Le Messager canadien (p. 73-97).


Chapitre VII

TROIS AMIS REGARDENT LE MONDE


Le convoi s’ébranla sous la traction haletante des deux locomotives, se tordit vers l’ouest, le long de la montagne, et s’enfonça dans l’embrasement du soir. Les madriers mal joints du quai craquaient sous le poids d’un gaillard membru qui saluait les arrivants.

— Bonjour, Ado !

— Bonjour Monsieur Legendre, et bonjour Madame Legendre, et bonjour Mademoiselle Mimi et Monsieur Maurice…

La pipe fumante à la main, Ado hésitait ; il examinait Jacques.

— C’est l’ami de mon garçon, dit Monsieur Legendre. Il s’appelle Jacques. Jacques, je te présente notre guide.

Ado avait remis son feutre. Il se dirigea vers la voiture. De sa grosse main couleur de terre, il secouait le culot de sa pipe contre la jante d’une roue. Le dernier sifflement de la locomotive s’était perdu au-delà des monts ; du bois où il s’était blotti, le silence refluait. Mathieu, le vieux cheval gris, s’émouchait, de la queue, les cuisses et les flancs, et tournait vers Ado de grands yeux résignés où le soleil mourait.

— Ado, dit Monsieur Legendre, placez cette caisse à l’avant et pas trop au-dessus de l’essieu. C’est pour la cuisine.

Deux jambes trapues, bottées jusqu’au genou soutenaient son corps replet et, quand il parlait, la boucle nickelée de sa ceinture brillait sur sa panse.

— Avez-vous mon sac de voyage ? demandait Mimi Legendre, une blonde au verbe sec. Maman, où est mon sac de voyage ?

— On l’aura oublié dans le wagon.

Maurice gouaillait.

— On a oublié mon sac de voyage. Mon nécessaire de toilette…

— Le voici, Princesse ! Tenez, Ado.

— Faudrait bien franchir le bois avant que la noirceur prenne, disait Ado. Le portage est pas mal tirant cette année pour des gens de la ville.

Mimi, qui avait reçu l’ordre de monter à l’avant avec Ado, s’était assise sur le banc arrière avec sa mère. Pour la punir de sa petite rébellion, Monsieur Legendre prenait près d’elle le plus d’espace possible.

— Et tu es heureuse, disait-il, goguenard. Si Noël Angers était venu, c’est sur mes genoux que je t’aurais prise, Princesse.

— Monsieur Noël ne vient pas ? s’enquit Ado.

Ado se rappelait le garçon robuste qui, l’an dernier, entraînait Maurice à longueur de journée dans les lacis des sentiers.

— Il arrivera demain, reprit vivement Mimi.

— Demain, Mimi ? demanda Maurice, sans se retourner.

Mais on savait qu’il souriait. Madame Legendre soupira. Elle n’aimait guère Noël Angers, à cause de Mimi surtout.

Le cheval obliqua vers la gauche, s’engagea dans un chemin de desserte bordé de souches noires et disparut dans le long crépuscule du nord. Le chef de gare, les poings aux hanches, écoutait le cri-cri des bandages d’acier sur le sable et, par saccades, la voix aigrelette de la Princesse aux cheveux d’or.

On arriva chez Ado. La voiture remisée, le guide organisa son monde.

— Les petits jeunes gens, voici votre butin !

De son chapeau tendu au bout du bras, il leur indiquait leur part : deux havresacs et quatre sacs de voyage.

Pendant le trajet de la station à la maison d’Ado, Jacques n’avait pas trouvé un mot. Il aspirait à pleins poumons l’odeur de la montagne, l’attirance des pays nouveaux et la promesse d’aventures insoupçonnées. Encore tout fier de sa révolte, la botte posée à plat sur une pierre, il croyait que le monde lui appartenait.

Les conquêtes de la violence ont peu de durée. Un brin de mil entre les dents, le jeune homme sent remuer au fond de lui un malaise qu’il connaît bien pour l’éprouver chaque fois qu’il laisse, serait-ce pour une nuit, sa chambre du Verger. Le malaise, ce soir, fait tache autour de lui comme les amoncellements de pierrailles et la horde des résineux au fond du défriché. Il observe la forêt, les abatis qui le cernent, les choses, les êtres, Maurice, son ami, mués en étrangers par une puissance aveugle attachée à ses pas.

Ado prit la tête de l’expédition. On tira la dernière barrière, que l’on assujettit d’un cerceau. Monsieur Legendre fermait la marche, sac au dos, une caissette sous chaque bras, incapable de se défendre contre le bourdonnement et la morsure des moustiques.

— Regardez où vous marchez, la compagnie ! lançait le guide.

