Alberich a successivement essuyé les refus moqueurs des trois Ondines, il exhale sa rage en une sorte de cri douloureux, deux fois répété, formé de deux notes seulement, en seconde mineure descendante, qui exprime énergiquement le désespoir que lui cause son impuissance.

LA SERVITUDE
[partition à transcrire]

[Cette brève formule restera attachée, pendant tout le cours de la «Tétralogie», aux idées de Servitude, de servage, d’asservissement, et ses emplois seront très fréquents, pour ne pas dire perpétuels.

Si elle est difficile à reconnaître en raison de sa brièveté, en revanche le caractère pénible de son expression la signale toujours à l’attention.]

Au moment où l’Or s’illumine, il est salué par une brillante fanfare, plusieurs fois répétée, qui restera son motif caractéristique,

L’OR

\relative c'' {
\clef F
\key c \major
\time 3/4
\set Staff.midiInstrument = #"trumpet"
\partial 4  d,,8. d16
  g4. (d16)  d16 g8 b8 
  d2.
  }


visiblement dérivé du Rhin, ainsi que le veut la logique, puisque c’est de l’Or du Rhin qu’il s’agit.

Dans l’ensemble chatoyant des trois voix qui suit immédiatement cette apparition de l’Or, il est glorifié par une sorte de cri de joie des nymphes, lequel affecte deux formes différentes, pouvant se présenter séparément ou réunies sans pour cela rien perdre de leur signification, mais ne restant pas plus attaché à leur personne qu’il n’entraînera nécessairement par la suite l’idée de la joie. C’est L’Adoration de l’Or, et rien autre.

Cette première forme est généralement répétée deux fois. (Il est d’ailleurs à remarquer que lorsque Wagner veut incruster un Leit-motif dans l’oreille de l’auditeur, il ne craint jamais d’insister dessus, et c’est là une des choses qui font qu’on n’a nul besoin de les chercher ; il suffit de savoir écouter.)

ADORATION DE L’OR
[partition à transcrire]

Dans la deuxième forme, il faut distinguer l’accent vocal, son inflexion caractéristique, et le dessin instrumental, scintillant comme du métal poli ; l’un et l’autre seront employés isolément, sans que leur signification soit modifiée : c’est toujours L’Adoration de l’Or.

C’est alors que l’une des nymphes commet l’imprudence insigne de révéler au gnome la toute-puissance qui serait attachée à cet or forgé en anneau, et cela, au moyen de ce nouveau motif, qui, on le remarquera, offre beaucoup de rapports avec celui de l’Anneau, lequel n’apparaît qu’un peu plus loin.

LA PUISSANCE DE L’ANNEAU
[partition à transcrire]

Ici se noue, à vrai dire, l’action du drame entier ; sans le bavardage inconsidéré des Nixes, Alberich n’aurait pas songé à dérober l’Or, qui va causer tant de malheurs.

Mais, pour posséder cet or, lui apprend à son tour une autre fille du Rhin, il faudrait renoncer à l’amour.

RENONCEMENT À L’AMOUR
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


[Exemple musical sans titre]


Alberich n’hésite pas longtemps ; se voyant dans l’impossibilité d’atteindre et d’enlacer les agiles nymphes, il tourne son ambition vers la richesse et la puissance ; l’orchestre, écho de sa pensée, murmure sourdement le thème de La Puissance de l’Anneau, suivi de la formule de Renoncement, et dès lors, s’élançant âprement sur le roc, le gravissant, l’escaladant plutôt, il peut s’emparer de ror convoité.

À l’extrême fin de la scène i apparaît pour la première fois le thème spécialement attaché à L’Anneau.

L’ANNEAU
[partition à transcrire]

[Celui-là, bien entendu, traversera l’ouvrage tout entier."]

Scène ii. — Par un procédé fréquent chez Wagner, mais qui trouve ici une de ses plus belles applications, le motif précédent, au moyen d’une suite de transformations insensibles, vient se fondre en celui du Walhalla, d’un caractère absolument différent, et dépeignant majestueusement la somptuosité du Palais des dieux. Ce motif déroule placidement sa splendeur dans la douce et calme tonalité de ♭ majeur.

LE WALHALLA

\relative c'' {
\new PianoStaff << 
\new Staff {
\clef F
\key des \major
\time 3/4
<aes,  des f aes>4_\p
(<aes  des f>4.
<f aes  des >8
<ges bes>8. <f aes des>16 <f aes des>8 <ees aes c ees>8 <f aes des f>4)
}
\new Staff  {
\clef F
\key des \major
\time 3/4
<des, des'>2~ <des des'>8 <des des'>8
(<ges des'>8. <des des'>16 <des des'>8 <aes aes'>8 <des des'>4)
}
>>
}


[Il sera l’objet de multiples transformations. Au 3e acte, scène i de « Siegfried ». nous le voyons triomphant, à 4 temps, et associé au thème de L’Épée ;


\relative c'' {
\new PianoStaff << 
\new Staff {
\clef G
\key bes \major
\time 4/4
<bes ees g bes>4_\f
<g bes ees g>2
<ees bes' ees>4
<c aes' c>4. <g' bes ees>8 <g ees'>4 <f bes d f>4\dim ~ |
<g ees' g>2\! |
}
\new Staff  {
\clef F
\key bes \major
\time 4/4
<ees, ees'>4 <ees, ees'>8. <g g'>16 <bes bes'>8. <ees ees'>16 <g g'>4~
<g g'>4 <f f'>8 <ees ees'>8 <bes' bes'>4 <bes, bes'>4 <ees bes'>2
}
>>
}


au 2e acte du « Crépuscule », à la fin de la scène i, où Alberich excite Hagen à reconquérir le pouvoir, il apparaît comme démantelé, en mine, méconnaissable.

Il a déjà été entrevu en cet état lorsque, à la scène ii du 2e acte de la « Walkyrie », Wotan prévoit la fin prochaine des dieux.

Enfin il est souvent représenté par ses seules dernières notes, formant une resplendissante conclusion, dans laquelle on peut voir une sorte de grandiose Salut au Walhalla, qui se trouve dans « L’Or du Rhin », scène ii, trois mesures avant la suppression des bémols.]

SALUT AU WALHALLA
[partition à transcrire]

Encore trois mesures plus loin apparaît le thème dit du Traité, représentant d’une façon générale l’idée d’un traité quelconque, d’un pacte, d’un marché conclu, ce qu’expriment énergiquement d’abord ses deux notes initiales (qui sont celles de La Servitude), puis sa descente par degrés pesants, lourds, implacables comme la destinée, entraînant l’idée d’un devoir à remplir.

LE TRAITÉ
[partition à transcrire]

42 mesures ensuite se présente le joli thème de La Fascination de l’amour, qui forme d’abord la deuxième moitié d’une belle phrase de Fricka (en fa), et que Wotan reprend ainsi peu après (en mi b) :

LA FASCINATION DE L’AMOUR
[partition à transcrire]

Au moment même où Freïa entre en scène en courant, on entend pour la première fois ce motif en quelque sorte double, dont les deux parties ont deux significations distinctes : la première appartient à Freïa, déesse de l’Amour, et lui restera personnelle ; la deuxième représente La Fuite, et exprimera par la suite l’acte de fuir, quel que soit le personnage fuyant. Tel qu’il se présente ici» c’est Freïa en fuite, poursuivie.

FREÏA et LA FUITE
[partition à transcrire]

Peu après, nous voyons apparaître Les Géants, avec leur motif lourd, pesant, massif, qui a l’air de remuer des pierres ;

LES GÉANTS
[partition à transcrire]


ce thème sera l’objet d’une curieuse transformation dans « Siegfried », lorsqu’il devra représenter l’un des Géants lui-même métamorphosé en Dragon (page 428).

Lorsqu’il s’agit de désigner, non plus un pacte ou un traité quelconque, mais bien et seulement celui conclu avec les Géants pour la construction du Walhalla, Wagner a recours à cette nouvelle forme, qui n’est pas sans quelque parenté avec le motif du Traité.

CONVENTION AVEC LES GÉANTS
[partition à transcrire]


et qu’il traite généralement en canon.

C’est dans cette scène, 37 mesures après l’armature du ton de la b, que ce motif est entendu pour la première fois.

Environ deux pages plus loin, un gracieux contraste est fourni par l’élégant contour des Pommes d’or (ces pommes qui donnent aux dieux la jeunesse éternelle, que seule Freïa sait cultiver), que Fafner nous présente sur les notes les plus caverneuses de sa voix de basse-taille, ce qui produit par opposition un effet assez curieux.

LES POMMES D’OR
[partition à transcrire]

Le motif-type correspondant à la personnalité du malicieux dieu Loge est aussi changeant et aussi variable que lui-même. L’exemple que j’en donne ici, et qui accompagne ses premières entrées, réunit, groupées, plusieurs des formules essentiellement chromatiques, tortueuses ou sifflantes par lesquelles il est toujours représenté ; ces mêmes dessins sont fréquemment intervertis, devenant alors descendants, ou tronqués, modiliés, mais ils restent toujours aisément reconnaissables, aucun autre Leit-motif n’ayant cette allure sautillante et malicieuse.

LOGE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

Assez proche parent de ce dernier est le scintillant motif des Flammes, qui apparaît ici lui faisant suite,

CHARME DES FLAMMES
[partition à transcrire]


[et protégera le sommeil de Brünnhilde au 3me  acte de « La Walkyrie ».]

[partition à transcrire]

Le dernier nouveau motif que nous présente cette scène est celui-ci, qu’on trouvera aisément au moment où apparaît l’armature du ton de et la mesure à 3/4, et qui a nom : Le Regret de l’Amour.

LE REGRET DE L’AMOUR
[partition à transcrire]

Ici se place, pendant le changement de décor, une sorte d’intermède purement musical, figurant la descente de Wotan et de Loge dans le sombre Nibelheim, dans la forge souterraine d’Alberich. Cet intermède est principalement construit au moyen du motif de Loge, avec quelques rappels de La Lamentation, de La Servitude, de L’Or et de La Fuite, dont l’à-propos ne fait pas de doute ; peu à peu s’établit à l’orchestre le rythme du motif de La Forge,

LA FORGE
[partition à transcrire]


dont s’emparent avec une vigueur croissante des enclumes accordées placées derrière la scène.

Encore un double rappel de La Servitude et de L’Anneau, et commence la

Scène iii, où, presque au début, Alberich désirant mettre à l’épreuve la puissance du Heaume magique, le Tarnhelm, qu’il s’est fait forger par Mime, l’orchestre nous fait connaître la mystérieuse harmonie par laquelle il sera désigné musicalement. Ces accords, confiés parfois à des cors placés dans la coulisse, produisent l’effet le plus étrange. Le mot allemand Tarnhelm a été traduit de différentes façons : le Casque enchanté, le Charme du Casque, ou encore

LE POUVOIR DU CASQUE
[partition à transcrire]

Après une bruyante reprise du rythme de La Forge se présente une singulière suite de tierces disjointes, qui paraît représenter La Réflexion, une méditation profonde,

LA RÉFLEXION
[partition à transcrire]


et peut s’appliquer à divers personnages.

Beaucoup plus loin dans la même scène, lorsque Alberich, au comble de l’orgueil, embrasse son anneau et le brandit d’une façon menaçante, se fait entendre pour la première fois le motif caractéristique de sa puissance. comme de la vanité qu’il en tire. Il est fort intéressant d’étudier de près ce motif en quelque sorte complexe, qui, dans l’exemple ci-dessous, est confié à l’orchestre,

LA PUISSANCE D’ALBERICH
[partition à transcrire]


et dans lequel on peut retrouver, quelque peu dénaturées par l’emploi du mode mineur et du genre chromatique, les deux formes de L’Adoration de l’or (p. 375) suivies des notes initiales de L’Amoncellement du trésor, ci-après. (La 1re  forme de L’Adoration de l’or se confond ici avec celle de La Servitude.)

Un peu plus loin encore, apparaît le motif de l’Amoncellement du trésor qui fait la gloire momentanée du nain.

L’AMONCELLEMENT DU TRÉSOR
[partition à transcrire]

[On le retrouvera, curieusement associé à La Servitude et à La Forge, lorsque le nain capturé devra livrer son trésor à Wotan.]

[partition à transcrire]

Un motif curieusement constitué est celui qui a reçu le som de Cri de triomphe du Nibelung. Il se compose d’une mesure empruntée au Walhalla, et d’une mesure affectant la forme habituelle à Loge, démontrant ainsi qu’Alberich se croit déjà, par le feu, le maître du monde, ce dont il exulte.

CRI DE TRIOMPHE DE NIBELUNG
[partition à transcrire]

Beaucoup plus simple, mais bien descriptif, est le mugissant motif du Dragon, qui trouve naturellement sa place lorsque, sur la demande de ses visiteurs, l’orgueilleux nain, à l’aide de son heaume, revêt cette forme.

LE DRAGON
[partition à transcrire]

Le nain capturé, les dieux remontent à la surface de la terre avec leur prisonnier, ce qui donne lieu à un nouveau changement de décor et à un nouvel intermède symphonique. Celui-ci débute par un rappel, à coup sûr ironique, du Triomphe du Nibelung, dans lequel l’élément du feu, Loge, prend un développement inaccoutumé ; L’Anneau paraît joyeux, puis se termine par La Lamentation ; alors reparaissent les bruits de Forge, mais en diminuant ; on éprouve cette sensation qu’on parcourt le même chemin, mais en sens inverse. Après un retour de La Fuite, le motif des Géants se fait sourdement entendre, comme pour rappeler qu’ils ne sont pas loin ; il se combine avec Le Walhalla, puis avec La Servitude, et s’enchaîne avec la scène suivante au moyen d’une pédale de dominante sur laquelle on retrouve L’Adoration de l’or et plusieurs des motifs précédents.

