Le Vieillard des tombeaux ou Les Presbytériens d’Écosse
Traduction par Albert Montémont.
Ménard (Œuvres de Walter Scott, volume 10p. 216-225).




CHAPITRE XXII.

le conseil.


Voyez combien de tentes grecques couvrent cette plaine : autant de tentes, autant de factions.
Shakspeare, Troilus et Cressida.


Dans un enfoncement de la montagne, à un quart de mille environ du champ de bataille, était une hutte de berger, misérable chaumière que les chefs de l’armée presbytérienne avaient choisie comme le seul lieu clos et couvert qu’on pût trouver à une certaine distance, pour y tenir leur conseil. Ce fut là que Burley conduisit Morton, et celui-ci, en s’approchant, fut surpris du tumulte et des cris confus qui s’y faisaient entendre. La gravité calme, mêlée d’inquiétude, qui devait présider à des délibérations si importantes dans un moment si critique, semblait avoir fait place à la discorde et à une violente agitation qui firent mal augurer à Morton des mesures qu’on allait prendre. Arrivés à la porte, ils la trouvèrent ouverte, mais encombrée d’une foule de gens qui, sans être appelés à prendre part au conseil, ne se faisaient aucun scrupule de venir écouter des délibérations qui les intéressaient si vivement. À force de prières, de menaces, en usant même de violence, Burley, à qui son caractère ferme assurait une sorte de supériorité sur ces troupes sans discipline, écarta les curieux, introduisit Morton dans la chaumière, et ferma la porte derrière lui. Dans des circonstances moins graves, le jeune homme se serait amusé et des discours qu’il entendit, et du spectacle dont il fut témoin.

L’intérieur de cette cabane obscure et à demi détruite était éclairé en partie par quelques bruyères qui brûlaient sur le sol, et dont la fumée, manquant d’issue, se répandait dans la chambre et formait sur la tête des chefs assemblés un dais ténébreux, aussi obscur que leur théologie métaphysique. On voyait à peine, comme des étoiles à travers un brouillard, quelques chandelles, ou plutôt des joncs recouverts de suif, appartenant au pauvre propriétaire de la chaumière, et appliqués aux murailles avec de la terre glaise. Cette lueur incertaine laissait apercevoir des visages animés d’un orgueil religieux, ou enflammés par un sauvage fanatisme. À l’air inquiet et irrésolu de quelques chefs, on comprenait qu’ils se voyaient étourdiment engagés dans une entreprise qu’ils n’avaient ni le courage ni les moyens de faire réussir, et que la honte seule les empêchait de reculer. C’était en effet un corps qui manquait d’ensemble et de solidité. Les plus ardents étaient ceux qui ayant pris part, comme Burley, au meurtre du primat, s’étaient rendus à Loudon-Hill avec d’autres hommes d’un zèle non moins effréné et non moins implacable, et qui ne pouvaient espérer aucun pardon du gouvernement. Parmi ceux-là on remarquait plusieurs prédicateurs qui, repoussant la tolérance que leur offrait le gouvernement, avaient mieux aimé assembler leur troupeau dans le désert que d’adorer Dieu dans des temples bâtis de main d’homme, de peur de paraître accorder à l’autorité temporelle le droit de contrôler en rien la suprématie ecclésiastique. Le reste des membres du conseil se composait de gentilshommes d’une fortune médiocre, et de riches fermiers, qu’une oppression insupportable avait poussés à prendre les armes et à se joindre aux insurgés. Ils avaient aussi avec eux leurs prêtres, qui, ayant profité de la tolérance du gouvernement, se préparaient à résister aux projets violents de ceux qui proposaient de rendre témoignage par une déclaration contre la criminelle et illégitime adhésion à la tolérance légale. Cette délicate question avait été écartée dans les premiers manifestes rédigés pour motiver l’entrée en campagne ; mais elle s’était élevée de nouveau en l’absence de Balfour, et, à son grand déplaisir, il vit qu’elle excitait une violente querelle entre les deux partis. Macbriar, Kettledrummle et les autres prédicateurs du désert étaient engagés dans une vive polémique avec Poundtext, le pasteur toléré de la paroisse de Milnwood, qui avait ceint le glaive, mais qui, avant d’être appelé à combattre en pleine campagne pour la cause du presbytérianisme, défendait avec énergie ses principes particuliers dans le conseil. Le plus fort de la discussion était soutenu par Poundtext et Kettledrummle, qu’appuyaient les clameurs de leurs adhérents : c’étaient ces clameurs qui avaient frappé les oreilles de Morton à son approche de la chaumière. Les deux prêtres ne manquaient ni de poumons ni de voix ; tous deux violents, pleins de feu, et inflexibles dans la défense de leurs principes, ils s’accablaient tour à tour sous le poids des textes sacrés, qu’ils citaient avec une merveilleuse promptitude ; en un mot, tous deux étaient si vivement pénétrés de la justice et de la force de leur opinion, qu’ils semblaient prêts à en venir aux mains.