Un bois-pourri qui traînait sa complainte dans les rapaillages se tut à leur approche et l’obscurité du sous-bois happa les voyageurs. Ado gravissait le premier raidillon du chemin d’hiver raviné par des pluies récentes. À tout instant le sol s’éboulait entre les racines tendues comme des collets, et une pierre dévalait la pente avec un bruit clair bientôt amorti par la terre détrempée. On voyait à peine ses pieds dans les ornières, on ne parlait pas ; Jacques entendait monter son chagrin comme à l’île, au début des vacances, quand il se condamnait à rejoindre pour la soirée le groupe de jeunes gens qu’il avait en horreur. À la demande de Monsieur Legendre, Ado s’arrêtait au haut des escarpements et l’on prenait quelques minutes pour souffler ; on humait la senteur capiteuse des fougères mêlée à des relents de pourriture végétale. Puis on repartait :

— Attention, une fondrière !

Et la caravane ondulait tandis que la voix du guide s’éteignait sous la ramure. Entre deux exclamations d’Ado et le froissement d’un rameau contre une épaule ou contre un sac, l’eau du ru tintait sur les cailloux de la ravine et des billes pourries s’effondraient sous les semelles cloutées. Le chemin qui allait se rétrécissant tourna au nord et reprit sa montée pénible vers le col.

Jacques marchait les dents serrées, prêt à toutes les courbatures pour noyer dans le sommeil le poids de son amertume. Et peut-être, malgré tout, la délivrance l’attendait-elle au bout de ce sentier interminable. Dans la sente que les branchages et la nuit étouffaient, ils avaient renoncé à voir et serraient en silence l’ombre qui se mouvait devant eux. Des gaulis les griffaient au visage qu’ils n’avaient plus le désir d’écarter ; la fatigue leur raidissait les reins, et quand ils se relevaient d’une chute dans l’obscurité, leurs mains glissaient sur les troncs poisseux des bourbiers.

— Un dernier coup de cœur, la compagnie !

La pente cédait sous les bottes ; la ramée se troua, les sous-bois bleuirent et sur les souches brilla la blancheur crémeuse des fongosités.

— Nous aurons de la clarté pour passer le marais, dit Monsieur Legendre.

Il était en nage, et ses yeux ronds reflétaient le firmament entre les cônes givrés des épinettes. Jacques sentit le regard de Maurice se poser sur lui, et pour donner le change, pensa tout haut :

— Comme les étoiles sont lointaines !

Il fallait tendre le cou pour les voir. Et telle était l’immensité de ce ciel nordique qu’au-dessous, la forêt, un instant triomphante, rampait comme les pousses des buissons. Ils foulèrent bientôt un chemin plat qui ployait sous les bottes, comme un matelas visqueux, et se détendait dans un bruit de succion. Les canots, tirés de sous les aunes par Ado, laissèrent derrière eux le fouillis des joncs, où les rainettes apeurées avaient repris leur coassement. Les grenouilles chantent la nuit sur la grève de l’île, et André les entend qui dort dans la grande chambre aux deux fenêtres, derrière les cils baissés des persiennes, près du lit vide de son frère.

Le lendemain était un dimanche. Au petit matin, le rire frileux du huard éveilla Jacques sous les couvertures, entre les draps qui embaumaient le sapin. Un plein jour opalin cherchait où se poser, et des écharpes de brume plaquaient des bancs de neige aux flancs des Laurentides ; les rayons dorés qui couronnaient les sommets descendaient vers les lacs et de grosses gouttes dégoulinaient du toit.

Jacques serait seul. Il ne verrait pas Madame Richard s’apprêter pour la messe dans le bourdonnement joyeux du Verger ; il y aurait de la musique à la Saulaie ce soir. Cette pensée faisait mal comme le premier réveil dans le dortoir de septembre. Jacques ne redoutait pas la solitude, il avait toujours tâché de l’estimer à son juste prix, mais ce matin, la solitude qui tenaillait le jeune homme paraissait vide de toute promesse. Il ne dirait jamais qu’il souffrait ; ça ressemblait trop aux livres. Et ce n’était, après tout, qu’une petite fille qui le tourmentait ainsi. Car le malaise d’hier s’était précisé au cours de la nuit. Maurice, les mains sous la nuque, regardait de son oreiller le jeune homme à la fenêtre.

— Nous y allons ?

Les garçons courent se jeter à l’eau. Ils nagent vers le large, dans une onde froide et remuante, dans un vert d’émeraude qui entre en effervescence à leur contact et émet à gros bouillons une lumière sublimée ; ils reviennent lentement vers la rive pierreuse où des maubèches trottinent à petits pas précieux. Quelqu’un tente manifestement d’allumer le poêle. C’est Monsieur Legendre. Quand Monsieur Legendre franchit la porte du chalet, les femmes évacuent la cuisine. Cet avocat aux lèvres purpurines a étudié les codes de l’art culinaire, et entend soumettre à des plaisirs raffinés le palais sceptique de ses hôtes. Jacques a songé à lui offrir un fromage de Saint-Pierre, mais comment s’imposer à tout un wagon avec ce produit infect ?

