Le Vote des femmes/Le bluff électoral

V. Giard & E. Brière (p. 132-135).


LE BLUFF ÉLECTORAL


Pour refuser la carte électorale aux Françaises, on les cloue au pilori d’infamie, en les assimilant aux hommes déchus de leurs droits.

C’est avec les individus condamnés à des peines afflictives ou infamantes, c’est avec les voleurs, les escrocs, les gens de mauvaises mœurs, les assassins et les fous, que les femmes sont exclues de l’électorat.

En ce pays où le nombre fait loi, le suffrage ne comprenant pas les femmes qui sont le nombre, n’exprime point la volonté de la France.

Après l’argent, c’est le domicile qui vote et non le souverain. L’électeur souverain ne circule pas avec sa souveraineté ; c’est un roi qui, quand il se déplace, s’arrache du front sa couronne pour la confier au garde-meuble social jusqu’à nouvelle installation.

Les difficultés dressées devant l’urne électorale, qui forcent des hommes à recourir à la fraude pour voter, prouvent que le suffrage, qui exclut en bloc toutes les femmes, c’est-à-dire la majorité de la nation, doit s’universaliser aux deux sexes et pouvoir partout s’exercer pour avoir droit de s’appeler universel.

Les usurpateurs donnent à la loi électorale une interprétation contradictoire. Après lui avoir fait dire que les femmes ne doivent pas nommer de représentants pour détendre leurs intérêts ; ils lui font proclamer que les femmes ont le droit d’être représentées…

— Représentées sans représentants ?

Parfaitement ; ce subterfuge autorise à prendre pour base de l’élection des députés cent mille habitants au lieu de cent mille électeurs.

Les Françaises qui sont trouvées indignes d’envoyer des mandataires au Parlement, sont trouvées dignes d’être comptées comme les brebis d’un troupeau, pour faire nombre et permettre aux éligibles d’augmenter, avec les sièges à la Chambre, leur chance d’être élus.

Ce ne sont pas les habitants, mais les seuls électeurs qui doivent être pris pour base de l’élection des députés.

Si l’on exigeait pour l’élection d’un député, cent mille électeurs au lieu de cent mille habitants, les femmes voteraient bientôt ; attendu, que les législateurs de tous les partis seraient d’accord pour leur octroyer l’électorat. Aiguillonnés par l’intérêt, ils soutiendraient que la nation n’est pas exactement représentée à la Chambre pendant que les femmes ne votent pas ; et, ils auraient vite mis le bulletin dans la main des annulées afin de ne point perdre leur place au Parlement.

Présentement, désintéressés de l’établissement du vrai suffrage universel puisqu’ils bénéficient du nombre des femmes pour être élus, sans que leurs actes aient à subir le contrôle féminin les députés aiment mieux additionner un troupeau de muettes, que d’avoir à rendre des comptes aux femmes électeurs. Des électeurs ! ils en ont déjà trop ! Loin de chercher à les multiplier ils voudraient pouvoir les réduire, comme les femmes, au rôle de moutons. Ah ! ne représenter qu’un troupeau masculin et féminin, dont on n’a point à se préoccuper des bêlements, quel rêve !

Les législateurs essaient de persuader aux parias Françaises, qu’elles seraient lésées si la loi les libérait, en s’abstenant de les compter.

Certes, les femmes contribuables ont le droit de compter dans la nation puisqu’elles coopèrent à la prospérité du pays ; seulement, elles doivent être représentées non point comme des animaux recensés, mais comme des êtres conscients, choisissant et nommant leurs représentants.

Les femmes ne se soucient point de continuer à être confondues avec le cheptel d’après lequel l’homme calcule sa richesse, en étant un bétail dont il fait le dénombrement pour édifier sa fortune politique.

En ce pays, où M. Thiers affirma que les chemins de fer ne pourraient jamais fonctionner, il ne faut pas s’étonner si des hommes soutiennent que les femmes ne doivent point participer aux affaires publiques.

Un décret ministériel transformerait de suite les Françaises annihilées en citoyennes actives.

Puisqu’il n’est pas plus facile de faire admettre aux Français inquiets de l’avenir, le suffrage des femmes qui les délivrerait de leurs cauchemars, que de faire se soumettre les malades aux prescriptions qui les guériraient, les ministres, qui, souvent, imposent par décret des innovations coûteuses, ne pourraient-ils pas aussi, par décret, imposer aux hommes d’être plus riches et plus heureux, en décidant que le qualificatif « Français » comprend, les hommes et les femmes devant le droit électoral, comme devant les charges publiques ?