Scandalisé de débats si violents, Balfour s’interposa entre les adversaires. Il leur fit sentir combien la désunion serait funeste dans les circonstances actuelles ; il flatta habilement les deux partis, et, usant de l’autorité que ses services dans ce jour de victoire lui permettaient de prendre, il parvint à faire ajourner toute controverse sur cette question. Mais, quoique Kettledrummle et Poundtext fussent ainsi réduits au silence, ils continuèrent à se lancer des regards terribles, comme deux dogues qui, séparés au milieu du combat, se sont retirés chacun sous la chaise de son maître, surveillant leurs mouvements respectifs, et montrant par leurs murmures, par leurs crins hérissés et leurs yeux enflammés, que leur querelle n’est pas apaisée, et qu’ils n’attendent que la première occasion favorable pour s’élancer de nouveau l’un contre l’autre.

Balfour profita de ce moment de calme pour présenter au conseil M. Henri Morton de Milnwood, comme un homme touché des malheurs du temps, et disposé à sacrifier ses biens et sa vie pour la cause sacrée à laquelle son père, le célèbre Silas Morton, avait rendu dans son temps de si éclatants services. Aussitôt Poundtext serra la main à Morton en signe d’amitié, ce que firent aussi ceux qui montraient quelques principes de modération. Les autres murmurèrent le mot d’érastianisme, et rappelèrent tout bas que Silas Morton, vaillant et digne serviteur du Covenant, avait ensuite apostasié quand les resolutioners eurent reconnu l’autorité de Charles Stuart, ouvrant ainsi la porte à la tyrannie actuelle et à l’oppression qui pesait sur l’Église et le pays. Ils ajoutaient toutefois que, dans ces jours critiques, ils ne voulaient refuser l’alliance d’aucune personne qui pût mettre la main à l’œuvre : ainsi Morton fut reconnu pour un des chefs de l’armée et admis dans le conseil, sinon avec l’approbation générale, au moins sans que personne s’y opposât formellement. Ils procédèrent ensuite, sur la motion de Burley, à la formation des divisions particulières de leurs soldats, dont le nombre croissait à chaque instant. Dans cette répartition, les insurgés de la paroisse et de la congrégation de Poundtext furent naturellement placés sous le commandement de Morton, mesure également agréable aux soldats et à leur chef, qui se recommandait à leur confiance par ses qualités personnelles, et aussi parce qu’il était né parmi eux.

Il devint nécessaire ensuite de déterminer quel parti on tirerait de la victoire. Le cœur de Morton tressaillit quand il entendit nommer le château de Tillietudlem comme une des plus importantes positions dont il fallait s’emparer. Ce château, comme nous l’avons souvent dit, commandait la route qui unissait la partie inculte et la partie plus fertile de cette contrée ; on ne pouvait douter qu’il deviendrait, pour tous les Cavaliers du pays, une place forte et un point de rendez-vous, si les insurgés le laissaient derrière eux. Cette mesure était surtout sollicitée par Poundtext et ses partisans, dont les habitations et les familles se seraient trouvées exposées à toutes les rigueurs des royalistes s’ils restaient maîtres de cette place.

