Le Volcan d'or version originale/Partie I/Chapitre 8

Société Jules Verne (p. 83-91).

VIII

au lac lindeman


L’après-midi de cette journée fut consacrée au repos. Il y avait lieu d’ailleurs de faire quelques préparatifs en vue de la navigation à travers les lacs, ce dont le Scout s’occupa sans tarder.

En vérité, Summy Skim et Ben Raddle ne pouvaient que s’applaudir d’avoir traité avec cet homme si prudent et si entendu pour eux et pour leurs compagnes de voyage.

C’était à l’extrémité du lac Lindeman, dans un campement déjà occupé par un millier de voyageurs, que se trouvait le matériel de Bill Stell [1]. Il avait là, au revers d’une colline, son installation principale. L’établissement comprenait une maisonnette en bois divisée en plusieurs chambres bien closes, à laquelle attenait les hangars qui renfermaient les traîneaux et autres véhicules de transport. En arrière étaient disposés les étables pour les animaux de trait et les chenils pour les chiens d’attelage, nécessaires à la descente du Chilkoot.

Déjà cette passe commençait à être plus fréquentée que la White Pass, bien que cette dernière aboutisse directement au lac Benett, en évitant la traversée du lac Lindeman. Sur ce lac, soit qu’il fût solidifié par le froid, soit que ses eaux fussent dégagées de glaces, le transport du personnel et du matériel des mineurs s’effectuait dans des conditions meilleures qu’à la surface des longues plaines et à travers les épais massifs entre l’extrémité de la White Pass et la rive sud du lac Benett. Il résulte de là que cette station choisie par le Scout devenait de plus en plus importante. Aussi, en pratiquant ce genre de transport de Skagway à Dawson-City faisait-il de bonnes affaires, et assurément plus sûres que l’exploitation des gisements du Klondike.

Du reste, Bill Stell n’était pas seul à faire ce profitable métier. D’autres que lui l’exerçaient, soit à cette station du lac Lindeman, soit à la station du lac Benett. On peut même dire que ces entrepreneurs d’origine canadienne ou américaine n’y suffisaient pas, puisque c’étaient par milliers que les émigrants affluaient à cette époque de l’année, ayant hâte d’être à Dawson-City au début de la période d’exploitation qui s’ouvre d’habitude dans les premières semaines du mois de mai.

Il est vrai, nombre de ces émigrants ne s’adressaient ni au Scout ni à ses collègues, et cela par raison d’économie. Mais alors ceux-là étaient forcés d’amener leur matériel depuis Skagway, de charger sur leurs traîneaux des bateaux démontables en bois, même en tôle, et l’on a vu ce qu’étaient les difficultés de traverser avec ces lourds impedimenta la chaîne du Chilkoot. Elles n’étaient pas moins grandes par la White Pass, et sur l’un comme par l’autre chemin, une bonne partie de ce matériel restait en détresse.

Il en est cependant qui, pour éviter soit l’embarras soit la dépense, recourent à un autre moyen. Au lieu d’amener leurs bateaux à la rive des lacs, ils peuvent avoir plus de profits à les faire construire sur place, ou à les construire eux-mêmes. En cette région boisée, les matériaux ne manquent point. Mais alors que de retards à craindre : il faut le temps d’abattre les arbres, de les débiter en membrures et en bordages, de les agencer de façon solide car ils seront exposés à de trop fréquents et trop rudes chocs, soit contre les glaçons, soit contre les roches. Il est vrai, déjà quelques chantiers sont formés autour de la station, des scieries fonctionnent et la construction tend à s’activer.

À l’arrivée de la caravane, Bill Stell fut reçu par son contremaître qui habitait la maisonnette avec quelques hommes, Canadiens comme lui. D’ordinaire, ils s’employaient comme pilotes pour conduire les bateaux de lac en lac jusqu’au cours du Yukon. On pouvait s’en fier à leur habileté ; ils connaissaient les nécessités de cette navigation, difficile même lorsque la débâcle s’est produite.

L’air étant très vif, Summy Skim, Ben Raddle, les religieuses furent très satisfaits de prendre logement dans la maison du Scout, dont les meilleures chambres étaient à leur disposition. Entre le dedans et le dehors, la différence de température était de plus de vingt degrés centigrades. Quant au séjour, il ne durerait que vingt-quatre heures. Les bateaux étaient prêts à recevoir les bagages, et quant aux provisions, ce serait à la station du lac Benett qu’elles se feraient dans des conditions plus favorables.

