Le Vieillard des tombeaux ou Les Presbytériens d’Écosse
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 10p. 338-346).




CHAPITRE XXXVII.

le retour.


Qui fait fuir le temps au galop ?
Shakspeare. Comme il vous plaira.


C’est un bonheur pour les romanciers de n’être pas, comme les auteurs dramatiques, astreints aux unités de temps et de lieu : et de pouvoir conduire, comme il leur plaît, leurs personnages à Thèbes et à Athènes, puis de les en ramener quand il leur convient. Le temps, pour nous servir de la comparaison de Rosalinde[1], a jusqu’ici marché au pas avec notre héros ; car depuis le moment où nous avons vu pour la première fois Morton paraître au tir du perroquet, jusqu’à son départ pour la Hollande, deux mois à peine se sont écoulés ; mais les années ont glissé rapidement avant que nous puissions reprendre le fil de notre récit. Usant donc du privilège qui nous appartient à nous autres romanciers, j’implore l’attention du lecteur pour la continuation de cette histoire : elle va recommencer avec une ère nouvelle, c’est-à-dire avec l’année qui suivit celle de la révolution anglaise[2].

À cette époque l’Écosse se reposait enfin des crises violentes occasionnées par un changement de dynastie, et, grâce à la prudente tolérance du roi Guillaume, elle échappait enfin aux horreurs d’une longue guerre civile. L’agriculture renaissait ; les habitants, dont la sécurité avait été troublée par la violence des commotions politiques et par la double révolution opérée dans l’Église et dans l’État, reprenaient leur tranquillité ordinaire et reportaient leur attention sur leurs affaires privées, au lieu de s’occuper des affaires publiques. Les Highlanders seuls ne s’étaient pas soumis au nouvel ordre de choses. Un corps considérable de ces montagnards était en armes sous le vicomte de Dundee, que nos lecteurs ont connu jusqu’à présent sous le nom de Graham de Claverhouse ; mais l’état habituel d’agitation dans lequel ils vivaient n’affectait guère la paix générale du pays, tant que ces troubles ne dépassaient pas les limites de leur territoire. Dans les basses terres, les jacobites, vaincus à leur tour, n’attendaient plus aucun avantage de la résistance ouverte ; à leur tour, ils étaient réduits à tenir des conciliabules secrets, à former pour leur défense mutuelle des associations dont le gouvernement regardait les membres comme des conspirateurs, tandis qu’eux-mêmes criaient à la persécution.

Les whigs triomphants avaient fait du presbytérianisme la religion de l’État, et avaient rendu aux assemblées générales de l’Église toute leur influence ; mais leurs exigences n’avaient pas été poussées aussi loin que celles des caméroniens, qui étaient les plus extravagants des non-conformistes sous Charles Ier et Jacques IL Ils ne voulurent en aucune façon entendre parler de rétablir la ligue solennelle et le Covenant ; et ceux qui avaient espéré trouver dans le roi Guillaume un monarque covenantaire zélé furent grandement désappointés quand il signifia, avec le flegme qui caractérise sa nation, l’intention de tolérer toutes les formes de religion compatibles avec la sûreté de l’État. Ces principes de tolérance adoptés par le gouvernement, et dont il se faisait gloire, blessèrent au vif les exagérés du parti, qui les regardaient comme tout à fait opposés à l’Écriture. À l’appui de cette doctrine étroite, ils citaient différents textes, tous isolés, comme on l’imagine aisément, et empruntés la plupart aux livres de l’Ancien Testament où il est ordonné aux Juifs d’extirper l’idolâtrie de la terre promise. Ils se plaignaient aussi de l’influence qu’usurpaient des séculiers dans l’exercice des droits de patronage ecclésiastique ; ce qu’ils appelaient un attentat à l’honneur de l’Église. Ils censuraient et condamnaient comme entachées d’érastianisme beaucoup de mesures par lesquelles le gouvernement, depuis la révolution, montrait l’intention de s’immiscer dans les affaires ecclésiastiques ; enfin ils refusaient positivement de prêter serment de fidélité au roi Guillaume et à la reine Marie avant qu’ils eussent eux-mêmes juré la ligue solennelle et le Covenant, la grande charte de l’Église presbytérienne, comme ils l’appelaient.