Monsieur Legendre versa le café dans des bols à fleurs bleues que l’on tenait à deux mains. Ado était parti du matin pour chez lui. Mimi, qui avait d’abord refusé de se lever, sortit de sa chambre, morose, alors que Madame Legendre proposait :

— C’est dimanche ; nous allons dire le chapelet sur la véranda.

Une dizaine de pins plongeaient leurs racines dans un sol roux moucheté d’or ; leurs cimes ajourées à l’infini scintillaient dans le soleil comme des cierges. Monsieur Legendre et les garçons répondaient à voix forte, non sans confusion, Mimi, assise à l’écart, par bribes ; elle regardait les grains de nacre glisser sous le rose artificiel et pointu de ses ongles. Le bourdonnement des insectes et le chant espiègle de la mésange casquée de noir, les premiers arômes dégagés des bocages par la chaleur matinale et fleurant la résine, emportaient la prière à la Vierge et célébraient la gloire du Christ ressuscité : « Il est ressuscité ; il n’est plus ici. » Jacques regrettait presque sa tristesse de la veille, sous les voûtes croulantes de la forêt, dans les ténèbres et la boue.



À deux heures, les garçons quittèrent la pointe ; ils déféraient à la suggestion de Monsieur Legendre :

— Nous pêcherons demain dans le trou de la Cascatelle. Il faudrait voir si la chaloupe du garde-forestier est toujours au bas du portage.

Le canot obéit par à-coups à la poussée des pagaies ; les muscles oublieux ne retrouvent que lentement la coordination parfaite des mécanismes. Les deux amis, qui ne parlent guère, touchent, écoutent, épient tout ; ils s’approprient tout et oublient pour quelques heures que l’ombre de l’étranger ronge ce pays de lumière.

Lorsque Maurice et son compagnon eurent franchi le portage de l’Orignal et atteint le lac Montclair, ils glissèrent leur embarcation entre les troncs morts aux membres tortus ; les pagayeurs manœuvraient prudemment entre ces herses sournoises, et de la proue, écartaient sans les heurter les paumes vertes des nénuphars. Le martin-pêcheur, de sa grosse tête hérissée, regardait les jeunes audacieux violer la frontière de son royaume. La brise, devant eux, façonnait par milliers des nymphéas d’argent dont l’éclat chavirait et renaissait sans fin ; l’onde s’apaisait au toucher des pagaies, et les mouettes couvraient d’arabesques blanches le sillage radieux. Peu à peu les vibrations discordantes s’étaient fondues et la fine ossature frissonnait de docilité. Jacques et Maurice, libérés, allégés, pagayaient sans dire mot ; à certains moments, les deux amis doivent garder le silence sous peine de discord ; leur amitié, aussitôt récompensée, se nourrit de ces instants féconds.

Ils arrivaient à l’anse au Griffon. Maurice tira le canot sur le terreau et, à la course vers le lac des Quatre-Sœurs ! Pendant cinq minutes leurs pieds effleurèrent avec un plaisir rapide et silencieux le trèfle ras veloutant la sente de portage ; le soleil dans les clairières étroites et bruissantes comme des ruisseaux dorait les mousses et les carillons roses des linnées. Ils gagnèrent une éminence et s’assirent côte à côte sur une souche, les jambes ballantes entre les cépées, l’œil et l’oreille au guet.

En contre-bas, la barque cadenassée du garde reposait son mufle sur un tronc duveteux à demi enfoui dans la vase ; le murmure de la Cascatelle frissonnait jusqu’à la poupe et s’éteignait à l’ombre de la lourde embarcation. De là, les jeunes gens prenaient en enfilade le couloir des Quatre-Sœurs, un fiord de trois milles, dont les glaciers avaient fourbi les rives ; avec sa haute montagne au bout, le lac était une invitation au voyage, et Jacques se tourna vers Maurice.

— Tu es fou. Il est cinq heures. Et je connais mal les sentiers.

— Nous nous hâterons… Nous ne pouvons plus reculer.

D’une traite ils coururent chercher leur canot et partirent à la découverte. Au fond du lac des Quatre-Sœurs, une affiche broquetée à un chicot de bouleau et dont les couleurs flambaient, leur indiqua la percée de la futaie. Ils franchirent une fougeraie, dont les frondes géantes leur glissaient sous l’aisselle et s’élancèrent à l’escalade. Une lumière blonde enrobait les troncs du merisier, scintillait aux frisures, et coulait sur les feuilles mortes en mares capricieuses. Jacques et Maurice, par un raidillon en corniche bordé de bleuets et de cornouillers, atteignaient au sommet de la montagne.

