Le Volcan d'or version originale/Partie I/Chapitre 6

Société Jules Verne (p. 60-69).

VI

skagway


Skagway, comme tous ces lieux de halte perdus au milieu d’une région où les routes manquent, où les moyens de transport font défaut, ne fut d’abord qu’un campement où s’arrêtèrent les premiers chercheurs d’or. Mais, en peu de temps, à ce pèle-mêle de huttes succéda un ensemble de cabanes plus régulièrement bâties puis de maisonnettes sur ces terrains dont le prix montait sans cesse. Et qui sait si, dans l’avenir, ces villes créées pour les besoins du jour ne seront pas abandonnées, si cette région ne redeviendra pas déserte, lorsque les gisements en auront été épuisés ?…

Il n’y a pas, en effet, à mettre ces territoires en comparaison avec ceux de l’Australie, de la Californie ou du Transvaal. En ces pays, même à la suite de l’exploitation des placers, les villages ont pu devenir des villes, même des métropoles. Autour d’elles, la contrée était habitable, le sol productif, les affaires commerciales ou industrielles pouvaient prendre une réelle importance, et, après avoir livré ses trésors métalliques, la terre suffisait encore à rémunérer le travail.

Mais ici, dans cette partie du Dominion, sur cette frontière de l’Alaska, presque à la limite du Cercle polaire, sous ce climat glacial, pendant cette saison d’hiver qui dure huit mois, qu’attendre, et même que faire lorsque les dernières pépites auront été extraites, dans cette contrée sans ressources, à demi-épuisée déjà par les trafiquants de fourrures ?…

Il est donc fort possible que ces villes, si rapidement fondées, Skagway, Dyea, Dawson-City, où ne manquent actuellement ni l’animation des affaires, ni le mouvement des voyageurs, ni (?) dépérissent peu à peu, lorsque les mines du Klondike seront vides, et cela bien que des sociétés financières se forment pour établir entre elles des communications plus faciles, et qu’il soit question de construire un chemin de fer depuis Wrangel jusqu’à Dawson-City.

Actuellement, Skagway regorgeait d’émigrants : ceux qui y débarquaient par les paquebots de l’Océan Pacifique, et ceux qu’y déposaient les railways canadiens ou les rails-roads des États-Unis, tous à destination des territoires du Klondike.

Un certain nombre de ces voyageurs se faisait transporter jusqu’à Dyea, bourgade située à l’extrémité du Canal de Lynn. Mais ce n’étaient pas les steamers qui les y conduisaient avec leur matériel, car la profondeur du canal ne leur eût pas permis de naviguer en amont de Skagway. Ils prenaient passage sur des bateaux plats, construits de manière à pouvoir franchir les cinq milles qui séparent les deux cités l’une de l’autre, ce qui abrégeait d’autant la pénible route de terre.

C’était à Skagway, d’ailleurs, que commençaient les réelles difficultés du voyage, après ce transport relativement (facile)[1] à bord de ces paquebots qui font le service du littoral.

Et tout d’abord, il y eut à compter avec les vexations par trop insupportables qui proviennent du fait de la douane américaine.

En effet, au-delà de Skagway qui appartient au Dominion, il y a une bande longue de trente-deux kilomètres qui est possession américaine. Aussi les Américains afin d’empêcher le trafic pendant la traversée de cette bande obligent-ils les voyageurs à se faire escorter jusqu’à sa frontière, et les frais d’escorte, très opiniâtrement réclamés et perçus, se chiffrent par un bon nombre de dollars.

Les deux cousins avaient fait choix d’un hôtel, et le choix était à faire, car Skagway en possédait déjà plusieurs. Ils y occupaient la même chambre, à un prix qui dépassait encore ceux de Vancouver et ils mettraient tous leurs soins à la quitter le plus promptement possible.

Il va de soi que les voyageurs pullulaient dans cet hôtel, en attendant leur départ pour le Klondike. Toutes les nationalités s’y coudoyaient dans le dining-saloon. La nourriture n’allait pas audelà du passable ; mais avaient-ils le droit de se montrer difficiles, tous ces émigrants qui pendant plusieurs mois seraient exposés à tant de privations ?

Du reste, Summy Skim et Ben Raddle ne devaient point avoir pendant leur séjour à Skagway l’occasion de s’y rencontrer avec ces deux Texiens dont ils avaient fui la société à bord du Foot-Ball. Hunter et Malone, dès leur arrivée, étaient repartis pour le Klondike. Comme ils retournaient là d’où ils étaient venus six mois auparavant, leurs moyens de transport étaient assurés d’avance, et ils n’avaient eu qu’à se mettre en route avec leurs guides sans être embarrassés d’un matériel qui se trouvait déjà sur l’exploitation du Forty Miles Creek.