Ce parti, toujours mécontent, faisait sans cesse des protestations contre l’apostasie et les sujets de la colère divine ; et si on l’eût persécuté comme sous les règnes précédents, il aurait aussi été conduit à une rébellion ouverte. Mais comme on laissait à ces fanatiques toute liberté de tenir leurs conciliabules, de témoigner à leur gré contre l’érastianisme, le socinianisme et toutes les défections du temps, leur zèle, qui n’était pas excité par la persécution, s’éteignit graduellement ; leur nombre diminua ; il ne resta plus qu’un petit troupeau d’enthousiastes scrupuleux, austères, inoffensifs, dont le caractère est assez bien représenté par le Vieillard des Tombeaux, dont les légendes m’ont fourni la première idée de ce roman. Mais pendant les premières années de la révolution, les caméroniens continuèrent à former une secte nombreuse, exaltée dans ses opinions politiques, que le gouvernement désirait éteindre tout en n’employant contre elle, par prudence, que des moyens dilatoires. Ces hommes constituaient dans l’État un parti violent ; et les épiscopaux et les jacobites, oubliant leur ancienne animosité nationale, essayèrent à plusieurs reprises de fomenter des intrigues parmi eux, et de faire servir leur mécontentement au rétablissement de la famille des Stuarts. D’un autre côté, le gouvernement établi par la révolution était soutenu par la masse des intérêts des basses terres, où l’on penchait généralement vers un presbytérianisme modéré. Cette doctrine était professée par les mêmes hommes qui, durant la persécution des règnes précédents, s’étaient attiré l’anathème des caméroniens pour avoir accepté la déclaration de tolérance octroyée par Charles II. Tel était l’état des partis en Écosse après la révolution.

Ce fut à cette époque, et par une délicieuse soirée d’été, qu’un étranger bien monté et dont l’extérieur annonçait un militaire d’un grade élevé, descendait, par un sentier qui formait cent détours, une colline d’où la vue dominait les ruines romantiques du château de Bothwell et la Clyde, qui serpente si agréablement entre les rochers et les bois avant de disparaître derrière les tours jadis bâties par Aymer de Valence. On voyait aussi, à quelque distance, le pont de Bothwell. La rive opposée, qui, quelques années auparavant, avait été un théâtre de meurtre et de carnage, était maintenant paisible et unie comme la surface d’un lac pendant l’été. Les feuilles des arbres et des buissons qui, s’élevant çà et là, variaient si heureusement le paysage, s’agitaient à peine au souffle de la brise du soir. La Clyde semblait adoucir le murmure de ses eaux pour se mettre en harmonie avec cette scène calme et tranquille.

Le sentier par lequel descendait le voyageur était de distance en distance ombragé par de grands arbres, des haies, ou par des arbres fruitiers dont les branches étaient chargées de fruits.

Le premier objet qui s’offrit à sa vue était une ferme, peut-être l’habitation d’un petit propriétaire, située sur une colline exposée au soleil et couverte de pommiers et de poiriers. Au bout du sentier qui conduisait à cette modeste habitation était une chaumière qui ressemblait assez à la loge d’un concierge, quoique rien n’indiquât précisément que telle était sa destination. La chaumière, en bon état, paraissait plus proprement arrangée que ne le sont ordinairement les chaumières d’Écosse ; elle avait son petit jardin, où l’on apercevait quelques arbres à fruits, quelques buissons, et des plantes pour les usages culinaires : une vache et six moutons paissaient dans un enclos voisin ; devant la porte, le coq chantait, se pavanait, et appelait autour de lui sa famille. Un amas de broussailles et de tourbes proprement disposées annonçait qu’on avait pensé aux provisions pour le chauffage de l’hiver. Une légère colonne de fumée azurée qui sortait de la cheminée et s’élevait, au-dessus du toit de chaume, à travers les branches verdoyantes des arbres, annonçait que dans l’intérieur on s’occupait des préparatifs du repas du soir. Pour compléter ce tableau de la paix et du bonheur champêtre, une petite fille d’environ cinq ans s’occupait à puiser de l’eau avec une cruche, à une belle fontaine, transparente comme le cristal, qui sortait des racines d’un vieux chêne à vingt pas de la chaumière.