Aussi loin que le regard allait, une contrée sauvage que les poudreries de l’hiver trouvaient gelée jusqu’au plus profond de ses rocs, palpitait sous les effluves d’un soir d’été. Une verdure touffue, madrée de noir, berçait la grisaille perlée de ses crêtes et battait à pleins bords la côte bleuâtre de l’horizon ; un ressaut des tons sombres, des dépressions prolongées et blafardes comme le creux d’une lame, signalaient la présence des lacs épars dans cette immensité. On se sentait perdu. Et l’on voulait aller plus loin, vers les eaux que l’on devinait là-bas, là-bas. Jacques songeait à saint Roch le voyageur, qui a laissé sur une pierre de l’île, en plein champ, l’empreinte de son pied et de son bâton. La légende prenait ici un ton plus solennel. Aux dernières heures de la création, les anges avaient peut-être parcouru cette partie du domaine paternel et fait jaillir sous leurs brodequins d’azur le semis des ruisseaux et des lacs.

— On dirait que la forêt se recueille et chante des hymnes.

Maurice ne répondait pas. Des insectes tenaces foraient l’écorce argentée de la pruche qui ombrait le visage des deux amis. Engageraient-ils un dialogue ? Et jusqu’où ?

— Nous avons manqué la messe ce matin, continua Jacques, et nous ne nous en sommes pas aperçus. Nous avons beau, un gros missel sous le nez, suivre la messe dans l’église de l’île, nous n’y comprenons pas grand-chose, un peu comme les paysans à l’orgue que nous trouvons ridicules parce qu’ils s’enfargent dans les mélodies grégoriennes.

Il regarda Maurice.

— Que pouvons-nous faire de plus que suivre la messe dans notre missel ? Tu compliques tout, Jacques.

— Toi aussi, tu compliques tout, dans l’autre sens. Nous pourrions chercher Dieu avec plus d’ardeur. En arrivant ici tout à l’heure, tu n’as pas eu l’impression que Dieu nous touchait l’épaule, comme un père ? Dieu nous rejoint quand il veut, Maurice, nous ne pouvons pas lui échapper. Mais je crains que lui nous échappe.

— Il ne faut pas faire violence à son œuvre.

— Rappelle-toi la première lettre de Pierre Morand. J’ai perdu vingt ans de ma vie. Je dois recommencer à chercher, comme un ignorant, un Dieu que l’on ne m’a pas appris et que je n’ai pas désiré avec assez de passion. Il me faut secouer les formules comme les vieilles boîtes d’un grenier pour entendre ce qu’elles contiennent, brûler les images dévotes, la piété doucereuse, tout ce qui empêche le vrai visage de Jésus de se manifester.

— Pierre n’a jamais eu de mesure.

— Tu ne penses pas comme lui ? Tu as peur de l’aventure, Maurice…

— Je sais que nous sommes des médiocres. Nous sommes des bourgeois, de sales bourgeois, béats, médiocres dans leurs sentiments et dans leurs relations avec Dieu et avec les hommes. Nous sommes médiocres dans le péché…

— Et dans le repentir.

— Nous méritons la vie éternelle à force de ne rien faire.

Maurice a toujours aimé voir jusqu’où il peut aller. Il poursuit, le sourire amer :

— Heureusement, nous sommes des gens cultivés. Nous lisons, nous citons, nous récitons, nous ne vivons pas. Des gens de notre acabit feraient d’excellents professeurs.

Maurice, Maurice tu prends encore une fois le chemin de l’ironie. Où veux-tu que cela mène ? On te demande un peu d’amour et tu réponds par le sarcasme !

Un nid de loriots se brandille dans l’azur, et la plainte du merle interrompt le bruissement crépusculaire de la forêt, comme le choc mat des gouttes sur le feuillage mouillé de l’érable. Le silence de son ami oriente Maurice vers un sentier moins décevant :

— Et l’atmosphère que nous respirons, peux-tu l’assainir avec toute ta bonne volonté ? Peut-être avons-nous à figurer sur un palier inférieur ; notre pitance est matérielle… Mais tu me fais déraisonner…

— Pierre se serait trompé ?

— Peut-être.

Les deux amis descendirent. Ils quittèrent les trembles du sentier et rabattirent dans le chemin d’hiver, une cavée gorgée d’eau, frangée d’osmonde et de jeune mélèze, et débouchant sur une tourbière. Jacques et Maurice allaient tête basse, au pas redoublé ; les éponges blanchâtres des sphaignes se dérobaient sous leurs pieds, et leurs bottes alourdies crevaient les feuilles joufflues de la sarracénie pourprée. Lorsqu’ils entendirent le murmure de la Cascatelle, un frisson les tira de leur torpeur. Ils ne distinguaient plus les prèles et les fleurs pourpre des kalmias, et sur le lac, les moires violacées se rétrécissaient et se résorbaient dans le couchant. La montagne derrière eux s’affaissait dans la brune, comme un mulon au bout d’un champ annuité.

— Quand as-tu songé à tout ça pour la première fois ? demanda Jacques.