« Ma foi, dit Summy Skim, c’est une bonne chance de ne plus avoir ces butors pour compagnons de voyage ! et je plains ceux qui feront route avec eux… à moins qu’ils ne se valent, ce qui est fort probable dans ce joli monde des chercheurs d’or.

— Sans doute, répondit Ben Raddle, mais lesdits butors ont cette chance de ne point être retardés à Skagway, tandis qu’il nous faudra quelques jours…

— Eh ! nous arriverons, Ben, nous arriverons ! s’écria Summy Skim, et même, une fois arrivés, nous avons la perspective de retrouver ces deux coquins sur le claim 127 voisin du 129 !… Agréable circonstance… Aussi aurons-nous hâte de vendre le nôtre au meilleur prix et de reprendre le chemin du retour ! »

Si Summy Skim n’avait plus à se préoccuper des deux Texiens, il n’en fut pas de même des deux religieuses débarquées du Foot-Ball. Ben Raddle et lui n’avaient pu songer sans émotion, sans pitié, aux dangers comme aux fatigues auxquels allaient être exposées ces saintes femmes. Et quel appui, quel secours pourraient-elles jamais trouver, s’il fallait, au milieu de cette cohue d’émigrants chez qui l’envie, la cupidité, la passion de l’or éteignaient tout sentiment de justice et d’honneur ? Et elles étaient parties sans hésitation, pour prendre cette longue route du Klondike, déjà jonchée de cadavres par centaines, et elles ne reculaient pas devant ces périls que l’homme le plus résolu eût été excusable de redouter.

Le lendemain, Summy Skim et Ben Raddle eurent l’occasion de rencontrer ces sœurs de la Miséricorde, alors qu’elles faisaient des démarches pour se joindre à une caravane dont les préparatifs de départ seraient achevés dans quelques jours. Cette caravane ne comprenait guère que des gens misérables, incultes et grossiers, et une telle compagnie pour les deux religieuses pendant ce long voyage à travers la région des lacs sur un parcours de (…) kilomètres entre Skagway et Dawson-City !

Dès qu’ils les eurent aperçues, les deux cousins se dirigèrent vers elles avec l’espoir de pouvoir leur être utiles. Elles avaient passé la nuit dans une petite maison religieuse de Skagway.

Summy Skim s’approcha donc, et, très respectueusement, il leur demanda si, après les fatigues de cette traversée, elles ne comptaient pas prendre quelque repos.

« Nous ne le pouvons pas, répondit sœur Marthe, la plus âgée des deux.

— Vous rendez (-vous) au Klondike ?… demanda Summy Skim.

— Oui, monsieur, répondit sœur Marthe. Les malades sont très nombreux à Dawson-City. La Supérieure de l’hôpital nous attend, et malheureusement, nous sommes encore loin…

« Une caravane d’émigrants traversant la passe du Chilkoot ».

— Vous venez ?… reprit Ben Raddle.

— De Québec, répondit la plus jeune, sœur Madeleine.

— Où vous retournerez, sans doute, lorsque vos services ne seront plus nécessaires ?…

— Nous l’ignorons, monsieur, répondit sœur Marthe. Nous sommes parties parce que notre Supérieure nous a fait partir, et nous reviendrons quand il plaira à Dieu. »

Et cela était dit avec tant de résignation, ou plutôt tant de confiance en la bonté divine, que Summy Skim et Ben Raddle se sentirent profondément émus. Puis ils parlèrent de cette lointaine Dawson-City, de ces longues étapes à travers la région lacustre et les territoires du Yukon, des difficultés de transport, de ce pénible cheminement en traîneaux sur la neige durcie des plaines, sur la surface glacée des lacs. Lorsque les religieuses seraient à destination, tout embarras, toute difficulté, auraient disparu. Que les épidémies fussent redoutables là-bas, que les sœurs dussent soigner jour et nuit les maladies les plus dangereuses, c’était leur tâche, cela, et elles auraient la satisfaction du devoir accompli. Leur vie appartenait aux malheureux, aux affligés, à tous ceux qui souffrent… Et ceux-là, il fallait pouvoir les rejoindre dans l’hôpital de Dawson-City pour lequel la Supérieure demandait de nouvelles religieuses de son ordre. Et voilà pourquoi sœur Marthe et sœur Madeleine cherchaient à s’assurer des moyens de transport compatibles avec les faibles ressources dont elles disposaient.