Tout d’abord sœur Marthe et sœur Madeleine se retirèrent dans leur petite chambre, chauffée par un poêle, et en les conduisant, Summy Skim les assura que pour ce voyage entre Skagway et Dawson-City, le plus fort était fait.

Mais, lorsqu’il fut revenu dans la salle commune, le Scout, qui l’avait entendu, crut devoir lui dire :

« Oui, le plus fort est fait comme fatigue, mais non comme temps, et il reste encore plusieurs centaines de lieues à parcourir pour atteindre le Klondike.

— Je le sais, mon brave Bill, répondit Summy Skim, mais j’ai quelque raison de penser que cette seconde partie du voyage s’effectuera sans dangers ni fatigues.

— En quoi vous avez tort, monsieur Skim, répondit le Scout.

— Cependant, nous n’aurons plus qu’à nous abandonner au courant des lacs, des rivières et des fleuves…

— Sans doute, mais la saison de l’hiver est loin d’être terminée. Notre bateau, lorsque se produira la débâcle, sera très exposé au milieu des glaçons en dérive, et plus d’une fois nous serons obligés à des portages pénibles…

— Décidément, reprit Summy Skim, il reste encore à faire pour que le touriste puisse voyager confortablement à travers ces territoires du Dominion ! Et je pense même qu’il n’en sera jamais rien…

— Et pourquoi pas ? répliqua Ben Raddle, puisqu’il est question d’y établir un railroad. Est-ce qu’on ne va pas commencer les travaux du chemin de fer de Skagway au lac Benett, qui devra être continué jusqu’au fort Selkirk ?… Un trajet de cinq heures jusqu’au lac, avec trois trains par jour, le billet à cinquante francs, la tonne de fret à trente francs… Deux mille hommes vont être employés à ce travail par l’ingénieur Hawkins, et payés à raison d’un franc cinquante l’heure…

— Bon… bon ! s’écria Summy Skim, je sais que tu es toujours exactement renseigné, mon cher Ben. Mais il y a ceci que tu oublies, et que les ingénieurs oublient aussi : c’est que le Klondike sera vidé de tout son or avant que le railway soit achevé, et plus de gisements, plus de prospecteurs, plus de trafic… le pays sera abandonné…

— Allons donc, riposta Ben Raddle. Est-ce votre avis, Bill Stell ?… »

Le Scout se contenta de secouer la tête sans autrement répondre.

Sur une autre demande que lui fit Ben Raddle, il étala une carte assez grossièrement faite de tout le territoire arrosé par le Yukon depuis la région des lacs jusqu’à la frontière de l’Alaska au-delà du Klondike.

« Voici d’abord, dit-il, le lac Lindeman qui s’étend au pied du Chilkoot, et que nous aurons à traverser dans toute sa longueur.

— Quelle est-elle ? demanda Summy Skim.

— Deux lieues seulement, répondit le Scout, ce qui n’exige que peu de temps quand sa surface est uniformément glacée ou lorsqu’elle est entièrement libre de glaces…

— Et ensuite ? dit Ben Raddle.

— Ensuite nous aurons un portage d’une demi-lieue pour conduire notre bateau et nos bagages jusqu’à la station du lac Benett. Là encore, la durée du trajet dépend de la température, et vous avez déjà vu combien elle peut varier d’un jour à l’autre…

— En effet, confirma Ben Raddle, des différences de quinze à vingt degrés selon que le vent souffle du nord ou du sud.

— En somme, ajouta Bill Stell, un froid sec qui solidifie la neige du sol est préférable, car on peut y faire glisser le bateau comme un traîneau, et un bon attelage de chiens y suffit.

— Enfin, dit Summy Skim, nous voici arrivés sur le lac Benett…

— Oui, répondit le Scout, et sa longueur du nord au sud mesure une douzaine de lieues. Mais il ne faut pas compter moins de trois jours pour sa traversée en raison des relâchés qui sont nécessaires, et d’ailleurs, ses eaux ne sont pas libres encore.

