Le Vote des femmes/Vous n’êtes pas militaires !

V. Giard & E. Brière (p. 48-54).


VOUS N’ÊTES PAS MILITAIRES !


Quand les femmes demandent à voter, ceux mêmes qui parlent de supprimer les armées permanentes leur répondent : « Vous ne pouvez jouir des prérogatives politiques puisque vous ne portez pas le fusil.»

La loi de deux ans sert aux antiféministes de prétexte pour déclarer que les femmes point astreintes aux obligations militaires imposées aux hommes, ne peuvent être en la société leurs égales.

C’est peine perdue de leur faire remarquer que la loi de neuf mois renouvelable est plus dure pour les femmes que la loi de deux ans pour les hommes ; que beaucoup plus de femmes succombent sur le lit de douleur pour l’œuvre de création, que d’hommes sur le champ de bataille pour l’œuvre de destruction.

Les femmes ne se battent pas ; mais, tous les hommes non plus ne se battent pas ; il y a de par le monde une foule d’hommes impropres au service militaire ; on les appelle des réformés, ces réformés, jouissent cependant de leurs droits civiques.

Personne n’a jamais songé à contester le droit de vote à ceux que le conseil de revision a repoussé.

Il est donc bien singulier de voir se manifester quand le sexe féminin réclame ses droits, des exigences que l’on n’a pas pour le sexe masculin.

Cette objection du service militaire n’est pas nouvelle. J’ai épinglé dans mon cabinet de travail un numéro du Grelot illustré, ou sous ce titre « Hubertinauclertinade », Alfred Le Petit a dessiné un militaire qui interpelle ainsi une femme enceinte :

– Eh ! dites donc vous, la citoyenne, puisque vous voulez les mêmes droits que nous, venez donc faire aussi vos vingt-huit jours ?

— Pourquoi pas, si vous voulez faire nos neuf mois ?… répond la future mère.

Les plaisantins qui voudraient laisser la femme hors du droit commun, parce qu’elle n’assume pas à la fois la peine de perpétuer la race et celle de défendre le territoire, négligent de songer que, s’ils exigeaient pour leur sexe pareil cumul, il serait infiniment moins facile aux hommes d’être mères qu’aux femmes d’être soldats.

Il y a déjà eu des femmes soldats : les Gauloises accompagnaient leurs maris à la guerre, elles étaient si intrépides, elles maniaient avec tant d’adresse le bouclier, qu’elles avaient reçu en présent de leur fiancé, qu’un Gaulois pouvait, disait-on, terrasser six ennemis s’il était secondé par sa femme dont les bras nerveux se raidissaient et portaient des coups aussi terribles que ceux des pierres lancées par des catapultes.

Sous l’ancienne France des femmes se ceignaient virilement d’un habit de guerre, combattaient, ou se précipitaient entre les bataillons armés, pour les empêcher d’en venir aux mains en s’écriant : « Gardez-vous de livrer un combat ou périra tout le bien du pays. »

Les femmes se font soldats aux heures désespérées.

Avant et après Jeanne Darc notre héroïne nationale, qui en 1429 arracha la France aux Anglais en les forçant avec un réel génie militaire, à lever le siège d’Orléans après les avoir vaincus à Patay – À toutes les époques de l’histoire des femmes se sont distinguées par des actions d’éclat.

Jacqueline Robin, sauva la ville de Saint-Omer, en lui procurant des vivres et des munitions.

Jeanne Hachette, défendit héroïquement Beauvais, assiégée par Charles-le-Téméraire.

Mlles  Ferny, se battirent si bien que la Convention leur envoya deux chevaux caparaçonnés.

Combien d’autres femmes se sont enrôlées dans les armées de la République : Marie Pochelet, Madeleine Petit-Jean, Rose Marchand, Élisa Quatresou, pour ne citer que celles-là, obtinrent de la Convention des éloges et des pensions.

Thérèse Figueur, qui fut dragon, eut deux chevaux tués sous elle, fut cinq fois blessée ; se retira en 1815 après 22 ans de service militaire avec 200 francs de pension.

Virginie Ghesquière dite le « joli sergent, » s’engagea à la place de son frère jumeau qui n’avait pas sa vigueur et se distingua à Wagram.

Angélique Brûlon, nommée sous-lieutenant et décorée de la légion d’honneur, fut après ses campagnes admise aux invalides.

Marie Schellinck, frappée de six coups de sabre à Jemmapes, blessée à Austerlitz et à Iéna eut une citation à l’ordre du jour de l’armée ; après Arcole fut nommée sous-lieutenant et décorée pour ses douze campagnes et ses 17 ans de service.