« Vous êtes Canadiennes, mes sœurs ? demanda Summy Skim.

— Franco-Canadiennes, répondit sœur Marthe, mais nous n’avons plus de famille, ou plutôt nous n’avons plus que la grande famille des malheureux…

— Nous connaissons les Sœurs de la Miséricorde, déclara Raddle, et nous savons quels services elles ont rendu et rendent sans cesse dans le monde entier…

— Aussi, ajouta Summy Skim, nos compatriotes peuvent-elles disposer de nous, et, si nous sommes assez heureux pour leur rendre service…

— Nous vous en remercions, messieurs, répondit sœur Madeleine, mais j’ai l’espoir que nous pourrons nous joindre à cette caravane qui se prépare à partir pour le Klondike…

— Vous vous rendez à Dawson-City, messieurs ? demanda sœur Marthe.

— En effet, répondit Summy Skim, et pourquoi serait-on venu jusqu’à Skagway, si ce n’est pour remonter jusqu’à Dawson-City ?…

— Comptez-vous y séjourner toute la saison ? dit sœur Madeleine.

— Oh non ! s’écria Summy Skim, le temps seulement de liquider l’affaire qui nous y appelle, et cela peut se faire en quelques jours. Mais enfin, puisque nous allons prendre la route du Klondike, mes sœurs, dans le cas où vous ne feriez pas arrangement avec cette caravane, nous sommes bien à votre disposition…

— Nous vous remercions, messieurs, répondit sœur Marthe. Quoi qu’il arrive, nous vous retrouverons à Dawson-City, où notre Supérieure sera heureuse de revoir des compatriotes. »

Dès son arrivée à Skagway, Ben Raddle s’était occupé d’assurer son transport jusqu’à la capitale du Klondike. Suivant le conseil qui lui avait été donné à Montréal, il s’était enquis d’un certain Bill Stell, dont on lui répondait et avec lequel il comptait se mettre en relation.

Bill Stell se trouvait précisément en ce moment à Skagway. C’était un ancien coureur des Prairies, d’origine canadienne. Pendant quelques années, à la grande satisfaction de ses chefs, Bill Stell avait rempli les fonctions de Scout ou d’éclaireur dans les troupes du Dominion et pris part aux longues luttes qu’elles eurent à soutenir contre les Indiens. On le tenait pour un homme de grand courage, de grand sang-froid et de grande énergie.

Le Scout faisait actuellement le métier de convoyeur pour les émigrants que le retour de la belle saison appelait ou rappelait au Klondike. Ce n’était pas seulement un guide, c’était aussi le chef d’un personnel, et le propriétaire du matériel exigé en vue de ce difficile voyage, des hommes pour le service des bateaux dans la traversée des lacs, des chiens pour le tirage des traîneaux à la surface des plaines glacées qui s’étendent au-delà des passes du Chilkoot, en même temps qu’il assurait la nourriture de la caravane organisée par ses soins.

C’est précisément parce qu’il comptait utiliser les services de Bill Stell que Ben Raddle, en quittant Montréal, ne s’était point embarrassé de bagages encombrants. Il savait que le Scout lui fournirait tout ce qui serait nécessaire pour atteindre le Klondike, et il ne doutait pas de s’entendre à prix convenable pour l’aller et le retour.

Le lendemain de son arrivée à Skagway, lorsque Ben Raddle se rendit à la maison de Bill Stell, il lui fut répondu que le Scout était absent. Il avait été conduire une caravane par la White Pass jusqu’à l’extrémité du lac Benett ; mais son départ remontant à une dizaine de jours déjà, il ne devait pas tarder à revenir. S’il n’avait pas éprouvé de retards sur sa route, ou s’il n’avait point été requis de nouveau par d’autres voyageurs au sortir de la passe, il pouvait être à Skagway dès le lendemain.

C’est précisément ce qui arriva, et le lendemain, Raddle étant retourné à la maison de Bill Stell put se mettre en rapport avec lui.