— Au-delà, dit Summy Skim en consultant la carte, il y a un second portage ?…

— Non, c’est le rio du Caribou, long d’une lieue, qui met le lac Benett en communication avec le lac Tagish, lequel se développe sur sept à huit lieues, et donne accès dans le lac Marsh d’une longueur à peu près égale. Il est vrai, en quittant ce lac, il faut suivre les détours d’une rivière pendant une dizaine de lieues, et c’est sur son parcours que se rencontrent les rapides de White Horse, qui sur l’espace d’une lieue, sont très difficiles et parfois très dangereux à franchir. Puis on atteint le confluent de la rivière Tahkeena, qui vous amène à la tête du lac Labarge. Or c’est pendant ce trajet que peuvent se produire les plus grands retards, quand il s’agit de s’engager à travers les rapides de White Horse. Je me suis déjà vu arrêté pendant toute une semaine en amont du lac Labarge.

— Et ce lac, demanda Ben Raddle, est-ce qu’il n’est pas navigable ?…

— Parfaitement sur ses treize lieues, répondit Bill Stell. Mais il ne ferait pas bon y être pris par la débâcle, car ce serait miracle qu’un bateau pût éviter d’être écrasé entre les glaces qui dérivent vers la rivière Lewis. Il est donc préférable de haler le bateau à sa surface, tant que les froids persistent…

— C’est beaucoup plus long, fit observer Summy Skim.

— C’est beaucoup plus sûr, répliqua le Scout, et j’en parle par expérience, car plus d’une fois, j’ai été pris au milieu de la débâcle, et j’ai cru que personne n’en sortirait vivant.

— Lorsque nous serons rendus au lac Labarge, nous verrons ce qu’il conviendra de faire, déclara Ben Raddle.

— Oh, je ne crois pas que nous soyons embarrassés, répondit Bill Stell. La belle saison ne paraît pas devoir être précoce cette année…

— Et à quoi le voyez-vous ? demanda Summy Skim.

— À l’absence du gibier de plumes, des perdrix des savanes, des gélinottes et autres…

— Et c’est fort regrettable, répondit Summy Skim, car j’aurais eu l’occasion de tirer quelques coups de fusil.

— Il y a temps pour tout, répondit le Scout, et pensons d’abord à sortir de cette région des lacs ! Après l’avoir franchie, lorsque notre bateau descendra entre les rives de la Lewis et du Yukon, si le gibier se montre, monsieur Skim, vous pourrez le tirer à votre aise…

— Et je ne m’en ferai pas faute, Bill, ne fût-ce que pour renouveler nos provisions !

— Scout, demanda alors Ben Raddle, sauf pendant quelques portages, notre bateau va nous conduire jusqu’à Dawson-City ?…

— Directement, monsieur Ben Raddle, et, à tout prendre, c’est encore par eau que le voyage est le plus facile.

— Et tant par la rivière Lewis que par le Yukon, demanda Ben Raddle, quelle est la distance qui sépare le lac Labarge du Klondike ?…

— Elle est de cent cinquante lieues environ, en tenant compte des détours.

— Je vois, déclara Summy Skim, que nous ne sommes pas encore rendus…

— Assurément, non, répondit le Scout, et lorsque nous aurons atteint la Lewis et l’extrémité nord du lac, nous ne serons pas encore à mi-route, comme l’indique cette carte.

— Mais j’ai lieu de croire, fit observer Ben Raddle, que nous ne rencontrerons plus de difficultés aussi grandes que dans la passe du Chilkoot…

— Et l’on peut même affirmer, déclara Bill Stell, que dans cinq ou six semaines, lorsque les cours d’eau seront libres, le voyage se fera sans peine. Mais, au début de mai, la saison n’étant pas assez avancée, sa durée en sera très accrue…

— Pouvez-vous l’estimer, même avec des circonstances favorables ? demanda Summy Skim.

— Non, pas même à quinze jours près, répondit le Scout. J’ai vu des voyageurs aller de Skagway à Dawson-City en trois semaines, et d’autres qui n’y ont pas mis moins de deux mois. Je vous le répète, cela dépend de l’époque à laquelle on se met en route.

— J’espère bien, dit Ben Raddle, que nous serons arrivés au Klondike dans la première semaine de juin…

— Je l’espère aussi, répondit Bill Stell, mais sans vouloir l’assurer.