Scène iv. — Dès le début de la scène, à la 9e mesure, une amusante petite figure sautillante représente le dieu Loge dansant de joie autour du nain ficelé, en faisant claquer ses doigts. Sans avoir caractère de Leit-motif, elle se reproduit deux pages plus loin.

Remarquer aussi la façon imitative dont l’orchestre rend le bruit du frottement des cordes lorsque Loge délivre graduellement le Nibelung de ses liens.

Aussitôt qu’il est libre, gronde sourdement dans les profondeurs de l’abîme mystique ce rythme menaçant,

TRAVAIL DE DESTRUCTION DES NIBELUNGS
[partition à transcrire]


décelant le travail continu par lequel dorénavant les gnomes rancuniers vont sans cesse miner l’édifice divin, le saper dans sa base jusqu’à sa ruine complète.

[Ce rythme bien reconnaissable ne paraîtra pas dans la « Walkyrie », mais on le retrouvera très souvent dans « Siegfried » et le « Crépuscule ».]

Aussitôt Alberich, dans une phrase à l’allure démoniaque, lance son anathème à l’Anneau qu’il maudit, et qui devra dorénavant porter malheur à tous ses possesseurs.

MALÉDICTION DE L’ANNEAU
[partition à transcrire]

Ce haineux motif est presque constamment accompagné du rythme de Destruction, et vers la fin du récit par La Puissance d’Alberich, aussitôt atténuée par La Servitude.

L’action se déroule sans qu’il soit besoin d’y introduire de nouveaux motifs jusqu’au moment de l’apparition d’Erda, qu’annonce sinistrement le thème des Nornes, ses filles, les Parques de la mythologie Scandinave. Ce motif

LES NORNES
[partition à transcrire]


reproduit, mais en mineur et à 4 temps, la forme principale de celui du Rhin, de l’élément originel.

De même en dérive, par mouvement contraire, Le Déclin des dieux [1],

LE DÉCLIN DES DIEUX
[partition à transcrire]


qui ne tarde pas à apparaître, ainsi que L’Anneau, aux derniers mots de la prophétie d’Erda, laquelle a reçu pour accompagnement les motifs des Nornes et du Travail de destruction.

Les nombreux Leit-motifs déjà établis suffisent à Wagner jusqu’à la formidable Incantation du Tonnerre, que répercute avec fracas l’écho des cuivres tonitruants.

INCANTATION DU TONNERRE
[partition à transcrire]

[Ce thème ne se représentera qu’une seule fois, dans le Prélude de « La Walkyrie ».]

Après le passage d’un court orage, apparaît rapidement, radieux, le thème serein de L’Arc-en-ciel traçant une belle courbe sous un trille mesuré et étincelant des violons, des flûtes et de tous les instruments aigus.

L’ARC EN CIEL
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

[Ce motif ne reparaîtra pas dans les journées suivantes.]

Le motif du Walhalla accompagne le passage des dieux sur ce pont céleste. On sent se presser dans le cerveau de Wotan l’idée de L’Anneau qu’il a dû conquérir, puis donner, pour payer son Burg ; du Rhin auquel il a été antérieurement volé, et de la nécessité de créer une milice invincible pour le défendre ; de là jaillit comme un éclair la pensée de L’Épée des dieux.

L’ÉPÉE
[partition à transcrire]


le dernier Leit-motif nouveau que présente le Prologue.

Les Filles du Rhin se font entendre, pleurant leur or dérobé, et l’entrée au Walhalla a lieu sur une pompeuse reprise du thème de L’Arc-en-ciel.


LA WALKYRIE


1er  Acte.

Scène i. — Le Prélude représente un orage violemment déchaîné ; au milieu des rafales mugissantes, des éclairs et du tonnerre, des averses, on distingue à plusieurs reprises le thème de L’Incantation du Tonnerre combiné avec le thème propre de La Tempête ; c’est un des plus beaux orages qui existent, soit au théâtre, soit dans la symphonie.

LA TEMPÊTE
[partition à transcrire]

Au lever du rideau, la tempête se calme

Alors, les six notes descendantes (si, la, sol, fa, mi, ) du motif de La Tempête, par une légère modification rythmique, deviennent caractéristiques de La Lassitude de Siegmund (lassitude causée en partie par la tempête), venant s’affaler harassé et poursuivi par l’orage.

LASSITUDE DE SIEGMUND
[partition à transcrire]

[Ce fait n’est pas sans analogie avec celui que nous avons remarqué dans la transition du 1er  au 2e tableau de « l’Or du Rhin », où le thème du Walhalla semble sortir de celui de L’Anneau par lequel il a été payé. D’autres exemples du même genre, que nous ne pourrons tous signaler, sont assez fréquents dans l’ouvrage, et toujours ces fusions de motifs trouvent leur logique dans une association d’idées.]

À ce premier motif vient presque aussitôt (un peu après l’arrivée de Sieglinde s’en adjoindre un deuxième qui lui sera très souvent associé ; celui-ci personnifie la tendre sympathie de Sieglinde pour Siegmund, et a reçu pour nom : La Compassion.

LA COMPASSION
[partition à transcrire]

À la suite d’un beau contour de violoncelles sans accompagnement, tiré de La Lassitude, reparaît le motif de La Fuite, que nous avons déjà vu, dans « L’Or du Rhin », mais tout autrement rythmé, et combiné avec celui de Freïa. Cette fois, il se relie à un nouveau thème, L’Amour, ce qui peut s’expliquer ainsi : c’est La Fuite qui a amené Siegmund sous le toit de Sieglinde, et qui est donc par conséquent la cause occasionnelle de L’Amour.

LA FUITE et L’AMOUR
[partition à transcrire]

[Quelques pages plus loin, le thème de L’Amour précédera celui de La Fuite ; cela signifiera alors que l’Amour est à son tour la raison d’être de La Fuite des deux jumeaux.]

Au moment où Siegmund, un peu réconforté et déjà prêt à partir, se décide, sur les instances de Sieglinde, à rester sous son toit, se fait entendre pour la première fois l’un des thèmes empreints de noble tristesse qui représenteront dorénavant la race si profondément malheureuse et persécutée, quoique d’essence divine, des Wälsungs.

LA RACE DES WÄLSUNGS
[partition à transcrire]

Associé à La Compassion, puis suivi de L’Amour, ce beau thème se fait entendre deux fois, presque de suite, avant l’arrivée de Hunding.

Scène ii. — Le thème de celui-ci, quoique noble d’allure, forme par sa violence, son rythme dur et sa rude orchestration, un contraste heurté avec le précédent,

HUNDING
[partition à transcrire]


et dès à présent les deux caractères des deux hommes sont nettement dessinés ; autant Siegmund est digne et résigné dans sa souffrance, autant Hunding nous apparaît violent, implacable et brutal. Tout le dialogue entre les deux ennemis est paraphrasé par ces deux motifs alternant entr’eux, avec quelques courtes apparitions de L’Amour, de La Compassion, correspondant à un mot ou même à un geste de Sieglinde, comme aussi du Traité, de L’Orage ou même du Walhalla, selon les événements antérieurs auxquels le poème fait allusion. C’est seulement lorsque le Wälse termine le récit de ses malheurs, qu’au premier thème de La Race des Wälsungs vient s’adjoindre, le suivant immédiatement, un deuxième thème de sentiment analogue, mais caractérisant d’une façon spéciale L’Héroïsme de cette race dans la souffrance qui la poursuit.

HÉROÏSME DES WÄLSUNGS
[partition à transcrire]

Avant la fin de la scène, lorsque Sieglinde cherche à attirer l’attention de son hôte sur l’arme qui est plantée dans le frêne, retentit par deux fois le motif de L’Épée, aussitôt suivi de la menace de Hunding.

Scène iii. — Cette scène, une des plus émouvantes de l’ouvrage, se déroule à l’aide des motifs déjà connus, auxquels s’adjoint, vers la fin du récit de Sieglinde, une éclatante fanfare et un riche trait de violons qui font penser à Weber, et se retrouvent fréquemment, mais dans cette scène seule. C’est alors qu’après un souffle de vent figuré par des arpèges de harpes, souffle par lequel la massive porte se trouve subitement ouverte, apparaît, radieux, le délicieux Hymne au Printemps,

HYMNE AU PRINTEMPS
[partition à transcrire]


qui, bien que constituant une phrase indépendante, peut aussi être considéré comme un Leit-motif, puisqu’il donnera lieu à des rappels suggestifs dans l’acte suivant.

Peu après apparaît, escorté des motifs de L’Amour, de Freïa, déesse de l’Amour, du Printemps, celui, nouveau, de La Volupté, enlaçant, enivrant, que nous retrouverons dans le Prélude de la scène iii du 2e acte :

LA VOLUPTÉ
[partition à transcrire]

Siegmund va arracher l’épée ; alors se pressent les motifs des Wälsungs, de L’Héroïsme, du Traité, de L’Épée, et la formule terrible du Renoncement à l’amour, sur un énergique développement de laquelle le glaive des Dieux reste aux mains du héros ; à ce moment précis le thème de L’Épée atteint son maximum d’éclat, et l’acte se termine par des combinaisons symphoniques des motifs précédents, parmi lesquels dominent 'L’Amour, Le Printemps, La Fuite, et finalement, dans les deux derniers accords, La Servitude.

2me  Acte.

Prélude. — Ce Prélude est constitué par le plus curieux amalgame de thèmes saccadés ou rendus saccadés pour la circonstance, ce qui, dès le début, fait pressentir la Chevauchée, qui pourtant n’apparaîtra qu’en dernier.

Dans la mesure du début, il faut reconnaître L’Epée, dénaturée comme rythme et comme mode ; viennent ensuite : La Fuite, qui ressemble, ainsi, à L’Appel des Walkyries, La Volupté, et enfin, pour l’explosion finale, La Chevauchée.

LA CHEVAUCHÉE
[partition à transcrire]

Scène i. — Le strident Cri d’appel des Walkyries, avec lequel Brünnhilde fait ici sa première entrée, présente celle particularité, peut-être unique dans l’œuvre wagnérienne, d’une période de 18 mesures formant un sens complet, se terminant par une cadence, et répétée deux fois (presque de suite) sans la moindre modification ni dans la mélodie, ni dans l’harmonie, ni dans l’orchestration.

CRI D’APPEL DES WALKYRIES
[partition à transcrire]

L’entrée de Fricka, qui suit immédiatement, est annoncée par les deux notes de La Servitude ; sa discussion avec Wotan donne lieu à des rappels de Hunding, de L’Amour, du Printemps, de L’Épée, de La Fuite, du Traité, de L’Anneau, de La Convention avec les Géants, sujets qui se représentent souvent soit dans leur dialogue, soit dans leurs esprits.

Lorsque Wotan se sent vaincu par les arguments et la ténacité de la vertueuse mais acariâtre déesse, l’orchestre nous fait connaître une nouvelle forme qui représente Wotan en colère, le Courroux de Wotan ;

LE COURROUX DE WOTAN
[partition à transcrire]


à noter que cette forme bien significative, dont il sera fait un très fréquent usage, est souvent réduite à ses deux notes initiales, semblables à celles de La Servitude, ce qui s’explique naturellement, mais en conservant presque toujours, dans ce cas, le grupetto qui accentue si énergiquement la première, et lui donne le caractère d’une sorte de rugissement.

Le retour de Brünnhilde nous ramène la Chevauchée, accompagnée du Cri des Walkyries ; après quoi Fricka célèbre la victoire qu’elle vient de remporter sur son époux par une phrase de grande allure, que Le Traité vient sceller comme un pacte, suivi de près, aussitôt que Fricka a disparu, par La Malédiction de l’anneau et Le Courroux de Wotan, qui fournit l’enchaînement avec la scène suivante.

Scène ii. — Cette longue scène, dans laquelle Wotan est contraint d’avouer à sa fille ses crimes et ses erreurs aussi bien que les circonstances qui l’ont amené à les commettre, ne peut manquer de nous les remémorer au moyen des Leit-motifs ; on y retrouve L’Amour, Le Traité, Le Regret de l’amour, La Puissance de l’anneau, Le Walhalla, Les Nornes, La Chevauchée, L’Anneau, La Convention avec les Géants... Un seul dessin nouveau s’y fait jour, celui qui caractérise La Détresse des Dieux ;

DÉTRESSE DES DIEUX
[partition à transcrire]


reviennent ensuite La Malédiction de l’anneau, L’Épée, Le Travail de destruction des Nibelungs ; ici se place la transformation si curieuse du Walhalla (signalée à la page 378), qui laisse entrevoir l’édifice miné, ruiné, écroulé, et qui se représente deux fois à une vingtaine de mesures de distance, annonçant l’effondrement et l’anéantissement de la race des Dieux. Toutefois, le motif qui domine, surtout au début, est celui du Courroux de Wotan. — Quand on arrive à surmonter l’impression pénible causée par la situation, cette scène apparaît, malgré sa longueur, comme l’une des plus grandioses de l’ouvrage ; mais elle est aussi une des plus difficiles à saisir à première lecture ou audition.

Au moment où Brünnhilde, restée seule, ramasse ses armes, remarquer le thème de La Chevauchée, alourdi et attristé ; aussitôt après, sa pensée la ramène vers La Race des Wälsungs, puis se reporte sur le Courroux de Wotan et La Détresse des Dieux. Tout cela est merveilleusement exprimé.

Scène m. — Siegmund et Sieglinde arrivent, fuyant devant la poursuite de Hunding ; le motif de La Fuite, présenté de mille façons plus ingénieuses les unes que les autres, fait tous les frais de la scène pendant une dizaine de pages, parfois accompagné de L’Amour, parfois de La Volupté. Après un rappel de L’Héroïsme des Wälsungs et de L’Épée, Hunding s’annonce par le rythme de son motif, confié aux timbales, aussitôt suivi de La Poursuite

LA POURSUITE
[partition à transcrire]


et de l’aboiement rauque de sa meute.