« Je suis d’avis, » dit Poundtext (car, comme tous les théologiens de cette époque, il n’hésitait pas à donner son opinion sur les opérations militaires, malgré sa complète ignorance sur cet objet) ; « je suis d’avis de prendre et de raser la forteresse de cette femme, lady Bellenden, quand il nous faudrait élever une montagne pour l’attaquer ; car sa race est une race rebelle et sanguinaire ; leur main s’est à toutes les époques appesantie sur les enfants du Covenant. Ils ont porté leurs crampons sur nos visages, et placé leurs brides entre nos mâchoires. — Quels sont leurs moyens de défense, et quelle est leur garnison ? dit Burley. La place est forte ; mais je ne puis concevoir que deux femmes la défendent contre une armée. — Il y a encore, dit Poundtext, Harrison le majordome, et John Gudyill, sommelier de la dame, qui se vante d’avoir été un homme de guerre depuis son enfance, et d’avoir porté les armes contre la bonne cause sous James Graham de Montrose, cet enfant de Bélial. — Bon ! » dit Burley d’un ton de mépris, « un sommelier ! — Il s’y trouve aussi, reprit Poundtext, ce vieux réprouvé Miles Bellenden de Charnwood, dont les mains se sont trempées dans le sang des saints. — Si ce Miles Bellenden, dit Burley, est le frère de sir Arthur, c’est un homme dont l’épée ne rentrera pas dans le fourreau, une fois qu’il l’en aura tirée ; mais il doit être accablé par l’âge. — J’ai entendu dire dans le pays en le traversant, dit un autre membre du conseil, qu’à la nouvelle de la victoire que nous avons remportée, ils avaient fermé les portes du château, et y avaient rassemblé des soldats et réuni des provisions. Ce fut toujours une maison opiniâtre et réprouvée. — Ce ne sera pas de mon consentement, reprit Burley, qu’on entreprendra un siège qui peut consumer beaucoup de temps. Il faut marcher en avant et profiter de notre avantage en nous emparant de Glasgow ; car je ne crains pas que les troupes que nous avons battues aujourd’hui, même renforcées du régiment de lord Ross, jugent prudent de nous y attendre. — Toutefois, dit Poundtext, nous pouvons déployer un drapeau devant le château, et le faire sommer de se rendre ; peut-être nous livreront-ils la place, quoique ce soit une race rebelle. Nous en ferons sortir les femmes, lady Marguerite Bellenden, sa petite-fille, et Jenny Dennison, jeune fille aux regards séducteurs, et nous les enverrons en paix, avec un sauf-conduit, à la ville voisine, ou même à Édimbourg. Quant à John Gudyill, Hugh Harrison et Miles Bellenden, nous les mettrons aux fers, comme ils ont fait eux-mêmes autrefois aux saints martyrs. — Qui parle de paix et de sauf-conduit ? » s’écria du milieu de la foule une voix aigre et perçante. — Silence ! frère Habacuc, » dit Macbriar d’un ton de douceur. — Je ne me tairai point, » continua cette voix étrange et bizarre : « est-ce le temps de parler de paix, quand la terre est ébranlée, quand les montagnes sont entr’ouvertes, les rivières changées en sang, et le glaive à deux tranchants tiré du fourreau pour s’abreuver de sang, pour dévorer la chair comme le feu dévore le chaume desséché. »

En parlant ainsi, l’orateur s’élança au milieu du cercle, et offrit aux yeux étonnés de Morton une figure digne d’une telle voix et d’un tel langage. Un habit en haillons, jadis noir, et des lambeaux d’un manteau de berger, composaient son costume, à peine suffisant pour satisfaire à la décence, et moins encore pour garantir du froid. Une longue barbe, blanche comme la neige, descendait sur sa poitrine, et se mêlait à une chevelure grise, touffue, tombant en désordre autour de son visage farouche et égaré. Ses traits, amaigris par la faim, avaient à peine conservé quelque chose d’humain. Son œil gris, féroce et hagard, indiquait une imagination en désordre. Il tenait un sabre rouillé, teint de sang aussi bien que ses mains longues et sèches, et ses ongles ressemblaient aux serres d’un aigle.

« Au nom du ciel quel est cet homme ? » dit tout bas à Poundtext Morton surpris et presque effrayé à cette horrible apparition, qu’on eût prise pour le fantôme de quelque prêtre cannibale, ou d’un druide teint du sang de victimes humaines, plutôt que pour un habitant de la terre. — « C’est Habacuc Mucklewrath, » répondit Poundtext sur le même ton, « que l’ennemi a si long-temps retenu prisonnier dans des forts et des châteaux, que son esprit s’est égaré, et qu’il est, je le crains bien, possédé du démon. Néanmoins, les plus violents de nos frères croient qu’il est inspiré par l’Esprit, et que ses paroles fructifient en eux. »