L’étranger arrêta son cheval, et appela la petite nymphe pour lui demander le chemin de Fairy-Knowe. L’enfant mit à terre sa cruche, comprenant à peine ce qu’on lui disait, rangea ses beaux cheveux blonds des deux côtés de son front, et ouvrant ses grands yeux bleus d’un air de surprise : « Que demandez-vous ? » dit-elle : ce qui est ordinairement la première réponse d’un paysan écossais à toute question qu’on lui adresse, si toutefois cela peut s’appeler une réponse.

« Je désire que vous m’indiquiez le chemin de Fairy-Knowe. — Maman, maman ! » s’écria la petite fille en courant vers la porte de la chaumière, « viens parler à ce monsieur ! »

La mère parut : c’était une jeune et belle paysanne, dont les traits, naturellement espiègles et malins, avaient reçu du mariage cet air grave et décent qui distingue particulièrement les villageoises écossaises. Elle portait dans un de ses bras un enfant encore au maillot, et de l’autre elle rabaissait son tablier auquel s’attachait un gros garçon de deux ans ; la fille aînée, que le voyageur avait vue la première, se plaça derrière sa mère aussitôt qu’elle parut, et de temps à autre elle faisait un pas en avant pour jeter sur lui un coup d’œil.

« Que souhaitez-vous, monsieur ? » dit cette femme avec un air de prévenance respectueuse, peu commun chez les personnes de sa condition, mais qui n’avait rien d’un empressement obséquieux.

Le voyageur la regarda un moment avec attention, et répondit : « Je vous prie de m’indiquer le chemin de Fairy-Knowe, et la demeure d’un nommé Cuthbert Headrigg. — C’est mon brave homme de mari, monsieur, » répondit la jeune femme avec un sourire gracieux ; voulez-vous descendre de cheval, monsieur, et entrer dans notre pauvre maison ? Cuddie, Cuddie (un bel enfant de quatre ans, aux cheveux blonds, parut à la porte de la maison), courez, mon petit homme, et dites à votre père qu’un monsieur le demande. Non, restez. Jenny, vous êtes plus raisonnable : allez chercher votre père, il est au parc des Quatre-Arcs. Ne voulez-vous pas descendre, monsieur, et vous reposer un instant dans notre maison ? Je vous prie d’accepter un morceau de pain et de fromage, ou un verre d’ale, en attendant que mon homme revienne ? C’est de bien bonne ale, en vérité, quoiqu’il ne m’appartienne pas de la vanter puisque je la brasse moi-même ; mais le travail des laboureurs est très-fatigant, et il leur faut quelque chose pour leur soutenir le cœur ; aussi j’ajoute toujours une bonne poignée de drèche. »