Quand Sieglinde s’évanouit entre les bras de Siegmund, L’Amour reparaît avec le souvenir de La Fuite.

Scène iv. — Ici, une des scènes capitales. Brünnhilde vient annoncer au héros qu’il va mourir. L’orchestre nous apprend que Le Sort a décidé La Mort de Siegmund, et qu’il doit aller au Walhalla.

Bien examiner ces deux nouveaux motifs, qui sont intimement liés : d’abord Le Sort,

LE SORT
[partition à transcrire]
dont l’harmonisation est à peu près invariable, et dont

la formule, généralement répétée deux fois, séparées par des silences, se dresse comme un énigmatique et lugubre point d’interrogation ; La Mort en dérive évidemment, puisque en supprimant ses trois notes de début on se trouve en présence de la double formule du Sort.

LA MORT
[partition à transcrire]

Ces nouveaux motifs, entremêlés à ceux du Walhalla, de Freïa, de La Chevauchée, de L’Amour avec La Fuite, du Courroux de Wotan, du Regret de l’amour, suffisent pour commenter l’action tant que Brünnhilde dépeint à Siegmund, qui ne veut pas abandonner Sieglinde, les splendeurs et les séductions de la céleste demeure ; mais à rinstant où le Wälsung désespéré lève son glaive sur sa femme endormie, nous entendons pour la première fois, sous une forme encore vague, le thème de Siegfried gardien de l’épée (voir 3e acte, scène i), qui nous révèle la présence de l’enfant dans le sein de sa mère. C’est alors que Brünnhilde, saisie d’une tendre émotion devant cet acte d’héroïsme, se décide, transgressant l’ordre divin, à prendre le parti de Siegmund, décision qui doit la perdre ; c’est alors aussi que, par un merveilleux trait de génie, Wagner transforme subitement le motif de La Mort de mineur en majeur, en change l’allure, y introduisant le rythme de La Fuite ; ce n’est plus le trépas de Siegmund qui est décrété, c’est celui de Hunding. À partir de ce moment, voici comment est transtiguré le motif de La Mort :

[partition à transcrire]

Brünnhilde disparue, la question du Sort se pose de nouveau, mélangée au Courroux de Wotan et s’enchaînant avec L’Amour.

Scène v. — La scène v ne comporte pas de motifs nouveaux.

Quoique très courte, on peut la considérer comme divisée en quatre parties : 1, les adieux de Siegmund, partant pour le combat, à Sieglinde endormie ; 2, la poursuite des adversaires pendant le Rêve de Sieglinde ; 3, le combat, avec la double intervention de Brünnhilde et de Wotan ; 4, la malédiction lancée par Wotan à la Walkyrie.

Pendant la première partie dominent les motifs tendres de L’Amour et de Freïa, troublés par ceux du Sort et de La Poursuite. — Dans la deuxième, l’appel sauvage de Hunding, L’Épée, et La Poursuite, qui devient de plus en plus pressante (çà et là, des éclairs, pareils à ceux qu’on a vus dans le 1er  Prélude). — Dans la troisième, le combat ; en quelques secondes, on perçoit le galop du cheval de Brünnhilde, venant encourager Siegmund à la lutte, La Chevauchée ; puis arrive Wotan, qui, contraint par Le Traité, brise L’Épée ; la mort de Siegmund est accompagnée de quatre douloureux rappels de La Servitude, suivis de L’Héroïsme des Wälsungs, du Sort, et du Courroux de Wotan ; enfin Brünnhilde enlève sur son cheval la malheureuse Sieglinde, d’où un retour de la Chevauchée, puis toujours du Sort. Tout cela se passe avec une rapidité extrême, en moins de temps qu’il n’en faut pour le lire ici. — Dans la quatrième partie de la scène enfin, Wotan, tout en foudroyant Hunding d’un regard, considère qu’il a loyalement accompli son engagement envers Fricka, ce que nous fait connaître le motif du Traité, qui, on s’en souvient, s’applique à tout pacte, à tout contrat, de quelque genre qu’il soit ; d’ailleurs, aussitôt reparaît le Courroux, loin d’être apaisé, et Wotan, éclatant dans une fureur soudaine, maudit la Walkyrie désobéissante et la voue à une vengeance cruelle. Le rideau se ferme rapidement pendant que l’orcliestre nous rappelle La Détresse des dieux, ainsi que divers épisodes de l’acte, les éclairs qui l’ont sillonné, et La Poursuite, dont c’est la dernière apparition.

3me  Acte.

Prélude. — Le Prélude du 3e Acte se passe de tout commentaire. C’est La Chevauchée dans son développement complet, avec ses hennissements sonores, ses piaffements, ses cris sauvages et joyeux, son infatigable activité, ses appels et ses rires farouches.

Scène i. — Dans toute la première partie de cette scène, tant que règne le ton de si mineur et le rythme à 9/8, tout est emprunté à La Chevauchée, dont ce n’est, à vrai dire, que la continuation, sauf une courte allusion au Walhalla, lorsque Rossweisse demande s’il est temps de s’y rendre, 23 mesures avant le 3/4 en ut mineur qui annonce l’arrivée de Brünnhilde. Là, bien que le rythme en soit changé, on reconnaît le dessin de basses de La Détresse des dieux ; peu après, en mineur, c’est le chant de La Mort, puis La Fuite. Aucun autre motif ne se manifeste d’une façon importante jusqu’aux paroles de Schwertleite dépeignant Le Dragon veillant sur l’anneau.

Dans le 6/8 de Brünnhilde apparaît avec toute son ampleur le thème grandiose de Siegfried gardien de l’Épée, seulement entrevu dans la scène iv de l’acte précédent,

SIEGFRIED GARDIEN DE L’ÉPÉE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


[Exemple musical sans titre]


immédiatememt suivi de L’Épée ; puis, lorsque Sieglinde reprend la parole, apparaît le motif enthousiaste et sublime de La Rédemption par l’amour

LA REDEMPTION PAR L’AMOUR
[partition à transcrire]

[Celui-là ne reparaîtra plus que dans la scène finale du « Crépuscule des Dieux ». où il acquerra une importance prépondérante, et fournira l’émouvant couronnement de l’œuvre tout entière.]

Aussitôt après reparaissent La Tempête avec La Servitude, puis un ensemble très court des huit Walkyries termine la scène.

Scène ii. — La scène ii (les admonestations de Wotan à Brünnhilde devant ses sœurs, qui cherchent d’abord à la cacher, puis à la défendre) est assez expressive dramatiquement pour se passer de motifs conducteurs ; pourtant, au bout d’un certain temps, on y retrouve, fréquemment renouvelé, Le Courroux de Wotan, puis La Mort, superbement développée, Le Traité, et enfin, au moment de la dispersion des Walkyries, La Chevauchée, qui ressemble alors à une déroute, et dont se dégage une large phrase qui s’élève, et n’est pas sans quelque analogie avec le chant de La Mort.

Scène iii. — Le début de la scène ne met en jeu, pendant assez longtemps, que deux motifs typiques, dont l’un est Le Courroux, que nous connaissons. L’autre, qui apparaît, par un dessin de violoncelle, dès la 4e mesure, représente ici la soumission résignée de la pauvre Brünnhilde à la volonté paternelle qui va lui imposer une nouvelle vie, une existence humaine ;

[partition à transcrire]


il se reproduit de la même manière 7 mesures plus loin, puis, modifié, à la 102e mesure, cette fois aux violons.

[partition à transcrire]
Il faut la considérer comme une forme préparatoire, une

sorte d’acheminement vers un motif très important qui paraîtra sous peu, à l’arrivée du ton de mi majeur, L’Annonce d’une nouvelle vie.

L’ANNONCE D’UNE NOUVELLE VIE
[partition à transcrire]


mais n’atteindra son plus complet épanouissement que dans la partie symphonique qui précède les adieux de Wotan, cette fois à 4/4, presque à la fin de l’acte.

[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

À partir de ce moment on retrouve plus souvent des Leit-motifs : Le Regret de l’Amour, La Malédiction de l’Anneau, Le Sort, Le Traité, L’Amour, L’Héroïsme des Wälsungs, Siegfried gardien de l’Épée, puis L’Épée ; enfin, lorsque Wotan dicte son inflexible sentence, nous entendons résonner pour la première fois l’harmonie mystérieuse du Sommeil éternel.

LE SOMMEIL ÉTERNEL
[partition à transcrire]
[qui reparaîtra souvent, tant dans la fin de cet ouvrage que dans

les suivants, sans s’appliquer plus à un personnage qu’à un autre, et parfois accompagnée dun dessin emprunté aux Flammes.]

[partition à transcrire]

Ici nous l’entendons deux fois de suite, séparées par un très court rappel du Walhalla.

Presque aussitôt se fait pressentir, à plusieurs reprises, et d’abord en mineur,

[partition à transcrire]


le motif saisissant par son calme imposant qui deviendra bientôt Le Sommeil de la Walkyrie.

LE SOMMEIL DE BRÜNNHILDE
[partition à transcrire]

Celui-ci va prendre de plus en plus d’importance et terminera la deuxième journée de la « Tétralogie », accompagné du scintillement des feux de Loge.

[partition à transcrire]

Mais auparavant se place la scène si émouvante des Adieux de Wotan et de Tlncantation du feu. On peut considérer qu’elle commence précisément à cet endroit, dont nous avons déjà parlé, où le motif de L’Annonce d’une nouvelle vie, en mi majeur et à 4/4, revêt son aspect le plus grandiose et le plus éblouissant, pour venir, par un crescendo splendide, s’épanouir magnifiquement sur un accord de quarte et sixte dans le thème du Sommeil de Brünnhilde.

Alors le Sommeil s’assombrit, la tonalité mineure reparaît, et, au cours d’une belle période (à la 18e mesure du mineur), nous entendons la phrase proprement dite Chant d’adieu de Wotan, pleine de tendresse et d’émotion,

CHANT D’ADIEU DE WOTAN
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


que ne cessera plus jamais d’accompagner le dessin du Sommeil.

Ensuite Le Sort, Le Renoncement à l’Amour, puis, au moment où cesse la parole, Le Sommeil éternel, pendant lequel la Walkyrie s’endort dans les bras du dieu. Et pendant qu’il l’étend sur la roche, place ses armes à ses côtés et la couvre de son bouclier, l’orchestre nous redit dans tout son développement la phrase si touchante du Chant d’adieu, avec les caressants enlacements du Sommeil.

Vient alors l’Incantation du feu. Aussitôt, les motifs changent. C’est d’abord Le Traité, puis les dessins chromatiques de Loge ; encore Le Traité, suivi cette fois des Flammes. Ces deux motifs (Loge et Les Flammes) ne cessent de se poursuivre pendant l’embrasement de la roche, et servent d’accompagnement aux autres, quels qu’ils soient, jusqu’à la chute du rideau. Alors revient encore une fois Le Sommeil éternel, dans la forme arpégée que nous avons prédécemment notée p. 414, puis, cette fois pour ne plus cesser, Le Sommeil de Brünnhilde de plus en plus placide et enveloppant.

Les dernières notes de Wotan pourraient ne pas porter de paroles ; elles reproduisent dans son entier, majestueusement amplifié, le beau motif de Siegfried gardien de l’Épée, que l’orchestre répète aussitôt, en lui donnant pour conclusion la phrase solennelle des Adieux de Wotan.

Dix mesures avant la fin, au dernier regard de Wotan sur sa fille endormie, sans que pour cela s’interrompent ni Le Sommeil ni le scintillement des Flammes, gronde sourdement la sinistre menace du Sort ; puis un grand calme se fait, et le rideau se ferme lentement.

SIEGFRIED


1er  Acte.

Prélude. — Si l’on envisage l’ensemble de la « Tétralogie » comme une sorte d’immense symphonie conçue dans des proportions gigantesques, et dont chaque journée constituerait l’un des morceaux, « Siegfried » en apparaît comme le Scherzo, le pétulant Intermezzo.

Tout y est gai, alerte et dispos, comme la jeunesse même du héros ; l’élément comique lui-même y trouve sa place, et intervient fréquemment dans le rôle de Mime. La plupart des motifs nouveaux présentent des rythmes nerveux, allègres, ou sont empreints d’une ardeur juvénile, communicative. C’est là aussi que les musiciens trouveront les harmonies les plus neuves, les plus téméraires si l’on veut, parfois difficiles à expliquer, et les plus amusantes combinaisons des Leit-motifs entre eux C’est une journée de repos et de fraîcheur, dont l’élément tragique est presque exclu, au bénéfice de l’esprit et de la verve, pour reparaître plus poignant le lendemain.

Le Prélude se meut sur des thèmes déjà connus : d’abord La Réflexion, puis L’Amoncellement du trésor, coupé par une brève allusion au Courroux de Wotan, lequel se transforme bientôt en La Servitude, La Forge, Le Cri de triomphe du Nibelung, L’Anneau, L’Épée, Le Dragon, modifié dans son rythme,… enfin tout ce qu’il faut pour nous faire pressentir que nous sommes dans la forge agreste où le rusé Mime travaille ténébreusement en vue de conquérir à son tour le trésor qui lui assurerait la domination du monde.

Scène i. — Les mêmes motifs, ou d’autres également connus, alimentent la scène i jusqu’à l’arrivée de Siegfried, qui s’annonce allègrement par son Appel du fils des bois, la fanfare de chasse du jeune et intrépide héros, respirant la franchise, la hardiesse et la bonne humeur.