— En écoutant les Castonguay. Ils jouent au croquet, les Castonguay, par groupe de quatre. Je les entendais de ma fenêtre : des discussions sans fin pour savoir si Hector ou Aline avaient, oui ou non, perdu leurs droits ! À onze heures, le soir, ils se chamaillaient encore sur la véranda. Le lendemain, en classe, l’abbé Génin nous lisait du Péguy. Et j’ai compris, à une inflexion de sa voix et au souvenir de la partie de croquet, ce que depuis six mois il tentait de nous inculquer : notre monde à nous c’est un carré de terre battue, clôturé, où nous poussons des boules, et où pousser des boules suscite assez de problèmes et de drames pour nous satisfaire.

— Nous pourrions nous évader.

— Est-ce que cela en vaut la peine ?

— Il faudrait sortir de là, nous transplanter dans un cadre neuf pour forcer dans leur dernière retraite tout ce que nous avons de facultés adaptives. Crois-tu qu’un missionnaire ne s’oblige pas à découvrir un autre aspect du monde et de lui-même ? Perdu dans la brousse…

— La brousse, c’est la fuite. C’est ce que je reprocherais à Pierre, d’avoir fui. Il s’apercevra vite que le lieu n’y fait pas grand-chose et qu’on est souvent plus exposé à l’accoutumance dans le cloître que dans le monde.

Il regardait la pagaie s’enfoncer dans l’eau grise.

— L’abbé Génin a une façon plaisante de nous enseigner cette vérité ; ce n’est plus une jeunesse, l’abbé Génin, mais il aime les mots qui ont du corps. Il regarde le plafond, par-dessus ses lunettes, et dit sur un petit ton académique : « Contrairement aux données de la biologie, tous les milieux sont favorables à la floculation des gens satisfaits. » Je n’ose blâmer Pierre parce que je ne me sens pas le courage de me tirer les membres un à un de ma glu. Du moins je sais que la glu me tient. N’est-ce pas quelque chose ?

Et il ajouta entre haut et bas : Jacques, mon ami, qui de nous le premier forcera les murailles de Jéricho ?…

Ils pagayaient en silence. Des vaguelettes mécontentes souffletaient la toile carmin de la proue. Au chalet, pas une lumière. Une forme se dégagea de la véranda et descendit vers l’appontement ; les cheveux défaits, drapée dans un kimono imprimé, Madame Legendre dit à Maurice :

— Vous n’êtes pas raisonnables. Où êtes-vous allés ?

— Nous avons découvert le monde, maman ! Les chevaliers du Roi Arthur n’ont pas reçu de plus beaux fiefs.

— Quelle folie !

— Noël n’est pas arrivé ?

— Non. Venez prendre une bouchée. Vous deviez avoir la tremblette, Jacques, à jeun depuis midi. Si votre mère vous voyait.

Elle avait repris le ton dolent. Jacques murmure dans son for intime : Madame Legendre, il faut de temps à autre faire des choses qui n’ont pas de bon sens.

Ils allaient derrière elle. En mettant pied à terre, ils avaient senti la fatigue, blottie au fond du canot, leur monter dans les jambes ; ils étaient courbatus. À l’est, des lambeaux de nuages pommelés s’agglutinaient sous la poussée d’un vent humide, et le long du sentier, les pins inquiets berçaient un soupir dans leur cime endormie.



Peut-être valait-il mieux demeurer dans son milieu et tenter de le soulever comme une pâte par le ferment durable d’une vie révoltée. Mais qu’est-ce que ce projet signifiait ? Travailler coude à coude avec des êtres huileux comme Lucien ? Pauvre avenir ! Quant à tourner en rond avec une Madame Legendre, comme des canards dans une mare, cela ne fait guère pousser les ailes. Elle (il voulait dire : Louise) ne serait pas une petite bourgeoise. Jacques l’entraînerait sur le Mont des Quatre-Sœurs et elle, en retour, quelle douceur ne prêterait-elle pas aux gestes anguleux du jeune homme et quelle ferveur contenue à ses révoltes ! Il partirait demain, oui demain, s’il le pouvait.

Les mains nouées sur la poitrine, Jacques, qui poursuivait les pensées de la veille, n’entendait pas le toit goutter sous la pluie ; les feuilles frissonnaient comme un papier que l’on froisse et un jour hargneux s’immobilisait à la fenêtre. Jacques, au chaud sous les couvertures, se rendormit.

Il bondit. Une crampe au pied qui monte d’un orteil pincé. Un grand éclat de rire fusa dans la chambre des jeunes gens, et Jacques reconnut Noël Angers, perdu dans un tricot emprunté au guide et qui lui descendait jusqu’au bas des cuisses. Noël était pieds nus, le pantalon de coutil relevé sur les mollets ; l’eau dont il était transpercé lui coulait le long des jambes et marquait dans le bois du plancher l’empreinte de son passage.

— Que viens-tu bardasser ici, Noël Angers ?