Pendant que l’étranger la remerciait de ses offres amicales, Cuddie, l’ancienne connaissance du lecteur, arriva en personne. Sa contenance offrait toujours le même mélange de simplicité apparente et de finesse qui caractérise ordinairement nos porteurs de souliers ferrés[3]. Il regarda l’étranger comme une personne qu’il n’avait jamais vue ; et, de même que sa fille et sa femme, il entama la conversation d’usage : « Que me demandez-vous, monsieur ? — Je voudrais vous faire quelques questions sur ce pays, répliqua l’étranger ; et l’on m’a adressé à vous, comme à un homme intelligent et en état de me répondre. — Sans doute, monsieur, » reprit Cuddie après un moment d’hésitation. « Mais, avant tout, je voudrais savoir de quelle espèce de questions il s’agit. On m’a fait tant de questions dans ma vie, et de tant de façons différentes, que, si vous les connaissiez, vous ne seriez pas surpris de ma méfiance. Ma mère me fit d’abord apprendre le simple catéchisme, ce qui était un terrible ennui ; ensuite j’eus l’avantage d’étudier sous mes parrain et marraine, pour faire plaisir à la vieille dame notre maîtresse ; et cependant je ne sus plaire à aucun d’eux. Quand je fus devenu homme, vint un autre mode de questions que j’aimais moins encore que l’appel efficace, et le « Je promets et fais vœu… » toutes questions quelquefois suivies de coups. Vous voyez donc, monsieur, que j’ai quelques raisons d’aimer à entendre une question avant d’y répondre. — Vous n’avez rien à redouter des miennes, mon bon ami ; elles sont seulement relatives à l’état de ce pays. — Le pays ? le pays va assez bien : si ce n’est que ce diable de Claverhouse (ils l’appellent maintenant Dundee) se remue encore dans les hautes terres, avec tous les Donald, les Duncan et les Dugal qui aient jamais porté les culottes sans fonds ; il veut les emmener avec lui pour bouleverser encore les affaires, après que nous les avons raisonnablement bien arrangées. Mais Mackay nous en délivrera, comptez-y bien. Il lui donnera son compte ; je vous en réponds. — Qui vous le garantit, mon ami ? — J’ai entendu faire cette prédiction, de mes propres oreilles, par un homme qui était mort depuis trois heures, et qui ressuscita uniquement dans le but de lui dire sa façon de penser. C’était à un endroit qu’on nomme Drumshinnel. — En vérité ? Je puis à peine vous croire. — Vous pourriez le demander à ma mère, si elle était en vie ; c’est elle qui m’expliqua ce prétendu mystère : car pour moi, je pense que cet homme était blessé. Il parla bien clairement de l’expulsion des Stuarts, qu’il désigna par leur nom, et du châtiment réservé à Claverhouse et à ses dragons. Cet homme se nommait Habakkuk Mucklewrath : sa cervelle était un peu en désordre, mais il n’en était pas moins un fameux prédicateur. — Il me semble que vous vivez dans un pays riche et paisible ? — Nous n’avons pas à nous plaindre, monsieur, et nous récoltons d’assez belles moissons. Mais si vous aviez vu le sang couler sur ce pont là-bas, aussi abondamment que l’eau coule maintenant dessous, vous auriez été moins charmé de ce spectacle. — Vous voulez parler de la bataille qui se donna il y a quelques années ? J’étais près de Montmouth, mon bon ami, et je vis quelque chose de cette affaire. — Alors, vous avez vu une fameuse bataille, et qui m’a guéri de l’envie de me battre pour le reste de mes jours. Je me doutais bien que vous aviez servi, à votre habit rouge galonné et votre chapeau retroussé. — Et de quel côté vous battiez-vous ? — Ah, ah ! » reprit Cuddie avec un regard malin, ou du moins qu’il croyait tel, « il n’y a pas d’utilité à dire cela, à moins que je ne sache qui me le demande. — J’approuve votre prudence, mais elle n’est pas nécessaire ; car je sais que vous étiez là comme domestique d’Henri Morton. — Oui, » dit Cuddie frappé de surprise ; « mais comment savez-vous ce secret ? non que j’aie besoin de m’inquiéter de cela maintenant ; car aujourd’hui le soleil est de notre côté de la haie. Plût à Dieu que mon maître fût en vie pour en être témoin ! — Et qu’est-il devenu ? demanda le voyageur. — Il a péri avec le vaisseau qui le portait en Hollande ; ce n’est que trop certain ; pas un homme de l’équipage n’a échappé, et mon maître est mort avec eux. On n’a entendu parler ni d’un mousse ni d’un matelot. »

Et Cuddie laissa échapper un soupir.

« Vous aviez de l’affection pour lui ? — Comment n’en aurais-je pas eu ? Sa vue vous réjouissait comme celle d’une belle personne ; on ne pouvait le regarder sans l’aimer, et c’était un si brave soldat ! Ah ! si vous l’aviez vu, à ce pont là-bas, courir comme un dragon volant pour forcer à se battre des gens qui n’en avaient pas trop d’envie ! Il y avait avec lui ce forcené whig qu’on appelait Burley. Si deux hommes pouvaient à eux seuls gagner une bataille, ce jour-là ne nous eût pas coûté si cher. — Vous parlez de Burley : savez-vous s’il vit encore ? — Je ne sais pas grand’chose sur son compte. On a dit qu’il a passé en pays étranger, mais que les nôtres ne voulurent avoir aucune communication avec lui, parce qu’il avait pris part à l’assassinat de l’archevêque. Il est donc revenu ici, dix fois plus intraitable qu’auparavant ; il a rompu avec presque tous les presbytériens ; enfin, à l’arrivée du prince d’Orange, il n’a pu obtenir ni place ni commandement, à cause de son caractère difficile. Depuis on n’a plus entendu parler de lui. Seulement il y en a qui prétendent que l’orgueil et la colère lui ont tout à fait tourné l’esprit. — Et,… » dit l’étranger après une longue hésitation, « savez-vous quelque chose de lord Evandale ? — Si je sais quelque chose de lord Evandale ? Pourrait-il en être autrement ? N’y a-t-il pas là, dans cette maison, ma jeune maîtresse qui est mariée avec lui, ou peu s’en faut ? — Ils ne sont donc pas encore mariés ? » demanda vivement l’étranger. — Non ; mais ils sont fiancés. Moi et ma femme, nous avons été témoins : il n’y a pas bien long-temps de cela. C’est une affaire qui a beaucoup traîné. Peu de gens savent pourquoi, excepté moi et Jenny. Mais ne voulez-vous pas descendre de cheval ? Je ne puis vous voir ainsi demeurer sur la selle, d’autant plus que voilà les nuages qui s’épaississent vers le couchant, du côté de Glasgow ; et c’est, dit-on, signe de pluie. »