Il fut alors interrompu par Mucklewrath, qui répéta d’une voix à ébranler les solives de la cabane : « Qui parle de paix et de sauf-conduit ? qui parle de merci pour la race sanguinaire des réprouvés ? Je dis qu’il faut prendre les enfants et les écraser contre les pierres ; prendre les filles et les femmes, et les précipiter du haut de ces murailles dans lesquelles elles ont mis leur confiance, afin que les chiens puissent s’engraisser de leur sang, comme ils ont fait du sang de Jézabel, l’épouse d’Achab, et que leurs cadavres pourrissent et servent d’engrais sur le champ de leurs pères. — C’est bien parler ! » s’écrièrent aussitôt plusieurs voix sombres et terribles ; « nous rendrons peu de services à la bonne cause, si nous faisons déjà bon marché aux ennemis du ciel. — C’est le comble de l’abomination et de l’impiété ! » dit Morton incapable de contenir son indignation ; « quelle protection pouvez-vous espérer du ciel, quand vous écoutez des discours horribles d’atrocité et de folie ? — Silence, jeune homme ! dit Kettledrummle ; réserve tes censures pour les choses que tu peux connaître : il ne t’appartient pas de juger le vase dans lequel l’Esprit verse ses inspirations. — Nous jugeons de l’arbre par le fruit, dit Poundtext, et nous ne regardons pas comme inspirés par le ciel des discours qui sont en opposition formelle avec les lois divines. — Vous oubliez, frère Poundtext, dit Macbriar, que les derniers jours sont arrivés où les signes et les prodiges seront multipliés. »

Poundtext allait répondre ; mais, avant qu’il eût prononcé une parole, l’extravagant prédicateur s’écria, d’une voix qui ne permettait à aucune autre de s’élever : « Qui parle de signes et de prodiges ? Ne suis-je pas Habacuc Mucklewrath, dont le nom est maintenant Magor-Misabid, par ce que je suis devenu un objet de terreur pour moi-même et pour tous ceux qui m’entourent ? Je l’ai entendu… D’où l’ai-je entendu ?… N’était-ce pas dans la tour de Bas, qui domine la vaste mer ? Je l’ai entendu dans le mugissement des vents, dans le bruit des flots… Les oiseaux de mer l’ont sifflé et crié dans leurs sifflements et dans leurs cris, en nageant et en volant, en tombant et en plongeant dans les vagues… Je l’ai vu… D’où l’ai-je vu ?… N’était-ce pas des hauteurs de Dumbarton, quand je regardais, vers l’ouest, les plaines fertiles, et vers le nord, les stériles montagnes des hautes terres ; quand les nuages s’amoncelaient et formaient les tempêtes, et que les éclairs du ciel éclataient en traînées de flammes aussi larges que les bannières d’une armée ?… Qu’ai-je vu ?… Des corps morts, des chevaux blessés, le choc des combattants, et des vêtements souillés de sang… Qu’ai-je entendu ?… Une voix qui criait : Tue, tue, frappe, tue sans quartier, sois sans miséricorde ! tue les vieillards et les jeunes gens, la vierge, l’enfant et la mère en cheveux blancs ! Détruis la maison et remplis les cours de cadavres ! — Nous obéirons à cet ordre ! s’écrièrent plusieurs voix ; il y a six jours qu’il n’a ni parlé ni mangé de pain, et maintenant sa langue est déliée. Nous obéirons à cet ordre ; nous ferons comme il l’a dit ! »

Étonné, dégoûté et frappé d’horreur, Morton sortit du cercle et quitta la chaumière. Il fut suivi par Burley, qui surveillait tous ses mouvements.