APPEL DU FILS DES BOIS

\relative c'' {
\clef G
\key g \major
\time 6/8
\set Staff.midiInstrument = #"trumpet"
  g8 d'8. b16
  g8 a8 b8
  c8 b8 a8 
  d8 c8 b8
  e8 d8 c8
  fis8 e8 d8
  g4
}


[On la retrouvera, dans ce même rythme à 6/8, mais dans le ton de fa et très développée, à la scène ii, car c’est par elle que Siegfried provoque le Dragon ; et encore au début du 3e acte du « Crépuscule ».]

[Prendre en note que ce même motif, transformé et à 4 temps, se représentera d’autres fois dans le « Crépuscule », où il prendra un caractère spécialement héroïque, en perdant tout son enjouement.]

[partition à transcrire]

[Noter aussi la curieuse combinaison de ce motif avec ceux des Flammes et du Sommeil éternel qui se trouvent dans « Siegfried », au 3e acte, lorsque le héros va franchir le cercle de feu dans lequel dort la Walkyrie.]

[partition à transcrire]

Aussitôt que Siegfried, sur deux rappels successifs du Gardien de l’Épée, a fait voler en éclats l’arme forgée par Mime, apparaît un nouveau motif plein d’entrain : L’Amour de la vie, qui va régner pendant une bonne partie de la scène ; c’est plutôt l’exubérance de la vie, la joie de vivre qu’il y faut voir, une joie presque enfantine.

L’AMOUR DE LA VIE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]

Il n’est guère interrompu que par la Complainte pleurnicharde de Mime (3/4, fa mineur), recommençant dix fois à raconter à Siegfried, sans le convaincre davantage, les bienfaits de l’éducation qu’il lui a donnée, et tentant de l’attendrir sur sa fausse sollicitude. Siegfried ne se laisse nullement toucher, et préfère parler de l’amour des enfants pour leur mère, qu’il a observé lui-même, d’abord chez les oiseaux, puis chez les fauves, ce qui le porte impérieusement à désirer connaître le nom de sa mère.

Toute cette partie se déroule sur une mélodie douce et caressante qui caractérise le sentiment naïf de L’Amour filial tel qu’il le conçoit,

L’AMOUR FILIAL
[partition à transcrire]


fréquemment coupée par des retours intempestifs de la Complainte de l’éducation, comme aussi par des allusions à divers motifs des Wälsungs, de La Forge, de L’Epée, dont l’à-propos est toujours saisissant : il raconte avoir vu son image se refléter dans l’eau (Siegfried gardien de l’épée) ; quelle était cette eau ? (Le Rhin) ; le récit de sa naissance est accompagné de La Race des Wälsungs, de La Compassion et de L’Amour,… le tout encadré dans L’Amour de la vie.

Lorsque enfin il connaît son origine, un intense désir se développe en lui de quitter à jamais l’antre du gnome antipathique, ce qu’exprime à merveille une alerte phrase indépendante à 3/4, vers la fin de laquelle on rencontre ces deux mesures que les divers commentateurs désignent sous les noms de Siegfried errant. Chanson de voyage, le Désir de voyager.

LE DÉSIR DE VOYAGER
[partition à transcrire]


Nous nous arrêterons à cette dernière dénomination,

[en constatant que ce même motif se retrouvera exprimer le même sentiment dans le Prologue du « Crépuscule des Dieux », lorsque Siegfried se dispose à quitter Brünnhilde pour courir de nouvelles aventures, puis encore au 1er  acte, scène ii, en dialogue avec Gunther.]

L’Anneau, La Forge, La Réflexion, Le Dragon et Le Regret de l’amour relient cette scène à la suivante.

Scène ii. — Coïncidant avec l’entrée de Wotan sous la forme du Voyageur, apparaît l’harmonie puissante et mystérieuse de Wotan errant ou le Voyage de Wotan, laquelle se divise en deux parties, l’une chromatique et étrange, l’autre entièrement diatonique et d’une placide solennité, qui par la suite seront exploitées séparément, mais seulement dans « Siegfried »,

WOTAN ERRANT
[partition à transcrire]

La façon dont est conduite musicalement cette scène si curieuse à tous les points de vue mérite un examen attentif.

Tout d’abord, c’est par le thème du Traité que le dieu oblige le gnome à accepter la singulière gageure dont l’enjeu est leur propre tête ; et, après malicieuse Réflexion, c’est sur le même motif que le nain accepte le défi ; on sent qu’il veut en imposer à son tour, faire le brave.

Ensuite, chaque fois que Mime cherche une question à formuler, cette recherche est accompagnée des bruits de La Forge et du motif de La Réflexion, auxquels s’adjoignent, la première fois seulement, Le Traité, qui le lie, et L’Anneau, objet de sa convoitise.

Sa première question porte sur « la race qui vit au sein de la terre ». La réponse de Wotan est soulignée par tous les motifs des Nibelungs, La Forge, L’Anneau. La Puissance d’Alberich, L’Adoration de l’or, Le Cri de triomphe du Nibelung, L’Amoncellement du trésor, enfin Le Traité.

Sa deuxième question vise « cette autre race qui vit sur le dos de la terre ». Aussitôt, avec la réponse, apparaissent les motifs des Géants, de La Puissance de l’Anneau, du Dragon, et toujours Le Traité.

Sa troisième question concerne « la race qui plane sur les sommets, au milieu des nuages ». C’est alors Le Walhalla qui se déroule dans sa splendeur, suivi d’une allusion à Alberich terrassé et à L’Anneau. Pourtant, au cours de cette troisième réponse victorieuse du dieu errant, se fait jour un thème nouveau, de grande allure,

[qui, assez fortement modifié et agrandi, prendra une grande importance dans la 4e journée :]

c’est celui de La Puissance divine.

LA PUISSANCE DIVINE
[partition à transcrire]
dont je ne donne ici que la première moitié, et qui se

termine, comme on peut le voir dans la partition, par une longue gamme descendante qui n’a plus rien de triomphal.

Le voyageur, Wotan errant, a satisfait au Traité conclu ; l’orchestre le constate avec lui. C’est à son tour à interroger, et Mime devra répondre. Aussitôt s’insinue une figure humble et sournoise qui dépeindra, pendant toute cette deuxième moitié de la scène, la contre-partie de la première, l’attitude piteuse du malicieux Nibelung lorsque Wotan à son tour le tient sur la sellette.

[Elle ne reparaîtra ensuite qu’à la scène iii du 2e acte, peu avant la mort de Mime.]

En voici l’un des aspects. Appelons-la Mime rampant.

MIME RAMPANT
[partition à transcrire]


car elle ne s’applique à aucun autre personnage.

Avant que commence son interrogatoire, Mime cherche un prétexte pour s’esquiver ; il allègue qu’il habite depuis longtemps sa Forge et ne sait plus rien du monde : car il a reconnu Wotan dans le Voyageur, ainsi que nous l’apprend un court rappel du Walhalla ; pourtant il doit courber la tête sous La Servitude ; donc, il répondra.

En premier lieu, Wotan lui demande ce qu’il sait de « la race héroïque à laquelle il semble cruel ». La réponse de Mime est accompagnée par tous les motifs des Wälsungs, leur Race, leur Héroïsme, et même Siegfried gardien de l’Épée.

En second lieu, il veut savoir « quel fer doit brandir le jeune homme pour conquérir l’anneau en terrassant le Dragon ». Ici le seul motif qui se mélange à ceux de Mime rampant et de La Forge, c’est L’Epée, l’épée des dieux.

En troisième lieu enfin, il est mis en demeure de désigner « celui qui pourra reforger cette lame brisée ». C’est alors que Mime se perd, car il ne sait pas nommer Siegfried ; mais l’orchestre nous le fait connaître par le retour persistant de l’Amour de la vie, qui ne laisse aucun doute subsister sur la personnalité du héros.

Wotan va se retirer. L’harmonie étrange et solennelle qui la introduit, Wotan errant, reparaît, pour bientôt faire place à L’Épée, au Traité, au Dragon, lorsque le dieu vainqueur voue la tête du vaincu à celui qui n’a jamais connu la peur, à celui qui tuera le Dragon, autrement dit à Siegfried gardien de l’Épée.

Les sifflements railleurs de Loge apparaissent sous les dernières paroles de Wotan, pour continuer pendant une bonne partie de la scène qui vient.

Scène iii. — Quoique très développée et du plus grand intérêt, celle-ci s’analyse assez rapidement.

Mime, resté seul, est d’abord terrorisé par les crépitements de feu de Loge ; revient Siegfried, et avec lui les gais motifs du Désir de voyager et de L’Amour de la vie ; puis, accompagnant de la façon la plus spirituelle chaque phrase, parfois chaque mot du dialogue, on reconnaît successivement : Le Dragon, L’Épée, La Servitude, Wotan errant, Le Gardien de l’Épée, L’Amour de la vie, La Race des Wälsungs, Loge, Le Charme des flammes, Le Sommeil éternel, Le Sommeil de Brünnhilde, L’Appel du fils des bois… Pendant ce temps, Siegfried ne songe qu’à forger lui-même son glaive avec les tronçons que Mime lui a remis. Il se met à l’œuvre et chante gaiement, tout en limant l’acier et activant le feu, un joyeux Chant en trois couplets, le troisième avec d’élégantes variations, dont l’accompagnement imite le sifflement du soufflet de la forge, comme précédemment on a entendu le grincement de la lime : appelons-le Chant du soufflet, pour le distinguer d’un autre qui le suit de près. Mime, dans un coin, lui prépare sournoisement un breuvage empoisonné qui, selon lui, doit le plonger dans Le Sommeil éternel et lui permettra de s’emparer lâchement du glaive si vaillamment reconstitué, après qu’il aura conquis à son profit L’Or et L’Anneau.) Peu après que Siegfried a trempé la forme en la plongeant dans une cuve d eau, ce c{ ! ii donne lieu à un curieux effet de sonorité imitative, apparaît le seul thème nouveau de cette scène, qu’on appelle généralement La Fonte de l’acier.

LA FONTE DE L’ACIER
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


et qui se mélange avec une sorte de reprise en majeur du Chant du soufflet.

Ici se place un nouveau chant, le Chant de la Forge, rythmé par des coups de marteau sur l’enclume, d’une vérité étonnante ; celui-là n’a que deux couplets, séparés par une réplique de Mime, qui continue ses manipulations malfaisantes.

Le deuxième couplet est à peine achevé lorsque Siegfried plonge de nouveau l’arme encore rouge dans l’eau et s’amuse du bruit qu’elle fait en se refroidissant.

Ensuite, pendant qu’il la termine et l’assujettit dans sa poignée, la martèle une dernière fois, nous reconnaissons les motifs de La Forge, de Mime rampant, de La Fonte de l’acier, de L’Épée, avec de curieux rythmes de deux et trois mesures, et finalement, lorsque Siegfried brise l’enclume pour essayer le tranchant de son arme, jaillit le motif du Fils des bois, qui termine joyeusement l’acte.

2me  Acte.

Scène I. — Le Prélude, intimement lié à la scène i, nous fait tout d’abord entendre les rauques rugissements de Fafner, le survivant des deux Géants du prologue, formé en Dragon, et couvant jalousement son trésor et son Anneau (je rappelle que ce motif de Fafner n’est autre qu’une transformation de celui des Géants, dont la note la plus grave est abaissée d’un demi-ton).

FAFNER
[partition à transcrire]


Vers le milieu éclate La Malédiction de l’anneau, que suivent de près le rythme du Travail de destruction et Le Cri de triomphe du Nibelung. Alberich est en scène.

À ces motifs viennent s’adjoindre, peu après le lever du rideau, un dessin de Chevauchée et le thème de La Détresse des dieux, annonçant l’arrivée du dieu-voyageur, que salue un rappel du Walhalla.

L’état d’âme du gnome haineux à l’égard du dieu, dont il n’a pas oublié les procédés peu délicats, se manifeste par un nouveau motif, La Vengeance,

LA VENGEANCE
[partition à transcrire]


qui n’a dans l’ouvrage qu’une importance secondaire.

[Il reparaîtra pourtant dans le « Crépuscule des Dieux » au 2e acte,

scènes Scène iv et Scène v, sous une forme plus saisissante.]
[partition à transcrire]

On retrouve plus loin les thèmes de Wotan errant, du Courroux de Wotan, du Traité, de La Convention avec les géants, de Loge, de La Malédiction de l’anneau, et d’autres faciles à reconnaître. Les quelques mots de Fafner à Wotan sont soulignés par son propre thème, auquel se mélange curieusement, pendant un instant, L’Épée qui semble menacer L’Anneau. Ensuite on reconnaît Les Nornes, Le Désir de voyager ; puis, au moment du départ de Wotan, La Chevauchée reparaît, avec un souvenir du Chant d’adieu de Wotan, immédiatement suivi de La Malédiction de l’anneau, deux fois répétée, avec le rythme de Destruction, et la scène finit comme elle a commencé, par le motif de Fafner, sinistre et menaçant.

Scène ii. — Arrive Siegfried, conduit par Mime ; L’Amour de la vie et le joyeux début de la strophe variée du Chant du Soufflet leur font escorte, avec quelques rythmes de Forge et une sorte de pressentiment du Sommeil de Brünnhilde. Mime, désireux d’enseigner La Peur à son élève, emprunte à Loge quelques traits chromatiques ; on entend rugir Fafner, auquel Siegfried oppose L’Héroïsme des Wälsungs ; L’Amour de la vie aussi est brièvement rappelé.