— Le train était en retard hier soir ; j’ai couché dans la chambre à donner, chez Ado. Je ne pouvais tout de même pas moisir là. Ado est venu avec moi ; il est dans la cuisine à se sécher.

Noël montre ses pieds et dit :

— Je me suis déchaussé pour ne pas salir le chalet. Quel temps pourri !

Madame Legendre parut dans l’embrasure de la porte, les cheveux roulés sur des bigoudis :

— Noël ! Vous salissez tout mon plancher ! Enlevez-moi ce linge mouillé, et vite. Pendant que vous vous habillerez, mon mari vous versera une larme de cognac dans votre café ; ça vous stimulera. Venez.

Les roulades de Noël secouent la chambre voisine ; les Noces de Figaro, Lucia de Lamermoor, Tannhaüser, le répertoire y passe.

Toute la journée, il pleuvina. Madame Legendre avait soigneusement clos portes et fenêtres et allumé un feu dans la cheminée. Une pluie fine et persistante sur un chalet isolé des Laurentides est une invitation à se recueillir, et à observer de plus près l’âme qui s’abrite sous l’écorce des hommes.

Monsieur Legendre s’affairait dans la cuisine autour d’une soupe à l’oignon. Il avait interdit à tous les habitants l’entrée de son laboratoire ; seul Ado, parce qu’il se taisait, avait obtenu droit de cité et réparait des engins de pêche en fumant à longues tirées. Jacques regardait Maurice, en pantalon et chemise brune, affûter une hache sous l’appentis. Plus d’horizon, plus de montagne ; quelques pins qui enfilaient des perles sur leurs aiguilles, un chalet à la fumée rabattue par des paquets de pluie, un îlot de terre molle collant aux semelles et que l’on se figurait à la dérive sur la mer.

— Le train de Québec, à quelle heure passe-t-il ?

— À cinq heures. Tu ne songes pas à partir ?

Jacques, au vrai, rougissait de son propos. On ne pouvait pas condamner Ado à une nouvelle promenade dans la boue de la coulée, sous la flagellation mouillée des éricales. On n’avait pas même organisé une excursion de pêche encore. Et il ferait bon de courir l’aventure avec Noël : un ami violent, discoureur, moins capable de compréhension que Maurice, moins éclairé sur lui-même et sur les autres, mais d’une franchise que l’abondance des mots et des gestes ne pouvait suffisamment exprimer. D’ailleurs il ne fallait pas céder à une nostalgie d’enfant gâté, non, ne pas céder. Tout de même, les jours de vacances s’écoulaient. Lucien rôdait-il toujours autour du Verger ? Et qu’avait pensé Louise du départ de Jacques ? La désolation l’enveloppait de nouveau comme les rideaux de pluie sale. Maurice ne le regardait pas. Il connaît son ami.

— Ça passera avec le mauvais temps. Attends au moins jusqu’à vendredi. Ado ira chercher Lucie à la station.

— Qui ça Lucie ? Une amie de Mimi ?

— Lucie Tessier, plus ou moins une amie de Mimi. C’est moi qui ai insisté.

Il examinait le tranchant humide de la hache :

— L’oncle de Lucie sera nommé Lieutenant-Gouverneur à l’automne. On peut rencontrer tant de monde à Spencer-Wood.

Il dit ça comme il dirait : Les classes commencent demain.

Tout en comptant les mailles d’un tricot compliqué, Madame Legendre guignait, à travers la fenêtre du vivoir, Mimi et Noël qui devisaient sur la véranda. La tête appuyée à contre-jour, Mimi écoutait le récit du jeune homme ; elle riait et ses dents brillaient par éclats entre ses lèvres rouges. Noël narrait son voyage matinal avec Ado ; il décrivait le malaise de tout le corps rejoint sans pitié par la pluie à travers les vêtements tièdes, le dégoût quand, sur les rives du marécage, il avait enfoncé jusqu’à la cheville dans une boue noire, puante, et senti sur la peau de son pied le contact de ce jus empoisonné. La voix et les mots de Noël conféraient aux choses un sens et une chaleur particulières. Maurice, accoudé à la balustrade de rondins croisés, soupesait, sans qu’il y parût, le poids des paroles échangées entre sa sœur et son ami.

Madame Legendre songeait : Pourquoi Monsieur Legendre et Maurice avaient-ils insisté pour que l’on invitât Noël Angers ? Ils étaient entrés dans le jeu de Mimi. Madame Legendre redoutait ce garçon outré, découplé, dont la tête s’articulait sur de gros muscles rétifs ; le cœur, à la moindre secousse, poussait des bouillons de sang vermeil et copieux.

Un incident allait bientôt la rassurer.