— Eh bien, répliqua Summy Skim, en prévision de ce long voyage, prenons des forces, et, puisque nous avons l’occasion de passer une bonne nuit à la station du lac Lindeman, allons dormir ! »

Et, en effet, ce fut une des meilleures nuits que les deux cousins eussent passée depuis leur départ de Vancouver. Les poêles, largement alimentés, maintenaient une haute température dans cette maisonnette, bien abritée et bien close.

Le lendemain, 8 mai, sœur Marthe et sœur Madeleine furent les premières à paraître dans la salle commune. Elles s’occupèrent de préparer le café dont Summy Skim et Ben Raddle trouveraient deux bonnes tasses bien chaudes sur la table. Cela constituerait le seul repas à prendre avant l’embarquement du Scout et de ses compagnons pour la traversée du lac Lindeman.

Du reste, le départ ne devait pas s’effectuer avant neuf heures. Bill Stell comptait avoir assez d’une demi-journée pour atteindre l’extrémité du lac, puis la station du lac Benett où l’on passerait la nuit suivante dans des conditions à peu près pareilles.

Au surplus, le mieux était de s’en rapporter à lui pour tout ce qui concernait ce voyage dont il avait l’expérience, et, l’ayant vu à l’œuvre déjà, les deux cousins entendaient bien le laisser faire à sa guise.

Si, à l’intérieur de la maison, la température dépassait sept degrés au-dessus de zéro, le thermomètre à l’extérieur en marquait quinze au-dessous. Cette différence exigeait que l’on prit certaines précautions indispensables.

Aussi, Summy Skim, tout en partageant avec les religieuses ce déjeuner du matin, les engagea-t-il à se couvrir très chaudement sur le bateau que l’attelage des chiens allait tirer à la surface du lac.

« Les couvertures ne nous font pas défaut, dit-il, et le froid n’épargne pas plus les sœurs de la Miséricorde que les autres voyageurs. Que la règle de votre ordre le permette ou non, vous voudrez bien vous envelopper de fourrures des pieds à la tête.

— Ce n’est point défendu, répondit en souriant sœur Madeleine.

— Soit, répondit Summy Skim, mais ce qui est défendu, c’est de s’exposer inutilement, et nous comptons, mes sœurs, que vous prendrez à Dawson-City toutes les précautions qu’exige ce climat abominable — où se produisent des froids de cinquante degrés au-dessous de glace.

— L’hiver… fit observer Ben Raddle.

— Oui… l’hiver, riposta Summy Skim. Il ne manquerait plus que ce fût l’été ! Et maintenant, sœur Marthe, et vous sœur Madeleine, emmitouflez-vous ; et en route. »

Il était neuf heures lorsque le signal du départ fut donné. Les hommes qui avaient accompagné le Scout depuis Skagway devaient le suivre jusqu’au Klondike. Leurs services seraient utiles pour la conduite du bateau transformé en traîneau, en attendant qu’il pût naviguer sur les lacs et descendre le cours de la Lewis ou du Yukon.

Quant aux chiens, ils appartenaient à cette race si remarquablement acclimatée en cette région. Ces animaux, dépourvus de poils aux pattes, n’en sont que plus aptes à courir sur la neige, sans risquer de s’y entraver. Mais, de ce qu’ils fussent acclimatés, il ne faudrait pas en conclure qu’ils n’étaient pas restés sauvages. En vérité, ils paraissaient l’être tout autant que des loups ou des renards. Aussi, n’est-ce pas précisément en employant les caresses et les sucreries que leurs conducteurs parviennent à s’en rendre maîtres.

Parmi le personnel de Bill Stell, se trouvait à présent un pilote auquel serait réservée la direction du bateau en cours de navigation.

C’était un Indien du Klondike, nommé Neluto, très au courant de son métier, connaissant bien les difficultés de toutes sortes qu’offre la traversée des lacs, des rapides et des rivières. Depuis neuf ans employé par le Scout en cette qualité de pilote, l’on pouvait se fier à son habileté.

Neluto, âgé d’une quarantaine d’années, vigoureux, adroit de ses mains, marcheur infatigable, contrastait avec les Indiens de ces territoires, ainsi que l’observa Summy Skim.