Mime parti, ou plutôt caché, Siegfried reste seul en scène. Ici commence, à proprement parler, avec les dessins de doubles croches à 6/8, en mi majeur, la ravissante idylle dite « Les Murmures de la forêt », que les pages précédentes avaient déjà annoncée. À travers ces frais et calmes bruissements, nous percevons les idées qui se pressent dans l’âme du jeune héros ; il pense d’abord à La Race des Wälsungs, puis à sa mère, ainsi que nous l’apprend L’Amour filial, ce qui le conduit à entrevoir la beauté et L’Amour, représenté ici par le thème de Freïa. Mais son attention est bientôt attirée par le chant d’un oiseau, qui sautille et gazouille dans les branches au-dessus de lui ; voici quelques fragments de ce délicieux chant de L’Oiseau.

L’OISEAU
[partition à transcrire]

[Il est bon de savoir que chacun des fragments ci-dessus aura par la suite une signification précise. Pour n’en donner qu’un seul exemple, le 3me , par lequel L’Oiseau révélera à Siegfried l’existence de la Walkyrie endormie, est identique au thème du Sommeil de Brünnhilde, lequel n’est lui-même qu’une transposition, avec modifications rythmiques, des Filles du Rhin.]

L’oiseau
[partition à transcrire]
Sommeil
[partition à transcrire]
Filles du Rhin
[partition à transcrire]

[À partir d’ici, il sera fait perpétuellement des allusions et des citations de ce Chant de L’oiseau, les unes très étendues et appelant forcément l’attention, d’autres consistant en quelques notes seulement : témoin celle-ci, qu’on trouvera dans l’interlude instrumental pendant lequel Siegfried traversera les flammes (3e acte, après la fin de la scène ii). Ici, quatre motifs sont en conjonction.]

[partition à transcrire]

Donc, Siegfried, ayant entendu l’Oiseau, essaye d’abord de l’imiter au moyen d’un chalumeau rustique qu’il taille avec son Epée, ce qui motive un incident d’un doux comique ; n’y parvenant pas, il embouche son cor, et sonne sa joyeuse fanfare, L’Appel du fils des bois, dans laquelle il intercale, comme pour se mieux faire connaître, Siegfried gardien de l’Epée.

C’est Le Dragon qui lui répond par d’effroyables bâillements ; c’est Fafner qui sort de son antre pour livrer combat à son provocateur. Le combat a lieu ; L’Épée atteint le cœur ; Fafner va mourir. Mais, avant de mourir, il retrace son histoire, que l’orchestre commente à l’aide de plusieurs Leit-motifs appropriés : Le Travail de destruction, La Malédiction de l’anneau, Le Gardien de l’Épée, son vainqueur, Les Géants, L’Anneau, Le Dragon, Le Fils des bois, et enfin Fafner meurt, sur un coup de timbale, au second temps de la mesure.

Une éclatante fanfare du Fils des bois célèbre cette première victoire, puis aussitôt reprennent les « Murmures de la forêt ». Mais cette fois le langage de L’Oiseau est devenu intelligible pour le jeune guerrier, parce qu’il a sucé le sang du dragon (?) ; pour nous aussi, mais par une autre raison : c’est qu’il est confié à un soprano.

Scène iii. — La scène Scène iii, malgré son grand développement et sa complication, ne fait connaître aucun motif nouveau ; il n’y a donc qu’à y rechercher ceux déjà présentés. Pour plus de clarté, considérons-la comme divisée en quatre parties.

Dans la première (dialogue entre Mime et Alberich), les seuls motifs légèrement esquissés sont : Le Pouvoir du Casque, La Forge, et Le Cri de triomphe du Nibelung.

Dans la deuxième (quand Siegfried sort de la caverne), apparaissent : L’Anneau, L’Adoration de l’Or, L’Or, puis de nouveau les « Murmures de la forêt », bientôt associés à la Race des Wälsungs.

Dans la troisième (lorsque Mime s’approche obséquieusement de Siegfried), c’est d’abord L’Oiseau et La Fonte de l’acier ; plus loin, la Complainte de l’Éducation, dont le ton doucereux est démenti par les paroles ; au moment de la mort de Mime, remarquer la singulière suite de 3ces descendantes et discordantes, empruntées à La Réflexion, qui, jointes au ricanement d’Alberich (La Forge), lui font une assez piteuse mais digne oraison funèbre.

Dans la quatrième partie (qui va de là jusqu’à la fin de la scène, paraissent ou reparaissent La Malédiction de l’anneau, La Forge, quand Siegfried jette dans l’antre le cadavre de Mime ; Fafner, quand il y roule celui du Dragon ; puis L’Anneau, et, suivi du rappel de L’Oiseau, le chant de L’Amour filial, qui, avec quelques souvenirs de la Forge, nous conduit à un dernier retour des « Murmures de la forêt ». Cette fois, L’Oiseau propose à Siegfried de le conduire auprès de la Walkyrie endormie au milieu d’un cercle de feu (voir p. 430) ; aussi les derniers motifs de l’acte sont-ils : Le Charme des flammes, Siegfried gardien de l’Épée, Le Sommeil de Brünnhilde… et, brochant sur le tout, le ramage de L’Oiseau, qui ne se tait qu’à l’accord final.

3me  Acte.

Prélude. — Un rythme persistant de Chevauchée nous fait pressentir la venue de Wotan. En même temps reparaît un imposant dessin ascendant de basse, dans lequel on peut reconnaître soit Les Nornes, soit La Détresse des dieux, soit encore, lorsqu’il passe en majeur, Le Rhin, tous motifs proches parents, par leur contexture et leur sens symbolique, et dont la présence ici s’explique aussi naturellement pour l’un que pour l’autre. Le Courroux de Wotan, Le Traité, Le Déclin des dieux, La Puissance d’Alberich, apparaissent çà et là, et le Prélude se soude à la

Scène i par l’harmonie mystérieuse et solennelle du Sommeil éternel, à laquelle succèdent, sans interruption, Le Sort, Le Traité, et, juste avant le premier mot du Voyageur, L’Annonce d’une nouvelle vie.

Les mêmes motifs accompagnent le monologue de Wotan, révocation d’Erda, avec un rappel de Wotan errant ; ils dominent aussi dans la réponse d’Erda et son dialogue avec Wotan, pendant lesquels reparaissent en plus : L’Anneau, Le Regret de l’amour, Le Walhalla, Le Travail de destruction des Nibelungs, Le Chant d’adieu de Wotan, et quelques autres motifs seulement esquissés.

C’est seulement à la fin de cette scène, qui compte parmi les plus admirables de la « Tétralogie » tout entière, qu’apparaît un thème nouveau, L’Héritage du monde.

L’HÉRITAGE DU MONDE
[partition à transcrire]


de ce monde sur lequel Wotan, prévoyant et désirant la fin des dieux, n’entend plus régner, et qu’il lègue à son fils, au Wälsung triomphant. Aussi ce motif, qui est exposé à plusieurs reprises avant la disparition d’Erda, est-il escorté de ceux qui touchent de près le jeune héros : Siegfried gardien del’Épée, L’Épée, Le Walhalla, La Puissance de l’anneau, La Fuite, L’Amour ; quand Erda s’enfonce sous terre, quatre beaux accords nous annoncent qu’elle se plonge de nouveau dans son Sommeil éternel.

Scène ii. — Guidé par L’Oiseau, Siegfried approche, portant son Épée. Wotan lui barre le chemin, et l’oblige à lui raconter le but de son voyage, aussi bien que les raisons qui l’ont porté à l’entreprendre.

De là les fréquentes allusions orchestrales à L’Oiseau qui l’a conduit, à Fafner dont le sang lui a donné le pouvoir de comprendre le chant des oiseaux, à La Forge où il a été élevé ; à La Race des Wälsungs dont il est issu ; à L’Amour de la vie qui l’anime ; les paroles du Voyageur, au contraire, sont soulignées par Wotan errant, par Le Walhalla, par Le Courroux de Wotan, plus tard par Le Traité, par les dessins chromatiques de Loge, par Le Charme des flammes, par La Chevauchée et Le Sommeil éternel, lorsqu’il déclare être le gardien de la roche où dort la Walkyrie ; à ces motifs, Siegfried, toujours inspiré par le souvenir de L’Oiseau, oppose les siens, Le Gardien de l’Épée, La Race des Wälsungs, puis enfin, d’un seul coup, L’Épée brise la lance du dieu. Alors reparaissent, assombris, Le Traité, Le Déclin des dieux, Le Regret de l’amour, toujours entremêlés des joyeux gazouillements de L’Oiseau, et Siegfried s’élance à travers les flammes, accompagné par la merveilleuse combinaison de thèmes typiques que nous avons déjà signalée par avance (p. 431) et où se retrouvent simultanément L’Appel du fils des bois, Le Charme des flammes, Siegfried gardien de l’Épée, L’Adoration de l’or, L’Oiseau, Loge, puis, quelques mesures plus loin, Le Sommeil éternel et Le Sommeil de Brünnhilde. Tout ce dernier déploiement de Leit-motifs a lieu pendant qu’un rideau de feu et de vapeurs embrasées nous masque le changement de décor.

Scène iii. — Les vapeurs se dissipent tandis que transparaissent les motifs du Sommeil de Brünnhilde et du Sort, suivis d’un chatoyant dessin des violons seuls, dans lequel on reconnaît en plus le profil de Freïa, la déesse de l’amour. Puis Le Sort, L’Adoration de l’or, L’Oiseau.

Pendant que Siegfried contemple la Walkyrie immobile, se fait entendre très discrètement d’abord le motif de La Fascination de l’amour, que nous n’avons pas eu à signaler depuis la 2e scène de « l’Or du Rhin », et dont l’emploi devient par là particulièrement expressif. Nous retrouvons Brünnhilde comme entourée encore des motifs au milieu desquels nous l’avons laissée, La Chevauchée, Le Chant d’adieu de Wotan qui se déploie en entier ; en quelques délicats coups d’Épée, Siegfried coupe les liens de la cuirasse ; La Fascination de l’amour prend plus d’importance. Le souvenir de La Race des Wälsungs est évoqué, et nécessairement Le Sommeil de Brünnhilde reparaît souvent, accompagné du séduisant contour de Freïa, qu’entrecoupe sinistrement la question du Sort, mais dont les élégants enlacements annoncent gracieusement le réveil de la déesse déchue.

Ce réveil a lieu sur les accords clairs et lumineux du Salut au monde, d’un merveilleux étincellement,

SALUT AU MONDE
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


deux fois répétés, et chaque fois suivis d’arpèges sonores, puis de grésillements scintillants des harpes, se développant en une phrase large à laquelle une longue série de tierces et un trille prolongé donnent une physionomie tout à fait italienne. C’est sur ce Salut que Brünnhilde prononce ses premiers mots ; mais lorsqu’elle en vient à demander le nom du héros qui Ta réveillée, elle trahit sa pensée intime et son désir, car sa déclamation emprunte les notes mêmes sur lesquelles Wotan l’a quittée, après l’avoir endormie sur son rocher, au dernier acte de « La Walkyrie », lesquelles ne sont autres que celles de Siegfried gardien de l’épée.

À son tour, Siegfried radieux entonne son Salut à l’amour, plein d’ardeur juvénile et d’enthousiasme,

SALUT À L’AMOUR
[partition à transcrire]
[partition à transcrire]


se terminant, comme le Salut au monde de Brünnhilde, par la phrase en tierces ci-dessus mentionnée, qui apparaît encore plus italienne à présent qu’elle est chantée en duo par les deux voix.

Aussitôt après les deux poirnts d’orgue et le trille qui terminent cette période, les basses attaquent vigoureusement le thème de La Race des Wälsungs, auquel répond joyeusement le nouveau motif de L’Enthousiasme de l’amour.

ENTHOUSIASME DE L’AMOUR
[partition à transcrire]


lui encore constitué par une suite de tierces et de sixtes, fait assez rare chez Wagner pour mériter d’être signaié.

L’Héritage du monde fait ensuite plusieurs réapparitions dans des tons différents, mais maintenant à 3/4, ce qui enlève un peu de sa solennité.

Se mélangeant avec lui, selon les péripéties du dialogue, on reconnaîtra principalement L’Enthousiasme de l’amour, Le Salut à l’amour, L’Annonce d’une nouvelle vie, un souvenir du Courroux de Wotan et de La Chevauchée, plus loin La Malédiction de l’anneau, La Servitude ; lorsque arrive le ton de mi majeur, nous faisons connaissance avec deux thèmes qui n’en forment presque qu’un seul, le deuxième étant la suite du premier. C’est d’abord La Paix,

LA PAIX
[partition à transcrire]


motif d’une douce et placide sérénité, qui n’a aucun emploi en dehors de cette scène, dans laquelle il introduit un élément de calme et de fraîcheur ; puis, 20 mesures plus loin, aussi tendre, mais plus passionné, Siegfried trésor du monde.

SIEGFRIED TRÉSOR DU MONDE
[partition à transcrire]


que nous retrouverons deux fois dans a le Crépuscule ».

Ces motifs paisibles s’associent ensuite, pendant le reste du duo d’amour que constitue cette scène, à la plupart des motifs déjà cités, auxquels il faut joindre Le Sort, Le Sommeil de Brünnhilde, Le Dragon, La Chevauchée, qui ne font que de courtes apparitions, puis Siegfried gardien de l’épée, mis cette fois dans la bouche même du héros, au paroxysme de la passion ; L’Oiseau, Le Cri des Walkyries, après quoi une dernière reprise de L’Enthousiasme de l’amour nous conduit à une sorte de sirette à deux voix qui a reçu le nom de Résolution de l’amour, ou La Décision d’aimer [2].

LA DÉCISION D’AIMER
[partition à transcrire]

Dans ce finale entraînant se trouve encore intercalé le Salut à l’amour de Siegfried ; ici encore, les deux voix se marient en rapports fréquents de tierces et de sixtes, et ia cadence terminale présente un brio inaccoutumé. Les derniers accords de l’orchestre reproduisent les motifs du Gardien de l’épée et de L’Enthousiasme de l’amour.