Le soir, la bruine cessa. Les bancs de brume se déchirèrent comme une bâche et les aiguilles de pin rosirent au pied des troncs délavés. Un monde de roche, de forêt et de montagne émergeait avec peine de l’humidité stagnante ; on eût dit que l’univers se recréait dans les fumerolles de volcans apaisés par les eaux. Au souper, on agita le projet de la Cascatelle. Monsieur Legendre, les doigts dans les baisures odorantes d’un pain de ménage qu’il tranchait avec volupté, demanda tout-à-coup :

— Noël Angers, avez-vous déjà mangé une tarte à la frangipane ?

— Oui, je crois, une fois, dans un restaurant…

— Non, mon cher, non, vous n’avez jamais mangé une tarte à la frangipane. Vous goûterez ce soir pour la première fois à ce mets des rois.

— Et vous, Monsieur Legendre, avez-vous déjà tâté d’une omelette baveuse ?

— Je dois avouer que je ne réussis pas cette omelette-là.

— Il n’y a personne comme Noël pour mijoter une omelette baveuse, papa. Il faudra lui passer le tablier demain matin avant de partir pour la Cascatelle. Savez-vous que Jacques songe à nous quitter ?

— Qu’est-ce qui vous presse, Jacques ? s’enquit Madame Legendre.

Et Noël qui ne redoute jamais un mot de trop :

— Sans doute un récital à la Saulaie.

Mimi était mécontente.

— Je ne sais pas ce que vous leur trouvez de drôle à ces petites Beauchesne, à Louise surtout.

— Mais je ne lui trouve rien de « drôle », Mimi, murmurait Jacques dans un sourire ironique.

— Elles n’ont rien de bien excitant.

— Rien d’excitant, reprit Maurice en écho.

— Alors qu’avez-vous à vous extasier comme des dévots devant elle ? Vous devez être terriblement jaloux l’un de l’autre, dites ?

Jacques répondit en pesant les syllabes :

— Louise est une femme, Mimi.

Et Maurice, impertinent :

— Une vraie femme. Évidemment, poursuivait-il en dégustant son thé, cela ne s’apprend pas dans les magazines.

— Maurice ! supplia Madame Legendre.

La querelle vieille de toujours montrait de nouveau ses ongles pointus.

Maurice se tut mais Noël revint à la charge :

— Vous, Mimi, vous préférez le gabarit américain ou anglais ?

— Nous voici aux prises avec les jeunes nationalistes ! dit Monsieur Legendre.

Il manie ces mots avec une espèce d’horreur, comme Mimi touche du bout des doigts aux vers et aux hameçons ; il dirait anarchistes, communistes, qu’il ne craindrait pas davantage de salir ou d’écorcher ses mains roses.

— Là-dessus, nous sommes d’accord, dirent les trois jeunes hommes en se jetant une œillade. Moment précieux qui marquait une consécration nouvelle de leur amitié.

— Vous êtes de l’école avancée. Paul Bouchard, c’est de votre école ?

— Nous pouvons admirer Paul Bouchard, répondit Maurice…

— Non, pas toi, dit Noël à la volée. Quand tu commences à distinguer, tu n’en finis plus.

— Le parti de la violence, continua Monsieur Legendre.

— La violence, la violence ! reprit Noël échauffé. Si Bouchard était un violent, voilà beau temps qu’il aurait embrigadé des chemises écarlates et exécuté quelque beau dynamitage !

— Vous préconisez la violence, Noël ?

Monsieur Legendre grognonnait.

— Oui. Vous savez ce que l’on fait avec les brigands sans foi, ni loi, ni conscience, ni peur, ni remords, ni entrailles ? On leur passe en douce un nœud coulant. Pas d’arrangement à l’amiable, pas d’arguties, pas d’ergotages, des actes, Monsieur Legendre, des actes ! Les forbans, qu’ils soient internationaux ou nationaux, croyez-vous qu’il vaille la peine de parlotter avec eux ? Ils ne lisent pas les brochures de la Ligue de Tempérance ! Des pierres dans leurs carreaux, et vous allez les voir déguerpir, ces messieurs.

Madame Legendre effarée regardait son mari, puis les jeunes gens ; Jacques et Maurice admiraient la fureur de leur ami.

— Assieds-toi, Noël, tu t’épuises.

Noël s’enivre de sa profusion verbale et donne à son adversaire le temps d’appointer une réponse. Mimi en profite :

— Vous avez de la verve, Noël. Seulement, un garçon qui redoute de se mouiller les pieds en traversant une grenouillère ne doit pas s’exposer au bâton de la police.

Noël essuie la raillerie sans broncher et consulte Maurice des yeux ; il tâche manifestement à sauver l’essentiel de la politesse.

— Vois-tu, ma chère Princesse, fit Maurice très calme, il y a des actions, de belles histoires, que l’on conte aux petites filles pour les amuser ; les autres, on ne les raconte pas, on les pose.

— Je ne vous savais pas si fanatiques. Ça ne va pas bien. En désespoir de cause, on quitte la table et les propos dangereux.