« Où allez-vous ? » lui dit ce dernier en lui saisissant le bras. — Je ne sais… peu m’importe… mais je ne resterai pas ici plus long-temps. — Es-tu si tôt fatigué, jeune homme ? reprit Burley ; tu as mis à peine la main à la charrue, et tu voudrais déjà l’abandonner ? Est-ce là ton attachement à la cause de ton père ? — Aucune cause, » dit Morton avec indignation, « aucune cause ne peut prospérer avec de tels défenseurs ! les uns se déclarent pour les rêves d’un fou altéré de sang ; un autre chef est un vieux pédant scolastique ; un troisième… » Il s’arrêta, et son compagnon, complétant sa pensée : « Est un assassin, un Balfour de Burley, voulais-tu dire ?… Mais je dois t’entendre sans colère… Pense donc, jeune homme, que ce ne sont pas des hommes d’un esprit froid et réfléchi qui se lèvent pour exécuter les jugements du ciel et accomplir la délivrance du peuple. Si tu avais vu les armées d’Angleterre pendant le parlement de 1640, lorsque leurs rangs étaient remplis de sectaires et d’enthousiastes plus féroces que les anabaptistes de Munster, tu aurais eu encore un plus grand sujet d’étonnement ; et cependant ces hommes étaient invincibles sur le champ de bataille, et leurs mains firent des prodiges pour la liberté du pays. — Mais leurs opérations étaient dirigées avec sagesse, répondit Morton, et la violence de leur zèle s’exhalait tout entière dans leurs exhortations et leurs sermons, sans produire de division dans leurs conseils ou les pousser à la cruauté. J’ai souvent entendu mon père assurer que rien ne l’étonnait plus que le contraste de l’extravagance de leurs opinions religieuses avec la sagesse et la modération de leur conduite dans les affaires civiles et militaires. Vos conseils, au contraire, ressemblent à un véritable chaos. — Il faut prendre patience, jeune homme, reprit Burley, et ne pas abandonner la cause de ta religion et de ton pays, pour un mot déraisonnable ou une action extravagante. Écoute-moi, j’ai déjà fait comprendre aux plus sages de nos amis que notre conseil est trop nombreux, et qu’en le maintenant ainsi nous ne pouvons espérer de voir les Madianites tomber entre nos mains. Ils ont entendu ma voix, et nos assemblées seront bientôt réduites à un assez petit nombre de membres pour pouvoir délibérer et agir avec ensemble. Tu y auras ta voix, aussi bien pour diriger nos opérations militaires que pour protéger ceux qu’on devra épargner. Es-tu satisfait ? — Je serai charmé sans doute, répondit Morton, de pouvoir adoucir les horreurs de la guerre civile, et je n’abandonnerai pas le poste que j’ai accepté, à moins que je ne voie adopter des mesures contre lesquelles ma conscience se révolte. Mais jamais je ne me prêterai, jamais je ne consentirai au meurtre de celui qui demande quartier, ou à des exécutions sans jugement préalable : et vous pouvez compter que je m’y opposerai de toute la force de mon âme et de mon bras, avec le même courage que je déploierai contre nos ennemis. »

Balfour fit un geste d’impatience.

« Tu verras, mon fils, dit-il, que la génération obstinée et au cœur dur à laquelle nous avons affaire doit être châtiée avec des scorpions, jusqu’à ce qu’elle s’humilie et qu’elle se soumette à la punition de son iniquité. Voici la parole qui a été prononcée contre elle : « Je ferai lever sur vous un glaive qui vengera mon Covenant !… » Mais en tout nous agirons avec prudence et réflexion, comme le fit James Melvin qui exécuta le jugement sur le tyran et l’oppresseur, sur le cardinal Beaton. — Je vous avoue, répondit Morton, que j’ai encore plus d’horreur d’une cruauté préméditée que d’un meurtre commis dans l’emportement du zèle et de la vengeance. — Tu n’es qu’un jeune homme ! reprit Balfour, et tu ne sais pas encore combien sont légères dans la balance quelques gouttes de sang, auprès du poids et de l’importance de ce grand témoignage national. Mais rassure-toi ; tu auras voix au conseil sur ces matières, et j’espère qu’elles nous donneront rarement sujet de différer d’avis. »

Avec cette assurance pour l’avenir, Morton fut forcé de se contenter de l’état de choses actuel, et Burley le quitta en l’engageant à prendre quelque repos, car l’armée se mettrait sans doute en marche au point du jour.

« Et vous, lui dit Morton, n’allez-vous point vous reposer aussi ? — Non, dit Burley, mes yeux ne doivent pas encore connaître le sommeil, cette affaire est de la plus haute importance, il s’agit de choisir les membres du nouveau conseil, et je vous appellerai demain matin pour assister à la délibération. »

Il s’éloigna, laissant Morton se livrer au repos.

L’endroit où se trouvait ce dernier était assez convenable pour dormir, car c’était un enfoncement dans le roc, bien abrité contre le vent. Une grande quantité de mousse dont la terre était couverte lui offrait un coucher assez doux pour un homme accablé, comme il l’était, de fatigue et d’inquiétude. Morton, s’enveloppant dans son manteau qu’il avait conservé, s’étendit par terre, et avant qu’il pût s’abandonner à de longues réflexions sur le malheureux état de son pays et sur sa propre situation, il s’endormit d’un profond sommeil.

Le reste de l’armée dormit sur le sol, divisée en divers groupes qui choisirent les endroits les plus commodes et les mieux abrités. Les principaux chefs restèrent en conférence avec Burley sur l’état de leurs affaires ; et quelques sentinelles, placées à l’entour, se tinrent éveillées en chantant des psaumes ou en écoutant les discours de ceux d’entre eux qui avaient reçu le don de la parole.