LE CRÉPUSCULE DES DIEUX

Le Crépuscule des Dieux diffère des deux pièces précédentes, en ce qui concerne la coupe générale, par l’adjonction d’un Prologue très développé et remplaçant un Prélude pour le 1er  acte, auquel il est relié sans interruption. Ce Prologue peut lui-même être considéré comme divisé en deux parties ; la première est la belle et sombre scène des Nornes filant le câble de la destinée des dieux comme de celle des humains ; la deuxième nous montre les adieux de Briinnhilde à Siegfried partant pour de nouveaux combats.

Prologue. — Dans les deux premiers accords, on reconnaît Le Salut au monde de Brünnhilde, auquel succède immédiatement le mouvement ondulatoire de l’élément primordial, Le Rhin, qui se transforme (au moment où la 1re  Norne va parler) en La Détresse des dieux ; quatre mesures après, Le Charme des flammes. Comme les trois sœurs, dans leur dialogue, passent en revue tous les événements que nous avons vus se dérouler dans les journées précédentes, il est naturel que l’orchestre, de son côté, fasse défiler les motifs correspondant aux diverses phases du drame ; aussi retrouve-t-on fréquemment Le Walhalla, Le Salut au Walhalla, La Mort, La Puissance des dieux, Le Traité, Le Déclin des dieux, Le Sort, Loge, Le Charme des flammes, Le Sommeil éternel, L’Anneau, Le Regret de l’amour, L’Adoration de l’or, Le Cri de triomphe du Nibelung, L’Épée, L’Appel du fils des bois, La Malédiction de l’anneau, qui se produisent une première fois dans l’ordre ci-dessus, ce qui permettra de les retrouver aisément sur une partition ; la scène des Nornes se termine par le motif du Sort, deux fois répété.

Pendant l’intermède qui accompagne le lever du soleil, L’Appel du fils des bois, héroïquement transformé à 4/4, comme nous l’avons indiqué à la page 418, se combine heureusement avec un nouveau thème, qui personnifie Brünnhilde dans son amour humain, dans son amour de

BRÜNNHILDE
[partition à transcrire]


femme, et dont l’élégance est relevée par un grupetto expressif. Quatre mesures avant que Brünnhilde prenne la parole, signalons un court rappel de La Chevauchée, encadrant Le Fils des bois ; car c’est lui, et non plus elle, qui chevauchera Grane désormais. Quatorze mesures plus loin, apparaît encore un autre motif appartenant spécialement à Brünnhilde et caractérisant son Amour héroïque.

L’AMOUR HÉROÏQUE
[partition à transcrire]

[De ce dernier, il sera fait peu d’emploi en dehors des deux dernières scènes du 2e acte.]

Ces derniers motifs sont ceux qui dominent dans le tissu harmonique de cette deuxième moitié du Prologue, associés à quelques autres que je présente, comme toujours, dans l’ordre de leur production : Salut à l’amour, Loge, Siegfried gardien de l’épée, Le Sort, L’Héritage du monde, L’Anneau, La Chevauchée, le cri de joie des Filles du Rhin, L’Or, La Chevauchée, L’Amour, Le Désir de voyager, L’Épée ; c’est encore le motif de Brünnhilde qui suit le héros du regard pendant qu’il s’éloigne, au début des pages symphoniques qui séparent le Prologue du 1er  acte, puis, lorsqu’on ne le voit plus, résonne dans le lointain sa joyeuse fanfare de chasse, L’Appel du fils des bois, revenu à sa forme primitive ; dans ce même entr’acte on reconnaît La Décision d’aimer, Le Regret de l’amour, L’Adoration de l’or, L’Or et Le Rhin, La Puissance de l’anneau, et enfin Le Cri de triomphe du Nibelung, précédant de quelques mesures seulement le lever du rideau.

Comme on le voit, la plupart des précédents Leit-motifs sont suggestivement remémorés à l’auditeur dans ce vaste Prologue, sorte de récapitulation et de résumé des journées précédentes, qui prédispose merveilleusement l’esprit aux émotions violentes qui vont l’assaillir en ce dernier drame.

1er  Acte.

Scène i. — Je laisse volontairement de côté, ici, quelques motifs d’importance relativement secondaire, se rapportant à la tribu des Gibichs et au personnage peu sympathique de Hagen, qui sont exposés dès les premières notes de l’acte ; bien que nettement caractérisés (ce qui permettra à tout lecteur sagace de les découvrir lui-même), ils n’ont qu’un emploi épisodique ; c’est ce qui me porte à n’en pas parler, dans cette étude forcément brève, pour m’attacher aux grands motifs typiques qui dominent l’œuvre entière et sont nécessaires pour sa complète intelligence. Faisons pourtant remarquer que le motif des Gibichs (6e mesure de cette scène) ne laisse pas ignorer que nous sommes sur les bords du Rhin.

C’est Hagen qui conduit cette scène ; pour servir ses ténébreuses ambitions, il veut que Gunther épouse Brünnhilde, et que Gutrune devienne la femme de Siegfried. Il cherche à faire naître Tamour dans leurs cœurs (Freïa), à Gunther il dépeint Brünnhilde sur son rocher (La Chevauchée, Le Charme des flammes, même L’Oiseau) ; à Gutrune il fait le portrait de Siegfried (Héroïsme des Wälsungs, Appel du fils des bois, L’Anneau, la victoire sur Fafner) ; il leur explique la cause de sa puissance (Puissance de l’anneau, Regret de l’amour, L’Or, Le Cri de triomphe d’Alberich) ; et enfin il leur révèle par quels moyens magiques il entend arriver à réaliser ce double mariage, sans toutefois leur laisser comprendre qu’au fond de sa pensée le but unique est d’arriver par eux à conquérir l’Anneau avec le pouvoir qui y est attaché. Cette situation motive l’emploi de deux motifs nouveaux : l’un exprime L’Amitié perfide de Hagen pour Siegfried, dont au fond il ne désire que la mort,

AMITIÉ PERFIDE DE HAGEN
[partition à transcrire]


et l’autre La Trahison par la Magie,

LA TRAHISON PAR LA MAGIE
[partition à transcrire]


souvent précédé de quelques notes du Pouvoir du casque, qui nous font savoir que le heaume enchanté, le Tarnhelm, est l’un des moyens dont Ilagen entend se servir.

Ces deux nouveaux motifs apparaissent à peu de distance l’un de l’autre, plus loin que le milieu de la scène, à l’indication mena mosso ; d’abord La Trahison, après deux mesures de La Puissance du casque, et, 17 mesures plus tard, L’Amitié perfide ; ils sont accompagnés de quelques rares rappels de L’Épée, de Freïa, de La Malédiction de l’anneau, après quoi Siegfried s’annonce par son air favori, L’Appel du fils des bois, qui résonne d’abord dans le lointain, puis plus près ; aussitôt se réveille L’Adoration de l’or, qui ramène à son tour le bruissement des vagues du Rhin, L’Anneau, et, au moment même où Siegfried quittant sa nacelle, met pied à terre.


Scène ii, La Malédiction de l’anneau fait retentir de nouveau son terrible anathème.

Les premières paroles de courtoisie sont échangées pendant que l’orchestre salue Siegfried gardien de l’épée ; aussitôt le héros recommande qu’on prenne le plus grand soin de Grane, ce qui motive le rappel de La Chevauchée, auquel se rattache immédiatement un tendre souvenir de Brünnhilde. Dans la conversation qui suit, des allusions sont faites à L’Amitié perfide de Hagen, à L’Héroïsme des Wälsungs, à L’Épée que Siegfried raconte avoir forgée, à La Forge' par conséquent, au Dragon qu’il a tué, à La Servitude, au Pouvoir du casque, que Hagen fait connaître à Siegfried, à L’Anneau, etc.

Ici a lieu l’acte de trahison. À l’instigation de Hagen, sa sœur s’avance gracieusement et offre à Siegfried, avec d’aimables paroles, que souligne le théme de La Bienvenue de Gutrune,

BIENVENUE DE GUTRUNE
[partition à transcrire]


la coupe enchantée dans laquelle il doit boire l’oubli ; avant d’absorber le breuvage magique, Siegfried, encore fidèle à son amour, envoie un souvenir à Brünnhilde ; c’est à elle qu’il boit, ainsi que l’attestent les thèmes du Salut à l’amour, de L’Héritage du monde, et la terminaison en tierces que nous avons signalée dans le duo du 3e acte de « Siegfried ». [Cette forme typique si caractéristique fera sa dernière apparition à la scène ii du 3e acte, lorsque Siegfried se retrouve en pleine possession de sa mémoire.]

Au moment même où il absorbe le fatal breuvage (au ton de sol majeur, après un trille prolongé), résonne sourdement le sombre thème de La Trahison par la magie, suivi de La Bienvenue de Gutrune ; tout aussitôt le philtre opère, le pur héros perd la mémoire, oublie le passé, et ne brûle d’un ardent amour que pour Gutrune. Quelques très fugitives réminiscences de L’Enthousiasme de l’amour, du Charme des flammes, de L’Oiseau, font deviner les efforts impuissants qu’il fait pour ressaisir ses souvenirs envolés ; dorénavant il est sous le charme du traître Hagen, dont il va accomplir passivement les ténébreuses volontés. Aussi les motifs de La Trahison (qu’on appelle aussi l’Imposture magique) et celui de Gutrune vont-ils prendre, dans le reste de la scène, une importance considérable.

Le pacte infâme qu’on lui impose est contracté sur les thèmes de La Trahison, de Loge dont il devra de nouveau traverser les flammes, de La Chevauchée, de L’Épée, de La Malédiction de l’anneau, et fréquemment scellé par de signiûcatifs retours du Traité.

Le serment solennel échangé, les voix des deux frères d’armes s’unissent en un ensemble de courte durée dans lequel se fait jour Le Désir de voyager, sous une forme dialoguée, ainsi qu’un nouveau motif, que chacun d’eux chante à son tour, et qui a reçu le nom de Justice de l’expiation (selon d’autres Le droit à l’expiation).

JUSTICE DE L’EXPIATION
[partition à transcrire]


C’est comme la sanction du serment : celui qui le trahirait devrait payer cette trahison de sa mort.

Après quelques courts épisodes, pendant lesquels se font entendre de nouveau Le Traité, La Bienvenue, L’Anneau, Les Pommes d’or curieusement associées à La Forge (l’origine divine du héros et son éducation par le nain), Le Regret de l’amour, La Chevauchée combinée avec Loge (Grane traversant les flammes), les deux chevaliers se mettent en route sans plus tarder.

Gutrune les suit par la pensée, avec son motif de Bienvenue, et, peu après, les espérances ambitieuses de Hagen sont formulées nettement par une série de motifs typiques qui dénotent une association d’idées sur la signification de laquelle il n’y a pas à se méprendre : Le Travail de destruction des Nibelungs, Le Cri de triomphe du Nibelung, Siegfried gardien de l’épée, La Chevauchée, Le Regret de l’amour, L’Or, L’Anneau, objet de ses convoitises, L’Appel du fils des bois, La Servitude… ; lui aussi suit les deux guerriers par la pensée. Nous, portés sur les ailes de la symphonie, nous les devançons ; au cours du même interlude orchestral, nous sommes déjà ramenés près de Brünnhilde d’abord par son propre motif, puis par son Salut au monde, entremêlés des menaces de La Malédiction, du Travail de destruction et de L’Anneau, qu’elle possède encore.


Scène iii. — En effet, quand le rideau se rouvre, aux accents de La Trahison par la magie, c’est en contemplation de l’anneau que nous la retrouvons ; son état d’âme nous est de suite révélé par le souvenir de Siegfried trésor du monde, auquel succèdent bientôt de vagues bruits de Chevauchée. C’est Waltraute qui vient visiter sa sœur exilée, lui révéler la détresse des dieux, et la supplier, pour les sauver, de rendre l’anneau fatal au Rhin. De là une éloquente succession de motifs : Le Cri d’appel des Walkyries, avec les hennissements et les piaffements, L’Annonce d’une nouvelle vie, Le Salut au monde, Le Salut à l’amour, témoins de l’inébranlable fidélité de Brünnhilde à Siegfried gardien de l’épée ; ensuite le souvenir du terrible Courroux de Wotan, de La Détresse des dieux, des splendeurs du Walhalla, du Traité, de La Puissance divine, si fortement ébranlée, du Sort, des Pommes d’or, auxquelles Wotan ne touche plus ; ici encore, le Walhalla est représenté à l’état de ruine ; puis viennent La Servitude, L’Adoration de l’or, cause de tout le mal, un touchant rappel du Chant d’adieu de Wotan, L’Anneau, La Malédiction, Le Regret de l’amour, Le Cri de triomphe du Nibelung prêt à ressaisir sa proie, les deux cruelles notes de La Servitude… enfin tous ceux des motifs qui s’adaptent aux sujets de l’entretien des deux sœurs ; mais Brünnhilde ne cède pas, elle conservera son anneau de fiancée, tous ses thèmes d’amour se pressent de nouveau pour mieux affirmer sa constance, et Waltraute part précipitamment sur une tumultueuse reprise de La Chevauchée.

Restée seule, Briinnhilde voit Le Charme des flammes se renouveler, la roche s’embraser ; elle pressent le retour de Siegfried, dont résonne déjà la fanfare du Fils des bois ; elle court à sa rencontre !… Soudain Le Pouvoir du casque se fait entendre froid comme un glas : Siegfried, coiffé du Tarnhelm, a pris la forme de Gunther ; elle ne peut le reconnaître.