— Elle n’est pas mauvaise, votre tarte, dit Ado pour combler le silence, mais elle ne nourrit pas beaucoup. Ma femme fait une tarte à la mélasse, Monsieur Legendre, vous devriez goûter à ça. La prochaine fois que je vais à la maison, je vous en apporte une.

La proposition d’Ado ne dissipe pas toutes les brumes du vivoir. Il faut plus que la nourriture pour donner la paix aux hommes.

Quand on eut terminé les préparatifs de l’excursion, il fallut bien se réunir autour de l’âtre. Noël, plongé dans la lecture de Menaud, ravivait sa ferveur.

— Que lisez-vous de si intéressant ? demanda Mimi.

— Oh ! pas grand-chose : un livre canadien.

Madame Legendre s’interposa :

— On dit que vous lisez agréablement, Noël ?

— Oh ! Madame…

— Pourquoi ne nous liriez-vous pas un chapitre ?

— C’est ça, c’est ça ! Lis-nous un chapitre, Noël.

Monsieur Legendre, dans son fauteuil de rotin, haussa les épaules avec indifférence.

— Je vous lirai la noyade de Joson.

Noël serait capable de grands éclats ; les larmes ne lui coûteraient guère, mais il ne recherche pas l’effet. Il lit posément, sans tension. Son effort vise, en s’agrippant au texte, à maîtriser les réserves sonores et lyriques dont il n’entend user qu’à bon escient. Le timbre de sa voix passe au grave à mesure qu’il progresse dans la tragédie de Joson. Il pénètre sous la tente avec les draveurs lourds de travail et d’ennui, le cœur gros des pays d’en-bas. Le feu attise des rêves au creux des visages fourbus, et le violon d’Alexis geint comme le bois vert qui chuinte dans la flamme ; l’archet court à toute allure sur les cordes, à la poursuite d’un espoir impossible ; le destin a fixé le jour et l’heure de Joson. Que les billes se heurtent avec fracas maintenant dans l’écume mauvaise de la rivière, qu’elles dressent une embâcle où Joson montera pour mourir : Noël a tout préparé pour le sacrifice.

Après la nuit de veille avec Menaud, on s’achemine vers le village et vers la maison du vieux draveur où Marie attend le corps de son frère. « Alors un cri déchirant ébranla les murs et tout le silence de Mainsal. La sœur de Joson sortit… se retourna contre le chambranle, et son cœur se mit à battre comme un marteau funèbre annonçant l’entrée de la mort ».

Noël referma le livre sans bruit. La grive avait entonné son chant vespéral dans la paix des fourrés, et les trilles des pinsons qui s’ébrouaient sous les feuilles mouchetaient de notes claires la gravité de sa cantilène. Les jeunes gens se taisent. Mimi regarde le feu lécher les grosses pierres rondes, comme la rivière apaisée ; elle écoute le grincement des roues dans le chemin de Mainsal. Monsieur Legendre tient sa pipe éteinte dans ses mains et Ado, près du bûcher, dit après un long silence :

— Il faudra que je demande à la mère de l’acheter, ce livre-là.

Mimi ne peut nier que Noël ait une bien belle voix. Tandis que Madame Legendre ranime la lampe qui commence à charbonner, Jacques sort sur la véranda ; des bouffées d’air chaud rampent comme des brumes dans les sous-bois et une chaleur mouillée s’appesantit sur les monts. Les constellations s’allument entre les nébuleuses, la Grande Ourse, le Serpent, l’étoile polaire, le firmament de l’île. Lorsque la brise haletante s’englue dans les pins aux dernières heures du montant et que l’île s’endort dans sa touffeur humide et bleutée, la moiteur des grèves perle aux rideaux et aux draps du Verger ; on ouvre les persiennes toutes grandes sur la nuit, sur le linon neigeux que les étoiles du nord tendent dans l’azur pour bercer le sommeil des hommes.

Le lendemain, Mimi a refusé de monter dans le canot de Maurice et de Noël.

Vendredi, Jacques dit au revoir à ses amis. Monsieur Legendre lui a remis de l’argent pour acheter, en passant à Québec, deux exemplaires de Menaud : un pour Madame Legendre et un pour Ado.

Et maintenant, Jacques retourne au Verger. Il a trop escompté de cette fugue. Sa souffrance, celle du premier matin au lac, celle qui ne l’a pas quitté et qui n’a rien de vague, court devant lui comme la blessure d’un soldat qui redescend du front vers les cités.

À l’île, il a retrouvé la solitude du lac des Monts. Voilard est à l’hôtel pour la fin de semaine et Monsieur Beauchesne, qui prend ses vacances, voiture son monde sur les routes de la Gaspésie ; la Saulaie est fermée pour quinze jours. Jacques et Noël passent parfois près de la villa aux contrevents rouges, et ils s’entretiennent avec le jardinier des Beauchesne. Les épilobes, le long des clôtures, dressent des buissons de torches pourprées, et les jours s’accourcissent sur la pointe de l’île.