Ni les Conventionnels, ni Bonaparte, n’encourageaient l’enrôlement des femmes dans les bataillons. On était porté à confondre ces braves soldates, avec les troupeaux de filles qui de tous temps avaient encombré les camps ; et que les chefs d’armée, soucieux de la santé de leurs troupes ordonnaient parfois de jeter dans la rivière. En 1760 le maréchal de Broglie leur faisait noircir le visage avec une drogue qui les marquait pour six mois. C’était un moyen préférable au fouet qui, disait le maréchal, ne les empêche pas de revenir.

Bonaparte eut recours au même système, il ordonna de passer au noir les femmes qui venaient sans autorisation à l’armée.

En 1870, une institutrice, Mlle  Lix fit brillamment la campagne des Vosges.

D’autre part, Livingstone nous rapporte en le récit de ses voyages, que dans le petit royaume de Bantam (Ile de Java) les capitaines et les soldats sont des femmes.

L’Amérique méridionale a le fleuve des Amazones, parce que sur les rives de ce cours d’eau des femmes combattirent.

En 1865, Lopez, pour lutter contre le Brésil, enrôla les Paraguayennes, elles se battirent si vaillamment, et se firent tuer avec tant de courage, qu’après la paix signée il n’y avait plus au Paraguay que des hommes.

Au Dahomey, l’armée permanente formée des femmes repoussa souvent nos troupes ; et, pour conquérir ce pays à la France, nos soldats durent en 1892 énergiquement lutter contre les intrépides amazones dont ils admiraient la bravoure.

Les femmes ont un peu partout suffisamment prouvé qu’elles étaient aptes à porter les armes, et qu’elles pourraient être avantageusement utilisées par le département de la guerre.

Avec les femmes « riz — pain — sel » nos soldats qui souvent souffrent et meurent surtout des privations endurées, seraient certains d’être toujours réconfortés, sustentés, car ils seraient l’objet de la sollicitude de celles qui sachant seules ce qu’un homme coûte à faire, comprennent réellement seules l’importance qu’il y a à le conserver.

Les femmes pourraient augmenter l’effectif de l’armée en prenant dans l’administration et l’intendance la place des hommes qui ont été distraits des bataillons.

Il faut prévoir — un conflit sérieux surgissant — la nécessité que tous les hommes soient à la frontière et assurer le fonctionnement des services de l’intendance au moyen de l’élément national qui ne porte pas le fusil, au moyen des femmes.

Au théâtre, pour parer à tout événement, on fait apprendre les rôles à plusieurs acteurs, on a des artistes prêts à suppléer le chef d’emploi ; pourquoi donc, lorsqu’il s’agit non plus de comédie, mais de cette effrayante réalité pour la France : être, ou ne pas être ! oublie-t-on la prévoyance, néglige-t-on d’assurer avec des remplaçants féminins le fonctionnement de transports, d’approvisionnements de vivres et de munitions ?

Il suffirait de diriger le dévouement que beaucoup de femmes prodiguent durant les chocs sanglants, pour obtenir du sexe féminin une coopération précieuse.

Nulle guerre n’a eu lieu, sans que plusieurs Françaises bravent la mort pour aider au ravitaillement des armées bloquées, pour porter des munitions aux assiégés. En 1870, à Châteaudun, Mme  Jarrethout entretenait de munitions, sous le feu prussien, les combattants : pendant qu’à Pithiviers Mlle  Dodu subtilisait ingénieusement les télégrammes allemands et ainsi sauvait un de nos corps d’armée.

Ni la décision, ni le sang-froid, ni l’intrépidité, ne font défaut aux femmes. Qu’on leur permette donc d’augmenter le nombre des hommes qui se battent, en les remplaçant dans les services inactifs comme elles les remplacent dans l’industrie, en continuant le commerce, dans l’agriculture en faisant prospérer la ferme quand ils ne sont pas là.

Les féministes ont depuis plus de 25 ans proposé d’utiliser les Françaises dans les services auxiliaires de l’armée : L’intendance, la manutention, l’équipement, l’infirmerie et tout ce qui a rapport aux vivres et aux munitions.

Lors de la campagne de Tunisie, tous les journaux publièrent une lettre adressée au général Farre, ministre de la guerre, dont voici un passage : « Nos soldats vaincraient vite l’ennemi et la maladie, si un personnel dévoué, veillait à leur bien-être matériel. Qu’on appelle les femmes à faire leur service humanitaire — pendant du service militaire des hommes — et l’on aura ce personnel[1]. »

Après ces offres de service, comment peut-on oser dire aux femmes qu’il faut qu’elles soient militaires pour avoir leur part de souveraineté ?

Les mères remplissent des charges aux moins équivalentes aux obligations des militaires et elles n’ont pas les avantages dont jouissent ceux-ci.

La femme chargée de perpétuer la nation, devrait être traitée de même que le soldat chargé de défendre le territoire ; comme le soldat, la mère devrait être logée, nourrie, vêtue par la société.


  1. La citoyenne, No 36 et 43.