Cette deuxième partie de la scène est une des plus pénibles que je connaisse au théâtre, et le mieux est de se raccrocher à l’intérêt purement musical pour supporter l’odieux spectacle du pur et héroïque Siegfried devenu traître à l’honneur et à l’amour, fût-ce par un subterfuge magique, comme aussi des violences auxquelles il se livre, dans cet état inconscient, envers la malheureuse et toujours aimante Walkyrie. Heureusement cela ne dure pas longtemps.

Dès l’arrivée de Siegfried-Gunther, Le Pouvoir du casque s’impose, aussitôt suivi de La Trahison par la magie ; Le Sort inexorable lui succède, mais c’est le motif des Gibichs qui accompagne la voix de Siegfried !… Le rythme souterrain du Travail de destruction des Nibelungs se fait entendre sourdement ; Brünnhilde tente en vain de résister par L’Anneau au brutal envahisseur : celui-ci y oppose La Malédiction de l’anneau, lutte avec elle, lui arrache la bague, la terrasse, et la contraint de tomber, épuisée, dans ses bras, sur un navrant rappel de Siegfried trésor du monde, celui qu’elle aime tant et qui ne la reconnaît plus, effroyable situation que souligne un rappel simultané du Pouvoir du casque et de l’amour humain de Brünnhilde, et que rend encore plus explicite, s’il est possible, un retour de La Trahison infâme.

C’est fini, elle est vaincue, brisée : les thèmes qui reviendront (Le Travail de destruction, Brünnhilde, Le Sort même) ne nous diront rien de plus ; mais il faut remarquer, bien qu’ils n’aient pas absolument caractère de Leit-motif, les énergiques accents d’orchestre sur lesquels Siegfried, convaincu d’avoir agi en loyal et vaillant chevalier, tire son glaive du fourreau, pour protéger sa malheureuse victime.

[partition à transcrire]

[On les retrouvera au 2e acte, puis au 3e, dans l’émouvante scène finale, où leur signification ne pourra être bien saisie qu’en se remémorant cette poignante situation.]

À la suite reparaissent L’Épée, soi-disant protectrice, avec Le Traité, puis La Bienvenue de Gutrune, qui seule hante maintenant l’esprit du héros, Le Casque et La Trahison par la magie, dont il est le jouet, et l’amour de Brünnhilde, qu’il méconnaît. Le dernier motif énoncé par l’orchestre est celui du Pouvoir du casque, qui, de fait, a joué dans l’acte le rôle le plus terrifiant.

2me  Acte.

Prélude et scène i. — Le rythme persistant du Travail de destruction, Le Cri de triomphe du Nibelung, et en dernier lieu L’Anneau, font seuls les frais de ce Prélude, qui s’enchaîne directement à la scène i.

Cette scène se passe dans des ténèbres profondes, à la clarté blafarde de la lune, très voilée, entre le Nibelung Alberich, émergeant des profondeurs du Rhin, et son fils Hagen, engourdi dans un demi-sommeil ; les motifs de haine et d’ambition y dominent nécessairement ; d’abord ceux signalés dans le Prélude, et qui forment le fond, puis La Puissance de l’anneau, Le Regret de l’amour, puis un nouveau thème effroyablement expressif, Le Meurtre, l’excitation au meurtre,

LE MEURTRE
[partition à transcrire]


[qui retrouvera son emploi dans les scènes iv et v du même acte ;]
et, comme pour mieux préciser celui à qui s’adresse cette menace, voici venir L’Épée avec laquelle Siegfried a tué Fafner, L’Anneau qu’il a en sa Puissance, et L’Appel du fils des bois, sa fanfare caractéristique.

Plus loin, dans la même scène, des allusions sont faites à Brünnhilde, représentée par L’Annonce d’une nouvelle vie, et aux Filles du Rhin, aussi au Walhalla défiguré, dont la ruine est le but final ; mais ces motifs passent rapidement, laissant la prépondérance à ceux de couleur sombre, qui définissent les caractères vindicatifs et sournois du père et du fils, Le Meurtre, La Malédiction de l’anneau, La Servitude.

Scène ii. — Le lever du soleil est ici représenté par une souple figure traitée en canon sur une assez longue Pédale de tonique (si ♭), qui n’est pas sans quelque rapport éloigné avec le motif du Rhin ; c’est un lever de soleil sur les bords du Rhin.

L’arrivée de Siegfried est annoncée par Le Pouvoir du Casque, qu’il a encore sur la tête, et la fanfare alerte du Fils des bois. II raconte à Hagen, puis à Gutrune qui survient, le succès de son voyage, sa traversée des flammes, d’où des retours du thème scintillant de Loge, de La Bienvenue de Gutrune, de La Trahison par la magie, comme aussi des trois grands coups d’orchestre, en octaves sans aucune harmonie, que nous avons signalés page 452, suivis de L’Epée, combinaison qui indique la façon loyale et chaste dont il a accompli sa mission.

Scène iii. — Le cri de Hagen appelant les vassaux de Gunther reproduit les notes de La Servitude ; tandis que le dessin de basse, procédant par grands sauts d’une allure lourdement joviale, semble caractériser la gaieté de Hagen, à la 2me  mesure, nous trouvons un thème nouveau, L’Appel au mariage,

APPEL AU MARIAGE
[partition à transcrire]


qui ressemble considérablement à la Bienvenue de Gutrune, dont il n’est qu’une transformation.

Aussitôt les vassaux arrivent, ce qui donne lieu à un chœur d’hommes très développé, pendant lequel la sonnerie d’appel retentit fréquemment, alternant avec la voix de Hagen qui ordonne des sacrifices aux dieux.

Scène iv. — Ce chœur ne prend fin qu’après le début de la scène iv, à l’arrivée de Gunther conduisant Brünnhilde.

L’entrée de cette dernière est soulignée par quelques tristes rappels de La Chevauchée suivis de L’Appel au mariage ; quand elle reconnaît Siegfried et pendant le moment de stupeur qui suit, se succèdent éloquemment à l’orchestre, presque sans interruption : L’Appel du fils des bois, La Vengeance, Le Sort, Le Pouvoir du casque, La Trahison par la magie, L’Appel au mariage, Brünnhilde, L’Anneau, La Malédiction de l’anneau, Le Travail de destruction, L’Or, Le Dragon, L’Adoration de l’or, Fafner, Siegfried gardien de l’épée, La Servitude, qui nous font passer avec oppression par toutes les phases rapides de la pensée de la malheureuse Walkyrie déchue. Au moment où elle invoque les dieux, c’est Le Walhalla qui résonne, suivi de La Vengeance et de La Destruction.

Le reste de la scène se déroule à l’aide des motifs précédents ; on y retrouve encore, moins fréquemment, Le Regret de l’amour, L’Amour héroïque, La Justice de l’expiation, et les trois coups d’épée symboliques de la loyauté avec iifpielle Siegfried a conscience d’avoir accompli son pacte ; le serment prêté par Siegfried, et que Brünnhilde redit à son tour, recèle vers le milieu le motif du Meurtre, auquel il se condamne lui-même sans le savoir. Ensuite nous retrouvons encore La Servitude, Loge, Le Pouvoir du casque, L’Anneau, L’Appel au mariage, sur lequel Brünnhilde semble méditer profondément pendant la page d’orchestre qui sépare cette scène de la suivante, après le départ de Siegfried avec Gutrune

Scène v. — Restée seule avec Gunther et Hagen, ses tristes pensées suivent leur cours, le motif du Travail de destruction l’obsède, La Justice de l’expiation et La Servitude l’accablent, et elle semble pressentir Le Meurtre ; Le Sort, pourtant, dont elle a été un des agents, la hante particulièrement, L’Héritage du monde et L’Amour héroïque lui reviennent en cuisants souvenirs ; deux de ces motifs spécialement, Le Meurtre et La Servitude, se combinent simultanément comme pour faire pressentir l’issue fatale ; de tendres souvenirs ramènent encore Siegfried gardien de l’épée, L’Enthousiasme de l’amour avec ses suites de tierces et de sixtes ; mais toujours dominent les thèmes sombres… C’est sur le rythme persistant de l’opiniâtre Travail de destruction des Nibelungs que Brünnhilde révèle à Hagen que Siegfried reste vulnérable par le dos, et qu’ainsi peut l’atteindre un assassin, ce qui décide de sa perte. Le Regret de l’amour apparaît plusieurs fois, avec La Vengeance, La Servitude ; l’idée du Meurtre prend de l’intensité.

Hagen, s’appuyant sur les motifs de La Vengeance, de La Destruction,… propose la mort de Siegfried.

Gunther, un instant ému par la pensée du chagrin qu’en éprouvera sa sœur, hésite, d’où les retours de La Bienvenue de Gutrune, de Freïa… « Il aura été tué par un sanglier, » propose Hagen ; et Gunther cède, par faiblesse.

Quant à Brünnhilde, s’aidant du motif du Meurtre, et considérant Siegfried comme un lâche qui l’a trahie, elle est la première à vouloir sa mort.

Les trois personnages en scène étant mus par cette unique pensée, ici se place un ensemble en Trio, dans lequel la mort de Siegfried est décidée.

Le double cortège nuptial se reforme, aux sons de L’Appel au mariage, de La Bienvenue de Gutrune ; mais au moment où le rideau se referme, l’idée de La Vengeance et surtout celle de La Servitude dominent les bruits de fête.

3me  Acte.

Prélude et scène i. — Après les émotions violentes des deux actes précédents, on éprouve un indicible besoin de calme et de fraîcheur.

La ravissante scène de « Siegfried et les Filles du Rhin » arrive merveilleusement, comme une soulageante diversion, pour détendre les nerfs surexcités, et les rendre par cela même plus sensibles aux tragiques événements qui termineront le drame.

Dès les premières notes du Prélude se fait entendre encore une fois, alerte et joyeuse, la fanfare d’Appel du fils des bois, à laquelle répondent dans l’éloignement le ror de Gunther et la trompe de Hagen. (Le motif de chasse de Gunther n’est autre que l’Appel au mariage, dérivé lui-même, on s’en souvient, de la Bienvenue de Gutrune.) Le gémissement de La Servitude, qui est rappelé par deux fois, est la seule note sombre de cette scène toute de jeunesse et d’enchantement.

Nous retrouvons d’abord Le Rhin, que (sauf une allusion presque inaperçue dans « Siegfried ») nous n’avons pas entendu depuis la première journée ; L’Adoration de l’or lui fait escorte, avec L’Or, sur lequel les appels de chasse se renouvellent. Ensuite l’orchestre nous présente la gracieuse mélodie qui va devenir un nouveau Trio des séduisantes ondines, qui s’ébattent cette fois à fleur d’eau, accompagnées de l’incessant murmure des flots du Rhin, avec des souvenirs de L’Or perdu.

Le Trio devient Quatuor par l’arrivée de Siegfried, qui s’est égaré à la chasse en poursuivant un ours. Les nymphes l’attirent et le captivent par leur grâce et leur joyeux chant ; elles lui demandent de leur donner sa bague (Adoration de l’or, L’Anneau), qu’il a conquise en tuant le Dragon furieux ; il s’y refuse, elles le narguent sur son avarice, l’excitent par leurs rires moqueurs, puis, au moment où il va céder, elles prennent une physionomie sérieuse et lui révèlent l’anathème attaché à L’Anneau (cette phrase se termine par Le Regret de l’amour) ; elles lui annoncent sa mort prochaine s’il ne leur rend l’anneau maudit (Puissance de l’anneau, Malédiction de l’anneau, La Servitude, L’Adoration de l’or, etc.). Il aurait cédé à leurs charmes, mais il ne cédera pas en face d’une menace ; du moment où l’anneau constitue un danger pour son possesseur (Le Traité, L’Anneau, Fafner), il le gardera (Cri de triomphe du Nibelung). Grande agitation des Nixes, qui voient encore une fois leur or leur échapper ; elles essayent de persuader le téméraire de sa démence, mais, voyant qu’il leur faut renoncer à ressaisir L’Anneau, elles reprennent paisiblement leurs ébats et disparaissent sur une reprise du chatoyant ensemble qui a ouvert l’acte.

Resté seul, Siegfried entend les fanfares de Gunther et de Hagen se rapprocher, accompagnées par les motifs de La Malédiction de l’anneau et La Servitude, et leur répond par L’Appel du fils des bois.

Scène ii. — Pendant que Gunther et Hagen s’approchent, suivis des hommes qui portent le produit de leur chasse et l’entassent au pied des arbres, l’orchestre se joue avec les motifs de chasse, laissant transparaître parfois quelques dessins empruntés au Trio des Filles du Rhin, encore dans l’esprit de Siegfried, auxquels se joignent, dès que le dialogue s’engage, L’Amitié perfide de Hagen, La Servitude, La Vengeance, quelques notes de L’Oiseau, un peu plus loin L’Amour héroïque et La Justice de l’expiation, combinés ensemble, Loge (la ruse), La Trahison par la magie, qui poursuit son cours, puis, lorsque Siegfried, à l’incitation de Hagen, propose de raconter son enfance et sa jeunesse, La Forge, puis encore L’Oiseau.

Le récit qui suit, et qui nous conduit directement à la scène de l’assassinat, est si merveilleusement commenté par l’orchestre qu’on pourrait en suivre toutes les péripéties sans le secours des paroles.