En effet, les indigènes de la haute Colombie comme ceux de l’Alaska sont généralement laids, mal bâtis, les épaules étroites, le corps grêle, une race qui tend à disparaître. Ce ne sont point des Esquimaux bien qu’ils aient le teint très foncé de ces tribus hyperboréennes, mais ce qui contribue à leur en donner la ressemblance, ils ont les cheveux huilés, longs et flottants, qu’ils laissent retomber sur leurs épaules.

Nul doute que Neluto n’eût beaucoup gagné à son métier qui le mettait sans cesse en rapport avec les étrangers, bien que ceux-ci ne soient évidemment pas de premier choix depuis l’invasion du Klondike par des émigrants de toute provenance. D’ailleurs, avant d’être engagé dans le personnel du Scout, il avait été au service de la Compagnie de la baie d’Hudson, servant de guide aux chasseurs de fourrures à travers ces vastes territoires. Il connaissait parfaitement le pays pour l’avoir parcouru dans tous les sens et même une partie de la région au-delà de Dawson-City, en descendant le cours du Yukon et jusqu’à la limite du Cercle Polaire.

Neluto, peu communicatif en somme, savait assez d’anglais pour comprendre et être compris. Du reste, en dehors des choses de son métier, il ne parlait guère, et comme on dit, il fallait lui tirer les mots du gosier. Ce n’est pas de lui que Ben Raddle et Summy Skim apprendraient grand chose relativement à l’exploitation des claims dans la région aurifère.

Cependant, cet homme, très accoutumé au climat du Klondike, pouvait être questionné avec profit à ce sujet. Aussi Ben Raddle lui avait-il tout d’abord demandé ce qu’il pensait du temps et s’il croyait que la débâcle des lacs fût prochaine.

Comme il ne se décidait pas à répondre, sans doute parce qu’un étranger l’interrogeait, Bill Stell intervint et lui réitira la question.

Neluto déclara alors, qu’à son avis, la fin des grands froids ne tarderait pas d’une quinzaine de jours, et qu’il n’y avait pas lieu de prévoir avant ni la fonte des neiges ni la débâcle des glaces.

De cette affirmation, il fallait nécessairement conclure que le bateau ne pourrait rencontrer d’eaux libres au début du voyage, à moins qu’il ne se produisit un brusque changement dans l’état atmosphérique, — ce qui n’est pas rare sous ces latitudes élevées.

En tout cas, ce ne serait point une navigation mais un traînage qui allait s’effectuer à la surface du lac Lindeman. Les religieuses pourraient néanmoins trouver place dans le bateau qui glisserait sur l’un de ses flancs, et les hommes le suivraient à pied.

On partit, mais ce ne fut pas sans avoir excité l’attelage de la voix et du fouet, car il ne semblait point disposé à se mettre en route. Du reste, le lac était animé par le va-et-vient de la foule, plusieurs centaines d’émigrants, escortant des véhicules de toutes sortes.

Comme la glace présentait un plan assez uniforme, Ben Raddle et Summy Skim avaient chaussé leurs mocassins, et si ce n’eût été l’obligation de ne pas distancer le bateau, ils auraient pu faire cette traversée du lac en une demi-heure. Mais mieux valait que la caravane ne s’éparpillât pas et demeurât sans cesse sous la direction du Scout.

Le temps était calme ; l’âpre brise de la journée précédente avait molli et tendait à retomber vers le sud. Cependant le froid était vif — une douzaine de degrés sous zéro —, circonstance favorable, en somme, très propice à la marche que rendent si pénibles les tourmentes de neige. Cependant, le cheminement ne fut pas rapide, et, d’ailleurs, les religieuses préférèrent effectuer à pied une partie du trajet. À de certaines places, la glace devenait si raboteuse, et le bateau éprouvait de tels chocs, qu’il devint difficile de s’y maintenir, et il risquait de chavirer.

Bref, les huit kilomètres du lac Lindeman ne purent être franchis avant onze heures du matin. La distance qui le sépare du lac Benett, n’étant que d’une demi-lieue, exigea près d’une heure encore. Ce fut donc à midi que le Scout et sa caravane vinrent faire halte à la station de l’extrémité méridionale du lac.



  1. À partir de ce chapitre, J. V. orthographie Bill Stell, Bill « Steel ».