Le Scout était un homme de cinquante ans, taille moyenne, corps de fer, barbe qui grisonnait aux joues, cheveux ras, rudes et gros, regard ferme et pénétrant. Une parfaite honnêteté se lisait sur sa physionomie sympathique. Pendant qu’il exerçait son métier d’éclaireur dans l’armée canadienne, il avait acquis les plus rares qualités de circonspection, de vigilance et de prudence. Il n’eût pas été facile à tromper, étant réfléchi, méthodique, plein de ressources. En même temps, philosophe à sa manière et prenant la vie par ses bons côtés, et n’est-il pas vrai qu’elle en a toujours ? Très satisfait de son métier, elle ne lui était jamais venue, cette ambition d’imiter ceux qu’il conduisait aux territoires aurifères, et ne savait-il pas que la plupart succombaient à la peine, ou revenaient de ces dures campagnes plus misérables après qu’avant ?…

Ben Raddle fit donc connaître au Scout son projet de partir pour Dawson-City dans le plus court délai. S’il s’adressait à lui, c’est qu’on lui avait dit à Montréal qu’il ne pourrait choisir un meilleur guide à Skagway.

« Bien, monsieur, répondit le Scout, vous me demandez de vous transporter à Dawson-City. C’est mon métier de guider les voyageurs, et j’ai le personnel et le matériel indispensables à ce voyage.

— Je le sais, Scout, dit Ben Raddle, et je sais aussi que l’on peut s’en rapporter à vous…

— Vous ne comptez rester que quelques semaines à Dawson-City ? demanda Bill Stell.

— C’est plutôt probable.

— Il ne s’agit pas alors d’exploiter un claim ?…

— Non, celui que nous possédons, mon cousin et moi, nous est venu par héritage. Une proposition d’achat nous a été faite ; mais avant de l’accepter, nous avons voulu nous rendre compte de sa valeur.

— C’est prudent, monsieur Raddle, car, dans ces sortes d’affaires, il n’est de ruses qu’on n’emploie pour tromper le monde, et il faut se défier…

— C’est ce qui nous a décidés à entreprendre ce voyage au Klondike.

— Et lorsque vous aurez vendu votre claim, vous reviendrez à Montréal ?…

— C’est notre intention, et, après nous avoir conduits à l’aller, Scout, nous vous demanderons de nous conduire au retour.

— Nous pourrons nous entendre à ce sujet, répondit Bill Stell, et comme je n’ai pas l’habitude de surfaire, voici dans quelles conditions je traiterai avec vous, monsieur Raddle. »

Il s’agissait, en somme, d’un voyage dont la durée serait de trente à trente-cinq jours, pour lequel le Scout aurait à fournir les chevaux ou mules, les attelages de chiens, les traîneaux, les bateaux, les tentes de campement. D’ailleurs, Summy Skim et Ben Raddle, n’étaient point embarrassés de ce matériel dont les prospecteurs ont à se pourvoir pour l’exploitation des claims. En outre, Bill Stell se chargerait de pourvoir à l’entretien de sa caravane, et il suffisait de s’en fier à lui sous ce rapport, car mieux que personne il connaissait les besoins et les exigences de ce long cheminement à travers ces territoires privés de ressources surtout pendant la saison d’hiver.

Tout compte fait, le prix du voyage fut fixé à la somme de treize cents francs de Skagway à Dawson-City, et à une somme égale pour le retour de Dawson-City à Skagway.

Ben Raddle savait à qui il avait affaire, et il eût été malséant de discuter les conditions avec un homme aussi consciencieux, aussi honnête que le Scout.

Du reste, à cette époque, les prix de transport, rien que pour franchir les passes jusqu’à la région des lacs, étaient assez élevés en raison des difficultés des deux routes, quatre à cinq sols par livre de bagage pour l’une, six à sept sols pour l’autre. Il suit de là que les demandes de Bill Stell étaient fort acceptables.

« C’est convenu, dit Ben Raddle, et n’oubliez pas que nous désirons partir dans le plus bref délai…

— Quarante-huit heures, c’est tout ce qu’il me faut, répondit le Scout.

— Est-il nécessaire que nous fassions route pour Dyea par bateau ? demanda Ben Raddle.

— C’est inutile, puisque vous ne traînez pas un matériel à votre suite. Il me paraît préférable de rester à Skagway jusqu’à l’heure du départ, et d’éviter ce déplacement de cinq à six milles. »

Il y avait à décider maintenant quel chemin suivrait la caravane à travers cette partie montagneuse qui précède la région des lacs, où s’accumulent les plus grandes difficultés.

Aux questions que Ben Raddle lui posa à cet égard, Bill Stell répondit :

« Il existe deux routes, ou plutôt deux « traces », la White Pass et la passe du Chilkoot. Ces deux passes, une fois franchies, les caravanes n’ont plus qu’à descendre vers le lac Benett ou le lac Lindeman.