C’est d’abord La Forge où il a été élevé dans un état de Servitude, dans l’espoir qu’un jour il tuerait Le Dragon ; c’est la doucereuse complainte de Mime ; c’est la fonte de L’Épée et la victoire sur Le Dragon ; ensuite reparaissent les « murmures de la Forêt », dans lesquels Siegfried à présent chante la partie de L’Oiseau ; la mort de Mime motive un dernier retour de La Forge. À ce moment, Hagen, poursuivant ses maléfices, prépare un nouveau philtre qui, celui-là, rend la mémoire, et le lui présente sous les contours trompeurs de L’Amitié perfide ; Siegfried vide la coupe d’un trait, pendant que mystérieusement glisse dans l’orchestre le thème de La Trahison par la magie, sournoisement préparé par La Puissance du Casque, et instantanément suivi de L’Amour héroïque et de l’amour humain de Brünnhilde. La mémoire est revenue, le récit reprend ; avec lui, de nouveau, les « murmures de la forêt », L’Oiseau, Le Charme des flammes, Freïa, la beauté, Le Sommeil de Brünnhilde, L’Héritage du monde, Le Salut au monde, avec la terminaison en tierces du Duo d’amour, le souvenir des premières extases… C’est alors que le traître Hagen, montrant à Siegfried les deux corbeaux de Wotan qui passent en croassant, le contraint à tourner le dos, et enfonce son épieu entre les deux épaules du héros. La Malédiction de l’anneau retentit violemment, puis, comme un douloureux glas de deuil, Siegfried gardien de l’épée, que suivent à peu de distance Le Sort et La Justice de l’expiation, au milieu de la stupeur générale. Siegfried est blessé à mort, mais il n’est pas mort. Agonisant et dans un état extatique, il poursuit son récit, que le coup fatal a seulement interrompu. Le Salut au monde reprend, dans son développement complet, Le Sort, Le Gardien de l’épée, Le Salut à l’amour, L’Enthousiasme de l’amour,… puis, sur un dernier rappel du Sort, il tombe mort.

Ici commence (au ton d’ut mineur) l’admirable page symphonique qu’on a coutume d’appeler la « Marche funèbre de Siegfried », mais dans laquelle il faut voir, plutôt qu’une Marche, la plus émouvante et la plus éloquente des oraisons funèbres : oraison funèbre muette, sans un mot, et par cela même encore plus poignante et plus grandiose, car nous sommes arrivés à ce degré de tension où, la parole devenue impuissante, la musique seule peut encore fournir des éléments à une émotion presque surnaturelle.

Toute la vie du héros va nous être retracée. Tous les motifs héroïques que nous connaissons vont défiler ici, non plus dans leurs allures accoutumées, mais lugubrement voilés de deuil, entrecoupés de sanglots, portant avec eux la terreur, et formant dans l’atmosphère qui entoure le héros mort un cortège invisible et impalpable, le cortège mystique de pensées vivantes. D’abord, grave et solennel, L’Héroïsme des Wälsungs, que nous nous souvenons avoir entendu pour la première fois lorsque Siegmund, au début de « la Walkyrie », fait le triste récit de ses malheurs ; vient ensuite La Compassion, représentant la malheureuse Sieglinde, et L’Amour, l’amour de Siegmund et Sieglinde, d’où devait naître Siegfried : ne semble-t-il pas que les tendres âmes de son père et de sa mère, qu’il aimait tant sans les avoir connus, planent sur lui et sont venues conduire le deuil ? Puis c’est La Race des Wälsungs tout entière qui, dans un superbe mouvement de basses, se joint au funèbre cortège ; comme sur un cercueil on pose les armes du défunt : L’Épée, la fière épée est là, toujours étincelante, flamboyante, devenue héraldique dans la lumineuse clarté d’ut majeur, qui n’apparaît qu’à ce seul instant ; enfin voici le motif par excellence du héros, Siegfried gardien de l’épée, deux fois répété par une marche ascendante, la deuxième fois avec sa franche et loyale conclusion, et suivi du Fils des bois dans sa forme héroïque encore singulièrement élargie, qui fait place à un souvenir embaumé de Brünnhilde,… de son unique amour… Que peut-on rêver de plus attendrissant ? Aux dernières notes de la « Marche funèbre », qui ne se termine qu’à la

Scène iii, se font entendre deux lugubres accords qui participent autant de La Servitude que du Cri de triomphe du Nibelung, de même qu’aux mesures suivantes un autre contour, souligné par La Malédiction de l’anneau, peut être considéré à volonté comme un amer souvenir soit de La Bienvenue de Gutrune, soit de L’Appel au mariage, deux motifs se rapportant également l’un et l’autre à l’idée de trahison.

Plusieurs fois l’auditeur, s’abusant comme Gutrune, croit entendre L’Appel accoutumé du Fils des bois ; mais la fanfare ne s’en développe point ; elle est toujours brisée et comme chancelante ; on entend Grane hennir farouchement, avec quelques notes de La Chevauchée ; inquiète, Gutrune cherche Brünnhilde : elle est obsédée par l’idée du Sort, auquel s’adjoint Le Cri de triomphe du Nibelung. Soudain reparaît le motif de La Vengeance accompagnant le rauque appel de Hagen, emprunté à La Servitude ; d’ici à la mort de Gunlher, l’orchestre se meut sur un petit nombre de motifs : L’Appel du fils des bois, transformé en mineur, Le Regret de l’amour ; à l’arrivée du corps, Siegfried gardien de l’épée, qui n’est plus représenté que par ses premières notes, Le Meurtre, La Justice de l’expiation, L’Anneau, La Malédiction, Le Sort. C’est sur ce dernier que Gunther est frappé.

Aussitôt Hagen veut s’emparer de la bague magique ; aussitôt aussi le bras du cadavre de Siegfried se redresse menaçant, serrant l’anneau dans son poing fermé, avec un terrifiant éclat de L’Épée, qui, même mort, le protège.

Alors, sur un large dessin formé du Déclin des dieux, des Nornes, du Rhin, et se terminant tragiquement par Le Sort, apparaît Brünnhilde. À la fin de sa première phrase, le développement du Sort nous donne le chant de La Mort. Elle congédie Gutrune, lui rappelant sa perfide Bienvenue, et, par le thème de L’Héritage du monde, se proclame la seule véritable épouse du héros mort ; sur un dernier rappel de La Trahison par la magie, Gutrune maudit Hagen auquel elle a obéi, et se retire honteuse et désolée.

À partir d’ici, le personnage de Brünnhilde remplira seul cette inoubliable scène de terreur grandiose et resplendissante, tellement splendide et émotionnante qu’elle ne saurait être décrite.

Pendant que Brünnhilde ordonne qu’on élève un bûcher, qu’on aille chercher son cheval, les motifs dominants sont : La Puissance divine, Le Charme des flammes, Siegfried gardien de l’épée, La Chevauchée ; ensuite reparaissent de tendres souvenirs, avec Le Salut à l’amour et un rappel de L’Épée (que nous entendons ici pour la dernière fois) ; ces touchants accents sont brusquement coupés par les trois significatifs coups d’orchestre que nous avons trouvés pour la première fois dans le terrible Duo du 1er  acte (scène iii) ; dans l’action du héros alors sous le pouvoir dun charme, ils avaient pour signification ce qui était pour lui la loyauté chevaleresque ; ici, ils représentent pour Brünnhilde la froide et incompréhensible trahison. Après un rappel du Sort, elle s’adresse aux dieux ; alors, c’est Le Walhalla, L’Annonce d’une nouvelle vie, qui reparaissent plus émouvants que jamais ; à La Servitude, à La Malédiction de l’anneau, et à La Détresse des dieux, succède comme un adieu, triste et pourtant radieux, un dernier Salut au Walhalla.

La Puissance divine reparaît un instant, suivie du Déclin des dieux et du Rhin, trois motifs prochement apparentés ; c’est aux Filles du Rhin qu’elle parle, maintenant, de L’Or qu’elle va leur rendre, sous la forme de L’Anneau que le feu du bûcher va enfin délivrer de La Malédiction qui pèse sur lui.

Aux accents d’une énergie brutale du Traité succèdent les dessins crépitants du Charme des flammes, de Loge, du Déclin des dieux, des Nornes ; Brünnhilde a saisi une torche, et, après avoir embrasé le bûcher, elle a lancé un brandon d’incendie jusqu’au Walhalla.

La Chevauchée reparaît, impétueuse et farouche ; c’est à son fidèle Grane qu’elle s’adresse à présent, c’est lui qui la portera vivante sur le bûcher, et y mourra héroïquement comme elle. Alors apparaît dans sa prodigieuse splendeur le magnifique motif de La Rédemption par l’amour, que l’auteur génial, après nous l’avoir seulement laissé entrevoir au 3e acte de « la Walkyrie » (scène i, dans le rôle de Sieglinde), a tenu en réserve pour en faire ici l’auréole vibrante de la pure et intrépide héroïne. Ce jnotif vasans cesse montant et grandissant, s’entrelaçant amoureusement avec celui de Siegfried gardien de l’épée, pendant que l’exaltation, encore excitée par le pétillement incessant des Flammes, atteint au paroxysme de l’intensité ; soudain, avec un entraînant éclat de son ancien Cri de Walkyrie, elle enlève son noble cheval au galop, et tous deux vont s’effondrer dans le brasier ardent !

Les flammes s’élèvent, le feu siffle, les motifs de Loge et des Flammes font rage, Le Sommeil éternel s’étend largement, Le Rhin monte et envahit la scène ; La Malédiction de l’anneau se fait entendre encore une fois, mais brisée, inachevée ; le tenace Hagen se précipite dans les flots pour saisir l’anneau, que, joyeuses, ont enfin reconquis Les Filles du Rhin.

Le drame est accompli,… mais il reste à entendre un prodigieux Épilogue purement instrumental, pendant lequel l’émotion, qui semble à son comble, va pourtant s’accroître encore, et cela par la seule puissance de la musique et des combinaisons harmoniques des Leit-motifs. Pendant que le Rhin, s’apaisant graduellement, entraîne en son cours Les Filles du Rhin jubilantes, folâtrant avec leur anneau d’or, pendant que Le Walhalla, perdu à tout jamais, définitivement condamné, mais toujours superbe et solennel, s’éclaire des lueurs de l’incendie naissant qui va le dévorer et l’anéantir, vient planer au-dessus de tout, comme l’enivrant et suave parfum qui s’exhale de l’âme pure de Brünnhilde, comme l’épanouissement de son immense tendresse, le chant radieux de la Rédemption par l’amour, devenant de plus en plus éthéré… Tous ces motifs s’échelonnent comme dans un rêve prophétique et lumineux, sans se confondre, chacun conservant immuable son caractère, soit grandiose, soit enjoué, soit extatique, et il en résulte une impression complexe, indéfinissable, profondément troublante, qui plonge l’âme attendrie, après toutes ces scènes d’essence mythologique, dans un état de contemplation surnaturelle et d’idéalisme presque chrétiens.

Je donne ici, dans les quatre pages suivantes, une sorte de maquette montrant de quelle curieuse manière une si prodigieuse combinaison a pu être résolue, et en indiquant, à peu près, l’orchestration merveilleuse.

Ce qui attire d’abord l’attention, c’est le majestueux thème du Walhalla, confié à la famille des Tubas et à la Trompette-basse (les cuivres wagnériens), s’épandant avec solennité dans la mesure à 3/2 ; lorsque ce motif se tait momentanément, les Tubas sont remplacés par les Trombones, avec lesquels ils ne se confondent pas. — Pendant ce temps, aux Violoncelles, aux Altos et aux Harpes se dessine le mouvement ondulatoire des flots du Rhin, avec son rythme habituel à 6/8. — Les Hautbois et Clarinettes, auxquels s’adjoignent plus tard le Cor anglais et la 3me  flûte, rappellent les souples évolutions des nageuses Filles du Rhin. — Ce n’est qu’en dernier qu’apparaît aux Violons, 1er  et 2ds renforcés par deux flûtes, le thème resplendissant comme une merveilleuse apothéose, La Rédemption par l’amour, celui-ci dans une large mesure à 2/2, et tellement grand, tellement sublime en cette suprême transformation, que l’on se sent transporté dans les sphères de l’inconnu.

On retrouve ensuite La Puissance divine, qui s’effondre en traits de basses précipités ; on assiste à l’embrasement et l’écroulement du Palais des dieux, une dernière fois retentit la vaillante sonnerie du Gardien de l’épée, tandis que plane encore plus haut, dans les espaces célestes, comme une dernière et suprême bénédiction, la phrase consolatrice si douce et si noblement empreinte de sérénité, en laquelle se résume tout le drame :

La Rédemption par l’amour !
mSçj

C’est d’une ampleur inouïe, et tout cela se meut avec une telle aisance que l’auditeur n’éprouve pas un seul instant l’impression de la complication réelle en présence de laquelle il se trouve. Tous les motifs se détachent nettement, et les dissonances qu’ils forment parfois entre eux disparaissent grâce à la diversité nettement tranchée des timbres. Nulle confusion, nulle dureté ; on nage avec béatitude dans un océan embrasé de flots d’harmonie, on voudrait pouvoir prolonger indéfiniment cette sensation délicieuse, et, quelque lentement que le rideau se referme, on est toujours trop tôt arraché de ce beau rêve pour rentrer dans la réalité de la vie.

Et l’enseignement qui s’en dégage est celui-ci : « Elle a passé comme un souffle, la race des dieux ;… le trésor de ma science sacrée, je le livre au monde : ce ne sont plus les biens, l’or ou les pompes divines, les maisons, les cours, le faste seigneurial, ni les liens trompeurs des sombres traités, ni la dure loi des mœurs hypocrites, mais une seule chose qui dans les bons et les mauvais jours nous rend heureux : l’Amour ! » (R. Wagner.)



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  1. Le terme classique adopté est : Le Crépuscule des dieux ; j’emploie ici le mot déclin uniquement pour éviter, dans la suite de cette analyse, la confusion entre le Leit-motif et la 4e journée de la Tétralogie.
  2. Les trois derniers motifs cités ici, La Paix, Siegfried trésor du monde et La Décision d’aimer, sont avec Le Sommeil ceux sur lesquels Wagner a composé la ravissante pièce symphonique « Siegfried-Idyll ». (Voir p. 71.)