En effet, un gros nuage noir avait caché le soleil couchant ; il tombait quelques larges gouttes de pluie, et le tonnerre grondait dans l’éloignement.

« Cet homme a le diable au corps, » se dit Cuddie en lui-même ; « je voudrais qu’il descendît de cheval, ou qu’il se mît à galoper vers Hamilton ; afin d’y arriver avant que l’orage éclate. »

Mais, après sa dernière question, le cavalier demeura deux ou trois minutes immobile, comme épuisé par un pénible effort ; enfin, revenant à lui tout à coup, il demanda à Cuddie si lady Marguerite Bellenden vivait encore.

« Oui, répliqua ce dernier ; mais elle vit bien tristement. C’est une maison qui a bien changé depuis le commencement des troubles. Ils ont beaucoup souffert alors, et ils souffrent beaucoup encore. Quel malheur d’avoir perdu le vieux château, et la baronnie, et les champs que j’ai labourés tant de fois, et mon petit potager que l’on m’aurait rendu ! et tout cela sans qu’on puisse dire pourquoi, sinon qu’ils n’ont pu retrouver quelques morceaux de parchemin qui furent perdus au milieu de la confusion qui suivit la prise du château de Tillietudlem. — J’ai entendu parler de ces événements, » dit l’étranger baissant la voix et détournant la tête ; « je m’intéresse à cette famille, et je voudrais la servir si cela dépendait de moi. Pourriez-vous me donner un lit pour cette nuit, mon ami ? — Nous n’avons pas beaucoup de place, monsieur, répliqua Cuddie ; mais nous ferons notre possible pour ne pas vous laisser continuer votre route pendant la pluie et l’orage ; car, à vous parler franchement, vous ne me paraissez pas très-bien portant. — Je suis sujet à des étourdissements, répondit l’étranger ; mais cela se dissipera bientôt. — Je puis vous assurer, monsieur, que nous vous donnerons un assez bon souper, ajouta Cuddie ; quant au lit, nous ferons pour le mieux. Nous ne voudrions pas qu’un étranger manquât chez nous de ce qu’il est en notre pouvoir de lui offrir : mais nous sommes à court de lits. Jenny a tant d’enfants (Dieu bénisse elle et eux !) que je compte parler à lord Evandale pour qu’il nous donne… — Je ne serai pas difficile à contenter, » dit l’étranger en entrant dans la maison. — « Et soyez sûr qu’on aura bien soin de votre cheval, ajouta Cuddie ; je m’entends à soigner un cheval, et celui-ci est une belle monture. »

Cuddie conduisit le cheval à la petite étable, et dit à sa femme de tout préparer pour bien recevoir l’étranger. Celui-ci entra et s’assit à quelque distance du feu, tournant le dos à la petite fenêtre garnie d’un treillage qui éclairait la chambre. Jenny, ou mistress Headrigg, s’il plaît mieux au lecteur, l’engagea à quitter son manteau, son ceinturon et son chapeau à bords rabattus ; mais il s’en excusa, sous prétexte qu’il avait froid ; et, pour employer le temps jusqu’au retour de Cuddie, il entra en conversation avec les enfants, évitant avec soin les regards curieux de son hôtesse.



  1. Personnage du drame de Shakspeare qui a pour titre : Comme il vous plaira. a. m.
  2. Celle de 1688. a. m.
  3. C’est-à-dire les paysans. a. m.