— Et laquelle de ces deux comptez-vous prendre, Scout ?

— Celle du Chilkoot, qui me permet d’atteindre directement la pointe du lac Lindeman, après avoir fait halte au Sheep Camp qui s’y trouve et dans lequel on peut s’héberger et se ravitailler. C’est d’ailleurs au lac Lindeman que m’attend mon matériel, ce qui m’évite de le ramener à Skagway, et m’épargne le passage de la montagne.

— Je vous le répète, dit Ben Raddle, nous nous en rapportons à votre expérience, et ce que vous ferez sera bien fait. En ce qui nous concerne, nous sommes prêts à partir dès que vous donnerez le signal du départ.

— Dans deux jours, vous ai-je dit, répliqua Bill Stell. Il me faut ce temps-là pour mes derniers préparatifs, monsieur Raddle. En partant de grand matin, il n’est pas impossible de franchir les quatre lieues qui séparent Skagway du sommet du Chilkoot.

À quelle hauteur est ce sommet ?…

À trois mille pieds environ, répondit le Scout, mais la passe est étroite, sinueuse, et ce qui en rend le passage plus difficile, c’est qu’il est encombré à cette époque par la foule des mineurs, des véhicules, des attelages, sans parler des neiges qui l’obstruent parfois.

— Et cependant vous la préférez à l’autre, observa Ben Raddle.

— Oui, et pour cette raison que par le revers nord du Chilkoot, je n’ai plus qu’à descendre pour atteindre le lac Lindeman. »

Tout étant réglé avec Bill Stell, Ben Raddle n’avait plus qu’à prévenir Summy Skim de se tenir prêt à quitter Skagway dans quarante-huit heures.

C’est ce qu’il fit le jour même, en déclarant que c’était pour eux une très heureuse chance d’avoir traité avec le Scout qui lui inspirait une entière confiance, et se chargeait de tout ce qu’exigeait un voyage fait dans ces conditions véritablement pénibles. Quant au prix demandé et accepté, il n’avait rien d’excessif, étant donné que la distance entre Skagway et Dawson-City ne pouvait être franchie en moins de cinq semaines.

Summy Skim ne put qu’approuver ce qu’avait fait son cousin, et se contenta de dire :

« Je vois que les choses marcheront aussi bien que possible, mon cher Ben. Mais, il me vient une idée que tu trouveras excellente, je l’espère, et qui ne peut nous causer aucun embarras…

— Laquelle, Summy ?…

— La voici, reprit Summy Skim. ll s’agit des deux religieuses qui ont débarqué en même temps que nous à Skagway. Je les ai revues et les ai trouvées fort à plaindre. Elles n’ont pu faire arrangement avec cette caravane qui d’ailleurs ne leur convenait guère, et elles ne savaient plus comment se rendre au Klondike. Eh bien, pourquoi ne pas leur offrir de partir avec nous sous la conduite du Scout ?…

— C’est une très bonne idée, répondit sans hésiter Ben Raddle.

— Sans doute, Ben. il y aura quelques frais supplémentaires de transport et de nourriture…

— Nous les prendrons à notre charge. Summy, cela va sans dire. Seulement as-tu lieu de penser que ces sœurs accepteront de…

— Comment donc, Ben, des Canadiennes qui voyageront avec des Canadiens, est-ce que cela n’est pas tout indiqué ?

— Entendu, vois sœur Marthe et sœur Madeleine, Summy, et qu’elles se tiennent prêtes…

— Les bonnes âmes, Ben ! ce serait dans une heure qu’elles seraient prêtes à partir ! »

Assurément, c’était une circontance des meilleures pour les deux religieuses que de faire ce voyage sous la protection de leurs compatriotes. Elles ne seraient point exposées à cette promiscuité de ces caravanes formées de tant de gens sans aveux, venus de tous les coins du monde. Aucun égard ne leur manquerait, aucun secours s’il y avait lieu sur cette longue route.

Aussi, le jour même, Summy Skim et Ben Raddle se rendirent-ils près des deux sœurs qui cherchaient en vain à s’assurer des moyens de transport jusqu’au Klondike.

Ce fut avec une profonde émotion que sœur Marthe et sœur Madeleine acceptèrent la proposition qui leur était faite, et, comme elles voulaient exprimer toute leur reconnaissance :

« Ce n’est pas à vous de nous remercier, mes sœurs, dit Summy Skim. Ce serait aux pauvres malades qui vous attendent là-bas et auxquels vos soins sont si nécessaires ! »



  1. Laissé en blanc.