Le Vin des Gaulois et la Danse du glaive

VII

LE VIN DES GAULOIS

ET LA DANSE DU GLAIVE

− DIALECTE DE LÉON −


ARGUMENT


On n’ignore pas qu’au sixième siècle, les Bretons faisaient souvent des courses sur le territoire de leurs voisins soumis à la domination des Franks, qu’ils appelaient du nom général de Gaulois. Ces expéditions, entreprises le plus souvent par la nécessité de défendre leur indépendance, l’étaient aussi quelquefois par le désir de s’approvisionner chez l’ennemi de ce qui leur manquait en Bretagne, principalement de vin. Aussitôt que venait l’automne, dit Grégoire de Tours, ils partaient, suivis de chariots et munis d’instruments de guerre et d’agriculture, pour la vendange armée. Les raisins étaient-ils encore sur pied, ils les cueillaient eux-mêmes ; le vin était-il fait, ils l’emportaient. S’ils étaient trop pressés ou surpris par les Franks, ils le buvaient sur place, puis, emmenant captifs les vendangeurs, ils regagnaient joyeusement leurs bois et leurs marais. Le morceau qu’on va lire a été composé, selon l’illustre auteur des Récits mérovingiens, au retour d’une de ces expéditions. Quelques habitués de tavernes, de la paroisse de Coray, l’entonnent, le verre en main, plutôt pour l’air que pour les paroles, dont ils ont cessé, grâce à Dieu, de saisir l’esprit primitif.




I


Mieux vaut vin blanc de raisin que de mûre ; mieux vaut vin blanc de raisin.
— Ô feu ! ô feu ! ô acier ! ô acier ! ô feu ! ô feu ! ô acier et feu ! ô chêne ! ô chêne ! ô terre ! ô flots ! ô flots ! ô terre ! ô terre et chêne ! —



Mieux vaut vin nouveau que bière ; mieux vaut vin nouveau.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Mieux vaut vin brillant qu’hydromel ; mieux vaut vin brillant.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Mieux vaut vin de Gaulois que de pommes ; mieux vaut vin de Gaulois.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Gaulois, ceps et feuille à toi, ô fumier ! Gaulois, ceps et feuille à toi !
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Vin blanc, à toi, Breton de cœur ! Vin blanc, à toi, Breton !
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Vin et sang coulent mêlés ; vin et sang coulent.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Vin blanc et sang rouge, et sang gras ; vin blanc et sang rouge.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Sang rouge et vin blanc, une rivière ! sang rouge et vin blanc !
— Ô feu ! ô feu ! etc.

C’est le sang des Gaulois qui coule ; le sang des Gaulois.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
J’ai bu sang et vin dans la rude mêlée ; j’ai bu sang et vin.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Vin et sang nourrissent qui en boit ; vin et sang nourrissent.
— Ô feu ! ô feu ! etc.


II


Sang et vin et danse, à toi, Soleil ! sang et vin et danse.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Et danse et chant, chant et bataille ! et danse et chant.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Danse du glaive, en cercle ; danse du glaive.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Chant du glaive bleu qui aime le meurtre ; chant du glaive
bleu.
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Bataille où le glaive sauvage est Roi ; bataille du glaive sauvage.
— Ô feu ! ô feu ! etc.

Ô glaive ! ô grand Roi du champ de bataille ! ô glaive ! ô grand Roi !
— Ô feu ! ô feu ! etc.
Que l’arc-en-ciel brille à ton front ! que l’arc-en-ciel brille !
— Ô feu ! ô feu ! ô acier ! ô acier ! ô feu ! ô feu ! ô acier et feu ! ô chêne ! ô chêne ! ô terre ! ô flots ! ô flots ! o terre ! ô terre et chêne ! —



NOTES


Il est probable que l’expédition à laquelle ce chant sauvage fait allusion eut lieu sur le territoire des Nantais, car leur vin est blanc, comme celui dont parle le barde. Les différentes boissons qu’il prête aux Bretons, le vin de mûre, la bière, l’hydromel, le vin de pommes ou le cidre, sont aussi celles dont ils usaient au sixième siècle.

Sans aucun doute, nous avons ici deux chants distincts, soudés par l’effet du temps. Le second commence à la treizième strophe, et est un hymne guerrier en l’honneur du soleil, un fragment de la Ronde de l’Épée des anciens Bretons. Comme les Gaëls et les Germains, ils avaient l’habitude de s’y livrer pendant leurs fêtes : elle était exécutée par des jeunes gens qui savaient l’art de sauter en mesure circulairement, en lançant en l’air et recevant dans la main leurs épées[1]. On la voit figurée sur trois médailles celtiques de la collection de M. Hucher : dans l’une, un guerrier bondit en brandissant d’une main sa hache de bataille, et rejetant, de l’autre, en arrière sa longue chevelure flottante ; sur une seconde, un guerrier danse devant un glaive suspendu, et il répète évidemment, dit M. Henri Martin, l’invocation : « Ô glaive ! ô grand roi du champ de bataille ! ô glaive ! ô grand roi ! » Ceci, on le voit, nous rejetterait en plein paganisme. Il est du moins certain que la langue des sept dernières strophes est encore plus vieille que celle des douze autres. Quant à sa forme, la pièce entière est régulièrement allitérée d’un bout à l’autre, comme les chants des bardes primitifs, et soumise, comme eux, à la loi du rhythme ternaire. Je n’ai pas besoin de faire remarquer quel cliquetis d’armes entrechoquées elle rappelle à l’oreille et quel souffle strident respire la mélodie.



  1. Ollaus Magnus, Histor. septent. gentium (p. 408), de chorco gladiatoria vel amifera saltatione.